DICTIONNAIRE DE DROIT CRIMINEL
- Professeur Jean-Paul DOUCET -
Lettre D
(Douzième partie)
DOCTRINE
Cf. Arrêtiste*, De lege ferenda, de lege lata*, Déterminisme*,
Digeste*, Enseignement (du droit)*, Idéologie*,
Immunité scientifique*, Jurisconsultes*, Libre arbitre*, Philosophie du droit*,
Philosophie morale*, Phrénologie*, Science criminelle*,
Sources du droit*, Techniques juridiques*, Théologie
morale*, Ulpien*, Université*.
Voir en particulier la préface de Maurice Garçon*
faisant honneur à la rigueur scientifique de son père.
Voir : Doucet, La doctrine est-elle une source du droit ?
Voir : Doucet, La jurisprudence est-elle une source du droit ?
Voir : Doucet, L'enseignement du droit criminel dans une société libérale (article soulignant la nécessité de faire prévaloir la science criminelle sur le droit positif, si l'on souhaite protéger la société des entreprises totalitaires)
Voir : Doucet, Comment allier la recherche et l'enseignement, à la mémoire du professeur G. Levasseur
Voir : Doucet, La technique de la dissertation et de l'exposé
Blasons de quelques Universités
Sceaux de quelques Universités
Devises de quelques Universités
Voir : Von Jhering, « L’esprit du droit romain »
Voir : J.-A. Roux, Critique de la théorie de la peine justifiée
- Notion. Dans un
sens large, le mot doctrine désigne l’ensemble des
écrits publiés par des juristes de formation, théoriciens
ou praticiens, que ce soit dans des livres, des articles ou des
notes d'arrêts.
Dans un sens étroit, le terme Doctrine vise l'œuvre
de quelques éminents auteurs, portant sur la procédure, le
droit pénal général ou le droit pénal spécial et ayant pénétré
jusqu'aux ressorts profonds de leur sujet à travers le temps et
l'espace . De nos jours, un
juriste n’entre guère dans le
cercle très fermé de la Doctrine qu’à titre posthume, quand l’ensemble de son œuvre atteste de
l'étendue de sa culture, de la rigueur de ses analyses et de
l’élévation de sa pensée. Tel fut le cas pour Muyart de Vouglans* et Jousse* en ce qui concerne l'Ancien
droit français ; tel est le cas pour Faustin Hélie*
au regard de la procédure pénale, pour Ortolan*
quant au droit pénal général, pour Garçon* et R.Garraud*
au regard du droit pénal général et du droit pénal spécial, et
récemment pour André Vitu*
grâce à son Traité de droit pénal spécial. C'est à eux on peut
accorder le titre éminent de Jurisconsultes*
; autant dire qu'il n'y en a guère plus qu'un ou deux par
siècle.
Ripert (Droit civil) : On appelle « doctrine » les opinions et les idées émises par les jurisconsultes dans leurs ouvrages.
Marty et Raynaud (Droit civil, T. I) : La doctrine est constituée par les travaux des juristes, tels que professeurs, magistrats ou praticiens.
Alland et Rials (Dictionnaire de la culture juridique). V° Doctrine, par Beaud : Selon une définition usuelle qui présente l'avantage de la simplicité, la doctrine serait l'ensemble des études publiées par les juristes sur la création du droit et l'interprétation du droit.
Il ne faut pas confondre la doctrine dans son ensemble, constituée de personnes ayant étudié de manière approfondie telle ou telle partie de la science criminelle, et l'intelligentsia, composée de théoriciens du droit autoproclamés.
Brian-Chaninov (Histoire de la Russie) : Des intellectuels russes, ou plutôt ce sous-produit de l'intellectuel qu'on nomme là-bas intelliguént, et qui n'est bien souvent qu'un primaire présomptueux, voulurent forcer la main au gouvernement.
- Fonction. Sur ce point, voir notre étude visée ci-dessus : La doctrine est-elle une source du droit ? La Doctrine pure apparaît comme une fonction sociale autonome, combinant recherche et enseignement ; elle se consacre totalement à l'étude et à l'exposé de la science criminelle. Dans l'idéal, elle devrait s’exercer indépendamment de toute activité intéressée susceptible de la détourner de sa mission. On peut déplorer que, en raison de sa nécessaire indépendance d’esprit, elle soit souvent mal vue du pouvoir en place (à moins que, dépourvue de tout sens moral comme Merlin de Douai*, elle ne se borne à exposer servilement le droit positif).
