DICTIONNAIRE DE DROIT CRIMINEL
- Professeur Jean-Paul DOUCET -
Lettre J
(Troisième et dernière partie)
JUGEMENT
Cf. Acquittement*, Arrêt*, Attendu*, Condamnation*, Délibéré*, Discréditer*, Dispositif*, Exécution provisoire*, Expédition*, Faux en écritures (publiques)*, Grosse*, Jugement en équité (voir : Équité*), Jugement (exécution du)*, Jugement dans l'au-delà*, Jugement étranger*, Langue française*, Lecture du jugement*, Majorité (des voix)*, Mandat de dépôt*, Minute*, Motifs*, Ordonnance pénale*, Pouvoir politique (judiciaire)*, Procès*, Partage des voix*, Raisonnement pénal*, Rectification des erreurs matérielles*, Relaxe*, Retentum*, Sentence*, Syllogisme judiciaire*, Techniques juridiques*, Verdict*.
Voir
: J-P. Doucet, « Le jugement pénal »
-
n° I, p.15 et s. (sur les motifs du jugement)
- n° II-1, p.309 et s. (sur le dispositif du jugement)
Pour un exemple : Jugement de tribunal correctionnel
Voir : Procès de Charlotte Corday (n°II-19)
Voir : L'attentat de la rue Saint-Nicaise : Jugement du Tribunal criminel de la Seine
Pour un exemple ancien : Une affaire criminelle en Beaujolais en 1616
- Notion. - Au sens formel, le jugement est la décision rendue par une juridiction du premier degré, notamment par un tribunal de police ou par un tribunal correctionnel. Il statue, d’abord sur l’action publique, pour dire si les faits reprochés constituent une infraction, pour établir si le prévenu est coupable de l’infraction reprochée, et pour fixer la peine qui sera appliquée ; il statue ensuite sur l’action civile, en s’efforçant de réparer le préjudice subi par la victime.
Larousse des synonymes : Jugement désigne, dans son sens général, toute décision d'une autorité judiciaire ; se dit plus spécialement des décisions rendues par les tribunaux de première instance.
De Curban (La science du gouvernement, Paris 1765) : Le pouvoir judiciaire consiste à examiner les différents qui s'élèvent entre les citoyens et à appliquer les peines que les lois ont établies contre ceux qui en seraient les infracteurs. C'est l'usage ordinaire de ces jugements qu'on appelle Pouvoir judiciaire. Aristote dit que le jugement est une loi particulière, et la loi un jugement universel ; que si le juge était sans passion, le jugement pourrait se passer de la loi, et que si la loi pouvait comprendre tous les cas particuliers, elle pourrait aussi se passer de jugement. [ce tout dernier point est évidemment erroné : il faut que la violation de la loi dans le cas d'espèce soit constatée]
Garraud (Précis de droit criminel) : L’expression « jugement » qui est souvent employée pour désigner toute décision rendue par un tribunal sur un point soumis à son appréciation, ne s’applique, dans son sens technique, qu’aux décisions des tribunaux soit de police correctionnelle, soit de simple police (les décisions des cours étant qualifiées d’arrêt).
Code de procédure pénale allemand, § 268 : Le jugement est rendu au nom du peuple.
Quant au fond, un jugement ne mérite vraiment ce nom que s'il est conforme à la loi positive, sans pour autant méconnaître la règle morale.
St Thomas d'Aquin (Somme théologique) : Un jugement est licite dans la mesure où il est un acte de justice. Or trois conditions sont requises pour cela : la première qu'il procède d'une inclination à la justice ; la deuxième qu'il émane de l'autorité d'un supérieur ; la troisième qu'il soit prononcé selon la droite règle de la prudence.
Mentions que doit comporter un jugement. Elles sont fort bien énumérées dans le document ci-dessous.
Code de procédure pénale espagnol (traduction
Legeais). Art. 142 : Les jugements seront rédigés en respectant les règles suivantes:
1.° On indiquera au début: le lieu et la date de leur prononcé, les faits qui auront donné lieu à la formation de la cause, les prénoms et noms des
demandeurs particuliers, s’il y en avait, et ceux des accusés; les noms ou les sobriquets sous lesquels ils sont connus, leur âge, état civil, lieu
d’origine, domicile, fonction ou profession, et, à défaut, toutes autres circonstances sous lesquelles ils auront figuré en la cause; on indiquera en
outre les nom et prénoms du magistrat rapporteur.
2.° Seront consignés dans des attendus numérotés les faits qui seront liés aux questions qu’il y avait lieu de résoudre dans le jugement en faisant
indication expresse et définitive de ceux que l’on considère comme prouvés.
3.° Seront consignées les conclusions définitives de l’accusation et de la défense et celles qu’éventuellement aura proposées le tribunal, en vertu de
la disposition de l’article 733.
4.° Y seront également consignés en alinéas numérotés, qui commenceront par le mot considérant :
Premièrement. Les fondements doctrinaux et légaux de la qualification des faits que l’on considère comme prouvés.
Deuxièmement. Les fondements doctrinaux et légaux déterminant la participation de chacune des personnes poursuivies dans les faits dont il s’agit.
Troisièmement. Les fondements doctrinaux et légaux de la détermination des circonstances atténuantes, aggravantes ou absolutoires de la responsabilité
pénale, lorsqu’il en existe.
Quatrièmement. Les fondements doctrinaux et légaux de la qualification des faits que l’on considère comme prouvés en relation avec la responsabilité
civile qu’ont pu encourir les personnes poursuivies ou les personnes qui y sont assujetties et que l’on a entendues dans le procès, et ceux correspondant
aux résolutions qu’il y aura lieu de prendre sur les dépens, et éventuellement sur la déclaration de plainte calomnieuse.
Cinquièmement. La citation des dispositions légales qui sont considérées comme applicables, étant prononcé en dernier le dispositif par lequel on
condamnera ou acquittera non seulement pour le délit principal et les délits connexes, mais aussi pour les contraventions incidentes dont on aura eu
connaissance en la cause, en considérant comme contraventions incidentes celles que les personnes poursuivies ont commises avant, au moment ou après le
délit, comme moyens de le commettre ou de le dissimuler.
On résoudra aussi dans le jugement toutes les questions concernant la responsabilité civile qui auraient été objet des débats et, s’il y a lieu, on
déclarera que la plainte était calomnieuse.
- Jugement avant dire droit. Le jugement avant dire droit est une décision prise en cours de procédure, qui ne statue pas sur le fond, mais qui tranche un incident ou ordonne une mesure d’instruction.
Cass.crim. 11 mars 1987 (Bull.crim. n° 120 p.336) : A défaut de dépôt de la requête prévue par l’art. 507 C.pr.pén., l’appel contre un jugement avant dire droit du Tribunal correctionnel est examiné en même temps que l’appel ultérieur contre la décision sur le fond.
- Jugement civil. Un jugement civil, français ou étranger, constitue parfois la condition préalable à une incrimination pénale (par exemple : délit de non-paiement de pension alimentaire).
Voir :
Jean-Paul Doucet,
« La protection de la Famille, des enfants et des
adolescents »
- sur un jugement civil français : n° 515, p.338 / n° 521, p.346
- sur un jugement civil étranger : n° 515, p.338 / n° 522, p.347
- Jugement collectif. Un jugement collectif traite globalement un certain nombre d’affaires, identiques en tous points dans l’abstrait, mais qu’aucun lien d’indivisibilité ou de connexité concret ne réunit. La Cour de cassation a heureusement condamné cette manière de procéder qui évoque la pratique des Fournées*.
Cass.crim. 7 mai 1986 (Gaz.Pal. 1986 I 557, note Doucet, et Grands arrêts) : Encourt la cassation le jugement intitulé « collectif » concernant 36 procédures différentes qui, pour déclarer un automobiliste, prévenu non comparant, coupable d’infraction aux règles du stationnement payant, se borne à énoncer par une motivation commune à tous les prévenus que lesdits «prévenus défaillants ont été régulièrement cités et que leur absence laisse présumer qu’ils n’ont rien à objecter», ajoutant que « du reste, les contraventions qui leur sont reprochées paraissent suffisamment établies ».
- Mentions que doit comporter un jugement. Un jugement doit comporter un certain nombre de mentions, établissant que l'instruction à l'audience s'est déroulée conformément aux règles prescrites par le législateur.
Voir : Jean-Paul Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n° III-1 et s., p.373 et s.
Cass.crim. 19 juin 1939 (Bull.crim. n° 180 p. 340) : Les énonciations d'un jugement ou d'un arrêt qui constatent l'accomplissement des formalités prescrites par la loi font preuve jusqu'à inscription de faux.
JUGEMENT (Exécution du)
Cf. Exécution du jugement*.
- Principe. L’art. 707-1 C.pr.pén. précise que l’exécution ou mise en œuvre du jugement est poursuivie, quand à l’intérêt public par le ministère public, et quand à l’intérêt privé par la partie civile.
Goyet (Le ministère public) : Les décisions des juridictions de jugement prononçant des peines au nom de la Société sont exécutées à la requête du ministère public attaché à chacune d'elle.
Cass.crim. 25 mars 2003 (Bull.crim. n°74 p.289) : Aux termes de l'art. 12 de la loi n° 96-392 du 13 mai 1996 relative à la lutte contre le blanchiment et le trafic de stupéfiants et à la coopération internationale en matière de saisie et de confiscation des produits du crime, lorsqu'elle fait l'objet d'une demande présentée en application des articles précités de la Convention du 8 novembre 1990, l'exécution sur le territoire français d'une décision de confiscation prononcée par une juridiction de l'un des États parties à ladite Convention est autorisée par le Tribunal correctionnel, lequel est saisi, à cette fin, par le procureur de la République.
- Moment où l'exécution devient possible . L’exécution forcée devient possible du moment où le jugement est devenu définitif.
Ordonnance criminelle de 1670 (XXV-21) : Les jugements seront exécutés le même jour qu’ils auront été prononcés.
Cass.crim. 3 octobre 1978 (Bull.crim. n° 255 p.667) : En dehors des exceptions édictées par la loi, l’exécution d’une condamnation pénale ne peut avoir lieu que lorsque la décision est devenue définitive.
Wallon (Histoire du Tribunal révolutionnaire) : Lavoisier, prévoyant sa condamnation, avait demandé un délai de quinze jours. – « J’ai besoin, dit-il, de ce temps pour terminer des expériences nécessaires à un travail important dont je m’occupe depuis plusieurs années. Je ne regretterai point alors la vie. J’en ferai le sacrifice à ma patrie ». Mais Cofinhal, qui présidait, lui fit cette réponse : - « La République n’a pas besoin de savants ni de chimistes : le cours de la justice ne peut être suspendu ». Il fut jugé et exécuté le même jour (8 mai 1794).
