BENJAMIN DE ROHAN, SIEUR DE SOUBISE,
EST DÉCLARÉ
CRIMINEL DE LÈSE-MAJESTÉ
AU PREMIER CHEF
La présente affaire retient l’attention à deux points de vue :
Tout d’abord du point de vue du fond,
puisqu’elle donne un exemple de violation de serment d’allégeance
et montre ainsi l’étendue du domaine du droit criminel
D’autre part d’un point de vue technique,
puisqu’elle offre un exemple de Justice retenue :
c’est le Roi, siégeant en son Conseil,
qui constate l’infraction et prononce la sanction ;
le Parlement a toutefois le pouvoir,
soit d’enregistrer purement et simplement sa Déclaration,
soit de faire des réserves et de présenter des observations.
LES FAITS REPROCHÉS
Selon Henri Martin, dans son Histoire de France
Dans l’Ouest, les Rochelais étaient maîtres de la mer … Le pavillon rochelais, arboré par une multitude de corsaires, était l’effroi de l’Océan ; tout était jugé de bonne prise à La Rochelle. Au commencement de 1622, les Rochelais et les seigneurs qui faisaient cause commune avec eux conçurent le hardi projet d’occuper les embouchures de la Loire et de la Gironde, afin de rançonner tout le commerce de ces ceux fleuves. La révolte de Royan, sur la rive droite de la Gironde, et l’occupation de deux points fortifiés … réalisèrent à peu près le blocus de la Gironde. Soubise, violant le serment qu’il avait prêté, par la capitulation de Saint-Jean d’Angély, de ne plus porter les armes contre le roi, se chargea de la Loire, commença par descendre avec un corps de troupes aux Sables d’Olonne, afin de soulever les réformés du Poitou, et se mit à courir tout le pays jusqu’aux faubourgs de Nantes…
Le roi se décida brusquement à marcher en personne contre Soubise. Arrivé à Nantes, le 10 avril, avec ses gardes et quelques autres, il fut informé que Soubise cherchait à s’établir dans l’île de Ré, petit canton maritime du Bas-Poitou, séparé de la terre ferme par de vastes marais salants et de petites rivières que grossit la mer aux heures du flux. Il résolut de ne pas laisser à Soubise le temps de se retrancher dans cette forte position. L’attaque ne fut pas sans péril : le roi, y compris les troupes de La Rochefoucauld, avait dix à douze mille hommes et point d’artillerie ; Soubise avait six à sept mille hommes, sept pièces de canon et l’avantage du poste ; mais Condé ne demandait pas mieux que de hasarder le roi, et Louis, qui avait du moins une des qualités de son père, le courage, n’hésita point.
Heureusement pour le roi, Soubise ne montra ni le coup d’œil d’un général, ni la résolution d’un soldat : attaqué plus tôt qu’il ne l’avait prévu, il défendit mal les abords de l’île de Ré et ne songea qu’à préparer le rembarquement de sa petite armée sur une escadre de quatorze vaisseaux qu’il avait à sa disposition. Il ne réussit pas mieux à se retirer qu’à combattre. Dans la nuit du 15 au 16 avril, pendant la marée basse, le roi franchit à gué, avec la meilleure partie de ses troupes, un des bras de mer qui protégeaient l’île de Ré et trouva, au point du jour, l’infanterie huguenote, partie sur le rivage, partie dans les chaloupes encore à sec. Ce ne fut point un combat, mais un massacre.
Soubise, avec cinq ou six cents cavaliers, s’enfuit dans la direction de la Rochelle ; quinze cents fantassins furent arquebusés ou sabrés sur place et sans résistance ; on en prit six cents, dont quelques uns furent pendus et les autres envoyés aux galères ; le reste, en voulant s’échapper à travers les marais, se noya ou fut exterminé, soit par les soldats, soit par les paysans, furieux des dévastations qu’avaient commises les huguenots…
Soubise, passé en Angleterre, n’avait rien pu obtenir du roi Jacques. Quelques vaisseaux que des particuliers, plus zélés protestants que leur roi, avaient fournis à Soubise, furent brisés par une tempête en rade Plymouth. La Rochelle commençait à être serrée de près…
Un arrêt de Lèse-majesté … fut envoyé au Parlement de Paris.
LA DÉCISION DE LOUIS XIII
(Nous avons dans l’ensemble respecté la forme du document diffusé dans le public,
l’orthographe a toutefois été modernisée afin d’en faciliter la lecture)
DÉCLARATION DU ROY
PAR LAQUELLE
BENJAMIN DE ROHAN,
Sieur de Soubise, est déclaré
criminel de lèze-Majesté au premier chef :
ses biens acquis & confisqués,
et réunis au Domaine de sa Majesté.