Ordonnance de Blois de mai 1579, rendue par Henri III sur les
plaintes et doléances des États-généraux assemblés à Blois en 1576. Art. 74 : Défendons à tous principaux des universités, régents et pédagogues, se
s'entremettre à solliciter procès, soit en nos Cours de Parlement, ou autres juridictions ; à peine d'être privés de leur charge de principaux et
privilèges des universités.
Commentaire de Guy Coquille : Ceci est ordonné afin qu'ils n'aient pas d'occasion de se distraire de leur principale profession, qui est d'apprendre
ou enseigner... par cet article ne leur est défendu que la sollicitation mercenaire.
Accarias (Précis de droit romain - Introduction) : Le jurisconsulte doit toujours allier le point de vue philosophique et le point de vue historique. Ce qu'est la loi, ce qu'elle a été et ce qu'elle doit être : voilà l'objet de ses recherches. Et ce qu'il y a de plus scientifique dans ce genre d'études, c'est précisément la partie critique, celle qui aboutit à dégager les éléments rationnels et durable d'un droit, à expliquer l'arbitraire de certaines institutions par des lois supérieures au caprice de l'homme, enfin à signaler les améliorations et les réformes qu'une législation exige. [ on comprend de la sorte pourquoi les régimes totalitaires privilégient l'enseignement du droit positif, au détriment du droit rationnel et naturel ]
Dictionnaire de la culture juridique (V° Doctrine par O.Beaud), après avoir évoqué le droit des purs théoriciens puis celui des commentateurs du droit positif : Il existe une troisième signification du mot doctrine : celle de science du droit ou de la pensée juridique. Selon cette troisième acception, la doctrine est l'organe de la science du droit (Bonnecase)... On l'emploi dans certains cas comme synonyme de la science juridique dans sa plus haute expression (Saleilles), ce qui lui confère une sorte de dignité, de prééminence par rapport aux autres façons de faire du droit. Prééminence reflétée dans sa définition récente de la doctrine comme "l'ensemble des personnes qui, ayant pour mission d'enseigner le droit, ont pour vocation de réfléchir sur le droit " (Gobert).
Delvolvé (in « Le mariage en questions » Paris 2014, p.255 et 259) : Le juriste ne peut rester neutre : il a un devoir critique, tant à l'égard du droit en cours d'élaboration qu'à celui du droit en vigueur. Certaines professions l'ont peut-être plus que d'autres (avocats, professeurs de droit), mais toutes sont concernées... Notre responsabilité en tant que juristes est de combattre à la fois pour le droit et par le droit.
Il est très généralement admis que la doctrine ne fait pas partie des sources officielles du droit, qu'elle se manifeste seulement comme une autorité dont le législateur, les juges et les praticiens peuvent s'inspirer. Nombre de formules énoncées par Pothier ont été reprises par le Code Napoléon. Il n'en fut pas de même avec les œuvres de Muyart de Vouglans, qui commit l'erreur politique de relever savamment les erreurs techniques commises par Beccaria.
Pradel (Droit pénal général) : La doctrine n'est, en réalité, qu'une autorité, pas une source. Elle n'a d'ailleurs d'autre autorité que celle que lui assure son art de convaincre et son aptitude à orienter le droit positif.
Desportes et Le Gunehec (Le nouveau droit pénal) : Les sources du droit pénal n'englobent pas la doctrine qui, comme en droit civil, n'est qu'une autorité. Toutefois, si la doctrine ne crée pas le droit, elle peut l'inspirer en influençant le juge ou le législateur.
Mais quelques législateurs libéraux, et quelques magistrats, ont eu la sagesse de souligner l'importance de la Doctrine.
Code civil Suisse. Art. 1 : La loi régit toutes les matières auxquelles se rapportent la lettre ou l'esprit de l'une de ses dispositions. À défaut d'une disposition légale applicable, le juge prononce selon le droit coutumier et, à défaut d'une coutume, selon les règles qu'il établirait s'il avait à faire acte de législateur. Il s'inspire des solutions consacrées par la doctrine et la jurisprudence.
Statut
de la Cour internationale de justice. Art. 38 : La Cour, dont
la mission est de régler conformément au droit international les
différends qui lui sont soumis, applique :
a. les conventions internationales, soit générales, soit
spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les
États en litige ;
b. la coutume internationale comme preuve d'une pratique
générale acceptée comme étant le droit ;
c. les principes généraux de droit reconnus par les nations
civilisées ;
d. sous réserve de la disposition de l'article 59, les décisions
judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés
des différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination
des règles de droit.
