DICTIONNAIRE DE DROIT CRIMINEL
- Professeur Jean-Paul DOUCET -
Lettre L
(Troisième partie)
LÈSE-MAJESTÉ (Crime de)
Cf. Attentat*, Complot*, Despotisme*, État*, Félonie*, Haute trahison*, Monarchie*, Offense*, Outrage*, Régicide*, Résistance à l’oppression*, Trahison*, Tyrannie*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° 6, p.11 / n° I-1, p.122 / n° I-112, p.162 / n° I-124, p.177 / n° I-228, p.235
Voir : Jean-Paul Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n° 2, p.2 (note 2, arrêt Damiens) / n° I-II-II-201, p.232
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société », n° II-108, p.310
Voir : T. Hobbes, Des lois et des offenses
Voir : Benjamin de Rohan, criminel de lèse-Majesté
Voir : L’attentat de Damiens contre Louis XV
Voir : Affaire Truche de la Chaux (1762)
- Notion. Sous l’Ancien régime on nommait « crimes de lèse-Majesté humaine » les crimes commis contre la personne même du Roi ou de sa descendance (crimes de lèse-Majesté au premier chef) ou contre l’autorité de l’État (crimes de lèse-Majesté au second chef).
Hobbes (Le citoyen) : Le crime de lèse-majesté est une action ou un discours par lequel un citoyen ou un sujet déclare qu’il n’a plus la volonté d’obéir au Prince ou à la Cour que l’État a élevée à la souveraineté, ou dont il lui a commis l’administration.
Digeste, 48, 4, 1 pr. Ulpien : Un crime très proche du sacrilège est celui que l'on nomme crime de lèse-majesté.
Digeste, 48, 4, 6. Venuleius : Ceux qui auront fondu des statues ou des images de l'empereur déjà consacrées, ou fait quelque chose de semblable, sont tenus de la loi Julia sur la Majesté.
Muyart de Vouglans (Les lois criminelles de France) : Sous le nom de crimes de lèse-Majesté humaine, on comprend en général tous ceux qui attaquent, ou la personne du Souverain, ou sa souveraineté, ou bien l’honneur et la dignité de la Couronne, ou enfin son autorité, soit dans l’administration de la Justice, soit dans celle de ses Finances.
Pothier (Traité de la procédure criminelle) : Le crime de lèse-Majesté, au premier chef, est tout attentat direct contre la personne du Roi et de l’État ; tel qu’est le crime de tous ceux qui entrent dans quelque conspiration ou conjuration contre la personne du Roi ou de l’État… On appelle crime de lèse-Majesté, au second chef, les crimes qui, ne contenant point d’attentat contre la personne du Roi ou contre l’État, blessent néanmoins, soit directement, soit indirectement, le respect dû à la majesté et à l’autorité royale ; c’est pourquoi la loi déclare crime de lèse-Majesté le crime de fausse monnaie.
Dion Cassius (Histoire romaine) : Aelius Saturninus ayant composé contre lui des vers désobligeants, Tibère le traduisit devant le Sénat ; et, après qu’il eût été condamné, le fit précipiter du haut du Capitole.
Exemple (Ouest-France 30 mars 2007) : Un suisse vivant en Thaïlande avait été filmé par des caméras de sécurité, dans un état d'ébriété avancé, en train de taguer des portraits du Roi. Accusé de cinq crimes de lèse-majesté (un par portrait), il encourait une peine totalisant 75 ans de prison. Hier, un tribunal l'a condamné à vingt ans de prison.
- Persistance de ce crime. C’est sur ce modèle que l’on parlera plus tard de « crime de lèse-Nation » puis de « crime de lèse-Révolution ». Cependant, alors que le crime de lèse-Majesté tendait à prévenir des troubles nuisibles à l'ensemble de la Société, ses succédanés ne visaient qu'à maintenir au pouvoir, dans leur seul intérêt, les dirigeants en place.
