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LA TECHNIQUE DE LA DISSERTATION
ET DE L'EXPOSÉ

Ce document sommaire a été établi à l’usage des étudiants,
dans le cadre des travaux pratiques de droit criminel.
Peut-être pourra-t-il être de quelque utilité
à ceux qui n’ont pas bénéficié d’un cours de rhétorique.

Voir, pour des exemples d’exercices de travaux pratiques :
Levasseur et Doucet « Le droit pénal appliqué » (éd. Cujas)

L’exercice d’une profession juridique comporte très généralement des exposés écrits ou oraux : articles ou conférences, conclusions ou réquisitions, mémoires ou plaidoiries... Il importe aux étudiants en droit de s’y préparer.

La mise au point d’un travail écrit ou d’un exposé oral obéit ici à des règles un peu particulières. Alors que, dans une conférence mondaine, l’orateur cherche surtout à briller personnellement et à séduire son public, la communication juridique doit être strictement centrée sur le sujet traité et doit tendre à emporter la conviction de lecteurs ou d’auditeurs a priori réticents voire sceptiques.

Les règles qui commandent une démonstration rigoureuse étaient autrefois enseignées au lycée dans un cours de « rhétorique », lui-même souvent complété par un cours de diction (rappelez-vous Démosthène déclamant sur une plage pour dominer le bruit de la mer).

La rigueur de la construction d’un travail juridique ne s’impose pas seulement au regard des lecteurs ou des auditeurs, elle revêt également  un intérêt majeur pour l’intéressé lui-même : l’observation scrupuleuse des règles de forme rejaillit en effet sur le fond. D’une part, les règles de forme imposent de suivre un raisonnement rigoureux ; d’autre part, elles allègent le travail de la mémoire en donnant les directions dans lesquelles il convient d’effectuer ses recherches. Plus on suit une méthode adaptée à la matière, plus on voit plus clair dans ses idées, plus on a de chances de traiter son sujet entièrement et correctement.

À la limite, la maîtrise des règles de forme permet de faire illusion et de traiter le sujet proposé même lorsque l’on n’en a qu’une connaissance limitée. Un tel excès est évidemment condamnable : l’observation des règles de forme doit demeurer un simple moyen, et ne pas devenir une fin en soi.

Ordonner son travail consiste principalement à centrer les recherches, puis l’exposé, sur le cœur même de la matière. Les développements marginaux doivent apparaître comme tels ; ils ne sauraient servir qu’à illustrer ou alléger les développements.

La première règle consiste en effet à traiter tout le sujet et rien que le sujet. Les digressions chères à Montaigne avaient leur sens dans un ouvrage visant à exposer les pensées intimes de son auteur ; dans un travail juridique elles auraient pour conséquence fâcheuse de faire perdre le fil du raisonnement.

Au demeurant, il faut observer qu’il est le plus souvent inutile de tirer à la ligne : lorsque l’on connaît son sujet, on a toujours trop de matière, on manque toujours de temps.

Quand on vient de prendre connaissance du sujet que l’on est appelé à traiter, on doit successivement l’étudier puis l’exposer, d’où la division de cette leçon en deux parties :

I  -  La préparation de l’exposé

II -  La présentation de l’exposé

I  -  La préparation de l’exposé

Nous supposons que vous avez déjà réuni les documents qui paraissent nécessaires pour traiter le sujet ; qu’il s’agisse de législation, de jurisprudence ou de doctrine, voire de philosophie morale ou de sociologie, d’histoire du droit ou de droit comparé.

Ces documents se présentent encore dans le désordre. Et c’est heureux, car il ne faut surtout pas tenter de les classer avant d’avoir fait le tour du sujet : rien n’est plus dangereux pour un exposé scientifique que de partir sur un schéma a priori (la célèbre « hypothèse de travail » concerne la pure recherche de laboratoire).

La première tâche va donc consister à effectuer un tri très provisoire et approximatif. D’un côté, ce qui semble ressortir au corps du sujet (A), de l’autre ce qui devrait entrer dans l’introduction (B). Vous observerez qu’aucun document ne doit être réservé pour la conclusion (à l’exception près d’une citation ouvrant une perspective nouvelle) ; en effet la conclusion d’un exposé juridique se limite aux quatre lettres Ce Qu’il Fallait Démontrer.