Trib.corr. Montbéliard (Gaz.Pal. 1989 II somm. 395/396) : Selon l’opinion dominante de la doctrine, confirmée par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, doit être considéré comme véhicule terrestre à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985 tout engin motorisé servant à transporter, à titre principal ou accessoire, des personnes ou des marchandises.
On peut observer que chaque auteur se consacrant à la science criminelle l'aborde dans un esprit qui lui est propre, et lui apporte ainsi des éléments originaux : l'un oriente sa réflexion vers la philosophie pénale, tandis qu'un autre s'attache à l'étude de ses techniques (législatives, judiciaires ou exécutives) ; l'un s'efforce de réaliser des synthèses, tandis qu'un autre approfondit tel ou tel point lui paraissant particulièrement digne d'intérêt. C'est cette diversité qui fait la richesse de la doctrine d'une Nation.
Bluntschli (Droit public général) : La science a moins pour mission de créer le droit que de le reconnaître. Elle puise dans les sources du droit plutôt qu'elle n'en est une elle-même. Cependant elle recèle aussi une force productrice, qui permet sous un double rapport de la ranger parmi celles-ci. En effet, elle ne se borne pas à recevoir l'apport des autres sources, à rassembler des matériaux; elle les travaille et les grandit. Du texte des lois, elle déduira des conséquences imprévues, logiquement exactes, en harmonie parfaite avec leur système, légitimes en elles-mêmes ; ou encore, non contente d'éclairer les progrès du droit coutumier, elle les complétera, les fixera et sera une heureuse transition entre ce dernier et la loi. La seconde activité de la science est encore plus importante. Les idées juridiques ne sont point encore le droit.- En les reconnaissant, en les formulant, la doctrine use de sa liberté sans influer directement sur l'ordre juridique existant. Mais petit à petit ces idées gagnent du terrain, prennent un corps, se font reconnaître comme des règles certaines, déterminantes, obligatoires, sont appliquées comme telles, et forment ainsi un droit nouveau.
Von Jhering (L’esprit du droit romain) : La construction doctrinale a pour but l’organisation des corps juridiques. Elle doit agir selon les règles suivantes : 1° La construction doctrinale doit s’appliquer exactement au droit positif. 2° La deuxième loi de la construction doctrinale est celle de l’absence de contradiction, ou de l’unité systématique. 3° La loi du beau juridique ; c’est sur lui que repose la satisfaction ou le déplaisir que certaines constructions excitent en nous.
Dictionnaire de la culture juridique (V° Chine par J.Bourgon) : Sous les Qing apparurent quelques véritables traités qui exposaient le sens des lois selon un plan original. Le plus élaborés insistaient sur les effets de structure, rapprochant des articles contenus dans des parties et portant sur des matières différentes, mais soumis à la même catégorie logique. Des extraits des commentaires faisant autorité furent graduellement intégrés aux éditions officielles du code et acquirent ainsi une telle influence que certaines instances fondaient leur décision sur ceux-ci plutôt que sur la loi. Étonnante fortune pour des textes composés par des experts sans statut officiel.
H.Mazeaud (Cours de droit civil) : Le rôle indirect de la doctrine s'exerce dans deux directions. La doctrine exerce d'abord une influence sur le législateur : les auteurs indiquent dans leurs travaux les directions dans lesquelles il convient d'orienter la législation, en signalant les textes défectueux et en suggérant des réformes... Les auteurs ont également une action sur les juges, car ils commentent les décisions qui sont rendues, et souvent les critiquent dans les notes qui paraissent dans les recueils de décisions de jurisprudence ; ainsi l'opinion d'un auteur amène parfois un revirement de jurisprudence. Les auteurs constituent de la sorte des guides pour la jurisprudence.
- Travaux de la doctrine. La doctrine se manifeste par l’enseignement oral, ou par des écrits de différentes natures.
Au premier rang figurait jadis la « somme » (telle la Somme théologique de St Thomas d’Aquin, ou la Somme rurale de
Bouthillier), où l’auteur s’efforçait de dresser un tableau complet d’une matière prise dans son ensemble. En droit criminel on a plus tard parlé du
« Répertoire », présentant l’ensemble de la matière par ordre alphabétique (tel le Répertoire de Merlin, puis le Répertoire
Dalloz). Actuellement la faveur va plutôt à l’« encyclopédie » (telle l’Encyclopédie juridique du Juris-classeur).
Au second rang apparaissent les « traités », ouvrages didactiques qui s’attachent à l’un des grands pans d’une science (ainsi le Traité
théorique et pratique du droit pénal français de R.Garraud, ou le Traité de l’instruction criminelle de Faustin Hélie).
