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EXTRAITS D’ARRÊTS DE LA
COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

 

Première partie :
La protection des personnes
dans la vie quotidienne

1° -  Devoir pour l’état de protéger les personnes

Cour EDH 26 mai 1993

Brannigan et autre c. Royaume-Uni (DS 1995 SC 106 note Renucci)

Il incombe à chaque État contractant, responsable de « la vie de la Nation », de déterminer si « un danger public » la menace et, dans l’affirmative, jusqu’où il faut aller pour essayer de le dissiper ;

Les États ne jouissent pas pour autant d’un pouvoir illimité en ce domaine ;

La Cour a compétence pour décider, notamment, s’ils ont excédé la «stricte mesure» des exigences de la crise ;

La marge nationale d’appréciation s’accompagne donc d’un contrôle européen ;

Quand la Cour exerce celui-ci, elle doit en même temps attacher le poids qui convient à des facteurs pertinents tels que la nature des droits touchés par la dérogation à la Conv.EDH (art. 15), la durée de l’état d’urgence et les circonstances qui l’ont créé ;

Eu égard à la nature de la menace terroriste en Irlande du Nord, à l’ampleur limitée de la dérogation et aux motifs invoqués à l’appui, tout comme à la présence de garanties fondamentales contre les abus, la Cour estime que le Gouvernement n’a pas excédé sa marge d’appréciation en considérant que la dérogation (arrestation et garde à vue des terroristes présumés) répondait aux strictes exigences de la situation…

Cour EDH 9 décembre 1994

Lopez Ostra c. Espagne (Requête n° 16798/90)

Il va de soi que des atteintes graves à l’environnement peuvent affecter le bien-être d’une personne et la priver de la jouissance de son domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale, sans pour autant mettre en grave danger la santé de l’intéressée.

Que l’on aborde la question sous l’angle d’une obligation positive de l’État - adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits de l’individu en vertu du § 1 de l’article 8 -, comme le souhaite dans son cas la requérante, ou sous celui d’une « ingérence d’une autorité publique », à justifier selon le § 2, les principes applicables sont assez voisins. Dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble, l’État jouissant en toute hypothèse d’une certaine marge d’appréciation. En outre, même pour les obligations positives résultant du § 1, les objectifs énumérés au § 2 peuvent jouer un certain rôle dans la recherche de l’équilibre voulu ...

Il ressort du dossier que la station d’épuration litigieuse fut construite en juillet 1988 par Sacursa pour résoudre un grave problème de pollution existant à Lorca à cause de la concentration de tanneries. Or, dès son entrée en service, elle provoqua des nuisances et troubles de santé chez de nombreux habitants ... Certes, les autorités espagnoles, et notamment la municipalité de Lorca, n’étaient pas en principe directement responsables des émanations dont il s’agit. Toutefois, comme le signale la Commission, la ville permit l’installation de la station sur des terrains lui appartenant et l’État octroya une subvention pour sa construction ...

De toute manière, la Cour estime qu’en l’occurrence il lui suffit de rechercher si, à supposer même que la municipalité se soit acquittée des tâches qui lui revenaient d’après le droit interne ... , les autorités nationales ont pris les mesures nécessaires pour protéger le droit de la requérante au respect de son domicile ainsi que de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 …

Il échet de constater que non seulement la municipalité n’a pas pris ,après le 9 septembre 1988 des mesures à cet effet, mais aussi qu’elle a contrecarré des décisions judiciaires allant dans ce sens. Ainsi, dans la procédure ordinaire entamée par les belles-sœurs de Mme Lopez Ostra, elle a interjeté appel contre la décision du Tribunal supérieur de Murcie du 18 septembre 1991 ordonnant la fermeture provisoire de la Station, de sorte que cette mesure resta en suspens ...

Compte tenu de ce qui précède - et malgré la marge d’appréciation reconnue à l’État défendeur -, la Cour estime que celui-ci n’a pas su ménager un juste équilibre entre l’intérêt du bien-être économique de la ville de Lorca - celui de disposer d’une station d’épuration - et la jouissance effective par la requérante du droit au respect de son domicile et de sa vie privée et familiale… Violation de l’art. 8.

Cour EDH 25 juillet 2002

(D. 2003 somm. p. 2275, Gaz.Pal. Tables 2004 v° Droits de l’homme n°3)

Le droit au respect des biens implique, pour les États membres, non seulement l’obligation négative de s’abstenir de porter atteinte au « droit de propriété des personnes physiques et morales », mais également l’obligation positive qui peut, entre autre, impliquer l’adoption de certaines mesures nécessaires pour protéger ce droit, même dans le cas où il s’agirait d’un litige entre personnes physique et/ou morales.

En particulier cela implique, pour l’État membre, l’obligation de fournir une procédure judiciaire qui soit dotée des garanties nécessaires et qui permettent aux Tribunaux nationaux de trancher efficacement et équitablement tout litige entre personnes privées.

Cour EDH 30 novembre 1999

Il est de la prérogative des États contractants d’assurer l’ordre public. Dans ce contexte, ils ont le droit de contrôler, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant par eux des traités, l’entrée et le séjour des non-nationaux.

2° -  Droit pour les intéressés de saisir un tribunal

Droit à ce que la cause soit entendue par un tribunal

Cour EDH 21 février 1975

Golder c. Royaume-Uni (Sudre et autres, « Grands arrêts de la Cour EDH » n°26)

L’art. 6, § 1 ne proclame pas en termes exprès un droit d’accès aux tribunaux. Il énonce des droits distincts mais dérivant de la même idée fondamentale et qui, réunis, constituent un droit unique dont il ne donne pas la définition précise au sens étroit de ces mots. Il incombe à la Cour de rechercher, par voie d’interprétation, si l’accès aux tribunaux constitue un élément ou aspect de ce droit…

Ainsi que le précise l’art. 31 § 2 de la Convention de Vienne, le préambule d’un traité forme partie intégrante du contexte. En outre, il offre d’ordinaire une grande utilité pour la détermination de l’« objet » et du « but » de l’instrument à interpréter. En l’espèce, le passage le plus significatif du préambule de la Conv.EDH est celui où les gouvernements signataires s’affirment « résolus, en tant que gouvernements d’États européens animés d’un même esprit et possédant un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit, à prendre les premières mesures propres à assurer la garantie collective de certains des droits énoncés dans la Déclaration universelle » du 10 décembre 1948... Si les gouvernements signataires ont décidé de « prendre les premières mesures propres à assurer la garantie collective de certains des droits énoncés dans la Déclaration universelle », c’est en raison notamment de leur attachement sincère à la prééminence du droit. Il paraît à la fois naturel et conforme au principe de la bonne foi (art. 31 § 1 de la Convention de Vienne) d’avoir égard à ce motif, hautement proclamé, en interprétant les termes de l’article 6 § 1 dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but de la Convention. Il en est d’autant plus ainsi que le Statut du Conseil de l’Europe, organisation dont est membre chacun des États parties à la Convention (art. 66 de celle-ci), se réfère à deux reprises à la prééminence du droit : une première fois dans le préambule, où les gouvernements signataires proclament leur inébranlable attachement à ce principe, et une seconde fois dans l’art. 3, aux termes duquel « tout Membre du Conseil … reconnaît le principe de la prééminence du droit ... ». Or, en matière civile, la prééminence du droit ne se conçoit guère sans la possibilité d’accéder aux tribunaux.

Le principe selon lequel une contestation civile doit pouvoir être portée devant un juge compte au nombre des principes fondamentaux de droit universellement reconnus ; il en va de même du principe de droit international qui prohibe le déni de justice. L’art. 6, § 1 doit se lire à leur lumière. Si ce texte passait pour concerner exclusivement le déroulement d’une instance déjà engagée devant un tribunal, un État contractant pourrait, sans l’enfreindre, supprimer ses juridictions ou soustraire à leur compétence le règlement de certaines catégories de différends de caractère civil pour le confier à des organes dépendant du gouvernement. Pareilles hypothèses, inséparables d’un risque d’arbitraire, conduirait à de graves conséquences contraires auxdits principes et que la Cour ne saurait perdre de vue... Aux yeux de la Cour, on ne comprendrait pas que l’art. 6 § 1 décrive en détail les garanties de procédure accordées aux parties à une action civile en cours et qu’il ne protège pas d’abord ce qui seul permet d’en bénéficier en réalité : l’accès au juge. Équité, publicité et célérité du procès n’offrent point d’intérêt en l’absence de procès.

De l’ensemble des considérations qui précédent, il ressort que le droit d’accès constitue un élément inhérent au droit qu’énonce l’art. 6 § 1. Il ne s’agit pas là d’une interprétation extensive de nature à imposer aux États contractants de nouvelles obligations : elle se fonde sur les termes mêmes de la première phrase de l’article 6 § 1, lue dans son contexte et à la lumière de l’objet et du but de ce traité normatif qu’est la Convention … ainsi que de principes généraux de droit. La Cour arrive ainsi, sans devoir recourir à des « moyens complémentaires d’interprétation» au sens de l’art. 32 de la Convention de Vienne, à la conclusion que l’art. 6 § 1 garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Il consacre de la sorte le «droit à un tribunal», dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu’un aspect. À cela s’ajoutent les garanties prescrites par l’article 6 § 1 quant à l’organisation et à la composition du tribunal et quant au déroulement de l’instance. Le tout forme en bref le droit à un procès équitable.

Cour EDH 17 janvier 2006

Barbier c. France (Requête n° 76093/01)

La Cour rappelle que le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment en ce qui concerne les conditions de la recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation.

Néanmoins, les limitations appliquées ne doivent pas restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même.

En outre, elles ne se concilient avec l’art. 6 § 1 Conv.EDH que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

Cour EDH 10 juillet 2001

Tricard c. France (Requête n° 40472/98)

D’après les art. 568 et 217, al. 3, C.pr.pén., le délai de pourvoi en cassation est de cinq jours à compter de la signification qui est faite par lettre recommandée tant que le juge d’instruction n’a pas clôturé l’information. Si la Cour EDH ne méconnaît pas la légitimité du but de la computation du délai de pourvoi, elle estime cependant que ce délai peut s’avérer insuffisant au cas où une procédure judiciaire se déroule en France métropolitaine, mais où une partie à cette procédure est domiciliée et habite effectivement hors de celle-ci, en l’occurrence en Polynésie française. La Cour de cassation a déclaré le pourvoi irrecevable comme tardif. La Cour EDH considère que, ainsi interprétée, cette exigence procédurale a empêché le requérant de tenter d’obtenir l’annulation de certaines pièces de la procédure et ainsi de se défendre efficacement dans le cadre de l’instruction ouverte à sa charge. Elle a donc porté atteinte à la substance même du droit d’accès du requérant à un Tribunal. Il y a eu violation de l’art. 6, § 1 de la Conv.EDH.

Limites au droit d’accès à un tribunal

Cour EDH 21 mai 2002

Peltier c. France (Gaz.Pal. 2002 J 1469)

La Cour rappelle que le droit à un tribunal, dont le droit d’accès constitue un aspect, n’est pas absolu : il peut donner lieu à des limitations implicites, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours. Néanmoins ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même.

Cour EDH 21 novembre 2001

Fogarty c. Royaume-Uni (Sudre et autres, « Grands arrêts de la Cour EDH » n° 27)

Le droit d’accès aux tribunaux n’est pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises car il commande de par sa nature même une réglementation par l’État. Les États contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation. Il appartient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareilles limitations ne se concilient avec l’art. 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but.

La Cour doit d’abord rechercher si la limitation poursuivait un but légitime. Elle note à cet égard que l’immunité des États souverains est un concept de droit international, issu du principe par in parem non habet imperium, en vertu duquel un État ne peut être soumis à la juridiction d’un autre État. La Cour estime que l’octroi de l’immunité souveraine à un État dans une procédure civile poursuit le but légitime de respecter le droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre États grâce au respect de la souveraineté d’un autre État.

La Cour doit déterminer ensuite si la restriction était proportionnée au but poursuivi. Elle rappelle que la Convention doit s’interpréter à la lumière des principes énoncés par la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, qui énonce en son article 31, § 3 c) qu’il faut tenir compte de « toute règle de droit international applicable aux relations entre les parties ». La Convention, y compris son article 6, ne saurait s’interpréter dans le vide. La Cour ne doit pas perdre de vue le caractère spécifique de traité de garantie collective des droits de l’homme que revêt la Convention et elle doit tenir compte des principes pertinents du droit international (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Loizidou c/ Turquie du 18 décembre 1996). La Convention doit autant que faire se peut s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles du droit international dont elle fait partie intégrante, y compris celles relatives à l’octroi de l’immunité aux États.