Vérifiée en Parlement le 4 août 1622
LOUIS par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre, à tous ceux qui les présentes Lettres verront, salut.
Si douter que le châtiment des méchants ne soit du tout nécessaire à la conservation des États, ou autrement y permettre un établissement pour abolir la loi des récompenses, et rendre les actions des hommes égales ou du moins indifférentes, laissant lieu à un chacun de croire que bien ou mal faire est chose où il n'y a point de choix Et par telle croyance enraciner dans les esprits des peuples des maximes pour les porter à des révoltes, dont s’ensuit le renversement des Monarchies.
Tout Prince, sage et bien conseillé, doit prendre d'autres maximes : À savoir, d'élever en dignité ceux dont la conduite les rend recommandables ; Et au contraire, faire châtier et procéder extraordinairement contre les autres , afin que par un tel châtiment il puisse contenir un nombre infini de personnes en leur devoir ; Et par cette exemple de Justice, affermir d'autant plus sa juste et légitime domination, laissant à un chacun la libre jouissance de son bien dans une paix tranquille, où Dieu étant honoré, comble son règne de bénédictions.
S'il doit cela à sa dignité au double y est obligé contre ceux qui méprisant les choses sacrées, profanent la Religion : Et lors ému d’une juste colère, il doit être porté à un châtiment exemplaire.
Les crimes qu’a commis Benjamin de Rohan, sieur de Soubise, dans nos pays de Saintonge , & autres Provinces, ont attiré sur lui la main de Dieu, qui seul à nôtre vue, a dissipé ses forces de telle sorte, que ne trouvant salut qu'en sa fuite, il est sorti de notre Royaume à dessein de continuer hors d'iceluy de nouvelles conspirations, qui le rendent indigne de tout pardon, et coupable au premier chef de crime de lèse-Majesté, dont l'énormité demande la punition.
Pour ces causes, savoir faisons, que de l'avis des Princes de notre sang, autres Princes, et plus notables personnages de notre Conseil, et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, Nous avons dit et déclaré, Disons et déclarons par ces présentes, signées de notre main, ledit de Rohan criminel de lèse-Majesté au premier chef, indigne de nos grâces, incapable de tous honneurs, charges et offices quelconques, en notre Royaume, terres et seigneuries de notre obéissance : Ses biens acquis et confisqués par ledit crime de lèse-Majesté au premier chef.
Voulons ces biens être réunis inséparablement à notre Domaine, sans que d’aujourd’hui, ni pour l'avenir, ils en puissent être séparés ni désunis, pour quelque cause, occasion et considération que ce soit. Et que à cette fin il soit procédé extraordinairement contre lui, à la diligence de notre Procureur général, selon les Lois et Ordonnances de notre Royaume.
Si donnons en mandement à nos aimés et féaux Conseillers, les gens tenant notre Cour de Parlement à Paris, que ces présentes ils fassent lire, publier et enregistrer, et ce qui est contenu en icelles exactement exécuter ; Enjoignant à notre dit Procureur général faire toutes poursuites et diligences requises pour ladite exécution : Car tel est notre plaisir.
En témoin de quoi, Nous avons faite mettre notre sceau à ces dites présentes.
Donné à Carcassonne le quinzième jour de juillet, l'an de grâce mil six cents vingt-deux. Et de notre règne le treizième,
Signé, LOUIS
*
Et sur le repli, Par le Roy, Et plus bas De Loménie
Et scellée sur double queue du grand sceau de cire jaune.
Et à côté sur ledit repli, est encore écrit :
Lues, publiées et enregistrées,
0uï ce requérant le Procureur général du Roy,
pour être exécutées selon leur forme et teneur :
Et ordonne que copies d'icelles collationnées,
seront envoyées aux Bailliages et Sénéchaussées de ce ressort :
pour y être pareillement lues, publiées, enregistrées et exécutées
à la diligence des Substituts du Procureur général du Roy,
auxquels enjoint de tenir la main à l'exécution d’icelles,
Et certifier la Cour avoir ce fait dans ce mois.
A Paris en Parlement le quatrième jour d'août mil six cent vingt-deux.
Signé, DU TILLET
*
Lue, publiée en jugement de la Sénéchaussée et Siège Présidial de Lyon,
les plaids tenants ouï, et ce requérant, M. Alexandre Boullioud,
Avocat pour le Procureur du Roy,
de laquelle lecture & publication nous avons octroyé acte,
et ordonné que ladite Déclaration et Arrêt seront enregistrés,
sur les registres de ladite Sénéchaussée pour y avoir recours,
Fait en Jugement, par … Conseillers et Magistrats en la
Sénéchaussée et Siège Présidial dudit Lyon,
le jeudi dix-huitième d’août, mil six cent vingt-deux.
Signé, PERREL