Page d'accueil > Table des rubriques > La science criminelle > Pénalistes > Le procès pénal > Le jugement > Les voies de recours > Faustin Hélie, La genèse et le rôle de la Cour de Cassation

LA GENÈSE ET LE RÔLE
DE LA COUR DE CASSATION
( CHAMBRE CRIMINELLE )

Extrait du « Traité de l’instruction criminelle »
de Faustin Hélie ( 2e éd., Tome VIII, Paris 1867 )

Faustin Hélie, le plus grand spécialiste français
de l’instruction criminelle et de la procédure pénale,
montre ici que la Cour de cassation,
et plus spécialement sa Chambre criminelle,
a été conçue comme une sorte de charnière
entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire.

D’un côté, elle assure une interprétation quasi
authentique des lois pénales de fond et de forme ;
de l’autre, elle veille à ce que les tribunaux
répressifs observent les dispositions légales.

L’institution de la Cour européenne des droits de l’homme,
aux décisions de laquelle elle doit désormais se plier,
lui a évidemment faire perdre de son autorité.

Mais les mêmes questions débattues lors de la création
de la Cour de cassation se posent à la Cour EDH
depuis qu’elle a pris pleinement ses fonctions.

Elle doit surtout éviter d’aborder le fond des litiges,
au risque de devenir un nouveau degré de juridiction.
D’une part, elle ploierait sous la masse des requêtes ;
d’autre part, les procès deviendraient interminables
en méconnaissance du principe majeur voulant que
le crime soit suivi au plus tôt par la sanction pénale.

3882  - Deux voies de recours sont ouvertes contre les arrêts et jugements définitifs rendus en dernier ressort : le recours en cassation et le recours en révision.

Ces deux voies de recours ont cela de commun qu’elles ne peuvent être invoquées que dans tes cas prévus et pour les causes définies par la Loi, et qu’elles sont l’une et l’autre soumises à la décision de la Cour de cassation.

C’est donc ici le lieu d’indiquer les bases fondamentales de cette haute juridiction, dont avons jusqu’à ce moment admis l’autorité sans en exposer le caractère et l’étendue. Nous serons très bref sur ce point, car notre examen étant restreint à une seule des attributions de la Cour, nous n’avons pas la mission de développer toutes les règles de son institution : nous nous bornerons à celles qui se rapportent à notre matière.

3883 - La Cour de cassation, créée par l’Assemblée constituante, avait ses racines dans notre ancienne législation. Nous ne croyons pas qu’on doive en chercher les premières traces, comme l’ont essayé quelques publicistes, dans les lettres de grâce de droit contre les arrêts, les lettres de proposition d’erreur et les lettres de requête civile que les parties employaient aux quinzième et seizième siècles pour, suivant l’expression des ordonnances, « impugner » les arrêts. Ces différentes voies de recours, et la plus usitée de toutes, l’évocation, tant de fois interdite et toujours mise en pratique, n’étaient fondées que sur des erreurs de fait imputées aux arrêts ou des causes de suspicion alléguées contre les juges. Mais on peut cependant apercevoir déjà dans les efforts des justiciables pour saisir de leurs procès le Conseil du roi et dans le facile accès qu’ils y trouvaient une double tendance, et des parties qui accusent les juges, et de la royauté qui prétend surveiller le pouvoir judiciaire.

Ce n’est que vers le milieu du seizième siècle, ainsi que l’ont remarqué MM. Henrion de Pusey et Delage, que l’on trouva le germe de la cassation dans l’erreurde droit. Étienne Pasquier explique comment le Grand conseil, « qui n’était point au commencement fondé en juridiction contentieuse et connaissait seulement de la police générale de France », fut amené, par les troubles des guerres civiles et sur la provocation du chancelier Poyet, « à prêter l’oreille aux parties privées pour affaires qui se devraient décider dans un Châtelet de Paris un dans une cohue de Rouen », et comment sa juridiction, s’était peu à peu « grandement enflée de causes ». C’est ainsi que l’ordonnance du 31 juillet 1523 attribue au Grand conseil la connaissance des causes concernant les bénéfices, abbayes et prieurés ; que celle du 3 février 1549 lui attribue les questions de compétence relatives à la juridiction des prévôts et sénéchaux, et que l’ordonnance de septembre 1552 lui défère la connaissance des procès concernant les hôpitaux et maladreries. Cette dernière ordonnance contient, une disposition portant que « les procès mus et à mouvoir pour raison des contrariétés et nullités qui pourraient être faites par eux, cours souveraines ou juges en dernier ressort, seront jugés, décidés et déterminés par notre Grand conseil ».