- Difficultés d'exécution. Aux termes de l'art. 710 C.pr.pén., tous incidents contentieux relatifs à l'exécution d'un jugement sont portés devant le tribunal ou la cour qui a prononcé la sentence ; cette juridiction procéder à la rectification des erreurs purement matérielles contenues dans ses décisions. Ce pouvoir d'interprétation, voire de correction, n'autorise toutefois pas le tribunal aller à l'encontre de la chose jugée.
Cass.crim. 25 avril 2006 (Bull.crim. n°110 p.415) : Si les juridictions répressives peuvent interpréter leur décision lorsque des difficultés s'élèvent sur le sens de celles-ci, il leur est interdit d'en restreindre ou d'en étendre les dispositions et de modifier ainsi la chose jugée.
En ce qui concerne le devoir de réparer le dommage subi par la victime, pesant sur un condamné bénéficiant d'un sursis probatoire, le ministère public doit tenir compte de ses facultés contributives.
Merle et Vitu (Traité de droit criminel, T.I) : Les obligations spéciales imposées au probationnaire... obligation de réparer les dommages causés par l'infraction en fonction de ses facultés contributives.
Cass.crim. 27 juillet 1993 (Bull.crim. n°253 p.645) : Ne satisfait pas à l'obligation qui lui a été spécialement imposée d'acquitter, en fonction de ses facultés contributives, les sommes dues à la victime de l'infraction, le condamné à une peine assortie du sursis avec mise à l'épreuve la somme allouée au titre de l'art. 475-1 C.pr.pén.
Cass.crim. 30 mai 1996 (Gaz.Pal. 1996 II Chr.crim. 167) : En l'état de ses énonciations, dont il appert que c'est volontairement et non du fait de ses facultés contributives, que le condamné s'est soustrait à l'obligation de réparer les dommages résultant de ses infractions, dans le délai imparti, la Cour d'appel a justifié sa décision de révocation du sursis, au regard des art. 742 al. 23° C.pr.pén. et 132-45-5° C.pén.
JUGEMENT DANS L'AU-DELÀ (jugement premier et jugement dernier)
Cf. Châtiment dans l'Au-delà*, Loi divine*, Maat*, Minos*, Péché*, Prévention des infractions*, Récompenses dans l'Au-delà*, Religion, Sanction 4° *.
Voir : Égypte ancienne, Le jugement des âmes
Voir : Le repentir du Bon larron
Voir : Dante, La divine comédie
Puisque nous ignorons ce qui advient après que les fonctions
vitales du corps d'un homme ont pris fin, nous devons nous
limiter à nous à nous tourner vers les textes proposés par la
majorité des religions. Hormis les athées pour lesquels l’homme
vient du néant et retourne au néant (en sorte
que sa vie n’a pas de sens), la majorité des personnes qui
se sont efforcées de percer ce mystère estiment que l'homme est
constitué d'un corps matériel et d'une âme immatérielle, et que,
après le décès de son enveloppe charnelle, l'âme retourne dans l'au-delà
où elle est jugée.
L'âme se verrait alors poser cette question : « Qu'as tu fait de
ta vie ? » ; et elle ne pourrait qu'y répondre en vérité,
sachant qu'un juge suprême a la capacité de sonder les cœurs et
les reins, donc de déceler ses actions passées, ses omissions,
ses paroles, ses pensées et ses mobiles les plus secrets. On
peut relever en ce sens, notamment, les déclarations de
personnes ayant connu une mort clinique ; leurs propos donnent à
penser que l’anéantissement du corps matériel n’emporte pas
extinction de l’âme.
Notion -
Ceci étant, seules des spéculations conduisent à concevoir un
jugement des âmes à la fin de leur vie terrestre. Quelques
théologiens ont tenté d’être plus précis, mais sans grand
succès : ce qui relève du spirituel ne se situe à l'évidence pas
sur le plan temporel des preuves matérielles. C’est ainsi que la religion catholique a pu distinguer
entre un jugement immédiat (dit jugement premier), conduisant à
placer temporairement ceux qui ont commis des péchés véniels dans un Purgatoire
où ils expient leurs fautes, et un jugement ultime (dit jugement dernier) où le sort
de toutes les âmes sera définitivement fixé
Sur les plus importants édifices romans on trouve un tympan, au
centre duquel figure généralement un Christ en gloire et des
scènes représentant le jugement dernier : les pécheurs sont
précipités en enfer tandis que les fidèles à l’enseignement de
l’Église entrent au Paradis.
Nouveau Testament (Épître aux Hébreux) : La parole de Dieu peut juger les sentiments et les cœurs. Aussi tout est nu et découvert aux yeux de celui à qui nous devons rendre compte.
St Paul (2e lettre aux Corinthiens). Il nous faudra tous comparaître devant le tribunal du Christ, pour que chacun soit rétribué selon ce qu'il a fait, soit en bien soit en mal, pendant qu'il était dans son corps.
St Augustin (La Cité de Dieu). Les hommes subissent, en raison de leurs crimes... un châtiment divin, soit en cette vie, soit après la mort.
Dictionnaire du Christianisme de Vauchez (v° Jugement dernier par Boesplug) : La Bible révèle que le temps de l’histoire est appelé à s’achever par un Jugement dernier, qui s’annonce comme le grand jour de la reddition des comptes et de la rétribution de chacun en fonction de ses œuvres bonnes ou mauvaises… Dans le christianisme, le Jugement dernier s’oppose au jugement particulier par lequel chacun, au moment de sa mort, est déjà rétribué selon ses œuvres.
Chateaubriand (Génie du christianisme) : L'école stoïque croyait, ainsi que les chrétiens, à l'enfer, au paradis, au purgatoire, et à la résurrection des corps, et l'idée confuse de ce dernier dogme était déjà répandue chez les mages.
Symbole : La Croix orthodoxe se caractérise notamment par un barre transversale inclinée située dans sa partie basse . Selon une croyance largement répandue, elle représente la balance de la justice divine. Sa partie haute élève vers les cieux celui qui a fait le bien (le bon larron qui s'est repenti et qui a cru au Christ) ; sa partie basse précipite vers l'enfer celui qui a fait le mal (le mauvais larron qui a persisté dans le péché et a apostrophé le Christ).
Homère (L'Odyssée, Chant XI vers 568 et s.) : Je vis Minos, l'illustre fils de Zeus, qui, un sceptre d'or à la main, assis sur un trône, rendait la justice aux morts. Eux, autour du prince, demandaient leur jugement dans la demeure d'Hadès aux larges portes.
Platon (Phédon) :
Les défunts, une fois parvenus au lieu où ils sont conduits,
y sont d'abord jugés, aussi bien ceux qui ont eu une belle et
sainte vie, que ceux dont ce ne fut pas le cas. Ceux dont il
aura été reconnu qu'ils ont eu une vie moyenne sont mis en route
vers l'Achéron... et parviennent au lac : là est leur résidence,
le lieu où, purifiés, payant la peine de leurs injustices, ils
sont absous de celles qu'ils ont pu commettre ; ou bien ils sont
récompensés de leurs bonnes actions, chacun obtenant de l'être
proportionnellement à son mérite.
Ceux, d'autre part, dont il aura été reconnu que leur cas est
incurable, vu la grandeur de leurs fautes, auteurs de pillages
nombreux et importants commis dans les temples, auteurs de
nombre d'homicides injustement et illégalement commis, ou de
tous les autres forfaits qu'il peut bien y avoir encore de ce
genre, le lot qui leur convient est le Tartare, et de là jamais
ils ne sortent...
Moret (Au temps des pharaons) : Le défunt baise la terre au seuil de la salle du Jugement… Au fond, assis sous un naos, l’Être bon, Osiris, rédempteur et justicier… Le défunt adresse une humble requête : il vient se justifier des quarante-deux péchés canonique… Suit l’énumération de ces péchés, que le défunt se défend d’avoir commis : cette confession négative est pour nous comme un Code moral… Thot et Anubis avaient interrogé la balance, mettant dans un des plateaux le cœur du mort, dans l’autre l’image de la Vérité ; l’équilibre des plateaux attestait la sincérité de la confession… D’où vient l’homme, où va-t-il, telle est la question fondamentale à laquelle le Livre des morts veut répondre.
La croyance en l'existence d'un jugement dans l'Au-delà n'est pas propres aux civilisation occidentales ; elle manifeste également dans les civilisations orientales.
Odon
Vallet (Émission Voix Bouddhistes du 4/2/2001) : L'une
des premières actions que tout pratiquant bouddhiste apprend à
développer est la générosité car la générosité engendre des
mérites. Il faut savoir que cette notion de mérite est très
importante dans le bouddhisme. Globalement on peut dire que les
mérites sont des actes bénéfiques, positifs, il permet au
disciple d'édifier les fondations nécessaires indispensables qui
l'aide à progresser sur la voie tant du point de vue moral que
spirituel...
Les mérites peuvent être détruits, mais pas trop rapidement
parce que le démérite doit être considéré comme une faute
volontaire, c'est-à-dire qu'il n'y a démérite que s'il y a une
intention coupable. La faute involontaire n'est pas vraiment une
faute...
Oldenberg (Bouddha,
vie et religion) : Le roi Yama dit au défunt :
« Ces mauvaises actions qui sont
les tiennes, ce n'est pas ta mère qui les a faites, ni ton père,
ni ton frère, ni ta sœur... C'est toi seul qui a fait ces
mauvaises actions. Seul tu dois en recueillir le fruit ».
Et les gardiens des Enfers l'entraînent à la place des supplices
où on le torture... et il ne meurt pas avant d'avoir expié
jusqu'à la dernière parcelle de sa faute.
Van
Gulik, "Le monastère hanté". Cet érudit sinologue, connu par ses
romans policiers, avait des connaissances particulièrement
étendues qui retiennent l'attention : Voici l'entrée de la Galerie des Horreurs...
Au mur de droite étaient accrochés des textes sur le péché et sa
rétribution, mais à gauche s'alignait une suite de statues
grandeur nature peintes de couleurs criardes. Elles
représentaient les divers châtiments infligés à l'âme de pécheur
dans l'Enfer taôiste : ici, d'horribles démons sciaient en deux
un homme qui se tordait de douleur; là, les diablotins
grimaçants faisaient bouillir un couple dans un chaudron de
fer...