Voir : Décret du 10-12 mars 1793 relatif à la formation d'un tribunal criminel extraordinaire
Voir : Décret du 17 septembre 1793 relatif à l’arrestation des gens suspects
Voir : Décret du 22 Prairial an 2 - 10 Juin 1794 concernant le Tribunal révolutionnaire
Voir : Procès de M-O de Gouges devant le Tribunal révolutionnaire
Séligman (La justice en France pendant la Révolution) : La Commune de Paris, qui avait pesé sur l'Assemblée pour l'institution d'un Tribunal de lèse-Nation, se mit en rapport avec le Châtelet par son comité de recherches. Ce comité n'était qu'un rouage de police chargé de recueillir des indices et d'accomplir les actes préliminaires des informations.
Taine (Les origines de la France contemporaine), La Révolution - Les jacobins : Jadis, il y avait des crimes de lèse-majesté royale ; maintenant il y a des crimes de lèse-majesté populaire, et on les commet lorsque, par action, parole ou pensée, on dénie ou l'on conteste au peuple une parcelle de l'autorité plus que royale qui lui appartient. Ainsi le dogme qui proclame la souveraineté du peuple aboutit en fait à la dictature de quelques-uns et à la proscription des autres.
Affaire Olympe de Gouges. Le 12 brumaire an II, devant le Tribunal révolutionnaire, comparaît Marie-Olympe de Gouges « femme de lettres » pour l’un de ses écrits intitulé « Les trois urnes ou le salut de la patrie », où elle propose de réunir des assemblées primaires pour délibérer sur la forme du gouvernement à établir : monarchie, république centralisée ou république fédéraliste. Elle est condamnée à mort pour avoir publié « des écrits tendant à l’établissement d’un pouvoir attentatoire à la souveraineté du Peuple ».
Exemple (Xiaolong, « Cité de la Poussière rouge », éd. 2008). L'histoire est probablement exacte, de toute manière j'ai des cas proches dans mon fichier : En 1975 un contre-révolutionnaire fut exécuté sur la place du Peuple pour le crime d'avoir transporté sur son dos une statue de Mao attachée par son cou de plâtre, ce que les Gardes rouges avaient interprété comme une pendaison - symbolique - du grand dirigeant.
Jules Moinaux (Les tribunaux comiques) souligne le caractère politique de l'infraction : On a vu le même substitut demander, vers la fin de l'Empire, la condamnation d'individus qui avaient crié "Vive la République !"; puis, la République rétablie, requérir contre des gens qui avaient crié : "Vive l'Empereur !".
- Raison d'être de cette incrimination. Jusqu'au moment où elle perd son énergie vitale et sa volonté d'affiner sa civilisation, une Nation lutte contre toute tentative de déstabilisation risquant de déboucher sur une guerre civile, voire sur une guerre internationale susceptible de causer sa disparition. En particulier elle protège le mieux possible celui qui l'incarne légitimement.
J.
Dutourd de l'Académie française (Le feld-maréchal von Bonaparte,
éd. 1996), Considérations sur les causes de la grandeur
des Français et de leur décadence : Nous sommes étonnés
aujourd'hui par la sévérité avec laquelle on punissait les
crimes de lèse-majesté ; le récit du supplice de Damiens au beau
milieu du siècle des Lumières fait frémir, toutefois on
chercherait vainement dans les œuvres
complètes de Voltaire un mot pour défendre ce malheureux... Pour
lui, comme pour tous, la tolérance s'arrêtait s'il était
question de porter un coup de canif à l'ordre établi... Cette
férocité, si bien admise par les défenseurs de la morale
s'explique : la velléité de tuer un roi, le plus petit geste
esquissé dans cette intention, c'était saper le fondement de la
société telle qu'elle existait, ce qui pouvait avoir pour
conséquence de susciter des soulèvements, d'engendrer le
désordre, de plonger le pays dans un chaos politique entraînant
les pires malheurs pour la communauté, le plus prévisible étant
la vulnérabilité extérieure et intérieure...
À la fin du XVIIIe siècle l'Europe était faite... et la France
avait le bonheur d'être la capitale de cet empire idéal... Louis
XIV en fut si longtemps le principal personnage que d'un bout à
l'autre du monde civilisé, on l'appelait
« le Roi », tout court, comme s'il
n'y en avait eu qu'un sur la terre.