On ne peut dès lors, de façon générale, considérer comme une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal tel que le consacre l’art. 6 § 1 des mesures prises par une Haute Partie contractante qui reflètent des principes de droit international généralement reconnus en matière d’immunité des États. De même que le droit d’accès à un tribunal est inhérent à la garantie d’un procès équitable accordée par cet article, de même certaines restrictions à l’accès doivent être tenues pour lui être inhérentes ; on en trouve un exemple dans les limitations généralement admises par la communauté des nations comme relevant de la doctrine de l’immunité des États.

Droit à ce que la cause soit tranchée dans un délai raisonnable

Cour EDH 1er juillet 1997

Torri c. Italie (D.1997 SC 361 note Baudoux)

Le caractère raisonnable de la durée de la procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes.

Cass.crim 3 février 1993

Kemmache (Bull.crim. n° 57 p.132)

Un arrêt de la Cour EDH constatant le non-respect du délai raisonnable au sens de l’art. 6 § 1 Conv.EDH, s’il permet à celui qui s’en prévaut de demander réparation, est sans incidence sur la validité des procédures relevant du droit interne.

Droit d’obtenir l’exécution du jugement

Cour EDH 19 mars 1997

Hornsby c. Grèce (JCP 1997 II 22949)

La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’art. 6 § 1 garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil ; il consacre de la sorte le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir un tribunal en matière civile, constitue un aspect… Toutefois, ce droit serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un État contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie. En effet, on ne comprendrait pas que l’art. 6 § 1 décrive en détail les garanties de procédure — équité, publicité et célérité — accordées aux parties et qu’il ne protège pas la mise en œuvre des décisions judiciaires ; si cet article devait passer pour concerner exclusivement l’accès au juge et le déroulement de l’instance, cela risquerait de créer des situations incompatibles avec le principe de la prééminence du droit que les États contractants se sont engagés à respecter en ratifiant la Convention... L’exécution d’un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit donc être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’art. 6.

 

Chapitre I :
La protection de la dignité
de la personne humaine

§ 1 -  Interdiction de la torture

Convention EDH :

Art. 3. Interdiction de la torture. Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Cour EDH 26 octobre 2000

Kudla c. Pologne (Sudre et autres, « Grands arrêts de la Cour EDH » n° 14)

La Cour l’a dit à plusieurs reprises, l’art. 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime.

A -  L’Interdiction de la torture au sens strict

Cour EDH 18 décembre 1996

Aksoy c. Turquie (JCP 1997 Doct. 4000 n°8, Sudre)

La torture résulte d’une spéciale infamie des traitements inhumains délibérés provoquant de fort graves et cruelles souffrances.

Cour EDH 28 juillet 1999

(D. 2000 SC 179 obs. Renucci)

Constituent des actes de torture des violences physiques et mentales qui ont provoqué des douleurs et des souffrances aiguës et qui revêtent un caractère particulièrement grave et cruel.

Cour EDH 25 septembre 1997

X. c Turquie (D 1998 SC 205)

La Cour est convaincue que l’ensemble des actes de violence physique et mentale commis par un agent de l’État, sur la personne de la requérante pendant sa garde à vue et celui de viol, qui revêt un caractère particulièrement cruel, sont constitutifs de tortures interdictes par l’art. 3 Conv.EDH.

Cour EDH 11 juillet 2000

Dikme c.Turquie (Requête n° 20869/92)

L’art. 3 ne souffre aucune dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation et s’applique aux personnes détenues, quelle que soit la nature de l’infraction qui leur est reprochée.

B -  L’Interdiction des traitements
inhumains et dégradants

Gravité des traitements inhumains ou dégradants

Cour EDH 7 juillet 1989

Royaume-Uni. Soering (Sudre, Les grands arrêts de la Cour EDH, n°15)

La prohibition de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe.

Cour EDH 26 octobre 2000

Kudla c. Pologne (Sudre et autres, « Grands arrêts de la Cour EDH » n° 14)

Pour tomber sous le coup de l’art. 3, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la nature et du contexte du traitement, de ses modalités d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime.

Notion de traitement inhumain

Cour EDH 27 janvier 2005

Ramirez Sanchez c. France (D. 2005 J. 1212 note Céré) 

L’art. 3 Conv.EDH prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants. Pour tomber sous le coup de l’art. 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité dont l’appréciation dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge, de l’état de santé de la victime.

Cour EDH 25 mars 1993

Costello-Roberts c. Royaume-Uni (JCP 1994 II 22262 note Mazière)

Ne constitue pas un châtiment dégradant, contraire à l’art. 3 Conv.EDH, le châtiment corporel consistant pour le directeur d’une école privée britannique à administrer trois coups de chaussure de gymnastique à semelle de caoutchouc, sur le derrière, par dessus le short de l’élève.

Cour EDH, 24 juillet 2001

Valasinas c. Lituanie (Requête n° 44558/98)

La Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle pour tomber sous le coup de l’art. 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. Elle souligne que la souffrance et l’humiliation infligées doivent aller au-delà que celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes. Les mesures privatives de liberté s’accompagnent ordinairement de pareilles souffrance et humiliation. L’art. 3 de la Convention impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de sa dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate. La Cour estime que les conditions générales de détention à la prison de Pravieniskés n’étaient pas contraires à l’article 3 de la Convention.

Notion de traitement dégradant

Cour EDH 24 octobre 2006

Vincent c. France (Gaz.Pal. Tables 2007 v° Droits de l’homme n° 3)

Sommaire : La détention d'une personne handicapée dans un établissement où elle ne peut se déplacer et en particulier quitter sa cellule, par ses propres moyens, constitue un « traitement dégradant » au sens de l’art. 3 de la Conv.EDH.

Applications

(et voir ci-dessous : 2ème partie, chapitre 2)

Cour EDH 16 décembre 1997

Raninen c. Finlande (Requête n° 20972/92)

La Cour estime que le port des menottes ne pose normalement pas problème au regard de l’art. 3 de la Convention lorsqu’il est lié à une arrestation ou une détention légales et n’entraîne pas l’usage de la force, ni d’exposition publique, au-delà de ce qui est raisonnablement considéré comme nécessaire dans les circonstances de l’espèce. À cet égard, il importe par exemple de savoir s’il y a lieu de penser que l’intéressé opposera une résistance à l’arrestation, ou tentera de fuir, de provoquer blessure ou dommage, ou de supprimer des preuves.

Cour EDH 27 novembre 2003

X. c. France (Gaz.Pal. Tables 2004 v° Droits de l’homme, n° 5)

Le port de menottes ne pose normalement pas de problème au regard de l’art. 3 lorsqu’il est lié à une détention légale et n’entraîne pas l’usage de la force, ni l’exposition publique, au-delà de ce qui est raisonnablement considéré comme nécessaire.

A cet égard, il importe de considérer notamment le risque de fuite ou de blessure ou dommage, ainsi que le contexte en cas de transfert et de soins médicaux en milieu hospitalier.

En l’espèce, compte tenu de l’âge du requérant, de son état de santé, de l’absence d’antécédents faisant sérieusement craindre un risque pour la sécurité, des consignes écrites du directeur du centre de détention pour une surveillance normale et non renforcée, du fait que l’hospitalisation intervenait la veille d’une opération chirurgicale, la Cour estime que la mesure d’entrave était disproportionnée au regard des nécessités de la sécurité, d’autant que deux policiers avaient été spécialement placés en faction devant la chambre du requérant.

Cour EDH 9 juillet 2009

Khider c. France (Requête n° 39364/05)

La Cour a déjà eu à se prononcer sur le système français des fouilles corporelles pratiquées dans les établissements pénitentiaires, tel que prévu par l’article D. 275 du Code de procédure pénale et la circulaire du 14 mars 1986. Dans l’arrêt Frérot c/ France précité, elle a conclu que les modalités de ces fouilles n’étaient pas, d’un point de vue général, inhumaines ou dégradantes.

Toutefois, compte tenu de la fréquence notable des fouilles intégrales subies par l’intéressé en l’espèce, dont un certain nombre d’inspections anales, et du fait que, de l’avis de la Cour, celles-ci ne reposaient pas sur un « impératif convaincant de sécurité » (arrêt Van der Ven § 62), elle a conclu que les fouilles litigieuses s’analysaient en un traitement dégradant et qu’il y avait violation de l’art. 3.

Les quatorze transfèrements du requérant sur sept années de détention n’apparaissaient plus au fil du temps justifiés par de tels impératifs. La Cour n’est pas convaincue qu’un juste équilibre ait été ménagé par les autorités pénitentiaires entre les impératifs de sécurité et l’exigence d’assurer au détenu des conditions humaines de détention.

À la lumière de ces considérations, la Cour estime qu’alors qu’il faisait déjà l’objet de mesures de transferts réitérés, la mise à l’isolement pour une si longue période, combinée avec la dégradation de l’état de santé psychologique et somatique du requérant, qui d’après les certificats médicaux serait imputable aux prolongations répétées de celle-ci, entre en ligne de compte pour apprécier si le seuil de gravité requis par l’art. 3 a été atteint. Selon la Cour, les conditions de détention du requérant, classé DPS dès le début de son incarcération, soumis à des transfèrements répétés d’établissements pénitentiaires, placé en régime d’isolement à long terme et faisant l’objet de fouilles corporelles intégrales régulières s’analysent, par leur effet combiné et répétitif, en un traitement inhumain et dégradant au sens de l’art. 3. 11y a donc violation de cette disposition. Violation à l’unanimité art. 3 et 13.

Cour EDH 14 novembre 2002

M. c. France (Gaz.Pal. Tables 2003 v° Droits de l’homme n° 8)

Sommaire : Si l’on ne peut conclure à une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé, l’art. 3 Conv.EDH impose en tout cas à l’État de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté, notamment par l’administration des soins médicaux requis.

La Cour condamne la France pour traitement inhumain et dégradant en raison du maintien en détention du requérant qui a porté atteinte à sa dignité, a constitué une épreuve particulièrement pénible et causé une souffrance allant au-delà de celle que comporte inévitablement une peine d’emprisonnement et un traitement anticancéreux.

Mauvais traitements lors de l’expulsion d’un délinquant

Cour EDH 29 avril 1997

X. c. France (D. 1997 SC p.357 note Renucci)

L’expulsion d’un étranger par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’art. 3 Conv.EDH, donc engager les responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’art. 3.

Cour EDH 7 juillet 1989

Soering c. Royaume-Uni. (Sudre, Les grands arrêts de la Cour EDH, n°15)

Un ressortissant allemand, installé aux États-Unis se trouve détenu au Royaume-Uni depuis avril 1986. Accusé d’un double assassinat commis ans l’État de Virginie aux États-Unis, le gouvernement de ce pays a requis du Royaume-Uni son extradition. Celle-ci a été accordée par les autorités judiciaires britanniques, mais pas encore exécutée.

Saisie par l’intéressé, la Cour constate l’existence de raisons sérieuses de penser que s’il retournait en Virginie le requérant risquerait de se voir condamner à la peine capitale et donc, exposer au « syndrome du couloir de la mort » (période à passer, de 6 à 8 ans en moyenne). Elle estime en conséquence, que la décision de livrer le requérant aux États-Unis, si elle recevait exécution, violerait l’article 3 qui interdit l’emploi de peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Cour EDH 14 décembre 2000

Nivette c. France (Requête n° 44190/98)

Un mandat d’arrêt international fut délivré par un tribunal d’instance américain à l’encontre du requérant, de nationalité américaine, soupçonné du meurtre de sa compagne. II fut arrêté en France et placé sous écrou extraditionnel. Les autorités américaines firent une demande d’extradition auprès du ministère des Affaires étrangères français. Les juridictions françaises donnèrent un avis favorable sous réserve que les autorités américaines s’engagent à ce que la peine de mort ne soit ni requise ni appliquée à son encontre. Les juridictions se référèrent à une déclaration du procureur américain chargé de l’affaire dans laquelle celui-ci assurait qu’il ne demanderait pas la peine de mort. Le pourvoi en cassation du requérant fut rejeté. Le Conseil d’État rejeta le recours formé devant lui contre le décret d’extradition, estimant que le gouvernement avait obtenu suffisamment d’assurances de la part des autorités américaines.