Il suit de là que ce doit être vers cette époque que les parties commencèrent à attaquer les arrêts devant le Conseil du roi pour contrariétés et pour nullités. Les Cours de parlement résistaient à ces entreprises et leurs remontrances étaient bien vives et bien fréquentes, car plusieurs édits intervinrent successivement pour les rassurer. L’édit de Chanteloup, de mars 1545, expose dans son préambule que, « bien qu’il ne soit loisible par les ordonnances d’impugner les arrêts de nos Cours souveraines, autrement que par la proposition d’erreur, et en gardant les formalités requises, néanmoins, depuis quelque temps, aucuns ont trouvé moyen d’obtenir lettres pour être reçus à alléguer nullités, griefs et contraventions contre plusieurs arrêts de nos dites cours : à quoi ils ont été reçus et par cette voie ont tenu l’exécution de plusieurs arrêts, en suspens » ; et il déclare qu’à l’avenir nul ne sera reçu à contrevenir aux arrêts des cours par voie de nullité et, de contrariétés d’arrêts ». L’ordonnance d’Orléans de janvier 1560 porte encore> article 37 : « Les gens tenant notre Grand conseil ne connaîtront désormais et ne pourront entreprendre la juridiction d’autres matières et causes que celles qui leur sont attribuées par leur création et institution ». Et l’article 33 : « Les prétendants nullités et contrariétés des arrêts de nos Cours souveraines seront jugés où les arrêts auront été donnés. » L’article 61 de l’ordonnance de Moulins de février 1566 dispose enfin : « que les lettres en faveur de requêtes civiles obtenues par les parties contre des arrêts et jugements, de nos cours ne seront plaidées en audience publique que premièrement n’ait été communiquées à nos avocat et procureur général, pour en parler ceux à ceux qui auront fait le rapport et présidé aux jugement et arrêt, pour, si faire se doit, renvoyer la matière en la chambre où le .procès aura été jugé ».

3884 - Nonobstant toutes ces prohibitions, les parties persistaient à attaquer les arrêts pour nullités et contrariétés, et cette nouvelle voie de recours était favorisée par le Conseil, dont elle étendait l’autorité. Il faut ajouter qu’elle était fondée sur une saine vue de l’administration de la justice, qui ne peut reconnaître la souveraineté des juges qu’à la condition qu’ils se conforment aux lois ; et M. Joly de Fleury fait remarquer « qu’on a toujours tenu pour principe au Conseil que la cassation a été introduite plutôt pour le maintien des ordonnances que pour l’intérêt des justiciables ».

C’est dans l’ordonnance de Blois de mai 1579 qu’on trouve la première sanction de cette innovation. L’article 92 est ainsi conçu : « Déclarons que les arrêts de nos Cours souveraines ne pourront être cassés ni rétractés, sinon par les voies de droit, qui sont requête civile et proposition d’erreur, et par la forme portée par nos ordonnances, ni l’exécution d’iceux arrêts suspendus ou retardés sur simple requête à nous présentée en notre conseil privé ». Et son article 208 ajoutait : « Enjoignons à tous nos juges de les garder (les ordonnances) et faire garder exactement, sans y contrevenir ni s’en dispenser, ni modérer les peines contenues en icelles pour quelque occasion et sous quelque prétexte que ce soit, d’équité ou autrement ; déclarant les jugements, sentences et arrêts qui seront donnés contre la forme et teneur d’icelles nuls et de nul effet et valeur ». L’édit de janvier 1597 portait encore, article 18 : « Voulant que les arrêts donnés par nos Cours souveraines soient reçus et exécutés, gardés et entretenus avec le respect qu’il convient et confirmant nos anciennes ordonnances, déclarons que lesdits arrêts ne pourront être cassés ni rétractés, sinon par les voies de droit et formes portées par nos ordonnances ».