[dans ces conditions on comprend
pourquoi quelques Princes étrangers subventionnèrent les «
Lumières » afin d'affaiblir le pouvoir de Louis XVI et de
renforcer le leur ; politique à courte vue s'il en fût !]
LETTRE ANONYME - Voir : Corbeau*, Lettre missive*.
LETTRE D’ABOLITION, DE RÉMISSION, DE PARDON...
Cf. Compulsoire*, Jussion*.
Dans l'Ancien droit, il n’appartenait qu’au souverain de faire exception, dans un cas d’espèce particulier, aux lois déclarant certains agissements
délictueux. C’est pourquoi celui qui avait commis l’un de ces actes devait demander à la Chancellerie des lettres de
grâce, au sens large, puis les faire entériner par le tribunal (Ordonnance de 1670, titre XVI).
- Pothier distinguait les lettres d’abolition, accordées pour un crime capital ; les
lettres de rémission, octroyées pour les homicides involontaires, résultant d’un cas fortuit ou commis en état de
légitime défense ; les lettres de pardon, consenties pour des délits qui ne sont pas punis de mort dans
l’abstrait et qui ne peuvent être excusés en l’espèce.
Ordonnance criminelle de 1670 (T.XVI, art. 2) : Les lettre de rémission seront accordées pour les homicides involontaires seulement, ou qui seront commis dans la nécessité d’une légitime défense de la vie.
Jousse (Traité de la justice criminelle) : Les lettres de rémission sont nécessaires toutes les fois qu’il s’agit d’un crime qui mérite la mort, mais qui se trouve dans des circonstances qui exigent que le crime soit pardonné, et que le Prince remette la peine. Tels sont les homicides commis involontairement et par un événement fortuit, ainsi que ceux commis dans le cas d’une défense nécessaire et légitime, pour sauver sa vie.
Muyart de Vouglans (Instruction criminelle) : Les lettres d’abolition sont celles que le Roi accorde de son propre mouvement à des personnes prévenues de certains crimes qualifiés, qui ne peuvent être punis d’une moindre peine que celle de mort, suivant les lois du Royaume. On les appelle ainsi parce que Sa Majesté y déclare qu’elle éteint et abolit le crime, sans que les impétrants en puissent être recherchés… Ces lettres s’obtiennent en la Grande Chancellerie, et sont contresignées par un Secrétaire d’État, et scellées du grand Sceau de cire verte à lacs de soie verte et rouge.
Toureille (Crime et châtiment au Moyen-âge) : Les premières lettres de rémission émises par la chancellerie royale datent du début du XIVe siècle... Les crimes commis par les hommes d'armes tiennent une place importante dans la collection des lettres de rémission, mais ce sont parfois leurs victimes qui doivent demander grâce, comme dans ce dossier qui rassemble trois laboureurs au cœur de la plaine de Beauce. Ces trois laboureurs, auxquels des gens de guerre avaient volé leur réserve de grain et d'avoine, profitent de ce que l'un d'entre eux est resté dans la grange pour l'assommer à coups de bâtons et le jeter dans un puits. Pour ces faits, ils demandent collectivement une rémission qu'ils obtiennent.
LETTRE DE CACHET
Cf. Arbitraire*, Arrestation*, Bastille (La)*, Liberté - Liberté physique*, Malesherbes*.
- Notion. Acte juridique de notre Ancien droit, la lettre de cachet se présentait comme une lettre close, signée
du roi et contresignée par un secrétaire d’État ; elle était scellée d’un cachet de cire, ce qui lui a donné son nom.
- La lettre de cachet avait de multiples fins, par exemple : exil dans un lieu donné, bannissement hors du pays, internement dans une
forteresse. Se situant en marge de la justice ordinaire, elle présentait un caractère arbitraire qui lui a été beaucoup reproché.