Le requérant prétend en tout état de cause encourir une peine d’emprisonnement à vie incompressible pour les faits qui lui sont reprochés.

Irrecevable sous l’angle des article. 3 et 1 du Protocole n° 6 : Exposer un détenu au « syndrome du couloir de la mort » peut, dans certains cas et eu égard notamment au temps passé dans des conditions extrêmes, à l’angoisse omniprésente et croissante de l’exécution et à la situation personnelle de l’intéressé, être considéré comme un traitement dépassant le seuil fixé par l’article 3. Par ailleurs, il n’est pas exclu que la responsabilité d’un État soit engagée sur le terrain de l’article 1 du protocole n° 6 lorsqu’une personne est extradée vers un État où elle risque sérieusement d’être condamnée à mort et exécutée. En l’espèce, selon l’article 190.2 du Code pénal de Californie, la peine capitale ne peut être prononcée si une circonstance particulière n’est pas invoquée par le procureur. Or, ce dernier s’est engagé formellement, à deux reprises, à ne pas le faire. Les assurances obtenues de l’État français sont, en définitive, de nature à écarter le danger d’une condamnation à mort du requérant. Son extradition n’est donc pas susceptible de l’exposer à un risque sérieux de traitement ou peine prohibés par les présents articles : manifestement mal fondée.

§ 2 -  Interdiction de l’esclavage
et du travail forcé

Convention EDH :

Art. 4. Interdiction de l’esclavage et du travail forcé

1°. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.

2°. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire.

3°. N’est pas considéré comme «travail forcé ou obligatoire» au sens du présent article :

a) tout travail requis normalement d’une personne soumise à la détention dans les conditions prévues par l’article 5 de la présente Convention, ou durant sa mise en liberté conditionnelle ;

b) tout service de caractère militaire ou, dans le cas d’objecteurs de conscience dans les pays où l’objection de conscience est reconnue comme légitime, à un autre service à la place du service militaire obligatoire ;

c) tout service requis dans le cas de crises ou de calamités qui menacent la vie ou le bien-être de la communauté ;

d) tout travail ou service formant partie des obligations civiques normales.

Travail forcé

Cour EDH 26 juillet 2005

Silliadin c. France (D. 2006 346)

La Cour rappelle que l’art. 4 consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. Le premier paragraphe de cet article ne prévoit pas de restrictions, en quoi il contraste avec la majorité des clauses normatives de la Convention et des Protocoles n° 1 et 4.

La Cour relève que le gouvernement ne conteste pas que l’art. 4 est applicable en l’espèce. Elle estime que, conformément aux normes et aux tendances contemporaines en la matière, il y a lieu de considérer que les obligations positives qui pèsent sur les États membres en vertu de l’art. 4 de la Convention commandent la criminalisation et la répression effective de tout acte tendant à maintenir une personne dans ce genre de situation.

Il n’est pas contesté que la requérante a travaillé sans relâche chez les époux B. pendant plusieurs années, ni que ce n’est pas par sa propre volonté qu’elle l’a fait. Il est également établi que la requérante n’a perçu aucune rémunération de la part des époux B. pour le travail qu’elle a fourni.

La Cour estime que la requérante a, au minimum, été soumise à un travail forcé alors qu’elle était mineure et qu’elle a été tenue en état de servitude au sens de l’art. 4 de la Convention.

§ 3 -  l’Interdiction des discriminations

Convention EDH :

Art. 14. La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

Principes généraux

Cour EDH 27 mars 1998

Petrovic c. Autriche (D. 1999 J 141, Note Marguénaud et Mouly)

Selon la jurisprudence de la Cour, une distinction est discriminatoire au sens de l'art. 14 Conv.EDH si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n’y a pas de « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ».

Cour EDH 16 septembre 1996

Gaygusuz c. Autriche (D. 1998 J 438, note Marguénaud et Mouly)

L’art. 14 de la Conv.EDH, relatif au principe de non-discrimination, complète les autres clauses normatives de la convention et n’a pas d’existence indépendante dès lors qu’il ne vaut que pour la jouissance des droits et libertés que celles-ci garantissent.

L’attribution d’une allocation d’urgence à un chômeur, dès lors qu’elle est liée au paiement de contributions, est un droit patrimonial au sens de l’art. 1er du Protocole n° 1. Cette allocation ne peut donc être refusée au seul motif que le requérant n’a pas la nationalité du pays de résidence.

Cour EDH 23 juillet 1968

Affaire linguistique belge (Sudre et autres, « Grands arrêts de la Cour EDH », 5ème éd., n° 8)

Si la garantie de l’art. 14 n’a pas, il est vrai, d’existence indépendante en ce sens qu’elle vise, aux termes de l’art. 14, les « droits et libertés reconnus dans la Convention », une mesure conforme en elle-même aux exigences de l’article consacrant le droit ou la liberté en question peut cependant enfreindre cet article, combiné avec l’art. 14, pour le motif qu’elle revêt un caractère discriminatoire…

Il importe donc de rechercher les critères qui permettent de déterminer si une distinction de traitement donnée, relative bien entendu à l’exercice de l’un des droits et libertés reconnus, contrevient ou non à l’art. 14. À ce sujet, la Cour, suivant en cela les principes qui se dégagent de la pratique judiciaire d’un grand nombre d’États démocratiques, retient que l’égalité de traitement est violée si la distinction manque de justification objective et raisonnable. L’existence d’une pareille justification doit s’apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure considérée, eu égard aux principes qui prévalent généralement dans les sociétés démocratiques. Une distinction de traitement dans l’exercice d’un droit consacré par la Convention ne doit pas seulement poursuivre un but légitime : l’article 14 est également violé lorsqu’il est clairement établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

En recherchant si, dans un cas d’espèce, il y a eu ou non distinction arbitraire, la Cour ne saurait ignorer les données de droit et de fait caractérisant la vie de la société dans l’État qui, en qualité de Partie contractante, répond de la mesure contestée. Ce faisant, elle ne saurait se substituer aux autorités nationales compétentes, faute de quoi elle perdrait de vue le caractère subsidiaire du mécanisme international de garantie collective instaurée par la Convention. Les autorités nationales demeurent libres de choisir les mesures qu’elles estiment appropriées dans les domaines régis par la Convention. Le contrôle de la Cour ne porte que sur la conformité de ces mesures avec les exigences de la Convention.

En l’espèce, la Cour relève que l’article 14, même combiné avec l’article 2 du Protocole, n’a pas pour effet de garantir aux enfants ou à leurs parents le droit à une instruction dispensée dans la langue de leur choix. L’objet de ces deux articles, combinés entre eux, est plus limité : il consiste à faire assurer par chaque Partie contractante la jouissance du droit à l’instruction à toute personne relevant de sa juridiction sans discrimination fondée, par exemple, sur la langue.

Cour EDH 29 avril 1999

Chassagnou et autres c. France (Sudre et autres, « Grands arrêts de la Cour EDH » 5ème éd. n° 67)

Dans la mesure où la différence du traitement opéré entre les grands et les petits propriétaires a pour conséquence de réserver seulement aux premiers la faculté d’affecter leur terrain à un usage conforme à leur choix de conscience, elle constitue une discrimination fondée sur la fortune au sens de l’art. 14 Conv.EDH.

Discrimination selon le sexe

Cour JCE 26 octobre 1999

Mme Sidar c. The Army Board (D. 2000 SC 191)

Les décisions des États membres relatives à l’accès à l’emploi, à la formation professionnelle et aux conditions de travail dans les forces armées, dans le but d’assurer l’efficacité au combat, ne sont pas, de manière générale, en dehors du champ d’application du droit communautaire ;

L’exclusion des femmes en raison de la nature et des conditions de l’exercice des activités en cause du service dans des unités combattantes spéciales peut être justifiée en vertu de l’art. 2, paragr. 2, de la directive CE n° 76-207 du Conseil du 9 févr. 1976 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles et les conditions de travail.

Cour JCE 11 janvier 2000

Mme Kreil c. Bundesrepublik Deutschland (D. 2000 SC 192)

La directive CE n° 76-207 du Conseil du 9 févr. 1976 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles et les conditions de travail s’oppose à l’application de dispositions nationales excluant de manière générale les femmes des emplois militaires comportant l’utilisation d’armes et qui autorisent seulement leur accès aux services de santé et aux formations de musique militaire.

Cour JCE 11 novembre 1997

Marcschall c. Land Nordrhein-Westfalen (DS 1998 SC 211 note Rideau)

L’art. 2 § 1 et 4 de la directive CEE n° 76-207 du Conseil du traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, ne s’oppose pas à une règle nationale qui oblige, à qualifications égales de candidats de sexe différent quant à leur aptitude, à leur compétence et à leurs prestations professionnelles, à promouvoir prioritairement les candidats féminins dans les secteurs d’activité du service public où les femmes sont moins nombreuses que les hommes au niveau de poste considéré, à moins que des motifs tenant à la personne d’un candidat masculin en fasse pencher la balance en sa faveur, à condition :

- qu’elle garantisse, dans chaque cas individuel, aux candidats masculins ayant une qualification égale à celle des candidats féminins, que les candidatures font l’objet d’une appréciation objective qui tient compte de tous les critères relatifs à la personne des candidats et écarte la priorité accordée au candidats féminins, lorsqu’un ou plusieurs de ces critères font pencher la balance en faveur du candidat masculin,

- et que de tels critères ne soient pas discriminatoires envers les candidats féminins.

§ 4 -  droit à l’instruction

Convention EDH ; Protocole additionnel n° 1

Art. 2. Droit à l’instruction : Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques.

Cour EDH 7 décembre 1976

Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark (Sudre et autres, « Grands arrêts de la Cour EDH » 5ème éd. n° 56)

L’art. 2 de la Conv.EDH, qui vaut pour chacune des fonctions de l’État dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, ne permet pas de distinguer entre l’instruction religieuse et les autres disciplines. C’est dans l’ensemble du programme de l’enseignement public qu’il prescrit à l’État de respecter les convictions, tant religieuses que philosophiques, des parents.

Ainsi que l’indique sa structure même, l’art. 2 forme un tout que domine sa première phrase… Sur ce droit fondamental à l’instruction se greffe le droit énoncé par la seconde phrase de l’art. 2... C’est en s’acquittant d’un devoir naturel envers leurs enfants, dont il leur incombe en priorité d’« assurer (l’)éducation et (l’)enseignement », que les parents peuvent exiger de l’État le respect de leurs convictions religieuses et philosophiques. Leur droit correspond à une responsabilité étroitement liée à la jouissance et à l’exercice du droit à l’instruction…

Du paragraphe précédent, il résulte d’abord que la définition et l’aménagement du programme des études relèvent en principe de la compétence des États contractants. Il s’agit, dans une large mesure, d’un problème d’opportunité sur lequel la Cour n’a pas à se prononcer et dont la solution peut légitimement varier selon les pays et les époques. En particulier, la seconde phrase de l’art. 2 du Protocole n’empêche pas les États de répandre par l’enseignement ou l’éducation des informations ou connaissances ayant, directement ou non, un caractère religieux ou philosophique. Elle n’autorise pas même les parents à s’opposer à l’intégration de pareil enseignement ou éducation dans le programme scolaire, sans quoi tout enseignement institutionnalisé courrait le risque de se révéler impraticable...

La seconde phrase de l’art. 2 implique en revanche que l’État, en s’acquittant des fonctions assumées par lui en matière d’éducation et d’enseignement, veille à ce que les informations ou connaissances figurant au programme soient diffusées de manière objective, critique et pluraliste. Elle lui interdit de poursuivre un but d’endoctrinement qui puisse être considéré comme ne respectant pas les convictions religieuses et philosophiques des parents. Là se place la limite à ne pas dépasser. Une telle interprétation se concilie à la fois avec la première phrase de l’art. 2 du Protocole, avec les art. 8 à 10 de la Convention et avec l’esprit général de celle-ci, destinée à sauvegarder et promouvoir les idéaux et valeurs d’une société démocratique.

 

Chapitre II :
La protection de la vie
et de l’intégrité corporelle

Convention EDH :

Art. 2. 1°. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

§ 1 -  Principe

La protection de la vie et de l’intégrité physique, intérêt majeur

Cour EDH 27 septembre 1995

Mc Cann et autres c. Royaume-Uni (Gaz.Pal. 1996 II 532

Sommaire : L’article 2 de la Conv.EDH protégeant la vie se place parmi les articles primordiaux de la Convention.