Enfin, surtout à l’usage des étudiants, on trouve de nos jours : les « manuels », ouvrages d’un format plus aisément maniable qui expose
les notions essentielles d’une matière (Manuel de droit criminel de Fréjaville) ; les « précis », d’où sont écartés les
développements par trop théoriques (Précis de droit pénal spécial de R.Vouin) ; enfin les « mémentos », ouvrages sommaires qui se
caractérisent par une rédaction concise et une présentation faisant une grande place à la mémoire visuelle (Mémento de criminologie et science
pénitentiaire de J. Larguier).
Le lecteur prête souvent peu d’attention aux avant-propos des ouvrages juridiques ; c’est pourtant là que nombre d’auteurs exposent le plus
clairement le fond de leur pensée.
Brillon (Dictionnaire des arrêts des Parlements de France, Paris 1727) : Une préface ne doit être qu’une indication sommaire de ce qui est contenu dans un livre, et une espèce de clef que l’on présente au lecteur afin de lui en ouvrir toutes les routes, en lui abrégeant ainsi le chemin.
- Heurts et malheurs des écrits
juridiques. Tout juriste, philosophe ou autre, a bien sûr
le droit d'exposer ses idées, d'avancer des suggestions et de
chercher à se faire connaître ; que ce soit en écrivant des
livres, en publiant des articles ou en commentant des décisions
de justice. En ce qui les concerne, les universitaires et les
personnes intéressées par la science criminelle, ont même le
devoir de rendre public le résultat de leurs travaux afin qu'ils
soient soumis au crible d'une critique constructive.
Mais que les auteurs ne se bercent pas d'illusions. La quasi
totalité des travaux juridiques tombent rapidement dans l'oubli.
Rares sont ceux qui résistent, et à l'épreuve du temps, et à
l'indifférence ou à l'hostilité des continuateurs. Leur pire
ennemi résulte sans nul doute du déluge législatif qui marque la
fin d'une civilisation et qui semble rendre obsolètes tous les
écrits anciens : voyez le coup porté aux travaux des plus
prestigieux Maîtres français par la publication de nouveaux Code
pénal et de procédure pénale.
Lorsque Justinien prit conscience de la fin de l'empire romain
d'occident et des risques courus par l'empire romain d'orient
lui-même, il eut la sagesse de commander une compilation des
formules ciselées par les plus éminents jurisconsultes
œuvrant lors de l'apogée de
la civilisation romaine. C'est ainsi que les écrits de Papinien
et de ses pairs ont survécu aux invasions germaniques et, des
siècles plus tard, ont servi de socle à la renaissance des
sciences juridiques. Fasciné depuis toujours par le Digeste, je
l'ai pris pour modèle, tant pour la conception de mes livres que
pour celle du présent dictionnaire : c'est pourquoi tous sont
principalement constitués de citations ; une fois publiées sur
Internet, diffusées à travers le monde et recueillies par
quelques chercheurs, ces fragments auront une petite chance de
traverser les temps troublés qui s'annoncent.
Alland et Rials (Dictionnaire de la culture juridique). V° Obsolescence des travaux juridiques. L'auteur de cet article, G. Thuillier, énumère les sources d'obsolescence des écrits juridiques, propose quelques remèdes et conclut en ces termes : On doit mettre en garde les jeunes contre l'obsolescence... leur apprendre à se méfier de l'idéologie qui abrège la durée de vie des écrits, à se soucier de leur lecteur (et du lecteur de l'an 2050, le seul vrai juge), à ne travailler que sur des choses importantes.
Proal (La criminalité politique) Chapitre 3 - L'anarchie : Il y a des poisons pour l'esprit comme il y a des poisons pour le corps. Certaines doctrines sont de véritables posons pour l'âme ; les fausses maximes donnent aussi sûrement la mort que les substances vénéneuses. Le nombre des poisons intellectuels est aussi grand que celui des poisons physiques... N'y a-t-il pas des discours qui, semblables à l'alcool, enflamment le sang, agitent les nerfs, brûlent de cerveau et dessèchent le coeur ? [leurs auteurs encourent une grave responsabilité morale].
DOCTRINES CRIMINELLES
Cf. Déterminisme*, Enseignement*, Idéologie*, Libre arbitre*, Philosophie morale*, Politique criminelle*, Science criminelle*, Témibilité*, Utilitarisme*.
Voir : A. Prins, Développement historique du droit pénal
Au fil des siècle, d’un pays à un autre, selon le niveau de civilisation atteint, doctrine et praticiens ont conçu de manières différentes la manière d’appréhender et de traiter le phénomène criminel. Les plus notables doctrines sont les suivantes.