De Ferrière (Dictionnaire de droit) : La lettre de cachet est un ordre du Roi, contenu dans une Lettre, souscrite par un secrétaire d’État, et fermée du cachet de Sa Majesté. On l’appelle ainsi parce qu’elle est close ; à la différence des Lettre qui sont ouvertes, et qui sont pour cette raison appelées Lettres Patentes. Les lettres de cachet portant injonction de demeurer dans un endroit, et de n’en pas sortir, n’emportent point d’infamie, et ne touchent en rien à l’état des personnes ; en sorte que la personne concernée conserve tous ses droit pendant son exil.
Malesherbes* aurait souhaité aménager la pratique des lettres de cachet, Sénac de Meilhan lui répondit : Monseigneur, il y a là un piège tendu à votre vertu ; comment régulariser l’arbitraire ? Aujourd’hui un homme est jeté à la Bastille ; il y entre et en sort au bout de quelque temps, c’est une correction paternelle qui ne touche en rien son honneur. Mais supposez un bureau composé d’hommes vertueux qui statuent sur les demandes de lettres de cachet, alors la lettre de cachet, accordée par eux, devient une condamnation, et plus les hommes composant le bureau seront honnêtes, plus leur décision tiendra lieu de jugement. Vienne un ministre violent, votre bureau lui servira à reconstituer le tribunal de l’inquisition.
- Dans la pratique elle servait le plus souvent à assurer la police des familles, par exemple à faire enfermer quelque temps un fils indiscipliné. Ainsi, après avoir donné une correction à un homme plus âgé que lui (M. de Moans), le jeune Mirabeau fit l’objet d’une ordonnance de prise de corps pour tentative d’assassinat ; son père le mit à l’abri des poursuites, qui pouvaient aboutir à une condamnation à mort, en obtenant une lettre de cachet prescrivant qu’il fût enfermé au Château d’If (20 novembre 1774).
Desmaze (Les pénalités anciennes) rapporte une circulaire de M. de Breteuil, de 1784, relative aux lettres de cachet sollicitées par les familles : Quand vous me proposerez l'expédition d'ordres demandés par les familles, marquez-moi la durée que doit avoir la détention. Je crois qu'en général, et sauf circonstances particulières, elle ne doit pas s'étendre au-delà de deux ou trois ans pour les hommes, lorsqu'il y a libertinage ou bassesse.
Exemple. Casanova ( Histoire de ma vie, 10-11) : On me dit qu’un chevalier de St-Louis était dans l’antichambre pour me dire un mot. Je vais l’entendre, et sans me faire des exordes, il me remet un papier. Je le lis, je vois signé Louis. Ce monarque, dans sa lettre, m’ordonnait de sortir de Paris en vingt-quatre heures, et en trois semaines de son royaume, et la raison qu’il m’en donnait était que tel était son bon plaisir.
Exemple. Le 22 janvier 1786. De par le Roy, cher et bien-aimé, nous vous mandons et ordonnons de recevoir dans votre maison de Saint-Méen, le nommé François Le Mogueron, et de l’y garder pendant deux ans, de notre part, au moyen de la pension qui vous sera payée par la famille ; aussi n’y faites faute car tel est notre plaisir. Donné à Versailles. Signé : Louis ; contre-signé : Baron de Breteuil.
LETTRE MISSIVE
Cf. Corbeau*, Détournement*, Diffamation (non publique)*, Injure (non publique)*, Preuve*, Vie privée*, Violation de domicile*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Personne humaine » (4e éd.), n° II-216 et s., p.319 et s.
Voir : Grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme
Voir : Le "Corbeau" signait "L'oeil de tigre"
- Notion. On entend par lettre missive, toute correspondance adressée par une personne à une autre, rédigée sur un support matériel voire immatériel depuis l'apparition de l'informatique, et transmise par l’intermédiaire d’un porteur. Elle s'oppose au document remis de la main à la main.
Goyet (Droit pénal spécial) : La loi s'applique... aux plis clos et cachetés, à la suppression de prospectus ou circulaires, aux cartes postales et aux télégrammes.
Code pénal du Monténégro. Art. 142 (28) : Un acte, une lettre, un courrier ou un document peuvent prendre une forme électronique.
- Protection des correspondances. En tant qu’élément de la vie privée, une lettre missive est naturellement protégée par la loi pénale. Elle l'est tant contre les violations que contre les détournements et les falsifications. Il convient toutefois d'observer que la protection varie selon que l'on se trouve en présence d'un courrier clos et non d'un courrier ouvert.