A -  L’organisation du corps de l’exposé

Si l’on veut agencer exactement les divers documents réunis, il est bon de procéder en deux temps. Dans un premier, on laisse les éléments présentant des affinités se regrouper rationnellement par petits paquets (a) ; dans un second, on s’efforce de déceler les catégories sous-jacentes qui permettent de les ordonner (b).

a) La détermination de l’ordre rationnel de la matière

La phase initiale revêt une importance telle qu’on ne saurait la surestimer. Pour asseoir un travail sur des bases solides, il importe en effet de ne pas aborder la matière avec des idées préconçues, de ne pas la plier à ses opinions. Il faut au contraire, dans toute la mesure du possible, la laisser se mettre en place, se disposer, s’organiser toute seule. L’humilité apparaît comme la vertu cardinale du chercheur ; ce que l’on a un peu trop tendance à oublier en un temps marqué par le péché d’orgueil.

Lors du tri des matériaux, on va en distinguer deux sortes. D’un côté les idées générales dominant la matière ; ce sont elles qui nourriront l’introduction et serviront de fil directeur pour l’ensemble de l’exposé. D’un autre côté les questions techniques que l’on sera amené à exposer et à discuter. Contrairement à ce qu’imaginent les novices, ce sont ordinairement ces dernières qui donnent lieu aux développements les plus denses et les plus riches : les idées générales s’exposent très souvent en quelques mots, après lesquels on demeure à court sauf à tomber dans un délayage qui ne trompe personne.

Dans chacun de ces deux groupes, on va rassembler par affinités les documents collectés. Selon le sujet, on trouvera par exemple des paquets relatifs au principe de la légalité criminelle, à l’élément matériel de l’infraction, à la question de la complicité, à la détermination de la sanction, au déclenchement des poursuites, à la preuve des faits ou au déroulement des débats.

Puis il convient de disposer les différents paquets selon un ordre logique. Certains points complexes ou délicats ne peuvent à l’évidence être correctement discutés que si d’autres points ont été préalablement exposés et éclaircis. Par tâtonnements successifs, on voit progressivement les différentes questions se mettre en place.

A ce stade du travail nous nous trouvons en présence d’une ébauche grossière, qui s’est agencée en raison de la nature des choses, sans que nous soyons activement intervenus. Il faut maintenant songer à l’affiner.

b) La détermination des divisions de l’exposé

Lors de ce deuxième temps nous allons nous tourner vers les catégories juridiques. Nous allons nous efforcer de voir à quelles idées, à quelles notions, à quelles techniques, correspondent les petits paquets que nous avons isolés et classés.

C’est le moment de se rappeler les différents plans types que la philosophie logique et la science juridique ont dégagés. Ils sont heureusement peu nombreux (d’autant qu’il est sage d’éviter le plan d’idées, trop souvent périlleux) ; voici les principaux :


Fond, forme
Nature, régime
Conditions, effets
Principe, exception
Notion, domaine, effet
Infraction, imputation, sanction
Techniques législatives, techniques judiciaires
Suivant la science criminelle, suivant le droit positif
Application dans l’espace, application dans le temps
Plan chronologique (avant, pendant et après)
Plan sorbonnard (thèse, antithèse, synthèse)

 

Par juxtapositions successives de l’ébauche obtenue ci-dessus avec ces différents plans, on va pouvoir découvrir à quel plan rationnel cette ébauche répond. Ces comparaisons successives permettent d’ailleurs de déterminer, non seulement le plan principal, mais aussi les plans de deuxième puis de troisième niveaux.

Observons que la recherche d’un plan revêt un caractère très enrichissant. D’abord, elle permet d’apposer une étiquette scientifique sur chaque question, elle la fait ainsi entrer dans un cadre juridique connu et elle aide par là même à sa compréhension. De plus, elle conduit à une meilleure délimitation du sujet. Enfin, il lui arrive de faire découvrir des lacunes dans la documentation ; par exemple, si un auteur envisage une application dans l’espace, il faut se demander s’il ne conviendrait pas de s’interroger également sur une application dans le temps.