La doctrine traditionnelle. Pendant des siècles, le droit criminel a été principalement l’œuvre d’hommes de terrain qui s’efforçaient, au temporel d’assurer la paix publique, au spirituel d’élever le niveau moral de la population. À la peine de mort, infligée pour les crimes les plus dangereux, répondait, par exemple, pour les crimes moins graves, le pèlerinage de Rocamadour. Leurs méthodes étaient principalement empiriques.
Établissements de Saint-Louis : Parce que nous voulons que notre peuple puisse vivre loyalement et en paix, et que les uns se gardent de nuire aux autres … Pour châtier et réfréner les malfaiteurs par la voie du droit et la roideur de la justice, nous avons ordonné ces Établissements.
La doctrine du droit naturel. Les XVIIe a été marqué par un renouveau du droit naturel, dû notamment à
Grotius*, Pufendorf* et Cumberland*. Ces auteurs partent de
deux idées principales. D’abord, suivant la philosophie spiritualiste de leur époque, ils reconnaissent à l’homme la dignité essentielle du libre
arbitre : ils voient en lui un être responsable, en principe, de ses actes. Ensuite, ils considèrent logiquement que la peine doit d’abord tendre à
corriger le coupable et à lui faire perdre l’idée de retomber dans le crime, en privilégiant les remèdes sur les peines ; la peine doit de plus
avoir pour effet de dissuader quiconque de suivre ce mauvais exemple, en assurant la publicité des peines ; la peine doit enfin assurer la sécurité
publique, en faisant en sorte que le coupable ne puisse plus faire de mal à personne.
Leurs observations ont profondément inspiré les criminalistes de la fin de l’Ancien droit, en particulier Blackstone*,
Jousse* et Muyart de Vouglans*.
Voir : E. Baudin, La morale de l’État
Puffendorf (Le droit de la nature) : Le véritable but des peines en général est de prévenir les maux et les injures que les hommes ont à craindre les uns des autres. Pour cet effet, il faut, ou que celui qui a commis le crime se corrige, ou que les autres soient détournés par l’exemple de sa peine d’en commettre d’autres, ou que le coupable soit mis hors d’état de nuire désormais à qui que ce soit.
Blackstone (Commentaires sur les lois anglaises) : L’homme est un agent libre, qui a la faculté de distinguer le bien d’avec le mal, ainsi que le pouvoir de choisir entre l’un et l’autre ; et c’est ce pouvoir dont il jouit qu’on nomme la liberté naturelle.
Muyart de Vouglans (Les lois criminelles de France) : La peine a été établie à ces trois fins principales : corriger le coupable ; réparer, autant qu’il est possible, les maux que son crime a causés ; retenir les méchants par l’exemple et la crainte de semblable punition.
Le tourbillon des idées au XVIIIe siècle. S’engageant sur les chemins ouverts notamment par Hobbes, Descartes et Montesquieu*, de nombreux auteurs ont cherché à fixer les bases du droit de punir, le fondement de la répression et les buts devant être assignés à la peine. Trois doctrines ont exercé une grande influence sur la pensée de l’époque.
La doctrine de la justice absolue. Le philosophe allemand Kant reconnaît à la loi morale une valeur supérieure ; s’il en fait un impératif catégorique et absolu, il n’en constate pas moins qu’elle est dépourvue de sanction temporelle. C’est sans doute à la loi de l’État (lequel peut user de la contrainte) qu’il appartient de prendre le relais ; mais la sanction qu’appelle un crime s’impose d’abord parce qu’elle permet de rétablir au profit de la Justice éternelle un équilibre fâcheusement rompu.
Jeandidier (Droit pénal général) rappelle heureusement son apologue de l’île abandonnée : L’auteur imagine qu’une société est contrainte de quitter une île ; or au sein du groupe social existe un criminel condamné à mort. La dernière tâche de cette société est pour Kant d’exécuter ce condamné, exécution pourtant dépourvue d’utilité sociale, puisque la société se dissout.
La doctrine utilitaire. Le philosophe anglais Bentham*, pour sa part, a soutenu que la peine (comme la récompense) doit être calculée en fonction de l’utilité générale. Et celle-ci est fonction de l’intérêt que chacun peut retirer de ses actions : une bonne action doit recevoir une juste récompense, une mauvaise action doit être sanctionnée de manière telle que son auteur se retrouve perdant. Conclusion, le mal de la peine doit toujours surpasser le bénéfice retirer du crime.