La protection de la vie, intérêt indisponible

Cour EDH 19 février 1997

X et autres c. Royaume-Uni (D. 1998 J. 97 note Larralde)

Sommaire : Il ne saurait être reproché à des juges du fond de condamner des individus pour coups et blessures infligés entre adultes consentants dans le cadre de pratiques sadomasochistes, et ce malgré les dispositions de l’art. 8 Conv.EDH selon lesquelles toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, la Cour faisant observer que l’État n’outrepasse pas sa marge d’appréciation en protégeant ses concitoyens d’un risque réel de dommages corporels ou de blessures graves.

Début de la protection

Cour EDH 10 avril 2007

Evans c. Royaume-Uni (Gaz.Pal. Tables 2007 v° Droits de l’homme n° 1)

La loi britannique qui prohibe l’implantation d’un embryon dans l’utérus de la mère lorsque le père a retiré son consentement n’est pas contraire à la Conv.EDH. Ainsi l’art. 2 de la Convention qui protège le droit à la vie ne protège pas l’embryon. La résolution du conflit entre le droit d’être parent et le droit de ne pas être parent est laissée à l’appréciation des États membres sous réserve de la préservation d’un équilibre suffisant entre les intérêts en présence.

Cour EDH 8 juillet 2004

Vo c. France (Gaz.Pal. Tables 2005 v° Droits de l’homme n° 6)
Voir : Sudre et autres, « Grands arrêts de la Cour EDH », 5ème éd. n° 9.

75. Contrairement à l’art. 4 de la Convention américaine des droits de l’homme qui énonce que le droit à la vie doit être protégé « en général à partir de la conception », l’art. 2 de la Conv.EDH est silencieux sur les limites temporelles du droit à la vie et, en particulier, il ne définit pas qui est la «personne» dont «la vie» est protégée par la Convention. À ce jour, la Cour n’a pas encore tranché la question du commencement du droit « de toute personne à la vie », au sens de cette disposition, ni celle de savoir si l’enfant à naître en est titulaire.

Cette question n’a été soulevée pour l’instant qu’à travers les législations sur l’interruption volontaire de grossesse. Celle-ci ne constitue pas une exception au nombre de celles énumérées explicitement au § 2 de la Convention, mais elle est compatible avec l’art. 2 § 1, première phrase, selon l’ancienne Commission, au nom de la protection de la vie et de la santé de la mère parce que « si l’on admet que cette disposition s’applique à la phase initiale de la grossesse, l’avortement se trouve couvert par une limitation implicite du droit à la vie du fœtus pour, à ce stade, protéger la vie et la santé de la femme » (X. c/ Royaume-Uni).

80. (...) dans les circonstances examinées par les organes de la Convention à ce jour, à savoir les législations régissant l’avortement, l’enfant à naître n’est pas considéré comme une « personne » directement bénéficiaire de l’art. 2 de la Convention et que son « droit » à la « vie », s’il existe, se trouve implicitement limité par les droits et 1es intérêts de sa mère. Les organes de la Convention n’excluent toutefois pas que, dans certaines circonstances, des garanties puissent être admises au bénéfice de l’enfant non encore né (...).

81. La singularité de la présente affaire place le débat sur un autre plan. La Cour est en présence d’une femme qui entendait mener sa grossesse à terme et dont l’enfant à naître était pronostiqué viable, à tout le moins en bonne santé. Cette grossesse a dû être interrompue à la suite d’une faute commise par un médecin et la requérante a donc subi un avortement thérapeutique à cause de la négligence d’un tiers. La question est dès lors de savoir si, hors de la volonté de la mère agissant dans le cas d’une interruption volontaire de grossesse, l’atteinte au fœtus doit être pénalement sanctionnée a regard de l’article 2 de la Convention, en vue de protéger le fœtus au titre de cet article, Elle suppose au préalable de se pencher sur l’opportunité pour la Cour de s’immiscer dans le débat lié à la détermination de ce qu’est une personne et quand commence la vie, dans la mesure où cet article dispose que la loi protège « le droit de toute personne à la vie ».

82. Comme cela découle du rappel jurisprudentiel effectué ci-dessus, l’interprétation de l’art. 2 à cet égard s’est faite dans un souci évident d’équilibre, et la position des organes de la Convention, au regard des dimensions juridiques, médicales, philosophiques, éthiques ou religieuses de la définition de la personne humaine a pris en considération les différentes approches nationales du problème. Ce choix s’est traduit par la prise en compte de la diversité des conceptions quant au point de départ de la vie, des cultures juridiques et des standards de protection nationaux, laissant place à un large pouvoir discrétionnaire de l’État en la matière ... Il en résulte que le point de départ du droit à la vie relève de la marge d’appréciation des États dont la Cour tend à considérer qu’elle doit leur être reconnue dans ce domaine ...

85. Eu égard à ce qui précède, la Cour est convaincue qu’il n’est ni souhaitable ni même possible actuellement de répondre dans l’abstrait à la question de savoir si l’enfant à naître est une « personne » au sens de l’art. 2 de la Convention.

Fin de la protection

Cour EDH 29 avril 2002

Pretty c. Royaume-Uni (Gaz.Pal. 2002 J 1407)

Parmi les dispositions de la Convention qu'elle juge primordiales, la Cour, dans sa jurisprudence, accorde la prééminence à l'art. 2… Cet article protège le droit à la vie, sans lequel la jouissance de l'un quelconque des autres droits et libertés garantis par la Convention serait illusoire. Il définit les circonstances limitées dans lesquelles il est permis d’infliger intentionnellement la mort, et la Cour a appliqué un contrôle strict chaque fois que pareilles exceptions ont été invoquées par des gouvernements défenseurs…

Dans toutes les affaires dont elle a eu à connaître, la Cour a mis l’accent sur l’obligation pour l’État de protéger la vie. Elle n’est pas persuadée que le « droit à la vie » garanti par l’art. 2 puisse s’interpréter comme comportant un aspect négatif…

L'article 2 ne saurait, sans distorsion de langage, être interprété comme conférant un droit diamétralement opposé, à savoir un droit à mourir ; il ne saurait davantage créer un droit à l'autodétermination en ce sens qu'il donnerait à tout individu le droit de choisir la mort plutôt que la vie.

La Cour estime donc qu'il n'est pas possible de déduire de l'art. 2 de la Convention un droit à mourir, que ce soit de la main d'un tiers ou avec l'assistance d'une autorité publique.

La protection de la vie constitue un devoir pour les pouvoirs publics

Cour EDH 28 octobre 1998

Osman c. Royaume-Uni (JCP 1999 I 105 n°8 note Chr. Sudre)

La Cour note que la première phrase de l’art. 2 § 1 de la Conv.EDH astreint l’État non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction… Nul ne conteste que l’obligation de l’État à cet égard va au-delà du devoir primordial d’assurer le droit à la vie en mettant en place une législation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et s’appuyant sur un mécanisme d’application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les violations.

§ 2 -  exceptions

Convention EDH :

2°. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;

c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection.

Légitime défense de soi-même, d’autrui ou de la nation

Conditions de la légitime défense

Cour EDH 9 octobre 1997

X. et autres c. Chypre (D. 1998 SC 205 note Renucci)

Eu égard à ses constatations sur la préparation et le contrôle de l’opération de sauvetage et sur la force utilisée, la Cour conclut que, dans les circonstances de l’espèce, l’homicide du couple est la conséquence d’une force qui ne dépassait pas celle qui était absolument nécessaire pour défendre des personnes contre une violence illégale et pour effectuer une arrestation régulière.

Cour EDH 17 mars 2005

Bubbins c. Royaume-Uni (Requête n° 50196/99)

Le frère de la requérante fut abattu à son domicile par la police à l’issue d’un siège qui dura près de deux heures. M. F. avait été sommé de déposer le revolver avec lequel il semblait viser l’un des policiers. Refusant d’obtempérer, il fut abattu d’une balle par un policier. Ce n’est qu’après un examen attentif de l’arme de la victime qu’on s’aperçut qu’il s’agissait d’un revolver factice. La police saisit d’elle-même la direction des plaintes contre la police (Police Com - plaints Authority). Le rapport d’enquête de la police fut adressé au « Director of Public Prosecutions », qui conclut que rien ne justifiait des poursuites pénales contre l’un quelconque des fonctionnaires de police. La direction des plaintes contre la police confirma ces conclusions. A l’issue d’une enquête judiciaire, le coroner estima que, en droit, l’homicide légal était le seul verdict possible ; le jury se prononça en ce sens.

En droit, la Cour ne saurait substituer sa propre appréciation de la situation à celle d’un policier qui a dû réagir dans l’urgence afin de parer à un danger qu’il percevait sincèrement comme menaçant pour sa vie. Le policier s’était trouvé face à un homme qui pointait un revolver dans sa direction. L’homme avait ignoré les sommations de se rendre et, passant outre, avait à quelques reprises donné la nette impression qu’il allait ouvrir le feu. Même avant de tirer le coup de feu mortel, le policier avait lancé un dernier avertissement, resté sans effet. Dans les circonstances de l’espèce, le recours à la force meurtrière, même s’il est très regrettable, n’a pas été disproportionné et n’est pas allé au-delà de ce qui était absolument nécessaire pour éviter ce que le policier avait honnêtement perçu comme un danger réel et imminent menaçant sa vie et celle de ses collègues.

Effets de la légitime défense

Cour EDH 21 novembre 1995

Acquaviva c. France (D. 1997 SC 206 note Renucci)

Le constat de légitime défense, auquel a abouti une chambre d’accusation, privant les requérants de tout droit à agir en réparation, l’issue de la procédure est donc déterminante aux fins de l’art. 6 § 1 Conv.EDH, pour l’établissement de leur droit à réparation.

 

Chapitre III :
La protection de la vie privée

§ 1 -  protection de la vie privée en général

Convention EDH :

Art. 8. Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale …

Principe

Notion et importance du respect de la vie privée

Cour EDH 24 juin 2004

Von Hannover (Requête n° 59320/00)

La Cour rappelle que la notion de vie privée comprend des éléments se rapportant à l’identité d’une personne tels que son nom ou son droit à l’image.

De plus, la sphère de la vie privée, telle que la Cour la conçoit, couvre l’intégrité physique et morale d’une personne ; la garantie offerte par l’art. 8 de la Conv.EDH est principalement destinée à assurer le développement, sans ingérences extérieures, de la personnalité de chaque individu dans les relations avec ses semblables Il existe donc une zone d’interaction entre l’individu et des tiers qui, même dans un contexte public, peut relever de la « vie privée »…

Ayant rappelé l’importance fondamentale que revêt la protection de la vie privée pour l’épanouissement de la personnalité de chacun, la Cour affirme que toute personne, même connue du grand public, doit pouvoir bénéficier d’une « espérance légitime » de protection et de respect de sa vie privée.

Obligation pour l’État d’assurer la protection de la sphère de la vie privée

Cour EDH 19 février 1998

Guerra et autre c. Italie (D. 1998 SC 370/371 note Renucci)

La Cour européenne des droits de l’homme conçoit que la sphère de la vie privée couvre l’intégrité physique et morale d’une personne.

Si l’art. 8 Conv.EDH a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale, qui peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux.

Cependant, la Cour conclut à l’existence de telles obligations lorsqu’elle constate la présence d’un lien direct et immédiat entre, d’une part, les mesures demandées par un requérant et, d’autre part, la vie privée ou familiale de celui-ci.

C’est le cas lorsque l’État n’a pas communiqué aux requérantes des informations essentielles qui leur auraient permis d’évaluer les risques pouvant résulter pour elles et pour leurs proches du fait de résider sur un territoire exposé au danger en cas d’accident dans l’enceinte d’une usine classée dangereuse.

Domaine de la vie privée

Cour EDH 21 janvier 1999

Fressez et Roire c. France (Gaz.Pal. 1999 II 477)

Les questions patrimoniales concernant une personne menant une vie publique, tel un dirigeant d’une grande entreprise, ne relèvent pas du domaine de la vie privée.

Application

Reproduction de documents médicaux dans un jugement

Cour EDH 10 octobre 2006

L.L. c. France (Gaz.Pal. Tables 2007 v° Droits de l’homme n° 28)

Sommaire : Le requérant dénonçait la production et l’utilisation en justice, dans une procédure de divorce, de pièces médicales le concernant, sans son consentement et sans qu’un médecin expert n’eût été commis à cet effet et invoquait l’art. 8 Conv.EDH (droit au respect de la vie privée et familiale).