Ces textes distinguent deux espèces de voies de recours : d’une part, la proposition d’erreur et la requête civile, qui avaient pour, objet toutes les erreurs de fait ; de l’autre, la forme prescrite par les ordonnances, qui se référait nécessairement aux contrariétés et nullités, c’est-à-dire aux erreurs de droit La proposition d’erreur et la requête civile était seules qualifiées voies de droit, parce qu’elles avaient pour effet de faire renvoyer les causes à la juridiction commune ; la voie de nullité était, au contraire, une voie extraordinaire qui dérogeait aux formes communes. Elle était d’ailleurs la conséquence nécessaire de la disposition qui déclarait nuls les arrêts qui auraient contrevenu aux ordonnances ; car, comme cette nullité ne pouvait être encourue de plein droit, il fallait bien que les parties formassent devant le Conseil un pourvoi sur lequel il était statué. Les arrêts attaqués par la proposition d’erreur ou la requête civile étaient rétractés par les juges qui les avaient rendus ; les arrêts attaqués pour violation des ordonnances étaient cassés par le Conseil.

Cette nouvelle procédure ne fît que s’affermir de plus en plus. L’ordonnance d’avril 1667 abroge les propositions d’erreur (Tit. XXXV, art. 429), et déclare que les arrêts et jugements en dernier ressort ne pourront être rétractés que par lettres en forme de requête civile (Tit. XXXV, art. 1). Mais l’article titre 8 du Titre 1er est ainsi conçu : « Déclarons tous arrêts et jugements qui seront donnés contre la disposition de nos ordonnances, édits et déclarations, nuls et de nul effet et valeur, et les juges qui les auront rendus responsables des dommages-intérêts des parties ». Or, cette ouverture en cassation, qui ne faisait que reproduire les termes des précédentes ordonnances, donna lieu, à des pourvois si nombreux qu’il fallut y porter remède. Un arrêt du Conseil du 31 janvier 1669, après avoir rappelé que, « plusieurs requêtes ayant été présentées au Roi, étant en son Conseil, aux fins de cassation des arrêts, sentences et jugements du dernier ressort, par lesquels il avait été contrevenu à l’ordonnance d’avril 1667, Sa Majesté y avait pourvu et fait réparer lesdites contraventions », déclare que « Sa Majesté, sans s’arrêter aux antres requêtes, remet toutes les contraventions, qui ont été faites par lesdits arrêts et jugements en dernier ressort, et ordonne qu’ils seront exécutés selon leur forme et teneur, en la même manière qu’ils auraient pu l’être avant lesdites ordonnances, encore qu’ils y aient contrevenu, n’entendant néanmoins couvrir par le présent arrêt les autres nullités et autres défauts qui pourraient s’y rencontrer » ; et l’arrêt ajoute que « Sa Majesté se réserve la connaissance de toutes les contraventions qui pourront être faites pat les Cours et juges en dernier ressort ; et à l’égard des contraventions qu’on prétend avoir été faites dans les justices subalternes Sa Majesté en renvoie la connaissance aux cours et juges qui, par leur institution, sont compétents d’en connaître ».

3885 - Depuis lors, le Conseil du roi a consacré une de ses sections, appelée Conseil des parties, à la connaissance des pourvois formés contre les arrêts en dernier ressort pour violation des ordonnances. L’article 76 du règlement du 3 janvier 1673 réglait sa compétence en ces termes : « Le conseil ne connaîtra d’aucune affaire qui sera de la compétence des Cours pour les juger au fond, si ce n’est par ordre exprès de Sa Majesté. Les affaires auxquelles les particuliers seulement seront intéressés seront renvoyées aux compagnies qui en seront compétentes, à la charge néanmoins de les juger conformément aux édits, déclarations et lettres patentes. Denizart, après avoir cité les différents règlements du Conseil, ajoute : « Ces règlements nous apprennent que jamais les arrêts et jugements en dernier ressort ne peuvent être rétractés ou cassés sous prétexte de mal jugé au fond. Si on écoutait les requêtes des plaideurs qui se croient mal jugés seraient sans nombre et les juges souverains deviendraient des juges d’appel. Mais il y a lieu à cassation quand les arrêts sont rendus contre la disposition expresse ou des coutumes ou des ordonnances, édits et déclarations du roi. Il y a lieu encore à cassation quand les formalités ‘prescrites par les ordonnances n’ont pas été suivies ».