- Toutes ces horreurs ne servent à rien, remarqua Tao Gan. Elles
n'empêcheront jamais les gens de faire des bêtises. C'est dans
leur nature. [l'adverbe "jamais" est sans doute excessif :
la loi divine ne peut que renforcer la loi humaine].
- Politique criminelle. Au regard du droit pénal il est indéniable que la croyance en un jugement dans l'au-delà constitue un moyen privilégié de prévention de la criminalité. Cette observation devrait inciter à une sage coopération du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel.
Bentham (Théorie des peines et des récompenses) : Plan général d'emprisonnement... Le vestibule devrait avoir une apparence lugubre ; on pourrait y placer deux grands tablettes : dans l'une, on verrait un juge assis à son tribunal, tenant le livre de la loi, et prononçant la sentence d'un criminel ; dans l'autre, l'ange qui sonne la trompette du jugement dernier. À l'intérieur deux squelettes suspendus à côté d'une porte de fer frapperaient vivement l'imagination. On croirait voir le séjour effrayant de la mort... Celui qui aurait une fois dans sa jeunesse visité cette prison, ne l'oublierait jamais. Je sais que les beaux-esprits rient de toutes ces idées emblématiques : ils les admirent dans la poésie, ils les méprisent dans la réalité. Mais il est plus aisé de les attaquer par des railleries que par des raisons.
Hobbes (Traité sur la liberté et la nécessité) : S’il n’y a aucune liberté, il n’y a ni jugement dernier, ni récompenses ni châtiments après la mort. Un homme ne peut se rendre criminel s’il n’a pas la liberté de commettre un crime. Aucune homme ne peut être justement puni d’avoir commis ce crime s’il n’est pas en son pouvoir de l’éviter. Supprimer la liberté, c’est risquer de supprimer le Ciel et c’est supprimer indubitablement l’Enfer.
JUGEMENT DE DIEU
Cf. Cruentation*, Duel*, Preuve*, Ordalie*, Pendaison*.
Sorte d’Ordalie*, le Jugement de Dieu (dit aussi « Bataille ») consistait en un duel opposant l’accusateur, ou son représentant, à l’accusé, ou son représentant. Les minutieuses formalités préalables, consistant en une suite de prestations de serments solennels, tendaient à persuader les protagonistes que, en cas de défaite, celui qui défendait sciemment une cause injuste serait damné pour l’éternité, et y perdrait son âme. On espérait ainsi le faire renoncer.
Voir : Le procès de Ganelon : Un jugement de Dieu
Montesquieu (De l’esprit des lois) : Dans le choix de la preuve par le combat, la nation franque suivait son génie guerrier ; car pendant qu’on établissait le combat comme un jugement de Dieu, on abolissait les preuves par la croix, l’eau froide et l’eau bouillante, qu’on avait regardées aussi comme des jugements de Dieu.
Du Boys (Histoire du droit criminel) : Ce qu'on entendait par le jugement de Dieu, dans la législation Wisigothe, c'était l'épreuve par l'eau bouillante.
Toureille (Crime et châtiment au Moyen-âge) : Le duel judiciaire intervenait à plusieurs stades du procès. D'emblée, lorsque l'une des parties provoquait l'autre. Au cours de la procédure, pour réfuter un témoin. Ou au terme du procès, pour contester le juge. La procédure était empreinte d'un grand formalisme. Le duel devint alors, d'un terme plus familier, la « bataille » .
Roy (Histoire de la chevalerie) : Un prêtre faisait agenouiller l’appelant devant une table richement ornée, sur laquelle étaient posés un crucifix et un missel, et lui disait : « Veillez aux serments que vous allez faire, ou autrement votre âme, votre honneur et vous-même serez en grand péril »… Puis c’était le tour du défendant… On ne se contentait pas de ces deux serments prononcés séparément par les deux parties. Une troisième épreuve avait lieu avec un appareil encore plus solennel. Les deux adversaires étaient alors réunis pour prêter ensemble un dernier serment ; le prêtre leur mettait devant les yeux les suites terribles des serments qu’ils avaient prononcés et de celui qu’ils allaient prononcer encore, la mort ignominieuse que l’un d’eux allait souffrir et, ce qui était mille fois plus redoutable, la perte de l’âme de celui qui se serait parjuré.
Saint-Louis (Ordonnance sur les duels et la preuve par témoins de 1260). Recueil Isambert, sommaire : Le Roi défend les batailles dans ses domaines, et établit en leur place la preuve par témoins.
JUGEMENT DE SALOMON - Voir : Salomon*.
Voir : Le procès de Ganelon : Un jugement de Dieu
JUGEMENT EN ÉQUITÉ - Voir : Équité*.
JUGEMENT ÉTRANGER
Cf. Application de la loi dans l'espace*, Chose jugée - à l'étranger*, Compétence internationale*.
Ce sont les articles 728-2 et s. C.pr.pén. qui régissent l'adaptation du jugement étranger lorsque, en vertu d'une convention ou accord internationaux, une personne détenue à l'étranger, en vertu d'une condamnation prononcée par une juridiction étrangère, est transférée sur le territoire français pour y accomplir la partie de la peine restant à subir.
Huet - Koering-Joulin (Droit pénal international) : Le transfèrement de l'État de condamnation vers l'État dont le condamné possède la nationalité... s'effectue dans un but humanitaire : faciliter l'adaptation du condamné à la vie carcérale et favoriser ses chances de reclassement social... compte tenu des conditions climatiques de l'État de condamnation, des difficultés linguistiques auxquelles le condamné serait confronté et de l'éloignement de sa famille.
Cass.crim. 24 juin 2015, pourvoi n° 14-13970 (Gaz.Pal. 16 juillet 2015 p.25) : Il se déduit de l'art. 728-4 C.pr.pén. que l'adaptation de la peine prononcée, à l'étranger, à l'encontre du condamné transféré se fait au regard de la loi française en vigueur à la date de son transfèrement.
JURÉ
Cf. Cour d’assises*, Diffamation*, Jury*, Menaces*, Secret professionnel*, Violences*.
Voir
: Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société »
- n° II-I-200,
p.429 (sur les devoirs des jurés)
- n° II-I-124, p.363 / n°
II-I-201 et s., p.431 et s. (sur la protection des
jurés)
Voir : Faustin Hélie, L’institution du jury
Un juré est un simple citoyen appelé à compléter une cour d’assises (art. 254 et s. C.pr.pén.) ; il remplit une fonction sociale d'ordre public. L’ensemble des jurés, qui constituent le jury, est principalement appelé à apprécier la pertinence des preuves avancées par l’accusation, dans le but d’établir l’existence de l’infraction et la responsabilité de l’accusé.
Faustin Hélie (Traité de l'instruction criminelle) : Le jury, c'est la participation des citoyens à la justice pénale, le jugement des accusés remis dans les mains du peuple ; c'est une fonction judiciaire temporairement déléguée à des personnes étrangères à la justice, parce qu'elles semblent plus aptes à la remplir que les juges eux-mêmes.
Angevin (La pratique de la cour d’assises) : Il faut, pour être juré, avoir la nationalité française … être âgé de plus de 23 ans … savoir lire et écrire … jouir de ses droits politiques, civils et de famille.
Exemple (Ouest-France 28 septembre 2012) : Il avait été désigné juré de la cour d'assises de Saône-et-Loire. À l'ouverture de la session, l'homme, qui n'avait pas demandé de dispense préalable, avait été tiré au sort, mais il avait refusé de prêter serment. Il aurait dit ne pas se sentir capable de juger une personne. Pour avoir refusé de tenir ce rôle, il a été condamné à 500 € d'amende.
Au cours des Débats*, un juré ne doit jamais manifester une opinion partiale :
Vittrant (Théologie morale) : Les jurés sont tenus s’écouter consciencieusement l’exposé de l’affaire, l’interrogatoire et les plaidoiries, puis de répondre, d’après leur conviction personnelle, aux questions qui leur seront posées par le magistrat chargé de présider. Ils doivent s’abstenir de tout jugement défavorable tant que la preuve du crime n’a pas été établie au cours des débats avec une certitude juridiquement suffisante. Ils ne doivent jamais oublier que la loi leur impose l’obligation stricte de défendre le « Bien commun » en condamnant comme il convient les criminels dont la culpabilité est suffisamment prouvée au for externe.
Exemple. Renaudin, juré du Tribunal révolutionnaire, se voyait reprocher sa rigueur aveugle ; il se défendit en ces termes : Comment peut-on me savoir mauvais gré d’avoir été juré ? Je n’étais que l’instrument et la hache dont on se servait. Je crois qu’on ne peut faire de procès à une hache. Un autre juré, le peintre Prieur, avoua pour sa part : Nous sommes dans l’usage de condamner tous ceux qu’on nous indique par une lettre à côté de son nom. Gohier, encore un autre juré, s’exclama un jour : Moi, je suis convaincu d’avance.
À l'issue des Débats*, un juré ne doit jamais révéler le déroulement de la délibération. Il convient en effet que chaque juré puisse s'exprimer librement sans avoir à craindre de représailles ultérieures. La violation de secret des délibérations constitue donc légitimement un délit.
Cass.crim. 25 janvier 1968 (Bull.crim. n° 25 p.48) : L'obligation au secret qui s'impose aux jurés est générale et absolue, car le délibéré est secret par nature, et cette obligation immuable s'impose par elle-même, indépendamment du serment, à toute personne appelée par la loi à assister audit délibéré.
Exemple (Ouest-France 18 octobre 2013) : T.A. était juré de cour d'assises en 2010. Après huit heures de délibérations, la cour avait condamné un homme à cinq ans de prison dont deux avec sursis, pour viol sur mineur. Le juré a eu le sentiment d'avoir été manipulé par la Présidente de la Cour. "Me taire était être complice, je ne pouvais dormir avec ça tous les jours" a-t-il expliqué, hier, au Tribunal de Meaux. Il a écrit à la présidente. Pas de réponse. Alors il a accordé une interview au "Parisien", pour tout dévoiler. Il a, ainsi, violé le secret du délibéré. Hier, le procureur a requis trois mois de prison avec sursis. Décision le 28 novembre.
Il est à noter que, à l'origine, les mots jurés et jury ont été employés avec un sens inverse du sens actuel :
Seligman (La justice en France sous la Révolution) : En 1791, à l’inverse de ce qui se fait aujourd’hui, on donne le nom de "jury" à l’un des citoyens-juges pris individuellement, tandis que leur réunion s’appelle "juré".
JURIDICTION DE PROXIMITÉ - Voir : Juge de proximité*.
JURIDICTIONS - Voir : Tribunaux*.