La Cour note qu’en fondant sa décision sur les constatations détaillées du compte rendu opératoire, et en y reproduisant les passages qu’elle estimait pertinents, la cour d’appel a divulgué et rendu publiques des données à caractère personnel au sujet du requérant…

Elle conclut de ce fait, à l’unanimité, à la violation de l’art. 8. et estime que le constat d’une violation de la Convention constitue une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral subi par le requérant.

Cas des handicapés

Cour EDH 24 février 1998

Botta c. Italie

(Gaz.Pal. Tables 1999 v° Droits de l’homme n° 16)

La Cour européenne des droits de l’homme conçoit que la sphère de la vie privée couvre l’intégrité physique et morale d’une personne.

Si l’art. 8 Conv. EDH a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale, qui peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux.

Ce n’est pas le cas en présence d’un requérant atteint d’un handicap qui revendique le droit de pouvoir accéder à la plage et à la mer loin de sa demeure habituelle pendant les vacances.

Ce droit concerne des relations interpersonnelles d’un contenu si ample et indéterminé, qu’aucun lien direct n’est envisageable entre les mesures exigées par l’État pour remédier aux omissions des établissements de bains privés et la vie privée de l’intéressé.

Cas des homosexuels

Cour EDH 22 octobre 1981

Dudgeon c. Royaume-Uni (Sudre et autres « Grands arrêts de la Cour EDH » 5ème éd. n°52)

L’accomplissement d’actes homosexuels par autrui et en privé peut heurter, choquer ou inquiéter des personnes qui trouvent l’homosexualité immorale, mais cela seul ne saurait autoriser le recours à des sanctions pénales quand les partenaires sont des adultes consentants.

Cas des transsexuels

Cour EDH 25 mars 1992

X. c. France (D.S. 1992 SC 325 note Renucci)

Saisie par un requérant transsexuel d’une plainte consécutive au refus des autorités françaises de reconnaître sa véritable identité sexuelle et, notamment, de lui accorder la modification d’état civil qu’il sollicitait, la Cour européenne des droits de l’homme estime que, le requérant se trouvant quotidiennement placé dans une situation globale incompatible avec le respect dû à sa vie privée au sens de l’art. 8 de la Conv.EDH, il y a rupture du juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu, donc infraction à l’art. 8 précité.

Cour EDH 30 juillet 1998

X. et autre c. Royaume -Uni (D. 1998 SC 370 note Renucci)

La Cour a déjà conclu que l’État défendeur n’avait pas excédé sa marge d’appréciation en ne reconnaissant pas sur le plan juridique le nouveau sexe des transsexuels opérés ;

Si elle est arrivée à cette conclusion, c’est qu’elle est convaincue qu’un juste équilibre continue d’être ménagé entre la nécessité de sauvegarder les intérêts des transsexuels comme les requérantes et celle de préserver les intérêts de la communauté en général, et que les situations où les requérantes peuvent avoir à révéler leur ancien sexe ne se produisent pas avec une fréquence telle que l’on pourrait affirmer qu’elles portent atteinte dans une mesure disproportionnée au droit des intéressés au respect de leur vie privée ;

Ces considérations qui sont également englobées dans la notion de « justification raisonnable et objective » aux fins de l’art. 14 Conv. EDH, doivent également être réputées justifier la différence de traitement réservée aux requérantes, quel que soit le groupe de référence considéré ;

La Cour conclut donc qu’aucune violation n’a été établie sur ce chef.

Publication de photographies relatives à la vie privée

Cour EDH 24 juin 2004

X. c Allemagne (Gaz.Pal. 2005 J 1213)

Il ne fait pas de doute que la publication par différents magazines allemands de photos représentant la requérante seule ou avec d’autres personnes dans sa vie quotidienne relevait de sa vie privée ; l’art. 8 Conv. EDH trouve de ce fait à s’appliquer en l’espèce.

La protection de la vie privée dont peut se prévaloir la requérante doit alors être mise en balance avec la liberté d’expression garantie par l’art. 10 de la Convention.

Si la liberté d’expression s’étend également à la publication de photos, il s’agit néanmoins d’un domaine où la protection de la réputation et des droits d’autrui revêt une importance particulière, car il est question de la diffusion non pas «d’idées» mais d’images contenant des informations très personnelles, voire intimes, sur un individu.

De plus, les photos paraissant dans la presse à sensation sont souvent réalisées dans un climat de harcèlement continu, entraînant pour la personne concernée un très fort sentiment d’intrusion dans sa vie privée et même de persécution.

Selon la Cour, l’élément déterminant, lors de la mise en balance de la protection de la vie privée et de la liberté d’expression, doit résider dans la contribution que les photos et articles publiés apportent au débat d’intérêt général.

Or, en l’espèce, il s’agit de photos représentant la requérante dans des scènes de la vie quotidienne, donc dans des activités de nature purement privée.

La Cour note à cet égard le contexte dans lequel les photos ont été prises : à l’insu de la requérante, sans son consentement et parfois de manière clandestine.

Force est de constater que la contribution au débat d’intérêt général fait défaut en l’espèce, la requérante ne remplissant pas de fonctions officielles et les photos et articles litigieux se rapportant exclusivement à des détails de sa vie privée…

Ayant rappelé l’importance fondamentale que revêt la protection de la vie privée pour l’épanouissement de la personnalité de chacun, la Cour affirme que toute personne, même connue du grand public, doit pouvoir bénéficier d’une « espérance légitime »» de protection et de respect de sa vie privée.

§ 2 -  protection du domicile

Convention EDH :

Art. 8. Droit au respect de la vie privée et familiale. 1°. Toute personne a droit au respect … de son domicile…

Notion de domicile

Cour EDH 16 décembre 1992

Niemietz c. Allemagne (D.S. 2002 SC 386/387)

Le respect de la vie privée englobe le droit pour l’individu de nouer et développer des relations avec ses semblables, et il n’y a aucune raison de principe d’en exclure les activités professionnelles ou commerciales ;

Le domicile dont le respect est assuré par l’art. 8 de la Conv.EDH peut englober le bureau d’un membre d’une profession libérale ;

Constitue donc une ingérence dans les droits reconnus à toute personne par l’art. 8 la perquisition au cabinet d’un avocat pour découvrir l’identité de l’auteur d’une lettre d’insultes et de pressions envers un magistrat dès lors que si cette ingérence est prévue par la loi et poursuit des buts légitimes, elle n’est pas pour autant nécessaire dans une société démocratique et que, en l’occurrence, la fouille a empiété sur le secret professionnel de façon disproportionnée.

Extension au siège social d’une société

Cour EDH 16 avril 2002

Société Colas et autres c. France (Gaz.Pal. Tables 2003 v° Droits de l’homme n°5)

Les dispositions de la Conv.EDH sur la protection du domicile sont applicables, mutatis mutandis, au siège social d’une société.

En conséquence, en l’espèce, les perquisitions effectuées par la Direction générale de la consommation et de la répression des fraudes aux sièges et agences des sociétés requérantes doivent être regardées comme constituant une ingérence dans le droit des sociétés au respect de leur domicile.

À supposer que le droit d’ingérence puisse aller plus loin pour les locaux commerciaux d’une personne morale, les opérations litigieuses n’étaient pas proportionnées aux buts légitimes recherchés et ont causé aux sociétés requérantes un tort moral certain qui doit être réparé.

Refus opposé à une personne de fixer son domicile où elle le souhaite

Cour EDH 18 janvier 2001

Chapman c. Royaume-Uni (D. 2002 J 2758)

Il est à l’évidence souhaitable que tout être humain dispose d’un endroit où il puisse vivre dans la dignité et qu’il puisse désigner comme son domicile…

Les décisions refusant à la requérante, tsigane, l’autorisation de rester sur son terrain avec ses caravanes et les mesures d’expulsion prises à son encontre constituent une ingérence dans le droit de celle-ci au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile au sens de l’art. 8 §. 1, Conv.EDH.

Cependant, l’ingérence est considérée comme « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre un but légitime si elle répond à un « besoin social impérieux » et demeure proportionnée au but légitime poursuivi.

Par conséquent, dès lors qu’il existait de puissantes raisons, ayant trait à l’environnement, pour étayer le refus du permis d’aménagement, que la situation personnelle de la requérante a été prise en compte dans le processus décisionnel et qu’il n’était pas établi qu’il n’existait pas d’autre solution pour la requérante que de continuer d’occuper un terrain sans permis d’aménagement dans la ceinture verte, les mesures d’expulsion ne constituent pas une violation de l’art. 8 Conv.EDH.

Atteinte portée à la pleine, saine et libre jouissance du domicile

Cour EDH 9 décembre 1994

Lopez Ostra c. Espagne (Gaz.Pal. 1995 II 527)

Des atteintes graves à l’environnement peuvent affecter le bien-être d’une personne et la priver de la jouissance de son domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale, sans pour autant mettre en grave danger la santé de l’intéressé.

Cour EDH 16 novembre 2004

Moreno Gomez c. Espagne (Sudre et autres, « Grands arrêts de la Cour EDH » 5ème éd. n° 47)

L’art. 8 de la Conv.EDH protège le droit de l’individu au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Le domicile est normalement le lieu, l’espace physiquement déterminé où se développe la vie privée et familiale. L’individu a droit au respect de son domicile, conçu non seulement comme le droit à un simple espace physique mais aussi comme celui à la jouissance, en toute tranquillité, dudit espace. Des atteintes au droit au respect du domicile ne visent pas seulement les atteintes matérielles ou corporelles, telles que l’entrée dans le domicile d’une personne non autorisée, mais aussi les atteintes immatérielles ou incorporelles, telles que les bruits, les émissions, les odeurs et autres ingérences. Si les atteintes sont graves, elles peuvent priver une personne de son droit au respect du domicile parce qu'elles l’empêchent de jouir de son domicile.

Expulsion portant atteinte à la vie familiale d’un délinquant

Cour EDH 13 juillet 1995

X. c. France (D.S. 1996 SC 194 note Perez)

En l’occurrence, l’expulsion du requérant a été décidée à la suite de la condamnation de celui-ci pour viol en réunion ;

L’auteur d’une infraction aussi grave peut, à n’en pas douter, représenter une sérieuse menace pour l’ordre public ;

Spécialement, toutefois, il y a encore d’autres aspects à considérer ;

Ainsi la cour d’assises a admis l’existence de circonstances atténuantes et a condamné l’accusé à une peine de cinq ans d’emprisonnement assortie d’un sursis de deux ans et d’une mise à l’épreuve ;

Elle a en outre reconnu implicitement que le requérant n’avait pas été l’instigateur du crime en question ;

Enfin, il n’y a eu aucune récidive de viol depuis 1983 ;

Eu égard à un cumul de circonstances particulières, et notamment la situation d’un homme sourd, muet, ne pouvant trouver un minimum d’équilibre psychologique et social que dans sa famille composée en majorité de citoyens français n’ayant eux-mêmes aucune attache avec l’Algérie, il apparaît que la décision d’expulser le requérant, si elle recevait exécution, ne serait pas proportionnée au but légitime poursuivi ; elle méconnaîtrait le respect dû à la vie familiale et violerait donc l’art. 8 Conv.EDH.

§ 3 -  protection des correspondances

Convention EDH :

Art. 8 1°. Droit au respect de la vie privée et familiale. 1°. Toute personne a droit au respect … de sa correspondance…

Protection des lettres missives

Principe

Cass.crim. 15 mai 1990

Dame Barrault (Bull.crim. n° 196 p.498)

Sommaire : L’incrimination de suppression de correspondance réprime les agissements susceptibles de priver définitivement ou momentanément les destinataires des correspondances qui leur sont adressées.

La mauvaise foi résulte de la connaissance qu’a le prévenu de ce que ces lettres ne lui étaient pas destinées et de ce qu’il les a volontairement conservées pour empêcher ou retarder leur transmission au destinataire.

Limites

Cour EDH 25 février 1992

Pfeifer et Plankl c. Autriche (D. 1992 SC 331 note Renucci)

Un certain contrôle de la correspondance des détenus ne se heurte pas en soi à la Convention. L’ingérence en résultant ne doit pas aller au-delà des exigences du but légitime.