Tel était l’état des choses dans notre ancienne législation : le Conseil du roi était investi du droit de casser les arrêts des Cours souveraines, et le droit de cassation était considéré comme un attribut de la puissance publique, un droit de souveraineté qui ne pouvait être exercer que par le roi en son conseil. C’est par ce motif que son exercice était limité au cas où les arrêts avaient enfreint les ordonnances et les édits. Ces actes n’étaient plus considérés alors comme des actes légitimes du pouvoir judiciaire, mais comme des excès de pouvoir dont le souverain pourrait déclarer la nullité sans atteindre l’autorité judiciaire elle-même, parce qu’ils avaient été pris en dehors de ses limites naturelles, parce qu’ils n’avaient plus les caractères des jugements.

Il faut ajouter, pour donner un aperçu complet de la compétence du Conseil du roi, que ce droit de cassation s’exerçait aussi bien en matière criminelle qu’en matière civile. « Il faut pour cela, dit Jousse, se pourvoir au Conseil du roi. Mais, en matière criminelle, après avoir évoqué, le roi renvoie devant une juridiction ordinaire, ou nomme des commissaires pour juger et même pour instruire de nouveau le procès, s’il y a lieu ». Serpillon ajoute que « des moyens de nullité dans la procédure qui ne suffiraient pas pour obtenir des lettres de révision seraient suffisantes pour se pourvoir en cassation au Conseil contre l’arrêt ou jugement en dernier ressort qui n’aurait pas fait droit sur ces nullités ». Le Conseil était encore chargé de prononcer sur les conflits de juridiction qui s’élevaient entre les Cours de parlement et les sièges présidiaux et aussi entre les lieutenants ,criminels et le prévôts des maréchaux’.

Les pourvois au Conseil étaient néanmoins considérés comme un remède extraordinaire dont il fallait tempérer l’emploi entre les mains des parties : de là la double formalité de la consignation d’amende et de la mise en état, qui devaient précéder le pourvoi, et dont nous parlerons plus loin, puisque notre législation moderne a cru devoir les conserver.

3886 - L’Assemblée constituante, lorsqu’elle fonda notre organisation judiciaire, démêla aussitôt dans cette attribution du Conseil du roi le germe d’une grande institution : elle voulait établir l’unité politique du pays, elle voulait établir l’unité de sa législation, l’unité de sa jurisprudence : il fallait donc, suivant l’expression de Barnave un établissement qui fût un, qui s’étendit sur toutes les parties, qui pût les lier et les réunir. La cassation des jugements pour transgression aux lois fut considérée comme devant être placée au commet de l’ordre judiciaire, pour prévenir les écarts des juges et pour leur imposer sans cesse le frein de loi. L’Assemblée décréta donc sans opposition, en reprenant les termes des ordonnances, que « les jugements en dernier ressort pourront être attaqués par la voie de cassation ».

L’hésitation ne se trahit que sur l’organisation. Quelques membres osèrent soutenir encore que la demande en cassation n’est autre chose qu’un appel au prince contre les excès de la justice et ne peut être séparée de son pouvoir ; d’où l’on inférait le maintien du conseil et de son attribution. D’autres, reconnaissant au contraire au droit de prononcer sur les recours un acte du pouvoir judiciaire, voulaient en même temps, soit pour réduire la puissance des juges qui en seraient investis, soit pour leur faciliter l’accès des justiciables, qu’ils ne fussent pas permanents, et qu’ils allassent successivement tenir leurs assises dans les différentes parties du royaume. D’autres, attribuant à ce droit le caractère d’un démembrement du pouvoir législatif, puisqu’il consistait dans l’interprétation de la loi, voulaient placer ceux qui devaient l’exercer dans le sein, du Corps législatif et faire d’un comité de ce corps un tribunal de cassation. D’autres enfin, sans nier le caractère à la fois législatif et judicaire du droit de cassation, établissaient que ce droit, pour que l’indépendance de la justice fût maintenue, ne pouvait être placé que dans les mains d’un pouvoir judiciaire et que ce pouvoir, pour que sa haute mission pût être utilement exercée, devait être un et permanent. L’Assemblée, adoptant ces dernières vues, décréta, d’une part, « que le conseil des parties était supprimé, et, d’une autre part, qu’un tribunal de cassation, unique et sédentaire, serait établi auprès du corps législatif ».