JURISCONSULTE
Cf. Arrêtiste*, Criminaliste*, Digeste*, Doctrine*, Gaius*, Justinien*, Légiste*, Modestin*, Papinien*, Paul*, Pénaliste*, Science juridique*, Tableau général des incriminations (Warée)*, Techniques juridiques*, Ulpien*, Université*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° 103 2°, p.59
- Histoire. À Rome, un jurisconsulte était un simple juriste qui, d’une part participait à la vie judiciaire en
donnant des consultations ou en assistant des plaideurs, d’autre part délivrait un enseignement doctrinal et publiait des ouvrages de droit. Si ses
connaissances pratiques et théoriques finissaient par lui conférer une certaine réputation, son opinion pouvait être invoquée pour trancher un point de
droit douteux ; il apparaissait alors comme une source directe du droit. Les cinq grands jurisconsultes classiques furent : Papinien, Paul,
Ulpien, Gaïus et Modestin ; leur enseignement retient encore l’attention.
Une Constitution de Théodose II et Valentinien III, de l’an 426 (dite
« Loi des citations »), disposa que, là où les opinions des cinq grands
jurisconsultes précités apparaissaient divisées, celle de Papinien faisait pencher la balance. Ses travaux ont été largement cités dans le Digeste de
Justinien.
Von Jhering (L'esprit du droit romain) : Étranger aux
luttes, aux passions des parties, le juriste pouvait pleinement rendre hommage à la vérité : ses bons offices étaient gratuits... La jurisprudence
romaine classique ne connut point les souillures de l'argent. Celui qui s'y consacrait l'aimait pour elle-même, et ne lui demandait pas d'argent. La
vocation était le motif qui dictait le choix de la profession ... La science du droit, écrivait Ulpien, est une chose sainte, qui ne peut être ni estimée
à prix d'argent, ni déshonorée par lui... Sous l'Empire, les seuls qui s'y conformassent encore étaient les quelques juristes nominativement
pourvus par l'État du « jus respondendi
» dont la mémoire est encore honorée.
Selon la fameuse constitution de Valentinien III tous les écrits des cinq jurisconsultes Papinien, Paul, Gaïus, Ulpien et Modestin reçurent force de
loi.
Accarias (Précis de droit romain) : Septième source du droit : Les réponses des prudents - De fort bonne heure, à Rome, les jurisconsultes furent environnés d'une considération exceptionnelle et la science du droit jouit d'une popularité sans bornes. Ce fait qu'on expliquerait suffisamment , ni par l'esprit processif du peuple romain, ni par une prédisposition naturelles aux études juridiques paraîtra assez simple si l'on tient compte des faits suivants... Le barreau étant, sous la République romaine, la voie la plus sûre pour arriver aux honneurs, quiconque se sentait quelque talent de parole cherchait à s'y distinguer pour se désigner aux suffrages du peuple. De là la nécessité d'une certaine culture juridique... [ pourquoi n'exigeait-on de ceux qui sont se présentent aux élections majeures, pour l'Assemblée nationale ou pour le Sénat, qu'il aient obtenu de sérieux diplômes juridiques ? ]
Giffard (Précis de droit romain) : Papinien ... Paul et
Ulpien ont été, à la fois, des jurisconsultes, c'est-à-dire des savants, et des fonctionnaires, c'est-à-dire des praticiens ; toute leur oeuvre est
marquée par cette dualité.
La doctrine, de nos jours, n'est pas une source directe de Droit. La jurisprudentia romaine, c'est-à-dire la doctrine des jurisconsultes, a été, à Rome,
une source directe de Droit, liant le juge comme la loi.
Declareuil (Rome) : Auguste donna à certains jurisconsultes le droit de donner des consultations dont la solution s’imposait au juge … C’était ramener à quelques uns une pratique que l’incompétence ordinaire des juges avait développée depuis longtemps.
Dictionnaire de la culture juridique (V° Doctrine par O.Beaud) : Dans la tradition française classique, la doctrine se perçoit comme une pensée en action. Selon cette perspective, l'art du jurisconsulte est de maintenir une union étroite entre la théorie et la pratique.
- Exemples. C'est dans le Digeste de Justinien que l'on trouve aujourd'hui l'essentiel de l'apport de ces jurisconsultes.
Digeste (XLVII, II, 77). Papinien, au Livre 8 des Questions : Quand quelqu’un a donné quelque chose à garder, si le vol de cette chose cause un dommage au gardien, ce dernier peut exercer l’action de vol.
Digeste (XLVII, II, II, I, 2). Paul sur l'Édit : La seule intention de commettre un vol ne fait pas un voleur.
Digeste (XLVII, I, II). Ulpien, sur Sabin. Jamais plusieurs délits concourant ne font qu'aucun obtienne l'impunité : car jamais la peine d'un délit n'est diminuée par un autre délit.
Digeste (XLVII, II, II, 56). Gaïus au Livre 13 sur l'Édit provincial: Si le créancier se sert du gage il est coupable de vol.
Digeste (XLVIII, VIII, 11, I). Modestin au livre 6 des Règles. Si un esclave a été sans jugement abandonné aux bêtes féroces, et celui qui l'a vendu, et celui qui l'a acheté, seront punis.
- Droit contemporain. De nos jours on peut employer ce terme pour désigner un juriste particulièrement versé dans
la science juridique, sous ses deux aspects législatif et judiciaire.
Mais on parle actuellement plutôt de la Doctrine*,
envisagée de manière globale ; si celle-ci n’a toutefois plus guère
qu’une autorité scientifique relative, du fait que nombre
d'auteurs monnayent leur savoir, le législateur devrait
néanmoins avoir la sagesse de prêter quelque attention à ceux
qui consacrent tout leur temps à la recherche et à
l'enseignement, et qui se tiennent sagement à l'écart des divers
groupes de pression pour conserver leur indépendance.
Voir : Doucet, La doctrine est-elle une source du droit ?
Faustin Hélie (Traité de l'instruction criminelle) : La Chambre criminelle de la Cour de cassation répond, comme les anciens prudents, aux cas qui lui sont proposés, et ses réponses, comme celles des jurisconsultes de Rome, sont des règles générales qui participent au caractère de la loi et se confondent en quelque sorte avec elle.
Paris 26 septembre 1990 (Gaz.Pal. 1991 I somm. 41) : Il y a lieu d’enjoindre au demandeur de fournir un «certificat de coutume» établi par un jurisconsulte belge et apportant une réponse appropriée sur les divers points sur lesquels les règles admises en droit belge pour la solution du présent litige seraient différentes des règles du droit français.
H. de Pansey : Les décisions des jurisconsultes sont des lois, la puissance législative n’est que leur organe ; leurs pensées sont un trésor pour les nations policées ; et, semblable à ces fleuves qui roulent l’or et les pierres précieuses dans les pays qu’ils arrosent, la philosophie porte les monuments de leur sagesse dans tous les lieux qu’elle éclaire.
JURISDICTIO
Cf. Imperium*.
« Jurisdictio » est le mot latin qui sert, encore de nos jours, pour désigner la mission impartie aux magistrats de dire le droit dans un cas d’espèce. Il constitue le minimum de pouvoir que l’on puisse reconnaître aux tribunaux civils et répressifs, puisqu’il leur donne seulement le droit de confronter la loi existante aux faits reprochés, et à dire si ces derniers relève de la première (voir : Syllogisme judiciaire*). Le pouvoir d’injonction relève de l’Imperium*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° 20, p.38
Voir : Jean-Paul Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n° I-III-2, p.255 / n° I-III-II-6, p.299
Giffard (Droit romain) : La jurisdictio, qu’exerce le magistrat in jure, c’est le pouvoir de dire le droit.
Perrot (Institutions judiciaires) : Les juridictions… sont chargées de « dire le droit » (en latin, jurisdictio ; de là l’expression).
JURISPRUDENCE
Cf. Arrêtiste*, Avis de la Cour de cassation*, Doctrine*, Droit (droit prétorien)*, Législateur*, Olim*, Principes généraux du droit*, Science juridique*, Séparation des pouvoirs*, Sources du droit*, Techniques juridiques*.
Voir : La jurisprudence est-elle une source du droit ?
Voir : Faustin Hélie, La genèse et le rôle de la Cour de Cassation (Chambre criminelle)
Voir : Table chronologique des grands arrêts de la jurisprudence française
- Notion. La jurisprudence est constituée par l’ensemble des décisions rendues par les différents tribunaux d’un pays ; décisions envisagées ici, non pas du point de vue particulier des plaideurs concernés, mais du point de vue général des règles régissant la société.
Denisart (Collection de jurisprudence, 1768) : Nous appelons Jurisprudence les jugements constamment rendus, les maximes et les usages reçus dans un tribunal sur l’interprétation de la loi et sur ses différentes applications.
Merlin (Répertoire de jurisprudence, 1827) : On entend par Jurisprudence les principes qu’on suit en matière de droit dans chaque pays ou dans chaque tribunal, l’habitude où l’on est de juger de telle manière une question, et une suite de jugements uniformes qui forment un usage sur une même question.
Alland et Rials (Dictionnaire de la culture juridique). V° Jurisprudence, par M. Deguergue : Étymologiquement, la jurisprudence est la vertu de la prudence appliquée au droit, et, par là même, la recherche du juste à réaliser et de l'injuste à éviter... Au terme d'un processus d'appauvrissement de son sens, la jurisprudence désigne aujourd'hui dans les pays romano-germaniques l'ensemble des règles de droit qui émanent des juges, voire l'ensemble des décisions juridictionnelles des seules Cour suprêmes.
Il a sagement été jugé qu'une décision unique ne saurait être tenue pour une « jurisprudence constante ».
Cass. com. 21 février 2012, n° 11-23097 (Gaz.Pal. 10 juin 2012 p.12) : Un seul arrêt, même publié, ne suffit pas à considérer qu'existe une interprétation jurisprudentielle constante des dispositions législatives contestées .
- Rôle. Elle affine les notions pénales, elle précise le sens des lois et décrets, elle comble d’éventuelles lacunes législatives. De surcroît, elle indique les règles applicables dans les matières qui relèvent de sa seule compétence.
Loi Gombette (texte édicté dans un régime de confusion des pouvoirs législatif et judiciaire). T. LII : Toutes les fois qu’il surgit des cas que les lois précédentes n’ont pas prévus, il faut résoudre la difficulté qui se présente, de telle manière que le jugement reçoive l’autorité d’une loi permanente, et que, rendu dans une affaire privée, il ait toute la sagesse qui doit caractériser une loi d’un intérêt général.