Protection des conversations téléphoniques

Cour EDH 2 avril 2007

Dame Copland (Requête n° 62617/00)

Selon la jurisprudence de la Cour, les appels téléphoniques émanant de locaux professionnels sont a priori compris dans les notions de « vie privée » et de «correspondance» au sens de l’art. 8 § 1. Il s’ensuit logiquement que les messages électroniques envoyés depuis le lieu de travail doivent jouir de la même protection au titre de l’art. 8, tout comme les éléments recueillis au moyen d’une surveillance de l’usage qu’une personne fait de l’Internet.

N’ayant pas été prévenue que ses appels risquaient d’être surveillés, la requérante en l’espèce pouvait raisonnablement croire au caractère privé des appels passés depuis son téléphone professionnel. Il en va de même pour ses messages électroniques et ses connexions à des sites Internet.

Cour EDH 2 août 1984

Malone c. Royaume-Uni (Requête n° 8691/79)

Inculpé de recel, un citoyen britannique a été finalement acquitté, mais lors de son procès il est apparu que le Post Office avait intercepté une de ses conversations téléphoniques pour le compte de la police en vertu d’un mandat décerné par le ministre de l’Intérieur. En outre, sa ligne téléphonique aurait été reliée à un instrument de « comptage » enregistrant automatiquement tous les numéros formés sur le cadran.

La Cour européenne relève que le droit anglais et gallois n’indique pas avec assez de clarté l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités dans le domaine considéré. Dans cette mesure, fait défaut le degré minimal de protection juridique voulu par la prééminence du droit dans une société démocratique.

Aussi la Cour conclut-elle que les ingérences relevées n’étaient pas « prévues par la loi » au sens de l’article 8, paragraphe 2, et qu’il y a donc eu violation de ce texte en ce qui concerne tant l’interception de communications, que la livraison à la police de relevés de comptage.

Cour EDH 25 mars 1998

Kopp c. Suisse (Gaz.Pal. 1998 I somm. 186)

Pour la Cour, il ressort de sa jurisprudence que les appels téléphoniques en provenance et à destination de locaux professionnels, comme c’est le cas pour un cabinet d’avocats, peuvent se trouver compris dans les notions de « vie privée » et de « correspondances » visées à l’art. 8 § 1.

L’interception de communications téléphoniques constitue une « ingérence d’une autorité publique au sens de l’art. 8 § 2, dans l’exercice d’un droit que le § 1 garantit au requérant. Peu importe, à cet égard, l’utilisation ultérieure de ces enregistrements.

Pareille ingérence méconnaît l’art. 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du § 2 et, de plus, est « nécessaire dans une société démocratique », pour les atteindre.

Cour EDH 31 mai 2005

X. c. France (Gaz.Pal. Tables 2006 v° Droits de l’homme n° 16)

Comme les interceptions d’entretiens téléphoniques, les écoutes de conversations par le biais de la pose de micros représentent une atteinte grave au respect de la vie privée.

Elles doivent donc se fonder sur une « loi » d’une précision particulière ; dans ce domaine, l’existence de règles claires et détaillées apparaît indispensable.

§ 4 -  droit de se marier

Convention EDH :

Art. 12. À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit.

Le droit de contracter un mariage

Comm. EDH 10 juillet 1980

Draper c/Royaume-Uni

L’essence du droit de se marier est de former une association génératrice d’une solidarité juridique entre un homme et une femme. Ceux-ci peuvent décider de créer une telle association même s’ils sont empêché de cohabiter. La liberté de la personne n’est pas un préalable nécessaire à l’exercice du droit de se marier. Les lois nationales régissant l’exercice du droit de se marier peuvent réglementer cet exercice mais non lui porter atteinte de manière substantielle. L’imposition d’un important délai pour se marier est une atteinte substantielle au droit de se marier.

Comm. EDH 13 décembre 1979

Hamer c. Royaume-Uni

Est une atteinte substantielle au droit de se marier l’obligation faite à un condamné à, la détention à vie d’attendre, pour contracter mariage, une éventuelle libération conditionnelle encore lointaine.

Cour EDH 11 juillet 2002

Christine G. c. Royaume-Uni (Gaz.Pal. 2003 somm. 3224)

Le Royaume-Uni méconnaît son obligation positive de garantir à une transsexuelle opérée le droit au respect de sa vie privée, notamment en ne reconnaissant pas la conversion sexuelle de l’intéressée sur le plan juridique.

La Cour relève plus particulièrement que la conversion sexuelle de la requérante a été prise en charge par le service national de santé, qui reconnaît l’état de dysphorie sexuelle et assure la conversion par intervention chirurgicale en vue de parvenir à ce que la personne transsexuelle se rapproche autant que possible du sexe auquel elle a le sentiment d’appartenir réellement.

La Cour est frappée par le fait que la conversion sexuelle, qui est opérée en toute légalité, ne débouche pourtant pas sur une pleine consécration en droit.

Lorsqu’un État autorise le traitement et l’intervention chirurgicale permettant de soulager la situation d’une personne transsexuelle, finance tout ou partie des opérations et va jusqu’à consentir à l’insémination artificielle d’une femme qui vit avec un transsexuel, il paraît illogique qu’il refuse de reconnaître les implications juridiques du résultat auquel le traitement conduit.

La dignité et la liberté de l’homme sont l’essence même de la Conv.EDH.

Sur le terrain de l’art. 8 de la Convention en particulier, où la notion d’autonomie personnelle reflète un principe important qui sous-tend l’interprétation des garanties de cette disposition, la sphère personnelle de chaque individu est protégée, y compris le droit pour chacun d’établir les détails de son identité d’être humain.

La situation insatisfaisante des transsexuels opérés, qui vivent entre deux mondes parce qu’ils n’appartiennent pas vraiment à un sexe ni à l’autre, ne peut plus durer.

La non-concordance des facteurs biologiques chez un transsexuel opéré ne peut plus constituer un motif suffisant pour justifier le refus de reconnaître juridiquement le changement de sexe de l’intéressé.

Le fait que le droit national retienne aux fins du mariage le sexe enregistré à la naissance constitue en l’espèce une limitation portant atteinte à la substance même du droit de se marier.

L’égalité entre époux

Convention EDH, Protocole additionnel n° 7

Art. 5. Égalité entre époux : Les époux jouissent de l’égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. Le présent article n’empêche pas les États de prendre les mesures nécessaires dans l’intérêt des enfants.

La vie familiale

Cour EDH 13 juin 1979

Marckx c. Belgique (Sudre et autres, « Grands arrêts de la Cour EDH » 5ème éd. n° 49)

En garantissant le droit au respect de la vie familiale, l’art. 8 présuppose l’existence d’une famille. La Cour marque son plein accord avec la jurisprudence constante de la Commission sur un point capital : l’art. 8 ne distingue pas entre famille « légitime » et famille « naturelle ». Pareille distinction se heurterait aux mots « toute personne » ; l’art. 14 le confirme en prohibant, dans la jouissance des droits et libertés consacrés par la Convention, les discriminations fondées sur « la naissance ».

Le droit de divorcer ?

Cour EDH 18 décembre 1986

Johnston c. Irlande (Sudre et autres « Grands arrêts de la Cour EDH » 5ème éd. n° 48)

Pour examiner si les requérants peuvent déduire de l’art. 12 un droit au divorce, la Cour recherchera le sens ordinaire à attribuer aux termes de cette disposition dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but…

Avec la Commission, elle constate que le sens ordinaire des mots « droit de se marier » est clair : ils visent la formation de relations conjugales et non leur dissolution. De plus, ils figurent dans un contexte renvoyant expressément aux «lois nationales» ; même si, comme l’affirment les requérants, l’interdiction du divorce doit s’analyser en une limitation à la capacité de se marier, pareille limitation ne saurait, dans une société adhérant au principe de la monogamie, passer pour une atteinte à la substance même du droit garanti par l’article 12.

Cette interprétation concorde du reste avec l’objet et le but de l’article 12 tels qu’ils ressortent des travaux préparatoires. Pour la Cour, les travaux préparatoires ne révèlent aucune intention d’englober dans l’art. 12 une garantie quelconque du droit à la dissolution du mariage par le divorce.

Les requérants insistent beaucoup sur l’évolution sociale postérieure à la rédaction de la Convention, et notamment sur l’augmentation, sensible selon eux, du nombre des ruptures des liens conjugaux.

La Convention et ses Protocoles doivent s’interpréter à la lumière des conditions d’aujourd’hui, mais la Cour ne saurait en dégager, au moyen d’une interprétation évolutive, un droit qui n’y a pas été inséré au départ. Il en va particulièrement ainsi quand il s’agit, comme ici, d’une omission délibérée. Il échet d’ajouter que le Protocole 7 à la Convention, ouvert à la signature le 22 novembre 1984, ne comprend pas davantage le droit de divorcer. On n’a pas saisi l’occasion de traiter la question à l’art. 5, qui reconnaît aux époux certains droits supplémentaires, par exemple en cas de dissolution du mariage.

Partant, les requérants ne sauraient déduire de l’art. 12 un droit de divorcer. Cette disposition ne s’applique donc pas en l’espèce, isolément ou combinée avec l’art. 14.

Le droit d’adopter ?

Cour EDH 26 février 2002

Frette c. France (Gaz Pal. 2002 somm. 496)

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne garantit pas, en tant que tel, un droit d’adopter.

Le droit au respect d’une vie familiale présupposant l’existence d’une famille, l’article 8 de la Convention ne protège pas le simple désir de fonder une famille.

Toutefois, le droit interne français autorise toute personne célibataire homme ou femme à faire une demande d’adoption.

Il apparaît que les autorités françaises ont, en l’espèce, rejeté la demande d’agrément du requérant en se fondant implicitement mais certainement sur sa seule orientation sexuelle.

La Cour en conclut qu’il y a eu une différence de traitement reposant sur l’orientation sexuelle du requérant, notion qui est couverte, à n’en pas douter, par l’article 14. Le droit garanti au requérant par l’article 343-1 du Code civil, qui tombe sous l’empire de l’article 8, est dès lors atteint sur le fondement déterminant de son orientation sexuelle et l’article 14 trouve à s’appliquer.

En l’espèce où sont en cause les intérêts concurrents du requérant et des enfants pouvant être adoptés, force est de constater que la communauté scientifique et plus particulièrement les spécialistes de l’enfance, les psychiatres et les psychologues est divisée sur les conséquences éventuelles de l’accueil d’un enfant par un ou des parents homosexuels, compte tenu notamment du nombre restreint d’études scientifiques réalisées sur la question à ce jour.

S’ajoute à cela les profondes divergences des opinions publiques nationales et internationales, sans compter le constat de l’insuffisance du nombre d’enfants adoptables par rapport aux demandes.

Dans ces conditions, les autorités nationales ont légitimement et raisonnablement pu considérer que le droit de pouvoir adopter dont le requérant se prévalait, selon l’article 343-1 du Code civil, trouvait sa limite dans l’intérêt des enfants susceptibles d’être adoptés, nonobstant les aspirations légitimes du requérant et sans que soit remis en cause ses choix personnels.

§ 5 -  Restrictions admises

Convention EDH :

Art. 8 - 2°. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Cour EDH 25 mars 1998

Kopp c. Suisse (Gaz.Pal. 1998 I somm. 187)

Pour la Cour, il ressort de sa jurisprudence que les appels téléphoniques en provenance et à destination de locaux professionnels, comme c’est le cas pour un cabinet d’avocats, peuvent se trouver compris dans les notions de « vie privée » et de « correspondance » visées à l’art. 8 § 1.

L’interception des communications téléphoniques constitue une « ingérence d’une autorité publique » au sens de l’art. 8 § 2, dans l’exercice d’un droit que le paragraphe 1 garantit au requérant. Peu importe, à cet égard, l’utilisation ultérieure de ces enregistrements.

Pareille ingérence méconnaît l’art. 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du § 2 et, de plus, est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.

Les mots « prévue par la loi », au sens de l’art. 8 § 2, veulent d’abord que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais ils ont trait aussi à la qualité de la loi en cause : ils exigent l’accessibilité de celle-ci à la personne concernée, qui de surcroît doit pouvoir en prévoir les conséquences pour elle, et sa compatibilité avec la prééminence du droit.

Cour EDH 7 novembre 2002

Madsen c. Danemark (D. 2005 J 36, Gaz.Pal. Tables 2005 v° Droits de l’homme n° 31)

À supposer que l’obligation pour les membres d’équipage d’un ferry de fournir des échantillons d’urine afin de détecter l’usage d’alcool ou de drogue constitue une ingérence d’une autorité publique au sens de l’art. 8 Conv.EDH, celle-ci serait justifiée par un objectif légitime, assurer la sécurité du ferry, et proportionnée à cet objectif, les tests pratiqués ne permettant que de détecter des substances ingérées dans les 48 heures précédentes.