Voir : Bentham, Du principe d'utilité - Of the Principle of Utility
Bentham (Théorie des peines et des récompenses) : Tout individu se gouverne, même à son insu, d’après un calcul, bien ou mal fait, de peines et de plaisirs. Préjuge-t-il que la peine sera la conséquence d’un acte qui lui plaît, cette idée agit avec une certaine force pour l’en détourner. La valeur totale de la peine lui paraît-elle plus grande que la valeur du plaisir, la force répulsive sera la force majeure ; l’acte n’aura pas lieu.
Chauveau Hélie (Théorie du code pénal) : Entraîné par cette idée que la pensée dominante des peines est l’utilité générale, Bentham enseigne que leur but principal est la prévention des délits ou l’intimidation.
La doctrine humanitariste. On peut regrouper sous ce titre les auteurs, notamment Beccaria*, qui tancèrent vivement le droit criminel en vigueur au milieu du siècle dit « des lumières ». Leurs critiques portaient sur l’excessive rigueur de certaines peines, contestaient certaines institutions, soulignaient les erreurs judiciaires de leur temps. Leurs suggestions les plus notables concernaient la légalité des délits et des peines, l’irrévocabilité des peines, le caractère accusatoire de la procédure.
Beccaria (Des délits et des peines) : La première conséquence des principes fondamentaux est que les lois seules peuvent fixer les peines de chaque délit, et que le droit de faire des lois pénales ne peut résider que dans la personne du législateur, qui représente toute la société unie par un contrat social.
L’école classique. On parle d’école classique pour désigner la doctrine pénale issue d’une combinaison équilibrée entre l’expérience des anciens criminalistes et les idéaux dégagés sous la Révolution. C’est elle qui inspira les codes napoléoniens, et plus encore les retouches qui les affinèrent pendant la première moitié du XIXe siècle. Ses principaux représentants furent, d’abord Rossi* et Ortolan*, ensuite Garçon* et Garraud*.
Voir : M. Rauter, Déduction philosophique du principe du droit criminel
Voir : L. Proal, Le crime et le libre arbitre [existence du libre arbitre, dans la conception spiritualiste]
Rossi (Traité de droit pénal) : La répression des délits par la peine n’est légitime qu’à la condition que la peine s’appliquera aux coupables, et aux coupables seulement. Mais quelle peine ? Dès qu’on dépasse d’un atome le mal mérité, il n’y a plus de justice … Où se trouve la mesure de la peine méritée ? La justice n’a d’autre mesure que la nature et la gravité du délit.
Ortolan (Éléments de droit pénal) : Le but du droit pénal, dans son expression la plus générale, n’est autre que la conservation et le bien-être social … La peine a deux buts principaux : la correction morale et l’exemple. Pour les atteindre elle doit être à la fois correctionnelle et afflictive … La correction morale n’est destinée à agir que sur un seul individu : le coupable ; l’exemple est destiné à agir sur tout le monde … L’un et l’autre but sont essentiels, la peine doit être organisée de manière à les atteindre tous les deux, chaque fois que cela est possible et nécessaire ; mais jamais celui de l’exemple ne doit être laissé de côté.
L’école positiviste. Trouvant sa source dans les travaux d’A. Comte, principalement illustrée par
Lombroso*, Ferri* et Garofalo*,
voire Lacassagne*, l’école positive criminelle
entendait révolutionner la matière pénale. Éblouie par les progrès des sciences physiques, elle crut pouvoir transposer leurs méthodes aux sciences
humaines. Deux de ses aspects retiennent particulièrement l’attention : d’une part elle voit en l’homme un simple corps physique, conditionné par sa
structure et son environnement, et de ce fait dépourvu de libre arbitre ; d’autre part elle entend protéger la société contre les justiciables
présentant un état dangereux avant qu’ils ne commettent un premier délit, et à plus forte raison avant qu’ils n’en commettent d’autres.
Au crédit de cette doctrine on peut relever qu’elle a conduit à approfondir les causes de la criminalité et à lutter contre elles. À son débit on
observe que, en niant la dignité propre à la personne humaine, et en permettant à l’État de lutter contre les « éléments dangereux », elle a
constitué un instrument terrible entre les mains des dirigeants du national-socialisme (nazisme
ou fascisme) et de l’international-socialisme (communisme
sous ses diverses formes).
Voir : R. Garofalo, Manifeste du positivisme pénal
Voir : De Lanessan, La morale naturelle [absence de libre arbitre, dans la conception matérialiste]
Voir : P. de Casabianca, Introduction au Code pénal du Royaume d'Italie de 1930
Leclercq
(Leçons de droit naturel - T.I, 2e éd.) : Le positivisme est une
attitude intellectuelle qui prétend limiter la pensée humaine à la
science positive, et qui oppose par conséquent a priori une fin de
non-recevoir à toute réflexion qui dépasse les données sensibles.
