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LA DOCTRINE
EST-ELLE UNE SOURCE DU DROIT ?

A la mémoire du professeur Georges Levasseur

 

I - Pour instaurer une démocratie libérale, respectueuse tant des impératifs de la vie sociale que de la dignité, la liberté et des droits des particuliers, il faut nécessairement confier à des organes, véritablement indépendants les uns des autres, l’exercice de chacune des différentes fonctions sociales.

Ces fonctions sociales se répartissent en deux groupes : d’une part les fonctions temporelles, orientées vers les besoins matériels présents et futurs de la collectivité ; d’autre part les fonctions spirituelles, liées aux aspirations intellectuelles et morales de l’Homme.

Rappelons que les trois fonctions temporelles, généralement reconnues depuis Aristote et Montesquieu, sont la fonction législative, la fonction judiciaire et la fonction exécutive. Nous les avons prises en compte dans ce site avec les rubriques consacrées, d’abord aux lois et règlements, ensuite aux grands arrêts de la jurisprudence, enfin aux documents de la pratique.

Quoique fort négligées de nos jours, les fonctions spirituelles méritent tout autant de retenir l’attention. Elles sont elles aussi au nombre de trois : la fonction philosophique (notamment la philosophie morale), la fonction scientifique (en particulier la science criminelle) et la fonction artistique (dédiée à la profondeur comme à l’élégance dans l’expression littéraire, musicale ou picturale). Chacune d’elles illustre particulièrement l’une des multiples facettes du « Bien », à savoir : la « bonté », la « vérité » et la « beauté » ; trois valeurs immatérielles et éternelles, dépassant les besoins physiologiques de l’être humain, visant à l’élever au dessus de sa condition matérielle.

Peut-être est-ce justement parce qu’elles ont pour tâche de mettre en valeur les différentes facettes du Bien que les fonctions spirituelles sont actuellement combattues par ceux qu’elles gênent dans leurs entreprises. Mais peut-être leur déclin, comme l’a suggéré J.Benda dans « La trahison des clercs », s’explique-t-il aussi parce que ceux qui en avaient la charge ont failli à leur mission en s’aventurant hors des limites de leur domaine de compétence. L’orgueil apparaît comme le péché majeur du monde contemporain.

Il ne semble dès lors pas inutile de rappeler que, si les titulaires des fonctions temporelles ont la charge de se battre au jour le jour pour faire face aux calamités et malheurs qui sont le lot des hommes sur cette terre, les détenteurs des fonctions spirituelles œuvrent hors du temps, qu’ils ont pour mission de poser quelques balises destinées à guider les lents progrès de l’humanité. Ce sont les philosophes comme Confucius et Cicéron qui dégagent les principes éternels du droit naturel ; mais ce sont les légistes comme Solon et Napoléon qui donnent aux hommes de leur temps les lois qu’ils sont capables de pratiquer.

II - L’Université est longtemps demeurée le refuge de la Connaissance et de la recherche de la Vérité. Mais ce statut supposait que ses membres fussent indépendants de tout parti politique, de tout groupe de pression ; du jour où son personnel a hanté les allées du pouvoir matériel, elle a perdu son âme. Les Facultés de droit, en particulier, sont passées du domaine spirituel au domaine temporel ; elles sont devenues de simples écoles professionnelles, affectées à l’enseignement du « droit » édicté par la classe politique, plutôt qu’à la réflexion sur les fondements et les techniques du « Droit » au sens noble du terme.

De nos jours, d’ailleurs, la fonction doctrinale de recherche de la Vérité est discutée. Il y a déjà un siècle Gény regrettait que, pour certains juristes la discussion des problèmes théoriques reste sans influence sur le développement du droit vivant, que, pour d’autres juristes, la vérité ne constitue pas une valeur absolue mais simplement relative et se trouve dès lors inaccessible dans l’abstrait. Mais, à la lumière de sa longue et riche expérience, l’entomologiste Fabre, le modèle des chercheurs désintéressés, leur a justement répondu qu’il faut avoir le courage de travailler longtemps dans la nuit de l’erreur si l’on veut atteindre le Vrai ; ce Vrai qui éblouit soudain par son évidence, puisqu’il a déjà sa place prête à l’accueillir dans notre conscience.