 

Chapitre IV :
La protection de la liberté individuelle

§ 1 -  la liberté physique

Convention EDH :

Art. 5. Droit à la liberté et à la sûreté. - 1°. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf … selon les voies légales…

Protocole additionnel n° 4 :

Art. 1. Interdiction de l’emprisonnement pour dette. - Nul ne peut être privé de sa liberté pour la seule raison qu’il n’est pas en mesure d’exécuter une obligation contractuelle.

Art. 2. Liberté de circulation.

1°. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un État a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence.

2. Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien.

3. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

4. Les droits reconnus au § 1 peuvent également, dans certaines zones déterminées, faire l’objet de restrictions qui, prévues par la loi, sont justifiées par l’intérêt public dans une société démocratique.

Art. 3. Interdiction de l’expulsion des nationaux

1 Nul ne peut être expulsé, par voie de mesure individuelle ou collective, du territoire de l’État dont il est ressortissant.

2. Nul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’État dont il est ressortissant.

Art. 4. Interdiction des expulsions collectives d’étrangers. - Les expulsions collectives d’étrangers sont interdites.

Principe

Cour EDH 16 juin 2005

Storck c. Allemagne (Sudre et autres, « Grands arrêts de la Cour EDH » 5ème éd. n° 17)

La Cour considère que la première phrase de l’art. 5 § 1 de la Convention doit être comprise comme imposant à l’État l’obligation positive de protéger la liberté de ses ressortissants… l’État est donc tenu de prendre des mesures offrant une protection effective aux personnes vulnérables, notamment des mesures raisonnables destinées à empêcher une privation de liberté dont les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance.

Cas des personnes atteintes d’aliénation mentale

Cour EDH 30 juillet 1998

Aerts c. Belgique (Gaz.Pal. 1999 II 469)

La Cour rappelle que pour respecter l’art. 5-1, la détention doit avoir lieu « selon les voies légales » et « être régulière ». En la matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en respecter les normes de fond, comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’art. 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire.

En principe, la « détention » d’une personne comme malade mental ne sera régulière au regard de l’alinéa e) du paragraphe 1 que si elle se déroule dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié.

Le recours interne prévu par la loi doit permettre de contrôler le respect des conditions à remplir pour qu’il y ait, au regard du paragraphe 1 e), « détention régulière » d’une personne pour aliénation mentale.

Cas des étrangers

Cour EDH 8 décembre 1998

Benrachid c. France (JCP 2001 II 10503)

Les États contractants ont le droit de contrôler, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux.

Compte tenu, en particulier, d’une part, de la nature et de la gravité des infractions commises par le requérant et, d’autre part, du fait que l’on ne saurait considérer que le requérant est dépourvu de toute attache avec son pays d’origine, la Cour estime que l’ingérence dans sa vie privée et familiale que pourrait constituer la mesure d’expulsion du territoire français peut raisonnablement être considérée comme nécessaire, dans une société démocratique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, au sens de l’art. 8 § 2 de la Convention.

Cour EDH 30 novembre 1999

Baghli c. France (Gaz.Pal. 2000 1070)

Il est de la prérogative des États contractants d’assurer l’ordre public. Dans ce contexte, ils ont le droit de contrôler, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant par eux des traités, l’entrée et le séjour des non-nationaux. À ce titre, ils ont la faculté d’expulser les délinquants parmi ceux-ci. Toutefois leurs décisions en la matière, dans la mesure où elles porteraient atteinte à un droit protégé par l’art.8 § 1, doivent se révéler nécessaires dans une société démocratique, c’est-à-dire justifiées par un besoin social impérieux et, notamment, proportionnées au but légitime poursuivi.

Cour EDH 25 juin 1996

Amur c. France (Gaz.Pal. 1997 II 455)

Le maintien d’étrangers dans la zone internationale comporte une restriction de liberté. Pareil maintien ne doit pas se prolonger de manière excessive car il risquerait de transformer une simple restriction à la liberté en privation de liberté.

§ 2 -  la liberté de conscience

Convention EDH :

Art. 9. Liberté de pensée, de conscience et de religion.

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Liberté de conviction religieuse

Cour EDH 25 mai 1993

Kokkinaskis c. Grèce (Gaz.Pal. 1994 II 477)

Telle que la protège l’art. 9, la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises d’une «société démocratique» au sens de la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents.

Si la liberté religieuse relève d’abord du for intérieur, elle «implique» de surcroît, notamment, celle de «manifester sa religion».

Aux termes de l’art. 9, la liberté de manifester sa religion comporte en principe le droit d’essayer de convaincre son prochain, par exemple au moyen d’un «enseignement», sans quoi du reste «la liberté de changer de religion ou de conviction», consacrée par l’art. 9, risquerait de demeurer lettre morte…

Sommaire : Ne donnent pas de base légale à leur décision les juridictions qui condamnent un témoin de Jéhovah pour infraction à l’art. 4 de la loi n° 1363/1938 réprimant le prosélytisme sans préciser suffisamment en quoi le prévenu aurait essayé de convaincre son prochain par des moyens abusifs.

Limites aux manifestations de convictions religieuses

Cour EDH 26 juin 2004

Mlle Sahin c. Turquie (D. 2004 IR 2690, Gaz.Pal. Tables 2005 v° Droits de l’homme n°33)

Dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d’une même population, il peut se révéler nécessaire d’assortir la liberté de manifester sa religion ou ses convictions de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun…

La réglementation de l’université d’Istanbul, qui soumet le port du foulard islamique à des restrictions, et les mesures d’application y afférentes, sont justifiées dans leur principe et proportionnées aux buts poursuivis et peuvent donc être considérées comme « nécessaires dans une société démocratique ».

Cour EDH 10 novembre 2005

Mlle Sahin c. Turquie (D. 2005 IR 2899, Gaz.Pal. Tables 2006 v° Droits de l’homme n° 17)

La Cour ne perd pas de vue qu’il existe en Turquie des mouvements politiques extrémistes qui s’efforcent d’imposer à la société toute entière leurs symboles religieux et leur conception de la société, fondée sur des règles religieuses.

Dans ce contexte, c’est le principe de laïcité qui est la considération primordiale ayant motivé l’interdiction du port d’insignes religieux dans les universités. Dans un tel contexte, où les valeurs de pluralisme, de respect des droits d’autrui et, en particulier, d’égalité des hommes et des femmes devant la loi sont enseignées et appliquées dans la pratique, on peut comprendre que les autorités compétentes considèrent comme contraire à ces valeurs d’accepter le port d’insignes religieux y compris, comme en l’espèce, que les étudiantes se couvrent la tête d’un foulard islamique dans les locaux universitaires.

§ 3 -  la liberté d’expression

Convention EDH :

Art. 10. Liberté d’expression

1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

Principe

Cour EDH 10 décembre 2007

Stoll c. Suisse (Requête n° 69698/01)

La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun.

Cour EDH 9 février 1995

Vereniging Weeblad Bluf c. Pays-Bas (Gaz.Pal. 1996 II 512)

La liberté d’expression contient le droit de recevoir et de communiquer des informations.

Cour EDH 26 novembre 1991

Observer et Guardian c. Royaume-Uni (Gaz.Pal. 1997 I 325)

La liberté d’expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent.

applications

Liberté d’expression individuelle

Cour EDH 20 mai 1998

Schöpfer c. Suisse (D. 1999 SC 272 note Fricero)

Selon la Cour, outre la substance des idées et informations exprimées, l’art. 10 Conv.EDH protège aussi leur mode d’expression ;

Les avocats ont certes le droit de se prononcer publiquement sur le fonctionnement de la justice, mais la critique ne saurait franchir certaines limites ;

Il convient donc de ménager un équilibre entre le droit du public d’être informé et les impératifs d’une bonne administration de la justice, ainsi que la dignité de la profession d’avocat ;

La Cour, relevant que le requérant a exprimé ses doléances en public au sujet d’une procédure pénale pendante, note, outre la généralité, la gravité et le ton de ses affirmations, et estime eu égard aussi à la modicité de l’amende (500 Fr suisses), que les autorités n’ont pas outrepassé leur marge d’appréciation en sanctionnant l’avocat ;

Partant, il n’y a pas eu violation de l’art. 10 Conv.EDH.

Cour EDH 22 septembre 1998

Lehideux et autre c. France (Gaz.Pal. 1999 II 483 note Dehry)

La Cour n’a pas à se prononcer sur les éléments constitutifs du délit d’apologie des crimes ou délits de collaboration en droit français.

Il ne fait aucun doute qu’à l’égal de tout autre propos dirigé contre les valeurs qui sous-tendent la Convention, la justification d’une politique pronazie ne saurait bénéficier de la protection de l’art. 10. En l’espèce toutefois, les requérants se sont explicitement démarqués des «atrocités» et des « persécutions nazies » ainsi que de la « toute-puissance allemande et de sa barbarie ». Ils ont ainsi moins fait l’éloge d’une politique que celle d’un homme, et cela dans un but dont la Cour d’appel a reconnu, sinon le moyen, au moins la pertinence et la légitimité : la révision de la condamnation de Philippe Pétain.

La Cour relève, en outre, que les événements évoqués dans la publication litigieuse se sont produits plus de quarante ans avant celle- ci. Même si des propos tels que ceux des requérants sont toujours de nature à ranimer la controverse et à raviver des souffrances dans la population, le recul du temps entraîne qu’il ne conviendrait pas, quarante ans après, de leur appliquer la même sévérité que dix ou vingt ans auparavant. Cela participe des efforts que tout pays est appelé à fournir pour débattre ouvertement et sereinement de sa propre histoire. Il y a lieu de rappeler à cet égard que sous réserve du § 2 de l’art. 10, la liberté d’expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ».

La Cour note enfin la gravité d’une condamnation pénale pour apologie des crimes ou délits de collaboration, eu égard à l’existence d’autres moyens d’intervention et de réfutation, notamment par les voies de droit civiles.

Cour EDH 7 novembre 2006

Mamère c. France (Gaz.Pal. Tables 2007 v° Droits de l’homme n° 31)

La Cour souligne en premier lieu que l’on se trouve, en l’espèce, dans un cas où l’art. 10 exige à double titre un niveau élevé de protection du droit à la liberté d’expression.

En effet, d’une part, les propos tenus par le requérant lors d’une émission de télévision sur la catastrophe de Tchernobyl dénonçant « un sinistre personnage au SCPRI qui n’arrêtait pas de nous raconter que la France était tellement forte - complexe d’Astérix - que le nuage de Tchernobyl n’avait pas franchi nos frontières », relevaient de sujets d’intérêt général : la protection de l’environnement et de la santé publique et la manière dont les autorités françaises ont géré ces questions dans le contexte de la catastrophe de Tchernobyl ; ils s’inscrivaient d’ailleurs dans un débat public d’une extrême importance, relatif en particulier à l’insuffisance des informations que ces dernières ont données à la population quant aux niveaux de contamination auxquels elle était exposée et aux conséquences que cela a eu en termes de santé publique. D’autre part, le requérant s’exprimait sans aucun doute en sa qualité d’élu et dans le cadre de son engagement écologiste, de sorte que ses propos relevaient de l’expression politique ou « militante ».

La Cour en déduit que la marge d’appréciation dont disposaient les autorités pour juger de la « nécessité » de l’ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression était particulièrement restreinte.

Ceci étant, la Cour rappelle que les personnes poursuivies à raison de propos qu’elles ont tenus sur un sujet d’intérêt général doivent pouvoir s’exonérer de leur responsabilité en établissant leur bonne foi et, s’agissant d’assertions de faits, en prouvant la véracité de ceux-ci. En l’espèce, les propos litigieux tenaient du jugement de valeur mais aussi - comme l’ont retenu les juridictions internes - de l’imputation de faits ; le requérant devait donc se voir offrir cette double possibilité.