À partir du XIXe siècle, l'école positiviste s'impose
progressivement dans les milieux philosophiques. Elle prétend
résoudre le problème moral par la simple constatation des faits. La
science morale consistera à observer les faits humains et à en
déduire les lois de l'homme.
Lombroso (L’homme criminel). Préface de l’auteur : Une
contradiction singulière règne en ce monde : le juge, d’un côté sépare en quelque sorte le délinquant du délit, pour prononcer comme si le délit
était un fait complet à lui tout seul et comme s’il formait, dans la vie de l’agent, un incident dont il n’y aurait pas à craindre la répétition. Le
criminel, d’un autre côté, fait tout ce qu’il peut pour prouver au juge précisément le contraire –par la rareté du repentir-, -par l’absence de remords-,
-par la récidive répétée- ; ce qui n’est pas sans péril et sans dépense pour la société, ni sans humiliation pour cette malheureuse justice, qui
devient trop souvent un jeu d’escrime illusoire contre le crime.
En vain ceux qui approchent ou qui étudient les délinquants les trouvent-ils différents des autres hommes, faibles d’esprit et presque toujours
incapables de s’amender … les législateurs persistent à n’admettre que par exception, dans les criminels, les altérations du libre arbitre : et
seulement lorsqu’elles sont assez éclatantes pour constituer l’aliénation mentale proprement dite.
Ferri (La sociologie criminelle) : Le nom de Sociologie
criminelle, que j’ai donné à la science des délits et des peines, renouvelée par la méthode expérimentale, suivant les données de l’anthropologie et de
la statistique criminelle, a été déjà accepté … Ce livre n’est, et ne veut être, qu’une introduction élémentaire à l’étude biologique et sociologique de
la criminalité, mise au courant des principales conclusions théoriques et pratiques, auxquelles cette étude a abouti … Ce livre peut servir de trait
d’union entre « l’Homme criminel » de M. Lombroso, qui a été le point de départ de la nouvelle science et la « Criminologie » de M.
Garofalo, qui en a marqué les points d’arrivée d’ordre purement juridique.
Une nouvelle direction scientifique n’est qu’un phénomène naturel, comme tous les autres, déterminé, dans son origine et dans ses progrès, par des
conditions de temps et de lieux, qu’il faut avant tout indiquer … La philosophie expérimentale de la seconde moitié de notre siècle, surtout avec l’étude
biologique et psychologique de l’homme, et avec l’étude naturelle des sociétés, avait déjà développé un milieu intellectuel, bien favorable pour des
recherches positives sur les manifestations criminelles de la vie individuelle et sociale. A ces conditions générales s’ajouta le contraste évident et
quotidien entre la perfection métaphysique du droit criminel et l’accroissement progressif de la criminalité : et le contraste aussi entre les
théories juridiques sur le crime et les observations de la psychopathologie sur beaucoup de criminels.
Rien de plus naturel, dès lors, que la naissance d’une nouvelle école, ayant pour but d’étudier, suivant la méthode expérimentale, la pathologie
sociale dans ses symptômes criminels, pour mettre d’accord les théories des délits et des peines avec la réalité des faits quotidiens. Telle est l’école
positiviste de droit criminel, dont la thèse fondamentale n’est que l’étude de la genèse naturelle du crime dans le criminel et dans le milieu physique
et social, où il vie, pour adapter aux différentes causes les remèdes les plus efficaces.
Il ne s’agit donc pas de faire seulement de l’anthropologie, ou de la psychologie, ou de la statistique criminelle, ni d’opposer seulement des
théories juridiques abstraites à d’autres théories plus abstraites encore ; mais il s’agit de mettre l’observation de l’individu et de la société
dans leur vie criminelle, comme fondement de toute théorie sur la fonction sociale de défense contre les malfaiteurs : il s’agit en un mot de faire
de la sociologie criminelle.
Garofalo, « La criminologie ». Il intitule l’un de
ses chapitres, consacré à la procédure pénale : Lois protectrices du crime. Que la théorie pénale dominante et la
jurisprudence, d’accord avec elle, paraissent faites exprès pour protéger le criminel contre la société, plutôt que cette dernière contre le premier, le
lecteur l’a déjà vu dans les chapitres précédents. Mais, c’est dans une loi de l’État établissant les règles de l’instruction criminelle et des
jugements, que cette protection a sa plus haute expression, car c’est la loi elle-même alors, qui se charge de rendre difficile l’application des peines
établies par une autre loi, en suggérant au malfaiteur les moyens d’y échapper ou d’en retarder longtemps l’exécution.