Il ne reste plus alors qu’à habiller les titres (théoriques et abstraits) du plan qui a été retenu, afin de les adapter concrètement au sujet traité et de rendre ainsi sa présentation plus parlante. Sans entrer dans le détail, disons que les intitulés doivent être courts et précis, pour marquer la clarté de la pensée ; qu’ils doivent bien recouper le sujet, afin d’éviter les développements hors sujet ; qu’ils doivent être complémentaires, si l’on veut être sûr de ne pas oublier de traiter une partie de la matière.

Une fois le plan établi on constate parfois que certains points, isolés mais importants à signaler, ne sauraient y entrer. Il faut les renvoyer dans l’introduction, où ils seront évoqués sans que l’on ait à rompre le fil du raisonnement lors de l’exposé du cœur de la matière.

B -  L’élaboration de l’introduction

L’introduction constitue très souvent la partie la plus délicate à bâtir, car elle n’obéit pas vraiment à des règles fixes. Sa composition dépend pour beaucoup du sujet traité, et ce tant dans son contenu (a) que dans son ordonnancement (b).

a) Le contenu de l’introduction

Selon les circonstances on fait apparaître dans l’introduction :

L’intérêt théorique ou pratique du sujet (en évitant l’hyperbole)

La délimitation du sujet

La définition du vocabulaire propre à ce sujet

L’historique de la matière

Des indications de droit comparé

Des éléments philosophiques, psychologiques ou sociologiques

Les idées générales qui serviront de fils directeurs

L’indication des points de détails qui n’ont pas trouvé place dans le corps du sujet (en les rattachant à l’un des points précédents)

Enfin, l’annonce du plan.

b) L’ordonnancement de l’introduction

Du fait que le contenu de l’introduction varie profondément d’un sujet à un autre, on ne trouve ici que fort peu de règles préétablies. L’agencement d’éléments souvent nombreux, voire disparates, dépend d’une sensibilité, d’un tact, d’un doigté qui s’acquièrent avec l’expérience.

Une chose est certaine. Pour retenir l’attention du lecteur ou de l’auditeur il faut très tôt souligner l’intérêt du sujet ; en insistant sur son côté pratique s’il paraît relever de la théorie pure, en soulignant sur son côté théorique s’il paraît relever de la simple pratique.

On a coutume de dire qu’il est souhaitable de donner à l’introduction une forme d’entonnoir. Partant d’idées et de principes généraux, l’auteur se centre progressivement sur le sujet ; il passe, dirait-on au cinéma, d’un plan général à un plan serré. Mais il s’agit là d’une simple suggestion qui n’est pas adaptable à tous les sujets.

Enfin, il faut prendre soin d’employer à plusieurs reprises, au fil de cette introduction, les mots clés qui figureront dans les titres des deux ou trois parties de l’exposé. Ainsi, lorsque le plan principal est annoncé, le lecteur ou l’auditeur y est préparé et l’accueille aisément comme tout naturel.

II  -  La présentation de l’exposé

Lors de la rédaction du texte qui sera délivré, soit par écrit, soit par oral, son auteur doit observer certaines règles tant de fond (A) que de forme (B).

A -  Les règles de fond

Du point de vue de la mise en place des différents développements, il faut veiller avec un soin particulier, d’une part à les équilibrer (a) d’autre part à les enchaîner correctement (b).

a) L’équilibre des développements

Un exposé ou un discours ne doit être, ni haché par un découpage allant jusqu’au plus petit détail, ni rendu opaque par l’absence de plan lisible. Aussi, le nombre idéal de divisions et de subdivisions varie-t-il en fonction de la longueur du travail (et de sa difficulté).

D’autre part, il importe d’assurer un certain équilibre entre les différentes masses de l’exposé : serait malvenu un discours dont la première partie durerait une heure et la seconde partie dix minutes ; ce point a dû être pris en compte lors du choix du plan. Toutefois on peut encore intervenir à cet égard au niveau de la rédaction, notamment en répartissant les exemples tirés de la pratique et de la jurisprudence : on placera le cas d’espèce le plus copieux dans la partie la plus courte, et le cas d’espèce le plus bref dans la partie la plus longue.

Par ailleurs, pour tenir compte de la fatigue du lecteur, et plus encore de l’auditeur, s’il est bon de donner toute leur dimension aux premières divisions et subdivisions, il est sage de se montrer plus concis dans les derniers développements.

b) La méthode de rédaction

Quant à la panique devant la page blanche, au stade du brouillon, on peut donner un petit conseil. Ne perdez pas un temps précieux à chercher une première phase brillante ; laissez une ligne blanche et attaquez-vous tout de suite au sujet à traiter. Vous constaterez bien souvent, en passant à la rédaction définitive, que l’entame qui vous était venue spontanément est finalement la plus sûre.