Contrairement à ce que certains écrivent, l’effacement de la science juridique et du droit naturel, au profit du droit positif, n’est heureuse, ni pour la démocratie, ni pour le progrès du droit, ni pour les étudiants, ni pour les praticiens. Si nos diplômés sont bien informés du droit présent de leur pays, ils ne sont préparés, ni à assimiler les lois à venir, ni à apprendre les droits des autres nations (notamment des autres nations européennes).

On a très justement fait observer que l’accélération de notre civilisation impose un recyclage de plus en plus fréquent des praticiens. Cette mise à jour est d’autant plus facile à assurer que l’on part sur la base de principes généraux universels et éternels, plutôt que de la plate connaissance du droit local présent.

De surcroît, plus la vie sociale s’internationalise, plus il devient nécessaire d’affiner les techniques fondamentales du droit afin de les rendre compatibles avec l’ensemble des systèmes juridiques mis en place par les différentes cultures. La science juridique fournit la clef de tous les droits positifs, tout en permettant de préserver leur originalité. Voir nos études : « Supplique en faveur de la science criminelle » (Gazette du Palais 1984 II Doct. p.486), « L’enseignement du droit criminel dans une société libérale » (Gazette du Palais 1986 II Doct. p. 647), « La loi pénale » (3 e éd. sur le site internet) n° 103 2° p. 57.

III – Pour nous en tenir à la doctrine pénale, certains s’étonnent qu’elle ne constitue plus actuellement l’une des sources du droit positif, et qu’elle n’apparaisse plus que comme une simple autorité intellectuelle (selon le mot de Merlin). C’était pourtant prévisible : du moment où elle a déserté son terrain d’élection, qu’elle a délaissé sa fonction spirituelle pour une mission temporelle, elle a perdu son statut propre (au début du XIXe siècle on parlait du « Cours de Code pénal », sans nulle référence à la science criminelle).

Si Rome fut une grande nation juridique, c’est parce qu’elle sut établir un pont entre le temporel et le spirituel en garantissant l’autonomie de la fonction doctrinale : celle-ci était assurée par des « jurisconsultes » qui possédaient tout à la fois, un grand savoir théorique, et une connaissance approfondie de la pratique. Pour eux, réflexion et application étaient complémentaires : une saine pratique ne pouvant s’établir que sur des bases théoriques solides ; une saine théorie ne pouvant négliger les conséquences logiques de toute innovation. Les Institutes de Justinien rapportent que, dans le cas où les jurisconsultes rendaient une opinion unanime sur un point controversé, les juges devaient s’y soumettre. Les écrits de Gaius, Marcien, Papinien, Paul et Ulpien demeurent encore aujourd’hui des classiques pour la profondeur de la pensée et la clarté de l’expression.

En Extrême-orient également, les travaux des « lettrés » furent officiellement reconnus. Dans l’introduction à son admirable traduction du Code annamite de Gia Long, Philastre observe que les commentaires des plus éminents juristes du Céleste empire ont progressivement pénétré les codes chinois successifs. Sous ce rapport, le Code des Ts’ing s’apparente au Digeste de Justinien.

En France on a observé des emprunts de même nature : le Code Napoléon doit beaucoup au civiliste Pothier ; notre jurisprudence pénale s’est souvent inspirée des écrits de Faustin Hélie pour la procédure, de Garraud et de Garçon pour le fond du droit. Mais le phénomène est resté marginal ; il est même regardé avec suspicion : depuis 1789, le Parlement cherche à imposer sa loi comme seule source autorisée du droit.

IV – La fonction rationnelle de la doctrine apparaît pourtant loin d’être négligeable. Avant toute chose, elle a pour mission d’établir le vocabulaire du Droit (Rossi a pu dire que Le droit est une langue). Elle doit également délimiter et agencer les différentes catégories juridiques. Elle doit en outre scruter, approfondir et affiner les méthodes de fonctionnement propres à chacun des trois pouvoirs temporels.

En premier lieu, les pénalistes ont le devoir d’étudier les différentes techniques législatives, qui sont les véritables outils du législateur. Pour chaque point qui semble pouvoir donner lieu à une loi, la doctrine doit indiquer le procédé le plus apte à assurer le bien commun, c’est-à-dire, tout à la fois, la défense de la société et protection des justiciables. Les brouillonnes improvisations législatives auxquelles nous assistons de nos jours alourdissent la masse des textes sans produire aucun des effets recherchés ; elles ont, sinon pour but, du moins pour effet de freiner l’exercice de leurs pouvoirs propres par les personnels du judiciaire et de l’exécutif, au grand dam de la collectivité.