Il ne restait plus qu’à doter les attributions de ce tribunal : aucun dissentiment ne s’éleva à cet égard et une pensée commune animait tous les esprits. Barnave disait : « La cour nationale ne pourra que casser les arrêts, sans pouvoir toucher au fond ; elle n’aura nulle puissance pour le mal, car si la loi avait été justement appliquée, le tribunal auquel l’affaire serait renvoyée appliquerait encore justement la loi. Elle ne pourra exercer aucune tyrannie, car elle n’aura pas le pouvoir de mettre un autre jugement à la place de celui qui aura été rendu ». M. Goupil de Préfeln insistait dans le même sens : «  Anéantir un jugement, ce n’est pas juger. Ainsi la cassation n’est pas une partie du pouvoir judiciaire, mais une émanation du pouvoir législatif. C’est, par rapport à l’ordre judiciaire, un hors-d’œuvre, une espèce de commission extraordinaire du Corps législatif chargée de réprimer la rébellion contre la volonté générale de la loi ». Robespierre ajoutait : « Pour découvrir les règles de l’organisation dé la Cour de cassation, il faut se former une idée juste de ses fonctions. Elle ne jugera pas sur le fond du procès. Uniquement établie pour défendre la loi et la Constitution, nous devons la considérer, non comme une partie de l’ordre judiciaire mais comme placée entre le législateur et la loi rendue, pour réparer les atteintes qu’on pourrait lui porter ».

Cette pensée, plus juridiquement formulée par Merlin et Tronchet, fut sanctionnée par le décret du 27 novembre - 1er décembre 1790, qui porte, dans ses articles 2 et 3 : « Les fonctions du Tribunal de cassation seront de prononcer sur toutes les demandes en cassation contre les jugements rendus en dernier ressort, de juger les demandes de renvoi d’un tribunal à un autre pour cause de suspicion légitime, les conflits de juridictions et les règlements de juges, les demander de prise à partie contre un tribunal entier. Il annulera toutes procédures dans lesquelles les formes auront été violées, et tout jugement qui contiendra une contravention expresse au texte de la loi. Sous aucun prétexte et en aucun cas le Tribunal ne pourra connaître au fond des affaires : après avoir cassé les procédures et le jugement, il renverra le fond des affaires aux tribunaux qui devront en connaître ».

3887 - Telle est la constitution de la Cour de cassation. Si l’Assemblée constituante en a puisé la première idée dans l’attribution contentieuse du Conseil du roi, elle a développé cetteidée avec une singulière grandeur, lorsqu’elle a investi, d’une telle attribution un corps judiciaire, et lorsqu’elle a créé, eu, organisant ce corps, l’une des plus belles et des plus utiles institutions de notre pays. La Cour de cassation est et doit être un corps judiciaire, car la souveraineté des arrêts et des jugements cesserait d’exister s’ils relevaient d’une autre autorité ; mais elle exerce en réalité une portion du pouvoir législatif, puisque l’interprétation souveraine de la loi lui a été déléguée. Elle prononce, non pas, comme le disait un membre de l’Assemblée, entre le pouvoir législatif et la loi, mais entre le pouvoir législatif et l’autorité judiciaire ; elle est la gardienne des lois et chargée de veiller à leur conservation et à leur uniforme application ; elle est le juge, non des procès, mais des arrêts et des jugements, et son unique fonction consiste à rechercher s’ils ont contrevenu à la loi ; enfin, son œuvre est surtout celle d’un jurisconsulte ; elle n’apprécie pas les affaires, elle décide les points de droit, elle remplit un travail scientifique et même, dans le sens le plus élevé de ce mot, une mission politique ; elle répond, comme les anciens prudents, aux cas qui lui sont proposés, et ses réponses, comme celles des jurisconsultes de Rome, sont des règles générales qui participent au caractère de la loi et se confondent en quelque sorte avec elle.