Muyart de Vouglans (Les lois criminelles de France, Discours préliminaire, 1783) : On ne peut en général regarder les arrêts des Cours supérieures comme capables de suppléer à la loi dans les cas qu’elle n’a pas prévus ; ils ne pourraient le faire, tout au plus, que dans le cas où ces arrêts se trouveraient conformes à plusieurs autres rendus dans des espèces semblables, ce qu’on appelle un corps de jurisprudence sur la matière.
E-H. Perreau (Techniques de la jurisprudence en droit privé) : Dans le droit issu de la Révolution, la jurisprudence n’a pas perdu toute autorité. Le principe de la séparation des pouvoirs et la suppression des arrêts de règlement n’ont pu lui enlever la puissance morale qu’elle tient de la psychologie humaine la plus élémentaire. Seul pouvoir chargé de dire le Droit entre les particuliers, le juge, en vertu de la séparation des pouvoirs, a nécessairement le dernier mot dans cette mission. En outre, comment l’autorité de ces décisions ne s’accroîtrait-elle pas en fait avec la constante répétition de solutions identiques, devinées d’avancez par les intéressés en lisant les précédentes… Au reste, toute branche du droit se transforme insensiblement et continuellement par son application même, sans attendre une révision en règle par l’autorité seule officiellement compétente.
Malaurie et Aynès (Droit civil) : La jurisprudence est l’ensemble des décisions judiciaires d’où se dégage une règle de droit parce qu’elles ont été constamment rendues dans le même sens sur les mêmes questions. Elle a un caractère normatif, qu’il n’est facile ni de préciser ni d’expliquer.
Jurisprudence et "Précédent". En Common law le rôle de la jurisprudence présente une bien plus grande autorité que celle qui s'attache sur le Continent aux arrêts rendus par chaque Cour de cassation locale. C'est la règle du stare decisis et quieta non movere. Très sommairement, disons que les motifs des arrêts "précédents", rendus par des juridictions supérieures, doivent servir de guides au tribunal d'un niveau inférieur saisi d'une affaire de même nature ; les difficultés surgissent évidemment lorsque des espèces seulement proches ont donné lieu à des sentences différentes. D'où une moindre sécurité juridique par rapport au droit continental.
Alland
et Rials (Dictionnaire de la culture juridique). V° Précédent, par
D. Tallon : On peut énoncer de la façon suivante la
règle anglaise applicable en Common law : Toute règle de droit
dégagée par un juge pour la solution d'un litige déterminé a
force obligatoire et doit être suivie par les juges inférieurs
ou parfois par les juges de même rang...
Comme le soulignait Max Weber, cet ensemble de règles éparses
mal coordonnées constitue un obstacle à la rationalisation du
droit. Elle conduit en outre le juriste à raisonner par voie
d'induction, pour retrouver la règle à travers toutes les
décisions concernées, au lieu de procéder, comme le juriste
romaniste, par déduction à partir d'une règle générale...
- Danger. La jurisprudence est devenue si abondante, et joue un tel rôle dans la pratique depuis l'apparition de l'informatique, qu'elle risque d'obscurcir les principes fondamentaux (surtout dans un régime de droit positif).
Faustin Hélie (Traité de l'instruction criminelle) : Lorsque la jurisprudence disparaît sous un amas confus d'innombrables arrêts, lorsque la pratique est fatalement conduite à substituer les décisions d'espèce aux décisions de droit, il est peut-être nécessaire de réagir contre cette tendance et de ramener les études au culte des principes ; il est nécessaire de faire comprendre à la pratique elle-même qu'elle s'égare à la suite des arrêts, qu'elle n'y trouve qu'incertitude et confusion et que l'étude des règles est le moyen le plus facile et le plus prompt d'arriver à la connaissance et à la saine application des lois.
On peut particulièrement s'inquiéter du fait que la jurisprudence de la Cour EDH, parfois fort discutable, s'impose immédiatement aux tribunaux des États adhérents à la Conv.EDH., et ce sans possibilité de contrôle.
Cass. (Ass.plén.) 15 avril 2011 (Gaz.Pal. 4 mai 2011 p.28) : Les États adhérents à la Conv.EDH sont tenus de respecter les décisions de la Cour EDH, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation.
- Limites. Au regard du principe de la séparation des pouvoirs, strictement entendu, elle n’est pas à proprement parler une source de droit. Voir : Casuistique*.
Cass.crim. 30 octobre 1968 (Bull.crim. n° 279 p.668) : La simple référence… à la jurisprudence de la Cour de cassation ne saurait constituer un motif de nature à donner une base légale à une décision.
Paris 29 juin 1965 (Gaz.Pal. 1965 II 69) : La demanderesse reproche à tort au jugement critiqué de ne s’être pas conformé à la jurisprudence dominante ; il en avait en effet le droit, la jurisprudence la mieux assise étant dépourvue de tout effet général et réglementaire et se trouvant au contraire soumise au renouvellement d’une évolution nécessaire.
C'est pourquoi un revirement de jurisprudence, qui se produit notamment lorsque la Chambre criminelle de la Cour de cassation modifie son analyse d'un texte de loi, ne peut être assimilé à un changement de la règle de droit. Les justiciables ne sauraient dès lors invoquer à son encontre le principe de la non-rétroactivité des lois ; dans ce cas, un prévenu peut toutefois soulever comme moyen de défense l'erreur de droit invincible.
Malaurie et Aynès (Droit civil - Introduction générale) : Le changement de jurisprudence peut être radical, c'est un revirement : elle disait blanc, elle dit noir. La Cour de cassation n'y procède qu'avec circonspection, en raison du trouble que subissent alors la sécurité juridique et la prévisibilité du droit : tout revirement de jurisprudence en altère le caractère normatif et lèse les justiciables.
Cass.1e civ. 11 juin 2009 (Gaz.Pal. 27 août 2009) : La sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l'application immédiate d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée.
JURY
Cf. Cour d’assises*, Jurés*.
Voir : E. Séligman, La conception du droit criminel aux premiers temps de la Révolution
Voir : Faustin Hélie, L’institution du jury
Voir : M. Bluntschli, Les tribunaux en général et les tribunaux répressifs en particulier
- Notion. Le jury constitue l’un des deux éléments composant notamment la cour d’assises ; celui qui est censé représenter le peuple dans l'exercice de la justice. Il comprend l’ensemble des Jurés*.
Angevin (La pratique de la cour d’assises) : Aux côtés de la Cour proprement dite, qui en est l’élément professionnel, le jury, autre composante de la cour d’assises, en est l’élément populaire. Il est composé de « citoyens ».
- Politique criminelle. Le jury est censé apporter lors de la délibération la voix du peuple et tempérer ce qu’il peut y avoir de trop rigide dans la pratique des magistrats professionnels.
Fergusson (Institutions de philosophie morale) : Les membres d'un jury sont également intéressés à protéger l'innocent et à condamner le coupable. On peut donc confier au jury quelque degré de pouvoir arbitraire, pour adoucir les rigueurs de la loi, ou pour suppléer à ses défauts.
Le Bon (Psychologie des foules) : Gardons précieusement le jury. Il constitue peut-être la seule catégorie de foule qu'aucune individualité ne saurait remplacer. Lui seul peut tempérer les duretés de la loi qui, égale pour tous, doit être aveugle en principe, et ne pas connaître les cas particuliers.
L.Bodin (Extraits des orateurs attiques, p.396) : À Athènes, Les jurés étaient au nombre de 6.000. Ils étaient désignés au commencement de chaque année, probablement par un tirage au sort, parmi ceux des citoyens ayant la jouissance de tous leurs droits et âgés de plus de trente ans qui se faisaient inscrire. Aussitôt après leur désignation ils prêtaient un serment par lequel ils s'engageaient « à voter selon les lois et suivants les décrets du Peuple et du Conseil des Cinq-Cents... et à prêter audience également aux deux parties ».
Nombre d'auteurs ont discuté l'institution du jury qui, il est vrai, porte atteinte au principe de légalité tant les avocats spécialistes, dits « avocats d'assises » savent faire prévaloir chez les jurés l'influence du sentiment sur le règne de la raison.
Ferri (Sociologie criminelle) : Le jury est une institution régressive, suivant les données de l'histoire et de la sociologie, car il représente la phase médiévale et instinctive de la justice pénale... Le jury subit facilement l'influence des opinions locales ; l'accusé n'a pas avec le jury plus de garanties d'impartialité qu'avec les tribunaux permanents...
Tarde (La philosophie pénale) : Le premier venu, quelle que soit sa profession et pourvu que sa moralité ne soit pas trop au-dessous de la moyenne, peut être juré ; si, par hasard, il est suspect de quelque compétence judiciaire, on se hâte de le récuser. Son mérite est dans son incompétence. Comment s'étonner, après cela, de son insuffisance ? On tire au sort ces singuliers magistrats : c'était sans doute une garantie de haute sagesse aux époques superstitieuses qui attachaient à l'élu du sort un caractère providentiel ; mais ce qui est plus aléatoire encore que le choix de leur personne, c'est le sens de leur décision. Elle dépend, d'abord, du plus ou moins d'éloquence dépensée par l'avocat, et de quelle éloquence ! Les salles d'assises semblent être le conservatoire de tous les lieux-communs de la rhétorique démodée. Elle dépend, en outre, d'influences moins avouables et plus dangereuses encore. En Sicile, d'après M. Garofalo, le jury est esclave de la maffia ; à Naples, de la camorra ... en France, de l'esprit d'opposition ou de parti, de la presse, de l'auditoire.
Il convient aussi d'observer que, dans les procès intéressant la grande criminalité et le terrorisme, les jurés constituent le maillon faible de la justice puisqu'ils sont moins préparés que des magistrats professionnels à résister aux menaces ou propositions des accusés.
Cass.crim. 4 mai 1998 (Gaz.Pal. 1998 II somm. 535) : La Cour d'assises composée conformément aux dispositions de l'art. 698-6 C.pr.pén., notamment pour le jugement des crimes énumérés à l'art. 706-16 du même code, ne comporte pas de jury.
- Droit positif.
Dès lors que le jury est constitué les débats peuvent commencer.
En règle générale, les jurés se bornent à suivre attentivement
le cours de l'instruction à l'audience ; mais, après avoir
demandé la parole au président, ils sont parfaitement en droit
de poser des questions précises, afin d'obtenir des
éclaircissements sur tel ou tel point.