Deuxièmement, les pénalistes ont en charge de proposer aux tribunaux répressifs les méthodes de raisonnement judiciaire les plus conformes aux besoins de leur fonction. À cet égard, il semble maintenant acquis que le juge répressif doit impérativement : d’abord partir des faits, puis rechercher si leur auteur en est responsable, et enfin déterminer la sanction adéquate. En d’autres termes, le juge doit successivement rechercher la vérité des faits dans le cas d’espèce, déterminer la qualification légale correspondant aux faits reprochés, procéder à l’imputation de l’infraction constatée, assurer l’individualisation de la peine encourue.

Troisièmement, il entre dans la mission de la doctrine pénale de rechercher les moyens dont les agents du gouvernement disposent pour faire pénétrer le droit dans la vie quotidienne sans abuser de la coercition. L’application des lois pénales, comme l’exécution des jugements répressifs, ne doivent pas ajouter au trouble déjà causé par les délinquants à l’ordre public.

V – Dans cette quête, le premier écueil que la doctrine doit éviter est de s’adonner à la pure spéculation ; c’est-à-dire de jongler avec des idées, des notions, des concepts pour le seul plaisir d’admirer leur chatoiement. Les philosophes nous ont sérieusement mis en garde contre cette tentation, qui risque de nous faire oublier les réalités concrètes de la vie sociale et méconnaître la nature spécifique des relations humaines, c’est-à-dire l’objet même du Droit.

Un autre danger réside dans la recherche systématique de la nouveauté (si profitable à ceux qui cherchent à faire parler d’eux). La doctrine doit, bien sûr, s’efforcer de débusquer les erreurs commises par nos anciens, reprises par des générations de compilateurs, et masquées par la patine du temps. Il lui faut aussi, nul n’en doute, proposer des solutions adaptées aux questions actuelles, posées par le progrès des sciences physiques (espionnage de la vie privée) et biologiques (bioéthique). Mais elle ne doit pas proposer des solutions illusoires, dans le seul but de donner l’impression d’avoir résolu ces difficultés, car toute modification de texte se fait au détriment de l’autorité révérencielle de la Loi.

Enfin il faut se garder de l’erreur consistant à vouloir introduire dans la science juridique, discipline humaine, les techniques des sciences dites exactes. Les juristes s’occupent d’hommes et de femmes, les mathématiciens de chiffres et de nombres ; si le législateur en vient à raisonner sur des quantités, des moyennes, des statistiques, il finit par en oublier l’humain (tel est hélas le cas avec le Code de la route). Or le juriste travaille pour des vivants qui ont une âme, un cœur, des sentiments, des désirs, des émotions ; et il doit en tenir compte, même si cette part de l’être humain présente trop souvent un caractère irrationnel.

VI – Les matériaux de base, sur lesquels une saine doctrine pénale va travailler, lui sont fournis par l’observation du phénomène criminel et de sa sanction à travers les siècles et les continents. Il suffit en effet de parcourir l’histoire de l’humanité pour constater que la nature de l’homme n’a pas fondamentalement changé depuis le lointain millénaire où vivaient les sumériens, pour noter que les activités criminelles demeurent étonnamment semblables au fil du temps, et pour constater que telle ou telle réaction sociale produit toujours telles ou telles conséquences. À la lumière de ces faits criminels constants, et de ces réactions sociales répétées, une science peut assurément se construire.

Mais comment exploiter ces éléments ? Nos anciens l’ont depuis longtemps établi : en prenant pour guide la morale, et pour technique la raison. C’est-à-dire en se plaçant sur le terrain du droit naturel.

C’est sans doute dans les règles morales formulées, d’abord par les religions, ensuite par les philosophies évoluées, que l’on trouve les plus exactes réponses aux actes humains marqués par le mal. Leur enseignement demeure valable, quoiqu’il ait été occulté pendant quelques décennies par un matérialisme niant la dignité de la personne humaine. À leur exemple, le pénaliste doit chercher à établir les règles les meilleures à la fois pour l’individu, pour la société et pour l’humanité.