3888 - Nous n’avons à parler que d’une seule de ses trois sections, la section criminelle. Dans l’ancien Conseil du roi toutes les affaires, qu’elles fussent civiles on criminelles, étaient indistinctement portées devant les mêmes conseillers, et les règlements n’avaient établi aucune différence dans les formes de leur instruction. La même confusion s’était continuée à l’époque de la création de la Cour de cassation : elle n’était divisée qu’en deux sections, l’une qui statuait sur l’admission des requêtes en toute matière, l’autre qui statuait sur les moyens proposés à l’appui des requêtes admises. Ce fut la pratique même des affaires qui amena une double innovation.

D’une part, la section de cassation se rompit en deux parties, dont l’une ne s’occupa que des affaires civiles et l’autre des affaires criminelles ; et d’une autre part, la section des requêtes cessa de prononcer sur l’admission des pourvois en matière criminelle. Le décret du 29 septembre 1793 déclare que « la division en trois sections, adoptée par le Tribunal de cassation, est maintenue provisoirement ». La loi du 2 brumaire an IV reconnaît cette division comme définitive et ajoute : « La troisième section prononcera exclusivement sur les demandes en cassation en matière criminelle, correctionnelle et de police, sans qu’il soit besoin de jugement préalable d’admission ». Ainsi fut constituée la chambre criminelle avec son autorité indépendante et directe, avec sa compétence spéciale mais immense dans le cercle qui lui a été tracé.

La mission de cette chambre est d’une extrême importance : la loi lui a exclusivement délégué, sauf le contrôle des Chambres réunies, l’interprétation de tous les textes de la législation criminelle, la surveillance de tous les actes d’instruction et de poursuite, la censure de tous les jugements et arrêts qui prononcent sur les contraventions, les délits et les crimes, enfin le maintien et le règlement des compétences. Elle a la garde de toutes les lois et de tous les règlements qui constituent cette législation, et, à la fois, des principes de justice qui dominent nécessairement toutes ses dispositions et doivent diriger leur application. Sa tâche ne se borne pas à décider isolément des points de droit pénal, à réprimer les excès de pouvoir des juges ou les irrégularités des procédures. Son point de vue est plus général et sa mission plus haute. Elle considère les lois dans leur théorie et dans leur ensemble, elle se pénètre de leur esprit et de leur but, elle en déduit une série de conséquences qui constituent la doctrine légale. Elle pose les règles générales qui s’appliquent à toutes les matières du droit pénal et les règles spéciales qui régissent chacune de ses parties. Elle fonde ainsi, en coordonnant savamment ses arrêts les uns avec les autres, une jurisprudence qui éclaire la loi, l’explique ou la complète, et qui en fixe définitivement le sens et la portée.

3889 - Le travail de la chambre criminelle se manifesta avec éclat à l’époque de la promulgation de nos codes : il fallait expliquer ces textes nouveaux que l’expérience n’avait point encore mûris, il fallait dégager les principes du milieu des questions transitoires et déterminer l’autorité des lois secondaires qui devaient survivre à l’abrogation des lois principales.