Lors du délibéré, leur
rôle consiste principalement à dire si les faits reprochés à
l'accusé sont établis au delà de tout doute raisonnable, et si
le défendeur s'en est effectivement rendu coupable. Une
instruction leur rappelant qu'ils doivent se prononcer, en leur
âme et conscience, selon leur intime conviction, doit être
affichée dans la salle de délibération (art. 353 C.pén.).
Cass.crim. 1er février 1989 (Bull.crim. n° 44 p.126) : Les débats commencent dès que le président, en application de l’art. 305 C.pr.pén., a déclaré le jury définitivement constitué.
Cass.crim. 1er avril 2015, pourvoi n° 14-80011 : Les dispositions de l'art. 353 C.pr.pén. n'étant pas substantielles, aucune nullité ne saurait résulter de l'absence de mention de l'existence de l'affichage prévu dans la chambre des délibérations.
JUS GLADII
Cf. Contraindre (contrainte)*, Droit criminel*, Imperium*, Mort (peine de)*, Peines*, Pouvoir politique (pouvoir judiciaire)*, Sanction pénale*.
Le "jus gladii" est le droit, autrefois reconnu à l'autorité publique, de prononcer une condamnation à mort dans les formes judiciaires légales. Au sens large c'est le pouvoir de prononcer des sanctions pénales. Le jus gladii marque concrètement la différence de nature entre la justice civile et la justice criminelle.
Pufendorf (Le droit de la nature) : Le Souverain a un pouvoir direct sur le corps et sur la vie, comme aussi sur les biens de ses Sujets, pour cause de crimes ou de délits, c'est ce que l'on appelle proprement "Droit de vie et de mort".
Proal (Le crime et la peine) : Le jus gladii est un droit inhérent à le puissance publique. Le droit de gouverner comprend aussi celui de châtier.
Serpillon (Commentaire sur l'ordonnance de 1670) : Le véritable caractère de la Justice criminelle, qui s'appelle jus gladii, est un droit de sang sur les sujets du Roi, résidant à proprement parler entre les mains du Roi, qui le communique à ses Officiers.
Imbert (Le procès de Jésus) : Le jus gladii, conféré à Coponius, fut certainement accordé à ses successeurs, et Pilate détint incontestablement ce pouvoir.
Denisart (Collection de jurisprudence) : Les Hautes-Justices (dans lesquelles il faut comprendre les Justices Royales) sont les seules Juridictions qui aient ce qu'on appelle jus gladii.
Rousseaud de la Combe (Traité des matières criminelle) évoque un arrêt qui casse toute la procédure sur le fondement qu'elle avoir été commencée par un Juge incompétent, et qui n'avait point jus gladii.
Huc (L'Empire chinois) : L’Empereur, Fils du Ciel, et par conséquent père et mère de l’empire selon l’expression chinoise, a droit au respect, à la vénération, au culte même de tous ses enfants. Son autorité est absolue ; c’est lui qui fait la loi ou l’abolit, qui accorde les privilèges aux mandarins ou qui les dégrade ; à lui seul appartient le droit de vie et de mort.
JUSSION
Cf. Compulsoire*, Lettre de cachet*, Lettres d'abolition*, Lit de justice*.
Terme de l'Ancien droit (provenant du latin "jussio" : l'ordre, le commandement), la "jussion" est tout naturellement synonyme d'ordre, de commandement, d'injonction. Il était principalement employé dans l'expression "lettres de jussion" (définie ci-dessous).
De Ferrière (Dictionnaire de droit, 1779) : Les lettres de Jussion sont des Lettres du Grand Sceau, envoyées par le Roi à des Cours et Juridictions supérieures, pour faire exécuter ses ordres, lorsqu'elles font quelques difficultés de s'y prêter d'elles-mêmes.
Servan (Oeuvres) : Henri IV avait publié des Lettres patentes, le 13 avril 1590, portant séparation de son domaine particulier d'avec le domaine de la couronne. Le parlement ayant refusé de les enregistrer, il y eut deux Lettres de jussion, les 18 avril et 21 mai, accompagnées d'une lettre de cachet.
Bacon (Aphorismes) : Quoi qu’il en soit, autant qu’il est possible évitez les préambules, et que la loi commence à la jussion.
JUSTICE
Cf. Acception de personne*,
Aristote*, Balance de la justice*,
Charité*, Clémence*,
Compétence nationale*, Déni de justice*,
Droit*, Droits régaliens*, Équité*,
Force*, Iniquité*, Injustice*, Légalité*, Loi du plus fort*, Main de
Justice*, Morale*,
Platon*, Pouvoir judiciaire*,
Raison*, Règle d'or*, Symbole*, Vérité*,
Vertu*.
Voir également : Justicia*, Maât*,
Minos*, Thémis*.
Voir : J-P. Doucet, « La protection de la Société », n° II-II-108 et s., p.462 et s. (sur le devoir pour l'État de faire régner la justice)
Voir. : Aristote, La justice
- Notion. La justice est habituellement définie comme la vertu morale qui consiste à rendre à chacun son dû. Elle apparaît étroitement unie aux notions de vérité (que l’instruction criminelle tend à établir) et de raison (qui doit l’emporter sur le sentiment pour la qualification des faits, la recherche de l’imputation et la détermination de la sanction légale).
Confucius (Livre des rites) : Le jade est à l'image de la justice, parce que ses angles sont fermes mais ne blessent pas.
Suárez (Des lois et du Dieu législateur) : Le mot justice peut être interprété en un double sens. En premier lieu, comme vertu en général, puisque toute vertu conserve une relation avec l’équité ; en second lieu comme une vertu spécifique qui attribue à chacun le sien.
Gousset (Théologie morale) : La justice est une vertu morale qui nous porte à rendre à chacun ce qui lui appartient.
Kelsen (Qu'est-ce que la justice ?) : Qu’est-ce que la justice ?... Pour le scientifique, c’est la justice de la liberté, la justice de la paix, la justice de la démocratie, la justice de la tolérance.
Leclercq (Leçons de droit naturel - 2e éd.) : Dans le langage moderne, on dit d'une chose qu'elle est conforme ou contraire à la justice, lorsqu'elle est conforme ou contraire à l'ordre naturel.
Romano Guardini (Le Seigneur) : La justice est l'ordre, non des choses et des forces, mais des relations entre personnes humaines.
Baudin (Cours de philosophie morale) : Pour les philosophes grecs, la justice passe la première et détermine le droit. Pour les jurisconsultes romains le droit passe premier et détermine la justice. Quel que soit le premier d'entre eux, le droit et la justice vont à tout le moins de compagnie.
Cuvillier (Manuel de philosophie) : Le mot "justice" s'applique de préférence au sentiment du droit, à la volonté intérieure de respecter ses règles et de les améliorer s'il y a lieu ... En somme, "être juste", c'est vouloir le droit, c'est le respecter et aussi le promouvoir.
V.Cousin (Du vrai, du beau et du bien) : La justice, distinction essentielle du bien et du mal dans les relations entre les hommes, est la vérité première de la morale.
Pierre et Martin (Cours de morale pour l'enseignement primaire) : La justice consiste à ne prendre que notre part des bienfaits de la société sans empiéter sur celle des autres ; ou, si l'on veut, à respecter les droits des autres, à limiter l'exercice de notre liberté pour ne pas entraver la leur.
Proudhon (De la justice dans la révolution) : Quel est le principe fondamental, organique, régulateur, souverain, des sociétés ; principe qui, subordonnant tous les autres, gouverne, protège, réprime, châtie les rebelles, au besoin en exige la suppression ? Ce principe, suivant moi, est la Justice.
Laboulay (Introduction à l'ouvrage de B.Constant "Cours de politique constitutionnelle") : Rien ne vieillit plus vite que les écrits politiques... Il est cependant des œuvres qui survivent : ce sont celles où l'auteur a défendu, non pas des formes politiques toujours périssables, mais les principes immuables de la justice et de la liberté.
John Rawls (Théorie de la justice, I-I-1) : La justice est la première vertu des institutions sociales, comme la vérité est celle des systèmes de pensée. Si élégante et économique que soit une théorie, elle doit être rejetée ou révisée si elle n'est pas vraie ; de même, si efficaces et bien organisées que soient des institutions et des loi, elles doivent être réformées ou abolies si elles sont injustes.
Riché (Digeste I-I-10 (Ulpien) : La justice est une constante et perpétuelle volonté d’allouer à chacun ce qui lui revient en droit. Les préceptes fondamentaux sont ceux-ci : vivre honnêtement, ne pas nuire à autrui, donner à chacun ce qui lui revient.
Merlin (Répertoire de jurisprudence, 1827) :
1 – L’empereur Justinien définit la Justice comme une volonté ferme et constante de rendre à chacun ce qui lui est dû.
2 - Le terme justice se prend aussi pour la pratique de cette vertu.
3 – Quelques fois, il signifie droit et raison.
4 – En d’autres occasions, il signifie le pouvoir de faire droit à chacun, ou l’administration de ce pouvoir.
5 – Quelques fois encore, Justice signifie le tribunal où l’on juge les parties ; et souvent la Justice est prise pour les officiers qui la
rendent.
Batiffol (Analogie et relations entre raisonnements - In Mélanges Vander Elst T.I) : À la prendre dans le sens le plus élevé que notre intellect peut saisir, la justice voudrait que chacun reçoive selon ses méritées, c'est-à-dire selon l'usage qu'il a fait de ses dons et possibilités pour une vie en commun fructueuse. Mais l'homme n'a pas les moyens de « sonder les reins et les cœurs ». Législateurs ou juges doivent donc, non pas à renoncer à chercher la justice, mais tenter de s'en approcher de leur mieux.
Cour EDH 7 juin 2001 D. 2001 IR 1998) parle de la sensibilité accrue du public aux garanties d’une bonne justice.
- Caractères d’une saine justice. La justice purement légale pèche par rigidité, froideur et sècheresse. Il appartient au juge de la tempérer par l’équité, l’humanité et la sensibilité.
Guillemin (philosophie morale) : La justice, ne comportant rien d’autre qu’une idée d’ordre, est par elle-même une valeur froide. En cela elle s’oppose à la solidarité, toute imprégnée d’affectivité.
Vauvenargues (Réflexions et maximes) : On ne peut être juste, si on n'est pas humain.
Dupin (Règles de droit et de morale). Début XIXe , dans la salle de la Cour d’assises de Paris, se trouve le beau tableau de Prudhon représentant la Justice qui poursuit un criminel dans les ombres de la nuit, tenant un flambeau de la main droite en avant pour éclairer sa marche, et son glaive de la main gauche en arrière pour punir s’il y a lieu.