Les théoriciens ne doivent pas non plus oublier qu’un corps de droit ne fonctionnera harmonieusement que s’il est construit suivant un mode rationnel. Boileau a fait l’un des plus grands compliments que l’on puisse adresser à un juriste en disant de Domat qu’il était le restaurateur de la raison dans le droit. C’est pourquoi la doctrine ne doit jamais, ni partir d’une idéologie politique, ni accepter le moindre a priori doctrinal, mais doit toujours laisser la matière s’organiser seule, tout naturellement, sur la base de principes techniques fondamentaux. En quarante ans de chronique judiciaire, combien de fois ai-je commencé à écrire une note dans un sens, avant de la réécrire en sens contraire !

VII – Le doute scientifique, qui invite le chercheur à vérifier toute idée, toute opinion, toute croyance, qu’elle vienne de lui ou qu’elle vienne d’autrui, place inévitablement la doctrine en marge de la pensée politiquement correcte du moment. Dépositaire d’un idéal éternel de justice, elle doit mener l’essentiel de ses travaux sur le terrain du droit naturel ; de ce droit inspiré par la dignité humaine, que tous les totalitarismes cherchent à abattre, mais qui sort renforcé de toutes les persécutions. Si elle ne saurait dédaigner le droit positif, elle ne saurait non plus se borner à en faire une glose servile.

Le clerc, l’universitaire, est au service d’une fonction spirituelle ; c’est pourquoi, par la force des choses, il doit se tenir à l’écart de l’appareil de l’État qui assure les fonctions temporelles. S’il est un hommage à rendre à Napoléon, c’est d’avoir compris, et admis quoiqu’il lui en coûtât, que l’Université constitue un élément nécessaire à l’équilibre et au progrès de la Cité, et qu’elle doit dès lors être totalement indépendante de l’État.

Au vu de ces observations, nous pouvons reprendre la question de départ : La doctrine est-elle une source du droit ?

S’il est certain que, sur le plan étatique, la loi et les règlements constituent la seule source du droit officiel ; encore peut-on se demander si le droit d’une nation est composé de la seule loi édictée par le pouvoir politique, ou s’il comprend aussi le droit naturel.

Dans une conception impérialiste du pouvoir législatif, ni le droit naturel ni la doctrine ne constituent des sources de droit. Mais les régimes dictatoriaux du siècle dernier ont fait la démonstration que cette opinion est tout à la fois discutable et dangereuse : ce n’est pas parce qu’une loi est votée par le Parlement qu’elle répond aux fins qui sont moralement et rationnellement les siennes (on a pu le constater avec les législations nazie et communiste).

Ne serait-ce que par prudence, il est préférable d’admettre que les principes généraux du droit naturel constituent une source de droit infrangible.

Or la doctrine est l’interprète privilégiée du droit naturel. Elle a en effet pour double mission, d’abord de le proclamer dans ses principes universels, ensuite d’ajuster son application à l’état présent de la civilisation. Dans cette mesure, on peut considérer que la doctrine est un interprète du droit naturel et, à travers lui, une source du Droit dans son ensemble.

A titre d’illustration, prenons le principe de « la légalité criminelle ». Il a pendant des siècles été limité aux règles de fond et exprimé par la formule : « nul délit, nulle sanction sans texte ». Mais depuis les études fondamentales du professeur Georges Levasseur consacrées aux divers aspects du principe de la légalité dans les démocraties, on sait qu’il concerne également les règles de procédure. C’est pourquoi les juristes français, tant théoriciens que praticiens, parlent aujourd’hui du principe de « la légalité de la répression ». Voici un bel exemple d’enrichissement direct du Droit par la Doctrine.

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Quelques opinions d’auteurs.

Merlin (Répertoire de jurisprudence, 1827) : V° Autorités. Lorsque les lois, les coutumes, le droit écrit, la jurisprudence et les usages nous manquent, nous avons encore une ressource dans l’opinion des jurisconsultes qui ont traité la question qui nous est posée.