Rigaux
et Trousse (Le crimes et les délits du Code pénal belge, T.II) :
Vis-à-vis des pouvoirs publics, l'inviolabilité du secret des
lettres missives constitue un corollaire obligé de la liberté de
pensée et de conscience.
Le principe de l'inviolabilité du secret des lettres s'étend à
toute correspondance, aux lettres ouvertes comme aux lettres
fermées. Peu importe qu'elles soient ou non confidentielles. On
l'a même étendu à toute espèce de correspondance, et notamment
aux correspondances par télégraphes, télégrammes ou
radiotélégraphiques [à quoi on peut ajouter : aux courriels
électroniques].
Code pénal du Japon. Art. 133 - (Ouverture illégale des lettres) : Une personne qui, sans raison valable, ouvre une lettre cachetée, sera punie d'un emprisonnement de un an au plus ou d'une amende de 200.000 yens au plus.
Code pénal du Luxembourg, art. 196 : L’apposition, sur une lettre missive, d’une fausse signature, suffit à elle seule à la perpétration du faux, sans qu’il soit nécessaire que l’écrit contienne une convention ou une disposition.
Le Code pénal français incrimine la violation de correspondances dans son art. 226-15 (art. 186-1 et 187 anciens). C’est l’art. 432-9 qui est applicable lorsque la violation est commise par une personne exerçant une fonction publique. Dans leur esprit ces textes répriment le fait, commis de mauvaise foi, soit d’ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner un tel document, soit d’en prendre frauduleusement connaissance.
Voir : Tableau des incriminations protégeant la vie privée - Tableau n°2 (selon la science criminelle)
Voir : Tableau des incriminations protégeant la vie privée - Tableau n°2 (en droit positif français)
Goyet (Droit pénal spécial) : Il n’est pas nécessaire qu’il s’agisse d’une correspondance confiée à l’Administration des postes. Il peut s’agir d’un exploit d’huissier ou d’un pli confié à un mandataire.
Cass.crim. 15 mai 1990 (Bull.crim. n°196 p.498) : La loi réprime les agissements susceptibles de priver définitivement ou momentanément les destinataires des correspondances qui leur sont adressées. La mauvaise foi résulte de la connaissance qu’a le prévenu de ce que les lettres ne lui étaient pas destinées et de ce qu’il les a volontairement conservées pour empêcher ou retarder leur transmission à leur destinataire.
Cass.crim. 19 février 2013, n° 12-81044 : Le délit de détournement de correspondance prévu par l'art. 226-15 C.pén. étant entièrement consommé au jour du détournement, le délai de prescription a couru à compter de ce jour.
- Sanction des mentions délictueuses. Lorsqu’une lettre missive non confidentielle adressée à une personne contient des imputations injurieuses ou diffamatoires contre un tiers, des poursuites peuvent éventuellement être exercées, mais seulement du chef d’Injure non publique* ou de Diffamation non publique*.
Cass.crim. 23 juin 1998 (Gaz.Pal. 1998 II Chr.crim. 187) : Les imputations diffamatoires contenues dans une lettre missive, et concernant une personne autre que le destinataire, constituent la contravention de diffamation non publique lorsqu’il est établi que cette lettre devait être communiquée à la personne visée par les imputations, et qu’elle n’avait pas un caractère confidentiel.
De manière générale, la jurisprudence relative aux lettres missives s'applique aux courriers électroniques.
Cass.crim. 24 mai 2011 (Gaz.Pal. 13 octobre 2011 note Fourment) sommaire : Des imputations diffamatoires contenues dans un courrier électronique et concernant une personne autre que le destinataire ne sont susceptibles de recevoir une qualification pénale, en l'occurrence celle de diffamation non publique, que s'il est établi que ce courrier a été adressé à ce tiers dans des conditions exclusives de tout caractère confidentiel.