Le Roux et Guyonvarc'h (Les druides) : Chez les celtes, la fonction judiciaire est un fait religieux. [c'est pourquoi elle relevait des druides]
- Il semble que le sens de la justice soit inclus dans la nature même de l’homme. En sorte que l’éducation n’aurait pour objet que d’éveiller dans l’esprit de l’enfant une notion déjà prête à y éclore.
St Pierre (2e lettre) : Nous attendons, selon la promesse du Seigneur, une terre nouvelle où résidera la justice.
Benda (La trahison des clercs) : L’idée de justice abstraite est une donnée de l’Homme.
Tocqueville (De la démocratie en Amérique) : Le grand objet de la justice est de substituer l’idée du droit à celle de la violence.
- La justice devoir régalien. La Justice, avec le maintien de la paix et de l’ordre public, constitue l’un des attributs essentiels de l’État. Le Roi jadis, la République de nos jours, doivent à toute personne qui relève de son autorité une justice rapide, exacte et efficace.
St Augustin (La cité de Dieu) : Sans la justice, les royaumes ne sont que de vastes brigandages.
Lois de Manou : Il est aussi injuste pour un roi de laisser aller un coupable, que de condamner un innocent : la justice consiste à appliquer la peine conformément à la loi.
Ordonnance de Charles VII pour la réformation de la justice (avril 1453) : Sans bon ordre de justice, les royaumes ne peuvent avoir ni durée ni fermeté aucune.
Timbal (Histoire du droit français), sous le Titre Toute justice émane du Roi cite Loyseau : Je dis que toutes justices appartiennent au Roi… qui en est l’auteur et le garant.
Conseil constitutionnel 4 décembre 2013, n° 2013-679 : La bonne administration de la justice constitue un objectif de valeur constitutionnelle qui résulte des articles 12, 15 et 16 de la Déclaration de 1789.
Brian-Chaninov (Histoire de la Russie) : Lors de la cérémonie du sacre de Ivan II, au son joyeux des cloches, les évêques, les prêtres et les moines réunis au pied de l'autel demandèrent à Dieu que leur souverain fut armé de justice et de vérité.
Warée (Curiosités judiciaires) : Une femme se jette aux pieds de François 1er pour lui demander justice de l’assassinat de son fils par le seigneur de Talart ; - « Relevez-vous, lui dit le Roi, il n’est pas nécessaire de se mettre à genoux pour demander justice, je la dois à tous mes sujets ». Le crime fut puni : Talart eut la tête coupée aux halles de Paris.
Mais la justice doit être indépendante, tant du pouvoir politique que des groupes de pression. Le premier point n'est guère plus facile à réglementer que le second, par suite du risque de corruption.
Clerc (Initiation à la justice pénale) : La garantie de l'indépendance de la justice pénale est assurée par le principe de la séparation des pouvoirs.
Proal (La
criminalité politique) : Les magistrats assis sont seuls
protégés par leur inamovibilité contre les démarches des hommes
politiques... qui ont le grand tort de faire douter de la
justice et qui ébranlent la confiance que les justiciables
doivent avoir pour leurs magistrats.
L'immixtion des membres du parlement dans l'administration de la
justice se produit encore après les jugements, dans l'exécution
des peines ; les recours en grâce sont appuyés, les commutations
de peines sont demandées dans un intérêt électoral, au grand
détriment de la justice et de la moralité publique.
- Justice distributive et justice commutative. St Thomas d’Aquin distinguait entre la justice distributive (à chacun selon ses mérites d’un point de vue social) et la justice commutative (égalité entre les prestations assumées d’un point de vue interpersonnel). Cette opposition est aujourd’hui discutée.
Hobbes (Le citoyen) : La justice distributive se trouve dans la dispensation des biens et des honneurs, que l’on fait à chacun en proportion de son mérite ; la justice commutative naît d’une restitution des choses égale à celles qu’on a reçues.
Leclercq
(Leçons de droit naturel - T.I et T.II) :
La justice commutative se fonde sur l'égalité entre les
hommes... Elle s'exprime couramment par des adages qui sont des
formules d'égalité : «
donnant donnant » ; la
règle de la justice commutative est une stricte règle
d'équivalence... La justice commutative est la justice qui règle les
relations entre individus et qui maintient entre eux la paix.
La justice distributive est, par excellence, la vertu des
gouvernants. C'est grâce à elle qu'ils accordent à chaque
citoyen son dû, la place qui lui revient ; elle se soude étroitement
à la justice générale qui cherche le bien commun, car, c'est en
mettant chacun à la place qui lui revient qu'on procure la
prospérité publique.
Stelzenberger (Précis de morale chrétienne) : St
Thomas d’Aquin distingue deux sortes de justice.
a) Justice distributive. Elle oblige les détenteurs de l’autorité à répartir entre les membres de la collectivité, en
proportion de leurs mérites et de leurs ressources, les récompenses, dignités, honneurs ou charges. Elle vise à la justice proportionnelle, pour le bien
commun. Elle doit, dans la même proportion, avantager ou obliger les individus et les groupes.
b) Justice commutative. Elle règle les rapports juridiques de l’individu envers l’individu, les droits et les prestations
d’homme à homme. C’est la justice au sens strict, parce qu’elle garantit l’égalité entre l’exigence et la prestation. Le manquement à cette justice est
immoral (péché) et réclame satisfaction (réparation, restitution). La stricte égalité est un devoir qui ne trouve satisfaction que lorsque l’équilibre a
été rétabli par une prestation proportionnée.
Cuvillier (Manuel de philosophie) T.II : Aristote distingue la justice corrective et la justice distributive. La première s'applique aux relations entre individus et a pour but de restaurer le droit quand il a été altéré ; elle ne fait pas acception de personnes ; elle considère uniquement les dommages causés et s'efforce de rétablir, par exemple par des indemnités, une sorte d'égalité arithmétique. La justice distributive concerne au contraire la répartition par l'Etat des honneurs, des richesses et de tout ce qui peut se partager entre les membres de la Cité ; c'est donc une justice sociale ; elle repose sur le principe d'une égalité géométrique, d'une égalité de rapports, dans laquelle entre en ligne de compte la "dignité" de chaque citoyen : sa qualité sociale, son rang, son statut dans la société considérée ... Il y a là une conception de la justice et du droit aujourd'hui dépassée.
- Justice vindicative. Pour un juge répressif la justice vindicative consiste à faire une exacte application de la loi pénale à un coupable. Voir : Responsabilité civile de la justice*.
Proal (Le crime et la peine) rappelle que Hobbes distinguait la justice distributive (civile) et la justice vindicative (pénale).
Pufendorf (Le droit de la nature) : Devant les tribunaux répressifs, il n'y a point de justice vindicative qui impose à chaque crime et à chaque délit une certaine peine invariablement déterminée par la nature et que l'on doive toujours infliger nécessairement ; mais que la véritable et juste mesure des peines, parmi les hommes, c'est l'utilité publique.
Gousset (Théologie morale) : Les dignités, les distinctions, les récompenses, doivent, autant que possible, être distribuées en raison du mérite. Ici, la justice ne peut suivre que l'égalité morale proportionnelle. Elle observe le même ordre quand il s'agit d'infliger des peines aux coupables, et prend alors le nom de justice vindicative. Elle punit et récompense sans acception de personnes.
JUSTICE DÉLÉGUÉE ET JUSTICE RETENUE
Cf. Cas royaux*, Grands-Jours*, Haute, moyenne et basse justice*, Interprétation de la loi (interprétation authentique)*, Lit de justice*, Missi dominici*, Pouvoir (judiciaire)*, Saint-Louis*, Séparation des pouvoirs*.
Voir, pour un exemple de justice retenue : V° Cadavre (l'arrêt rendu contre Jacques Clément, assassin du Roi Henri III)
Voir : De Curban, « La science du gouvernement » (Chapitre III)
Voir : Benjamin de Rohan, criminel de lèse-Majesté
Cette distinction, propre à notre Ancien droit, résultait du principe de la confusion des pouvoirs de l’État dans la personne du Roi. Cependant, si toute justice émanait du Prince, celui-ci ne pouvait à l’évidence siéger dans toutes les juridictions du royaume, et il devait donc ordinairement leur « déléguer » ses pouvoirs. Dans certains cas, cependant, il décidait de « retenir » une affaire, et statuait alors souverainement.
Riché (La vie quotidienne dans l'empire carolingien). Le roi délègue au comte ses fonctions de justicier dans ce qu'on appelle le "malllus publicus". Là, au moins trois fois par an, le comte doit présider le tribunal et diriger la procédure. Il se fait aider par des assesseurs qui "connaissent le droit", les rachimbourgs", ou "boni homines (prud'hommes). Vers 780, Charlemagne décide que ces hommes seront désormais attachés d'une façon permanente au tribunal sous le nom de "Scabini", d'où vient notre nom "échevins". Les douze scabins étaient des notables instruits, qui connaissaient les différentes lois et coutumes sous lesquelles vivaient les accusés.
Oliver-Martin (Histoire du droit français) : La justice déléguée est celle que le roi confie, normalement, à ses tribunaux ; mais cette délégation n’est pas une aliénation. Le roi, responsable de la justice, peut toujours retenir ou reprendre n’importe quelle affaire ; c’est la justice retenue.
Adhémar Esmein (Histoire du droit français) : La justice retenue. D'après la théorie qu'avaient élaborée les légistes, la royauté était source de toute justice ; le pouvoir judiciaire résidait tout entier dans le roi. Mais le roi avait cessé de bonne heure de rendre la justice en personne ; il avait, à cet égard, délégué son droit et son pouvoir à des magistrats ; c'est même pour cela que Montesquieu appelait la monarchie française, une monarchie tempérée. Mais cette délégation était loin d'être complète ; sans changer par une loi l'organisation judiciaire ni les règles de fond, le roi intervenait souvent, par des actes individuels, dans l'administration de la justice, soit pour intervertir l'ordre des juridictions, soit pour arrêter ou régler le cours de la justice, substituant sa volonté dans un cas donné aux effets de la loi ou à l'action des tribunaux.
Desmaze (Les pénalités anciennes) donne un exemple de « justice retenue » en 1700. Le Roy ayant été informé que, voici quelques jours, le nommé Crosnier, prisonnier en vertu de ses ordres au château de Vincennes, avait frappé et dangereusement blessé d’un coup de pierre, par lui aiguisée à ce dessein, le sieur de Bernaville, commandant dans ce château, comme il venait le visiter dans sa chambre, et voulant qu’un assassinat de cette qualité, commis par un prisonnier, en la personne de l’Officier principal préposé à sa garde, soit puni avec la diligence et la sévérité convenables, Sa Majesté, étant en son conseil, a ordonné et ordonne que, par le sieur d’Argenson, conseiller, lieutenant général de police à Paris, il sera informé dudit assassinat, circonstances et dépendances, nonobstant toutes oppositions ou appellations quelconques ; Sa Majesté s’en réservant la connaissance, qui est interdite à toutes ses autres cours et juges.