Comme il a été déjà dit, d’un autre point de vue, lorsque vous traitez un sujet théorique cherchez à l’illustrer par des exemples pratiques, voire par des anecdotes plaisantes. A l’inverse, lorsque vous exposez un sujet très terre-à-terre, efforcez-vous d’élever le niveau en soulignant les principes généraux, voire les théories philosophiques auxquelles il se rattache.

Il importe plus encore d’assurer les transitions entre les différentes parties, divisions et subdivisions. À chaque passage d’une rubrique à une autre il faut, discrètement mais clairement, rappeler au lecteur ou à l’auditeur à quel point de votre exposé vous en êtes. Vous montrerez ainsi que vous suivez scrupuleusement un fil directeur, que chaque point est traité au moment où il doit l’être, et que vous maîtrisez parfaitement votre sujet.

B -  Les règles de forme

Il convient de  distinguer ici entre le vocabulaire (a) et le style (b).

a) Le vocabulaire

Que l’on voit en lui un art ou une science, le droit s’exprime nécessairement par un vocabulaire technique. Aussi le juriste se trouve-t-il quelque peu limité dans le choix des mots qu’il lui est loisible d’employer. Aux moments clefs de sa démonstration, il doit nécessairement recourir au terme consacré ; c’est seulement dans les passages dépourvus d’ambiguïté qu’il peut utiliser des synonymes afin d’éviter de trop nombreuses répétitions.

Ceci étant, évitez les termes obscurs, abscons, abstrus. Un langage amphigourique ne fait le plus souvent que mal masquer le vide de la pensée ; il ne peut guère faire illusion qu’auprès de ceux qui ignorent la matière traitée.

À tout moment, il importe de rechercher le mot juste. Ce mot juste qui présente d’immenses avantages : d’une part il aide l’auteur à préciser sa pensée et à rendre son raisonnement plus rigoureux ; d’autre part il facilite la compréhension du texte par le lecteur ou l’auditeur. Un petit conseil, évitez de mettre un mot mal choisi entre guillemets, ce signe ne fait ordinairement que rendre plus évident votre manque de vocabulaire.

D’autre part, ne croyez pas qu’en créant des mots nouveaux vous créerez une science nouvelle. Ce procédé ne saurait tromper que les sots et les snobs, au détriment de la science rationnelle.

Enfin n’oubliez jamais, comme me le disait un jour un professeur tchèque, que vous avez la grande chance d’avoir à votre disposition la langue du monde la mieux adaptée aux sciences humaines. Sachez profiter de cet outil merveilleux ; ne le sacrifiez pas à la mode du vocabulaire anglo-saxon, dont les termes sont d’une imprécision calamiteuse.

b) Le style

Lors de la mise au point d’un travail écrit, et plus encore d’un discours, il faut choisir le mode sur lequel on va s’exprimer. Tout dépend évidemment de la nature du travail, du sujet traité, et de l’auditoire. Dans une conférence portant sur la protection de la vie, un ton badin serait à l’évidence mal venu. De manière générale il faut observer qu’il existe des phénomènes de modes ; ainsi, au XIXe siècle, c’est le style grandiloquent qui était prisé.

Au fil d’un discours il est sage de varier l’expression, afin d’éviter la monotonie ; comme dans une symphonie, un compositeur enchaîne mouvement vif puis mouvement lent. Les passages purement descriptifs seront exposés d’un ton paisible ; au contraire, les passages comportant des discussions pourront être soulignés par quelques envolées.

Enfin, n’oubliez pas que le français parlé est une langue dite ascendante, où la voix s’élève en fin de phrase. On perd trop tôt l’attention des auditeurs en laissant tomber sa voix avant qu’une phrase ne soit achevée.

*

Lorsque vous dominerez parfaitement l’ensemble de ces règles (mais pas avant), vous pourrez vous en dégager afin d’observer la loi principale, qui est de séduire sans nuire à la qualité scientifique.

Jean-Paul DOUCET
Caen, octobre 1969

Signe de fin