Les traditions nous apprennent que les membres de cette chambre se réunissaient dans des conférences pour préparer, par une discussion approfondie, la solution des questions que l’étude des textes soulevait de toutes parts. Toutes les difficultés de la nouvelle législation étaient mises en relation avec les principes du droit et les précédentes solutions de la jurisprudence, et cet examen, isolé de toute préoccupation des faits et qui formulait chaque point de droit dans une forme abstraite, se prêtait merveilleusement à la préparation d’une doctrine une et logique. On posait des espèces et des hypothèses qui trouvaient dans l’application des règles générales une solution dont il était pris note. Nous avons entendu critiquer ces discussions préliminaires qui fixaient les règles légales avant que les espèces ne fussent nées pour en subir l’application : il certain qu’une telle méthode est opposée aux formes et aux habitudes judiciaires, et que les cours et tribunaux ne doivent ouvrir de délibération que sur les questions dont ils sont saisis et qui sont pendantes devant eux ; mais on trouve néanmoins dans cette étude préparatoire, qui était peut-être nécessaire à une époque où les solutions de tant ,de questions neuves devaient se concilier entre elles, une curieuse indication du double caractère de la Cour : c’est parce qu’elle participe à la fois du législateur et du juge qu’elle éprouvait le besoin de fixer l’interprétation générale de la loi avant d’en faire l’application à des espèces particulières, d’en arrêter les principes et la ,portée avant de descendre à l’examen de chaque cas et de chaque fait. C’est à ce mode de discussion, plus législatif sans doute que juridique, que sont dus tous ces arrêts-principes qui ont été rendus dans les années qui ont immédiatement suivi la .promulgation des Codes d’instruction criminelle et pénal et qui en ont fixé le sens et l’esprit.

C’est par de pareils travaux que la chambre criminelle a rendu d’inestimables services à la science du droit pénal et à l’administration de la justice. Nous ne parlons pas de l’unité qu’elle a maintenu dans l’application de la loi et qui était la conséquence même de son institution ; nous parlons de l’exercice qu’elle a fait de son pouvoir, des doctrines qu’elle a conservées, de la jurisprudence qu’elle a fondée. Ses arrêts forment un commentaire très rigoureux sans doute, mais admirables dans sa logique et dans ses déductions de nos lois pénales ; la plupart des légistes n’ont fait que les reproduire en les coordonnant. Elle a su maintenir avec fermeté les garanties les plus essentielles de la procédure, en suppléant aux nullités que la loi avait omises, et si elle n’a pas étendu cette sanction à d’autres formes utiles encore, quoique à un moindre degré, c’est qu’elle s’est préoccupée avec trop de sollicitude peut-être de dégager le pratique de ce que celle-ci appelle des entraves. Enfin elle a réglé avec un ordre parfait les nombreuses matières spéciales qui ne trouvaient dans la législation qu’un frêle et incomplet appui, et elle a notamment édifié sur les bases les plus fermes et les plus sûres les droits du pouvoir réglementaire et ceux de la juridiction qui connaît des multiples infractions de la police.

On peut apercevoir, à la vérité, dans la marche de sa jurisprudence plusieurs époques, plusieurs phases distinctes : la fixité des premiers arrêts et l’excessive rigueur de leurs interprétations ont fléchi ; des règles établies pendant de longues années ont été effacées. Mais elle n’a fait en cela que s’incliner au souffle du législateur qui manifestait l’esprit nouveau qui l’animait par les modifications profondes qu’il apportait à nos codes ; son interprétation, sans changer de règle, changeait d’objet ; elle n’était plus en face d’une loi inflexible et rigoureuse, elle devait répudier ce double caractère ; elle ne pouvait demeurer immobile quand la loi s’était imprégnée d’une nouvelle pensée. La jurisprudence doit tendre sans doute, non à se modifier incessamment, mais à se fixer : c’est sa fixité qui lui imprime en quelque sorte le caractère d’une seconde loi qui semble se confondre avec la première ; mais c’est à la condition qu’elle exprime le vrai sens de celle-ci. Il semblait, dans les premiers temps de cette jurisprudence, que l’esprit du législateur était toujours au-delà de ses expressions, qu’il n’avait pas osé dire toute sa pensée et que pour la trouver il fallait forcer ces textes. Cette interprétation extensive a cessé d’être systématique, et les arrêts n’hésitent plus à consacrer le principe que « la loi pénale ne soit jamais être étendue au-delà de ses termes ».