- Inviolabilité des correspondances et procédure pénale. Un juge d’instruction peut ordonner la saisie d’une correspondance privée, s’il apparaît que cette mesure permettra de découvrir des indices de l’existence d’un crime ou d’un délit. Et un tribunal peut autoriser la production d'une lettre missive en tant qu'élément de preuve.
Code de procédure pénale espagnol, Art. 579 : Le juge pourra ordonner la saisie de la correspondance privée, postale et télégraphique que l’inculpé envoie ou reçoit et son ouverture ainsi que son examen, s’il a des indices d’obtenir par ces moyens la découverte ou l’établissement de la preuve d’un fait ou d’une circonstance importante de l’affaire.
Cass.crim. 13 juin 1989 (Bull.crim. n° 254 p.634) : Selon l'art. 8 de la Conv. EDH toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi. Les art. 81 et 151 C.pr.pén. permettent au juge d'instruction d'ordonner une telle mesure.
Cass.1e civ. 5 avril 2012 n° 11-14177 (Gaz.Pal. 17 mai 2012 p.25) sommaire : La cour d'appel qui retire des débats une missive trouvée dans les papiers de défunts au motif qu'elle a été produite sans l'autorisation d'autres membres de la famille ni de son rédacteur, violant ainsi l'intimité de sa vie privée et le secret de ses correspondances, sans rechercher si la production litigieuse n'est pas indispensable à l'exercice de son droit à la preuve, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, ne donne pas de base légale à sa décision au regard des articles 9 du C.civ., ensemble, les art. 6 et 8 de la Conv.EDH.
LETTRE OUVERTE
Cf. Injure*, Diffamation*, Honneur*, Lettre missive*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Personne humaine » (4e éd.), n° II-331, p.398
Une lettre ouverte est une missive qui est adressée par son auteur, non seulement à son destinataire, mais aussi à un journal, un hebdomadaire, ou toute
autre publication, afin de lui donner une large diffusion. Par sa nature même, elle revêt le caractère d’un écrit public au regard de la loi du 29
juillet 1881 sur la presse.
Si cette lettre contient des propos de nature à nuire à l’honneur et à la considération d'autrui, elle revêt donc le caractère d’une
Injure* publique. Et si ces propos reposent sur des faits apparemment susceptibles de preuve, elle constitue une
Diffamation*.
Par exception, l’injure ou la diffamation demeure privée si l’écrit litigieux constitue un document interne uniquement distribué à un groupement de
personnes liées par une communauté d’intérêts.
Cass.crim. 23 septembre 2004 (Bull.civ. II n° 423) : Une lettre ouverte a été distribuée lors de la campagne électorale dans les boîtes aux lettres des habitants de la commune … elle énonce des suppositions de nature à porter atteinte à l’honorabilité du demandeur … Ce faisant son auteur a commis une faute ouvrant droit à réparation.
Cass.crim. 24 novembre 1992 (Bull.crim. n° 385 p.1056) : La distribution d’un écrit ou d’un imprimé à diverses personnes suffit à constituer la publicité au sens de l’art. 23 de la loi du 29 juillet 1881. Il en est ainsi d’un écrit qualifié lettre ouverte adressé à chacun des élus municipaux chargés de l’administration des affaires de la commune et visant le maire à raison de sa qualité et des actes de sa fonction.
Exemple (Encyclopédie Microsoft) : Mac-Mahon adresse à Jules Simon, le 16 mai 1877, une lettre ouverte dans laquelle il remet en cause son autorité. La lettre est publiée et Jules Simon démissionne sur-le-champ.
LEVÉE DU CORPS
Cf. Mort suspecte*, Transport sur les lieux*.
« Levée du corps » : nom autrefois donné à l’acte de police judiciaire qui consistait, dès la découverte d’un cadavre, à prendre les mesures conservatoires propres à permettre de déterminer la cause de la mort. Cette procédure est aujourd’hui régie par l’art. 74 C.pr.pén.
Code de Gia Long, art. 272 (décret complémentaire) : Le fonctionnaire chargé du gouvernement du lieu se rendra immédiatement de sa personne et accompagné d’experts pour procéder aux vérifications et constatations médico-légales. Il n’est pas permis de faire transporter le blessé pour faire procéder aux constatations.