Brillon (Dictionnaire des arrêts des Parlements, Paris 1727) : Cette cause fut plaidée au mois de janvier 1600 devant Henri IV et le duc de Savoie.
- Sous la Révolution il est arrivé à la Convention, qui se considérait comme le seul Pouvoir représentant pleinement le peuple, de censurer des décisions de justice.
Décret du 1er brumaire an II (22 octobre 1793) : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation sur le jugement du tribunal de cassation du 3 août dernier, qui a annulé celui du tribunal criminel du département du Pas-de-Calais, du 20 mai précédent, rendu contre C.F. Flahaut, accusé d'avoir introduit sciemment de faux assignats dans le territoire de la république ... Décrète que le jugement du tribunal de cassation du 3 août dernier est annulé ; et qu'en conséquence, le ministre de la justice donnera, sans délai, les ordres nécessaires pour l'exécution du jugement rendu le 20 mai précédent par le tribunal criminel du département du Pas-de-Calais contre C.F. Flahaut.
JUSTICE PRIVÉE ET JUSTICE SOCIALE
Cf. Escadron de la mort*, Lynchage*, Nul ne peut se faire justice à soi-même*, Vengeance*.
Voir : Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° 1 et s., p.1 et s.
Voir : Tableau des incriminations protégeant le pouvoir judiciaire (selon la science criminelle)
Voir : En Chine impériale, des villageois éliminent des brigands
On parle de justice privée, parfois de vengeance privée, parfois de justice populaire, pour désigner un système juridique où les infractions sont
sanctionnées par des organes privés, dans le cadre de la législation ou des usages en vigueur.
À l’inverse, dans les États fortement structurés la justice ne peut être rendue que par les juridictions publiques chargées de maintenir l’ordre dans la
société : les tribunaux répressifs. D’où l’interdiction de se faire justice à soi-même.
Jhering (L’esprit du droit romain) : Dans la Rome ancienne, l’injustice provoquait dans le sein de la communauté la même réaction du sentiment du droit que dans l’esprit de la victime ... Qu’il n’y ait point de juge pour appeler le délinquant à rendre compte de son méfait et pour lui appliquer la peine, c’est la justice populaire qui fait respecter la morale populaire offensée.
Olivier-Martin (Histoire du droit français) : A l’époque franque, la répression des crimes n’est pas, en principe, une affaire d’État, sauf pour les crimes les plus graves : trahison, désertion, falsification de monnaie ; c’est une affaire privée qui concerne la victime ou sa famille.
Bentham (Déontologie ou science de la morale) : Une grande portion des actes nuisibles à la société échappent nécessairement aux châtiments de la loi pénale ; mais ils n'échappent pas au contrôle et au regard tout autrement vaste et pénétrant de la justice populaire, et celle-là se charge de les punir.
Clerc (Initiation à la justice pénale en Suisse) : C'est un lieu commun : de nos jours, la justice privée a disparu ; la lutte contre la criminalité.
Chauveau Hélie (Théorie du Code pénal) : Là où il n’y a pas de justice sociale, la justice privée prend nécessairement sa place ; là où la société ne protége pas les personnes, les personnes se défendent elles-mêmes; les violences justifient les violences.
Levasseur (Le problème de la dépénalisation) : Il faut se défier de la justice privée, même lorsque les sanctions appliquées sont purement pécuniaires. N’est-ce pas un système analogue qui fonctionne déjà en matière de vol dans les grands magasins, ou de fraude dans les transports ?
C'est par un abus de langage que l'on parle de justice populaire à propos des exactions commises lors de troubles populaires, ou de vacance de l'autorité. Les massacres de l'Abbaye, perpétrés en septembre 1792, en sont l'exemple le plus marquant.
Proal (La criminalité politique) : Les histoires les plus populaires de la Révolution ont été pour le peuple une école de crime politique et de fanatisme révolutionnaire ... Buchez et Roux ont fait l'apologie des crimes révolutionnaires ... ils ne voient dans les massacres de Septembre qu'une mesure de salut public, accomplissant "une fonction utile". Marast et Dupont de Lussac ont appelé ces massacres un grand acte de justice populaire.
Taine (Les origines de la France contemporaine) : Pendant le chemin, on les traînait par terre, on se les jetait de main en main, on les foulait aux pieds, on leur crachait à la figure, on les souillait « d'ordures ». M. de Montesson est tué à coups de fusil ; M. Cureau est massacré en détail. Un charpentier tranche les deux têtes, et des enfants les portent au son du tambour et des violons ... Ainsi procède la justice populaire; maintenant que le Tiers est la nation, chaque attroupement se croit en droit de rendre des sentences et il les exécute lui-même sur les vies et sur les biens.
Trib.corr. Saint-Dié 7 juin 1945 (Gaz.Pal. 1945 I 218) : Il est parfaitement compréhensible que des Français, aux sentiments patriotiques élevés, se soient trouvés indignés de l'attitude scandaleuse de certaines femmes au cours de l'occupation et qu'ils aient manifesté matériellement cette indignation, qui est celle de tout bon Français, en faisant raser la tête des femmes en question afin qu'elles portent, pendant une période relativement longue, la trace physique de leur abjection ; cette opération, si elle n'est pas rigoureusement conforme à la loi écrite, correspond bien au sentiment inné de justice que tout honnête homme porte en lui. [cette décision ne s'explique que par le climat de l'époque]
JUSTICIABLE
Cf. Accusé*, Citoyen*, Culpabilité*, Délinquant*, Inculpation*, Malfaiteur*, Nationalité française*, Prévenu*, Régnicole*, Suspect*.
Au fil des siècles, de l’époque féodale aux temps présents, la signification du mot justiciable a quelque peu évolué ; en sorte qu’il est actuellement utilisé dans deux sens légèrement différents.
- Dans son sens premier, le mot justiciable indiquait que telle personne relevait de la justice de tel seigneur. Encore de nos jours on dit qu’un militaire est justiciable des tribunaux militaires ou qu’un mineur est justiciable des tribunaux pour enfants.
Laferrière (Histoire du droit français) : . Au moment où se fit l'émancipation des communes, la juridiction royale n’était pas assez forte pour attirer à elle les justiciables des seigneurs.
Chauveau Hélie (Théorie du Code pénal) : Le principe fondamental, c’est que tous les militaires, quels que soient leurs titres et leurs positions, sont justiciables des conseils de guerre.
Cass.crim. 30 mars 1999 (Bull.crim. n°62 p.160.) : Le mineur de 18 ans auquel est imputée une infraction qualifiée délit ne peut être déféré aux juridictions pénales de droit commun et n’est justiciable que du tribunal pour enfants.
- Dans un sens récent, on s’attache à la catégorie des justiciables comme à l’une des composantes du procès pénal pour lui reconnaître certains droits et lui prescrire certains devoirs. On dit ainsi qu’un justiciable doit avoir un accès aisé à la loi pénale.
Laferrière (Histoire du droit français) : L'édit de mars 1673, qui exprime le vœu stérile d’une justice gratuitement rendue aux justiciables, règle et modère du moins la rétribution des juges-rapporteurs et commissaires.
Tocqueville (De la démocratie en Amérique) : Dans les États fédéraux, la justice est naturellement plus faible et le justiciable plus fort.
Chauveau Hélie (Théorie du Code pénal) : En matière pénale… le justiciable doit régler ses actes sur les textes de la loi.
Cass.crim. 14 mars 1991 (Bull.crim. n° 129 p.325) : La qualification erronée d’un jugement de police, présenté à tort comme rendu en « premier ressort », ne saurait avoir pour effet de préjudicier au justiciable.
JUSTICIER
Cf. Escadron de la mort*, Vengeur*.
- Notion juridique. Dans notre Ancien droit, un justicier était une personne qui avait la charge de rendre la justice en certains lieux ou en certaines matières (les hauts-justiciers étaient ceux qui exerçaient la justice dite « de sang »). En droit contemporain, ce terme n’est plus employé par le législateur.
Laferrière (Histoire du droit français) : Philippe de Valois s’adressa à tous les justiciers de son royaume pour que l’on observât inviolablement le style et l’usage antiques.
Ordonnance criminelle de 1670, T.I art. 20 : Tous juges à la réserve … des bas et moyens justiciers, pourront connaître … des rébellions commises à l’exécution de leurs jugements.
Colson
(in Dictionnaire de la justice, v° Justicier) :
Justicier... peut œuvrer de deux manières, soit comme magistrat
en charge d'un ministère légalement fondé, soit comme redresseur
de tort investi d'une mission morale exercée en marge des lois.
Dans les deux cas, le justicier poursuit des finalités proches,
mais il s'incarne dans des figures très différentes selon qu'il
relève de la première ou de la seconde hypothèse. Dans
l'histoire française, c'est le roi, souverain très chrétien, qui
représente avec le plus d'intensité le justicier institué par la
loi.
Disparaissant du champ institutionnel à partir de la
Révolution française, le personnage subsiste sous les traits du
héros romanesque agissant, le plus souvent, hors de tout cadre
légal... Homme isolé confronté à une société inéquitable
et à des magistrats sans âme, cette figure particulière du héros
permet d'articuler le culte de l'individu et de la critique
sociale. Victor Hugo noue de manière exemplaire ces deux
thématiques dans le personnage de Jean Valjean, ancien forçat en
proie au harcèlement d'institutions répressives qui vient en
aide aux victimes pour leur rendre justice.
- Notion courante. On appelle « justicier » une personne qui prétend appliquer la justice en dehors de toute habilitation légale, selon ses propres conceptions et suivant sa connaissance limitée des faits. Comme il y a peu de personnages agissant avec la moralité de Jean Valjean ou de Zorro, ce terme est devenu péjoratif.
Exemple (Ouest-France 20 août 2004) : En janvier, sept habitants d’un village de la Vienne ont mené une expédition punitive contre deux jeunes gens qu’ils soupçonnaient de plusieurs délits. Six de ces « justiciers », dont le maire, ont été condamnés, hier, à des peines de prison avec sursis.
Cass. (1re civ.) 16 décembre 1986 (Gaz.Pal. 1987 II somm. 340) : Le tribunal a pu estimer que les termes « justicier sinistre » sont insultants, et que leur emploi est constitutif d’une faute.