Commençons par la distinction entre l’action publique, et l’action privée, qui est souvent fondée sur la nature objective du délit, sans aucun souci
de la perversité de l’agent … Par exemple, les attentats à la pudeur ne sont pas pour la plupart, d’action publique; ou, ce qui revient au même, la
plainte de l’offensé est absolument nécessaire pour qu’on puisse poursuivre le coupable … Tout cela, en oubliant complètement l’agent, en ne se demandant
pas le moins du monde s’il n’est pas récidiviste, si la manière dont il a préparé et accompli le délit n’est pas l’indice d’un malfaiteur dangereux … Un
simple citoyen offensé devient ainsi l’arbitre de la fonction sociale de répression, C’est à lui de juger s’il est convenable de faire subir une peine à
un violateur d’une loi sociale ; c’est à lui de décider si, pour la sûreté sociale, il faut enfermer un délinquant ou le laisser libre.
Pradel (Histoire des doctrines pénales) : Contrairement à tous leurs prédécesseurs, les Positivistes italiens enseignent que l'homme n'est pas libre, mais qu'il est déterminé par des forces sur lesquelles il n'a pas prise.
Casabianca (Introduction au Code pénal d'Italie de 1930) : Pendant la discussion du budget de la Justice devant le Sénat en 1929, le Ministre Rocco s’est écrié : « Notre Code pénal est un Code politique », et, de fait, son but primordial est d’identifier la philosophie juridique pénale avec la philosophie même du Fascisme, en ce que, bien différente de la philosophie individualiste des Encyclopédistes ou de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, et même du Code pénal français, elle oppose à l’ancienne conception du droit de punir une conception sociale, collectiviste et étatiste « du droit de conservation et de défense propre de l’État, naissant avec lui, et ayant pour objet de protéger les conditions essentielles de la vie en communs ».
La doctrine contemporaine. Notre époque est un temps d’incertitude, en raison : - d’une part de l’incapacité de la
doctrine classique, de caractère spiritualiste, à faire échec à la délinquance ; - d’autre part de la brutalité de la répression organisée à
l'inspiration de la doctrine positiviste, de caractère matérialiste. On voit périodiquement apparaître d’autres doctrines relatives au droit
criminel ; elles n’ont d’originales que le nom, et sont le plus souvent exposées dans un jargon qui n’est compris que par les initiés, et encore...
(ainsi que l'a observé Boileau : « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement »).
La règle d’or demeure celle que nous ont enseigné Confucius, Platon, Cicéron, St Thomas d’Aquin ou encore Montesquieu : il convient de suivre la
voie étroite du juste milieu qui se situe, non dans un vague marais aux rives incertaines, mais sur une très mince ligne de crête.
Au demeurant, il ne faut pas se le cacher, l'affaiblissement de la doctrine contemporaine tient aussi, : d'une part, à la dictature du "politiquement correct" qui impose aux universitaires une autocensure incompatible avec la recherche scientifique (s'il avait vécu de nos jours, Lombroso n'aurait pu publier certains de ses travaux et aurait été poursuivi au pénal pour quelques "petites phrases" tenues pour inacceptables : sur ce site j'ai dû passer sous silence certains de ses développements) ; d'autre part, au règne de la théorie du droit positif, qui permet aux auteurs prudents ou ambitieux de s'en tenir à la description de la loi et de la jurisprudence.
Boyer (1792-1912 : vers une transformation de la procédure) : La Cour de cassation profitera-t-elle de son temps libre pour s'appuyer sur une doctrine qui ne demande qu'à exister, dans ce monde juridique où la loi a pris la place de la jurisprudence, qui a elle-même pris la place de la doctrine ?
La voie idéale a été tracée par ceux qui nous invitent à retenir ce qu'il y a de bon et de vrai dans les différentes théories, pour en faire le fondement d'une doctrine de synthèse.
Fouillée (Liberté et déterminisme) : L'accord progressif des doctrines doit se faire moins par la destruction des systèmes que par leur superposition en un plus vaste édifice, dont les diverses assises se soutiennent au lieu de se nuire.
DOCTRINES POLITIQUES - Voir : Anarchisme*, Démocratie libérale*, Despotisme*, Dictature*, Monarchie*, Théocratie*.
DOCUMENTS - Voir : Contrefaçon*, Dépôts publics*, Falsification de documents*, Usage irrégulier d'un document officiel*.