De Ferrière (Dictionnaire de droit, 1779) : Cadavre est le corps d’un homme mort. Ce mot est tiré du latin cadaver, qui vient du verbe cadere qui signifie choir, tomber. Quand on trouve un cadavre, il faut appeler les Officiers de justice, afin qu’ils dressent un procès-verbal de l’état où ils l’ont trouvé. Ce procès-verbal doit faire mention, 1° de ses vêtements et de ce qui se trouve sur lui ; 2° il doit contenir la description du corps et des blessures, s’il y en a. Il est du devoir du juge de le faire visiter par les chirurgiens, pour savoir s’il est mort d’accident, ou s’il s’est tué lui-même…
Selon Michelet, souvent partial mais cette fois crédible, l’affaire Calas commença par une levée de corps hâtive : Dés la découverte de son fils mort, la garde arrive, avec elle un certain capitoul, David, homme emporté, empressé, de grand zèle et de grand bruit. Sans procès-verbal, il enlève le cadavre, la famille, et traîne tout par les rues pleines de monde, chacun aux fenêtres : « Qu’est-ce » ; « Rien que des protestants qui ont étranglé leur fils ». On finit par comprendre que le fils s’était suicidé par pendaison, et que le père avait tenté de présenté sa mort en accident pour éviter le déshonneur ; mais c’était trop tard pour Calas, déjà condamné et exécuté.
LEX FORI
Cf. Application de la loi dans l'espace*.
La lex fori, textuellement, la « loi du for », est la propre loi du tribunal saisi. C’est elle qui s’applique, en particulier, pour déterminer la procédure à suivre.
Batiffol (Droit international privé) : La procédure à suivre dans les litiges comportant un élément international est déterminée par la loi du juge saisi, la loi du for.
Donnedieu de Vabres (Principes de droit international) : On parle principalement de lex fori dans les hypothèses où une loi pénale déterminée est appliquée parce qu’elle est la loi du juge.
Cass.crim. 21 novembre 1983 (Gaz.Pal. 1984 I Panor. 173) : Si toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité soit légalement établie, l’art. 6 de la Conv. EDH ne limite pas autrement les modes de preuve que la «loi du for» met à la disposition de la partie poursuivante pour emporter la conviction des juges.
Paris (1re Ch.) 3 mars 1994 (D. 1994 IR 100) : Selon le droit international privé anglais, les règles procédurales relèvent de la lex fori, de la loi du Tribunal saisi, en l’espèce de la loi française.
LEX IMPERFECTA
Cf. Sanction*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° 101, p.56
On parle de lex imperfecta lorsqu'une disposition émanant
du pouvoir législatif, voire du pouvoir réglementaire, indique à
la population ce qu'il convient de faire ou de ne pas faire,
mais n'assortit expressément cette prescription d'aucune sanction.
Il n'est pas certain qu'une telle loi soit vaine. Si sa
violation ne saurait autoriser une sanction civile, et à plus
forte raison une sanction pénale, elle peut fort bien emporter
une sanction disciplinaire sinon une sanction populaire.
Pufendorf (Le
droit de la nature) : Je sais bien que les
Jurisconsultes romains nous parlent de certaines Lois qu'ils
nomment imparfaites, à cause qu'elles ne comportent point de
sanction pénale. Telle est la Loi Cincinienne, dont toutes les
menaces se réduisaient à cette clause : Quiconque y
contreviendra, sera réputé avoir mal fait. Mais je m'imagine ou
que l'infamie tenait alors lieu de peine, ou qu'on laissait aux
Censeurs le pouvoir de flétrir, comme ils le jugeaient à propos,
les transgresseurs de cette loi...
On peut encore mettre au nombre des lois imparfaites cette loi
de Zaleuque : Que personne ne conçoive une haine irréconciliable
pour qui que ce soit de ses concitoyens, et que chacun se
conduise avec ses ennemis comme s'il devait se réconcilier un
jour avec eux. Quiconque agira autrement, passera dans l'esprit
de ses concitoyens pour un homme dur, sauvage et impitoyable.
Leze-Majesté - Voir : Lèse-Majesté*.