En fait d’opinions, nous devons savoir gré à ceux qui, en prévenant nos difficultés, ont cherché à les résoudre. Quoique l’avis d’un jurisconsulte ne soit pas une loi écrite, son sentiment ne laisse pas d’être souvent d’un grand poids. Ce qui est médité et approfondi par un auteur qui ne s’attache qu’à connaître le juste et le vrai mérite une attention particulière. Il faut être bien sûr de ses propres lumières, pour se persuader que ce que l’on pense soit meilleur que ce qu’il a cru. Souvent c’est une présomption de soi-même dont il est sage de se défier. La jurisprudence est subordonnée à des lois et à des principes que l’on ne peut connaître que par une étude particulière. Le plus instruit est celui qui raisonne le mieux en suivant ses lois et ses principes. Ceux qui en ont fait l’objet de leur application méritent donc, sans contredit, une estime et une confiance auxquelles n’ont pas droit de prétendre ceux qui ne sont connus que par des discussions auxquelles ils ne se sont livrés que par intérêt ou prévention.

Il est vrai que les auteurs ne sont pas infaillibles, puisque nous les voyons souvent opposés les uns aux autres ; mais aussi faut-il convenir que jusqu’à ce que leurs opinions soient combattues par d’autres auteurs également accrédités, il est toujours plus sûr de se ranger à leur avis que de s’en rapporter à son propre jugement. On doit présumer qu’ils ont perçu les raisons qui nous frappent, et que d’autres raisons plus solides, que nous ne connaissons pas, les ont déterminés… La présomption est toujours pour ceux qui ont traité la matière à fond.

Lorsque les auteurs se contrarient, ce n’est pas toujours l’opinion du plus grand nombre qu’il convient d’adopter. Les opinions, en pareil cas, s’apprécient et ne se comptent pas. Il peut se faire qu’un seul ait raison pendant que dix autres auront erré. C’est alors, qu’aidé du savoir et de l’érudition, l’esprit peut montrer tout ce que peut la sagacité et la justesse du raisonnement.

Mais, en parlant des opinions, d’où vient qu’elles sont si diverses, pendant que la vérité n’est qu’une ? Les causes de cette diversité viennent de l’esprit qui se trompe et du cœur qui se persuade de ce qu’il désire…

Comme les erreurs en jurisprudence sont dangereuses et souvent irréparables, on ne saurait donc trop prendre soin de consulter les Autorités qui peuvent conduire à une décision. Les lois, les arrêts, les coutumes et les usages doivent être notre première boussole ; lorsque ce secours nous manque, et que nous sommes obligé de recourir à une opinion, préférons toujours celle de nos savants, de ces hommes laborieux qui nous ont laissé le fruit de leurs recherches et de leurs méditations : leur suffrage est toujours le moins suspect.

Jhering (L’esprit du droit romain) : L’éducation juridique plane au dessus du droit national ; elle rallie comme sur un terrain neutre, international, les juristes de toutes les contrées et de toutes les langues. Les objets de leurs connaissances, les institutions et les droits des pays diffèrent, mais la manière de les considérer et de les concevoir est identique. Les vrais juristes de tous les pays et de toutes les époques parlent la même langue.

Carrara (Cours de droit criminel) : La science du droit pénal doit être indépendante de toute disposition de la loi humaine, et être uniquement dirigée par les règles de la raison absolue. La science pénale que nous devons étudier tâche de lire la vérité dans le code invariable de la raison. La comparaison des droits établis n’est qu’un complément de notre science.

Planiol et Ripert (Droit civil) : On appelle « doctrine » les opinions et les idées émises par les jurisconsultes dans leurs ouvrages. De tous temps les jurisconsultes français ont poussé notre droit vers l’unité. Il ne suffirait pas, pour expliquer cette tendance, de rappeler le goût naturel de l’esprit français, qui aime les choses simples, qui recherche l’ordre et la régularité. Il est, du reste, fort douteux que cet esprit existât avant le XVIe siècle. Deux grandes influences sociales ont agi dans le même sens. L’une était l’enseignement des Universités, essentiellement fondé sur des législations unitaires (droit romain et droit canonique)… L’autre influence était le régime monarchique, qui se centralisait de plus en plus et tendait à la monarchie absolue ; les légistes ont été les serviteurs dévoués des rois dans cette œuvre.

La doctrine joue dans la science du droit à peu près le même rôle que l’opinion publique en politique, et ce rôle est considérable ; c’est elle qui donne l’orientation ; elle prépare de loin beaucoup de changements de législation et de jurisprudence par l’influence de l’enseignement. Même quand elle est fixée, la doctrine ne constitue pas une source du droit comme la jurisprudence, parce que les commentateurs ne possèdent aucun pouvoir de contrainte. Cependant c’est dans leurs livres, c’est par eux que se transmettent les principes scientifiques et les idées juridiques dont l’autorité domine la pensée des juges et du législateur lui-même.