Les dangers qui ont pu en dernier lieu motiver quelques écarts de la jurisprudence sont d’une autre nature : c’est, d’une part une excessive préoccupation du fait ; c’est, d’un autre côté, un sorte de respect pour la chose jugée par les juges du fait, une certaine insouciance de la forme, une sourde hostilité contre ce qu’on appelle le formalisme., La Cour, perdrait de vue sa haute mission si elle pénétrait dans l’examen du fait et de ses circonstances avant de résoudre le point de droit. Elle s’écartait de son devoir si elle oubliait de dégager le droit de l’alliance du fait et de le considérer dans son abstraction et dans sa pureté. De là une tendance à transiger avec les règles et à en éluder l’application ; de là les arrêts d’espèces au lieu des arrêts de principes. L’indifférence pour les infractions de forme n’aurait pas des conséquences moins graves ; qu’est-ce donc que la forme, si ce n’est la justice elle-même ? Car que serait la justice si elle ne marchait environnée de toutes les formalités qui ne ralentissent sa marche que pour la rendre plus sûre ? Le culte des formes, c’est le culte de la justice ; car à chaque forme est attachée une garantie, la possibilité pour un droit lésé de se produire et de se défendre. Les décisions des juges du fait, quel que soit leur bien jugé causent un dommage général quand ils enfreignent une règle droit ou font une fausse application de la loi : le redressement de leur erreur ne frappe au contraire qu’une espèce et est utile à la société entière, puisqu’il en résulte l’enseignement et l’application plus saine des règles légales

8890 - La compétence : de la Chambre criminelle s’étend, en général, à toutes les matières criminelles, correctionnelles et de police.

On a remarqué avec raison, que, celte chambre exerce, sous quelques rapports, une puissance plus étendue que les Chambres civiles. D’abord, si elle ne peut apprécier les faits poursuivis, elle peut apprécier les faits constatés, pour leur donner leur qualification légale. Ensuite, saisie directement par les parties ou par le Ministère public, elle ne statue le plus souvent, surtout en matière de grand criminel, que sur des questions de forme, et elle les juge, pour ainsi dire, sans contrôle, puisque le renvoi prononcé ne soumet pas l’examen de ce moyen aux juges devant lesquels l’affaire est renvoyée ; ils ne sont saisis que du jugement du procès, ils ne le sont pas de la question qui a motivé la cassation. « La Chambre criminelle, dit M.Tarbé, est donc souveraine sur les questions de forme ; elle peut disposer à son gré de la validité ou de la nullité des procédures ». La puissance de cette chambre se manifeste aussi : 1° par la connaissance des demandes en règlement de juges ou en renvoi pour cause de sûreté publique où de suspicion légitime, qui lui sont exclusivement attribuées ; 2° par la faculté de casser sans renvoi, lorsque le fait ne constitue ni crime ni délit, ce qui constitue un véritable attribut de souveraineté ; 3°par la faculté, conséquence de la précédente, de casser par voie de retranchement une disposition illégalement ajoutée dans un jugement ; 4° par l’appréciation dont elle est investie de la légalité et de la régularité des règlements de police ; 5° enfin, par la haute attribution qui lui a été conférée, par les articles 441 et 442 du Code d’instruction criminelle, d’annuler les actes judiciaires qui lui sont déférés en dehors des poursuitesordinaires, et par les articles 443 et 444, de statuer sur-les demandes en révision.

Au reste, la compétence de la Chambre criminelle est soumise au principe qui domine toute la Cour : «  Les demandes en cassation, porte l’instruction pour la procédure criminelle du 29 septembre 1791, ne pourront être formées que pour cause de nullités prononcées par la loi soit dans l’instruction, soit dans le jugement, on pour fausse application de la loi. Le tribunal de cassation n’est point, en effet, un degré d’appel ni de juridiction ordinaire, et il n’est institué que pour ramener perpétuellement à l’exécution de la loi toutes les parties de l’ordre judiciaire qui tendraient à s’en écarter : le but de cette institution suffit pour expliquer sa compétence ». Il suit de là que le recours en cassation, sauf les cas où la Cour est appelée à régler de juges ou à prononcer le renvoi d’un tribunal à un autre, n’a pour objet, en matière criminelle comme en toute autre matière, que de faire prononcer la cassation des jugements qui renferment des contraventions expresses aux dispositions des lois, et qu’institué, comme on l’a vu, dans intérêt général plutôt que dans un intérêt privé, il se propose comme but unique la saine interprétation des lois pénales et de procédure criminelle et le maintien des règles de droit.

Signe de fin