Hauriou (Aux sources du droit) : Dans nos universités, les chaires sont muettes sur le droit naturel. Dans le livre récent que M. F. Gény a consacré à une intéressante revue des doctrines sur ce point, nous voyons que les tout derniers essais tendent à la renaissance d'un droit naturel évolutif à contenu variable. Quelle dérision et quel aveu d'impuissance! Un idéal variable, et par conséquent, relatif, alors que, par définition, un idéal doit être absolu ! Il n'y a pas plus de doctrine socialiste que de doctrine universitaire. La tradition de notre grand idéaliste Proudhon a été abandonnée ; il croyait en un idéal de justice universel et absolu, qui se révélait progressivement au cours d'une certaine évolution de l'humanité, mais qui préexistait à celle-ci et n'était pas déterminé par elle ; aujourd'hui, nos collectivistes, intoxiqués par la doctrine marxiste du matérialisme de l'histoire, admettent que c'est l'évolution économique de l'humanité qui détermine a posteriori les formes de l'idéal, que, par conséquent, celui-ci est évolutif et à contenu variable.

En somme, dans l'école socialiste comme dans l'école officielle, l'état d'esprit évolutionniste a porté un coup mortel à la doctrine du droit naturel. Cela ne fût pas arrivé si l'on eût réfléchi que l'évolution est compatible avec une certaine fixité des espèces et que le droit naturel humain et universel n'est pas autre chose que le droit de l'espèce humaine. Mais la perspective qui établissait les bases du droit naturel dans les caractères de l'espèce humaine, et qui en faisait une sorte de loi de l'espèce, fut perdue de vue dès le dix-septième siècle.

Jimenez de Asua (Traité de droit pénal) : L’Université a peu à peu perdu sa mission première, qui est de former des hommes cultivés et de travailler dans l’unité de la science ; elle est en train de se convertir en un organisme bureaucratique avec des Facultés et des Écoles indépendantes qui, en de nombreux pays, ne remplissent même plus la tâche de former des professionnels compétents.

Il est urgent de rendre à l’Université ses objectifs légitimes et de lui procurer les moyens d’assurer sa quadruple fonction : a) professionnelle, b) culturelle, c) de recherche scientifique, d) de formation des équipes dirigeantes.

Carbonnier (Droit civil) : On entend par doctrine les opinions émises par les auteurs dans leurs ouvrages, le droit tel que le conçoivent les théoriciens. Ou, si l’on a égard au contenant plutôt qu’au contenu, la doctrine est l’ensemble des ouvrages juridiques, la littérature du droit. Sous les différents modes d’expression qu’elle utilise, la doctrine joue un rôle dans la création du droit en tant qu’autorité, qu’inspiratrice.

Marty et Raynaud (Droit civil) : Le rôle de la doctrine est d’ordre scientifique. Elle clarifie et ordonne le droit existant ; elle esquisse et inspire le droit à venir. Mais on ne peut dire que les opinions qu’elle émet constituent par elles-mêmes des règles juridiques.

Malaurie (Droit civil) : La doctrine est le miroir du droit : elle l’explique tout entier, en dégageant les idées, les facteurs et les principes qui l’animent. Elle est un miroir critique, ou devrait l’être ; car elle se renie si, comme souvent aujourd’hui, elle n’est que technique, en s’affichant positiviste, en liant le droit à l’État et en le détachant de tout fondement moral… Ce positivisme accepte et justifie toutes les tyrannies. Elle est le miroir vivant du droit ; car elle est, comme le droit tout entier, une logique de l’action, un va et vient entre la règle abstraite et ses applications concrètes

Pradel (Droit pénal général) : Parmi les sources du droit, on pense d’abord à la doctrine. Ainsi, par exemple, la formule de la Cour de cassation selon laquelle « la détention purement matérielle non accompagnée de la remise de possession n’est pas exclusive de l’appréhension qui constitue un élément du délit de vol » lui a été inspirée par E.Garçon. Il n’en demeure par moins que la doctrine n’est, en réalité, qu’une autorité, pas une source. Elle n’a d’ailleurs d’autre autorité que celle que lui assure son art de convaincre et son aptitude à orienter le droit positif.

Signe de fin