Eu égard à ce qui précède, et tout particulièrement à l’extrême importance du débat d’intérêt général dans lequel les propos litigieux s’inscrivaient, la condamnation du requérant pour diffamation ne saurait passer pour proportionnée, et donc pour «nécessaire» « dans une société démocratique » au sens de l’art. 10 de la Conv.EDH. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

Cour EDH  30 mars 2006

Saday c. Turquie (Requête n° 32458/96)

La condamnation du requérant pour outrage aux magistrats poursuivait le but légitime tenant à « garantir l’autorité du pouvoir judiciaire ». Quant à sa nécessité dans une société démocratique, le requérant a tenu des propos particulièrement acerbes dans sa plaidoirie, donnant au récit une connotation profondément hostile. Il lui était possible de contester la composition ou le fonctionnement de la cour de sûreté sans attaquer personnellement les juges qui y siégeaient. La gravité et la généralité des reproches formulés ainsi que le ton choisi peuvent avoir comme conséquence de saper l’autorité judiciaire en créant une atmosphère d’insécurité au détriment de la bonne marche de la justice. Ainsi, face aux propos tenus par le requérant, de nature à mettre directement en cause la dignité des magistrats, le tribunal a pu estimer nécessaire l’imposition d’une sanction. Toutefois, le requérant s’est vu infliger la sanction maximale prévue par la loi. La lourdeur et la gravité de la peine qu’il a dû exécuter, à savoir l’isolement cellulaire pendant deux mois, apparaît disproportionnée au but visé.

Liberté d’expression artistique

Cour EDH 24 mai 1988

Müller c. Suisse (Sudre et autres, « Grands arrêts de la Cour EDH » 5ème éd. n° 58)

Sans doute l’art. 10 ne précise-t-il pas que la liberté d’expression artistique… entre dans son champ d’application ; il ne distingue pas pour autant les diverses formes d’expression. Comme les comparants s’accordent à le reconnaître, il englobe la liberté artistique.

Liberté de la presse

Cour EDH 24 novembre 1993

Informationsverein Lentia c. Autriche (Gaz.Pal. 1994 II 483)

La Cour a fréquemment insisté sur le rôle fondamental de la liberté d’expression dans une société démocratique, notamment quand elle sert à communiquer des informations et des idées d’intérêt général. La remarque vaut spécialement pour les média audiovisuels, car leurs programmes se diffusent souvent à très grande échelle.

Cour EDH 26 avril 1995

Parger et Oberschlick c. Autriche(Gaz.Pal 1996 II 518)

La presse joue un rôle éminent dans un État de droit. Si elle ne doit pas franchir certaines bornes fixées en vue, notamment, de la protection d’autrui, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et responsabilités, des informations et des idées sur les questions politiques ainsi que sur les autres thèmes d’intérêt général.

Parmi eux figurent sans nul doute ceux qui concernent le fonctionnement de la justice, institution essentielle à toute société démocratique. La presse représente en effet l’un des moyens dont disposent les responsables politiques et l’opinion publique pour s’assurer que les juges s’acquittent de leur hautes responsabilités conformément au but constitutif de la mission qui leur est confiée.

Il convient cependant de tenir compte de la mission particulière du pouvoir judiciaire dans la société. Comme garant de la justice, valeur fondamentale dans un État de droit, son action a besoin de la confiance des citoyens pour prospérer. Aussi peut-il s’avérer nécessaire de protéger celle-ci contre des attaques destructrices dénuées de fondement sérieux, alors surtout que le devoir de réserve interdit aux magistrats visés de réagir.

Cour EDH 20 octobre 1997

Radio ABC c. Autriche (Gaz.Pal. 1998 II 489)

Les États peuvent réglementer, par un système de licences l’organisation de la radiodiffusion sur leur territoire, en particulier ses aspects techniques.

Toutefois, grâce aux progrès techniques des dernières décennies, des restrictions ne peuvent plus aujourd’hui se fonder sur des considérations liées au nombre de fréquences et de canaux disponibles.

Cour EDH 27 mars 1996

Goodwin c. Royaume-Uni (Gaz.Pal. 1997 II 466)

La protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse, comme cela ressort des lois et codes déontologiques en vigueur dans nombre d’États contractants et comme l’affirment plusieurs instruments internationaux sur les libertés journalistiques.

Cour EDH 25 février 2003

Roemen et Schmidt c. Luxembourg (Gaz.Pal. 2003 J 1030)

La protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse. L’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde » et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s’en trouver amoindrie.

Cour EDH 17 juillet 2001

Association Ekin c. France (Requête n° 39288/98)

L’ingérence que constitue l’art. 14 de la loi du 29 juillet 1881 conférant au ministre de l’Intérieur de vastes prérogatives en matière d’interdiction administrative de diffusion de publications de provenance étrangère ou rédigées en langue étrangère ne peut être considérée comme «nécessaire dans une société démocratique», de sorte qu’il y a eu violation de l’art. 10 Conv.EDH.

Cour EDH 7 juin 2007

Dupuis et autre c. France (Gaz.Pal. Tables 2008 v° Droits de l’homme n° 17)

Statuant sur requête introduite par deux journalistes français condamnés pour avoir publié en 1996 un ouvrage intitulé « Les oreilles du Président » portant sur l’affaire dite des « Écoutes de l’Elysée », la Cour rappelle que la « liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, (...) [que] les garanties à accorder à la presse revêtent donc une importance particulière » et que «la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou des questions d’intérêt général».

Elle retient qu’en l’espèce « le public avait un intérêt légitime à être informé et à s’informer sur ce procès et, notamment, sur les faits relatés par l’ouvrage ». Dès lors la Cour doit «déterminer si l’intérêt d’informer le public l’emportait en l’espèce sur les « devoirs et responsabilités » pesant sur les requérants en raison de l’origine douteuse des documents qui leur avaient été adressés et estime qu’il convient d’apprécier avec la plus grande prudence la nécessité de punir pour recel de violation de secret de l’instruction ou de secret professionnel des journalistes qui participent à un débat public d’une telle importance, exerçant ainsi leur mission de « chiens de garde» de la démocratie ».

Considérant que les requérants ont agi dans le respect des règles de la profession journalistique, dans la mesure où les publications litigieuses servaient ainsi non seulement l’objet mais aussi la crédibilité des informations communiquées, attestant de leur exactitude et de leur authenticité et « qu’une atteinte à la liberté d’expression peut risquer d’avoir un effet dissuasif quant à l’exercice de cette liberté, que le caractère relativement modéré des amendes, comme c’est le cas en l’espèce, ne saurait suffire à faire disparaître », la Cour a jugé que « la condamnation des requérants s’analyse en une ingérence disproportionnée dans leur droit à la liberté d’expression et qu’elle n’était donc pas nécessaire dans une société démocratique ».

Limites à la liberté d’expression

Limites tenant à des intérêts publics

Cour EDH 9 février 1995

Vereniging Weeblad Bluf ! c. Pays-Bas (Gaz.Pal. 1996 II 512

La Cour reconnaît que le bon fonctionnement d’une société démocratique fondée sur la primauté du droit peut exiger des institutions [d’État] qui, pour être efficaces, doivent opérer en secret et recevoir la protection nécessaire…

Toutefois, lorsque les informations en question ont été rendues accessibles à un grand nombre de personnes qui ont pu à leur tout les communiquer à d’autres… la protection de l’information en tant que secret d’État ne se justifie plus.

Cour EDH 21 janvier 1999

Janowski c. Pologne (D. 1999 SC 272, note Fricero)

La Cour constate d’une part, que le requérant, journaliste, a injurié les gardes municipaux en les traitant de « goujats » et d’« idiots » lors d’un incident sur une place publique, d’autre part, que ces observations ne mettent pas en cause la liberté de la presse puisque l’intéressé avait manifestement agi en tant que particulier, et enfin que les fonctionnaires qui agissent dans l’exercice de leurs fonctions officielles devant bénéficier de la confiance du public, il existe des motifs suffisants pour justifier la sanction prononcée contre le requérant, ce qui exclut tout constat de violation de l’art. 10 Conv. EDH.

Cour EDH 3 octobre 2000

Du Roy et Malaurie c. France (Requête n° 34000-96)

Les journalistes qui rédigent des articles sur des procédures pénales en cours ne doivent pas franchir les bornes fixées aux fins d’une bonne administration de la justice, et respecter le droit de la personne mise en cause d’être présumée innocente.

Limites tenant à des intérêts privés

Cour EDH 24 novembre 2005

Tourancheau et autre c. France (JCP 2006 II 10076 note Derieux, et Gaz.Pal. Tables 2006 v° Droits de l’homme n° 19)

La Cour estime que les requérants pouvaient prévoir, à un degré raisonnable, que les extraits d’actes de procédure publiés dans le cadre de l’article de presse ne les mettaient pas à l’abri de toute poursuite judiciaire à leur encontre, de sorte que l’ingérence peut être considérée comme étant « prévue par la loi ».

La Cour considère que les motifs invoqués par les juridictions internes se concilient avec le but légitime de protéger le droit de A. et de B. à un procès équitable dans le respect de la présomption d’innocence et de leur vie privée. L’ingérence avait donc pour but de garantir le respect des droits de personnes qui, n’étant pas encore jugées, sont présumées innocentes.

La condamnation des requérants constituait une ingérence dans leur liberté d’expression « nécessaire dans une société démocratique » pour protéger la réputation et les droits d’autrui et garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire au sens de l’article 10 § 2 de la Conv.EDH.

Cour EDH 22 octobre 2007

X. c. France (Gaz.Pal. Tables 2008 v° Droits de l’homme n° 16)

La Cour estime que la condamnation pour diffamation des requérants, auteur et éditeur d’un roman ayant pour objet des meurtres commis par des militants du Front national, et du directeur de la publication d’un quotidien national, qui publia une pétition signée par quatre-vingt-dix-sept écrivains contemporains apportant leur soutien à l’auteur du roman, trouve sa base légale dans des textes clairs (art. 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse). La jurisprudence des tribunaux français indique en effet que l’art. 29 de la loi couvre la fiction, dès lors qu’il s’agit de l’atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne désignée de manière claire. En outre, selon la Cour, l’ingérence poursuivait le but légitime de la protection de la réputation ou des droits d’autrui.

Eu égard au caractère mesuré de l’amende et des dommages-intérêts auxquels le directeur de la publication du journal incriminé a été condamné, à la teneur des écrits litigieux et à l’impact potentiel sur le public des propos jugés diffamatoires du fait de leur diffusion par un quotidien national largement distribué, la Cour juge l’ingérence litigieuse proportionnée au but poursuivi. La Cour conclut que le juge national pouvait raisonnablement tenir l’ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit à la liberté d’expression pour nécessaire dans une société démocratique afin de protéger la réputation et les droits d’un homme politique et de son parti politique.

Partant, il n’y a eu violation de l’art. 10 de la Conv.EDH dans le chef d’aucun des requérants.

Cass.crim. 19 juin 2001

X, Y, Z (Bull.crim. n° 149 p.464)

Si l’art. 10 de la Conv. EDH reconnaît, en son premier paragraphe, à toute personne le droit à la liberté d’expression, ce texte prévoit, en son second paragraphe, que l’exercice de cette liberté comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent, dans une société démocratique, des mesures nécessaires notamment à la protection des droits d’autrui, au nombre desquels figure la présomption d’innocence, ainsi qu’à la préservation d’informations confidentielles...

§ 4 -  la liberté d’association et de réunion

Convention EDH :

Art. 11. Liberté de réunion et d’association. - 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

Liberté d’association

Liberté de s’associer

Cour EDH 2 août 2001

Grande oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani c. Italie (Requête n° 35972/97)

Certes, le nombre des membres, effectifs ou potentiels, de l’association requérante qui peuvent être confrontés au dilemme du choix entre l’appartenance à la maçonnerie et la participation à une compétition pour les charges visées à l’art. 5 de la loi de 1996 ne saurait être important par rapport au nombre total des membres de l’association requérante. Par conséquent, le préjudice dont la requérante peut pâtir est également réduit. La Cour estime cependant que la liberté d’association revêt une telle importance qu’elle ne peut subir une quelconque limitation, même pour une personne candidate à une charge publique, dans la mesure où l’intéressé ne commet par lui-même, en raison de son appartenance à l’association, aucun acte répréhensible. Par ailleurs, il est évident que l’association subit le contrecoup des décisions de ses membres. En résumé, l’interdiction incriminée, si minime qu’elle puisse être pour la requérante, n’apparaît pas « nécessaire dans une société démocratique ».

Liberté de s’associer sous la forme d’un parti politique ou d’un syndicat

Cour EDH 30 janvier 1998

Parti communiste unifié de Turquie c. Turquie (Sudre et autres, « Grands arrêts de la Cour EDH » 5ème éd. n°6)

La Cour attache du poids au fait que les partis politiques représentent une forme d’association essentielle au bon fonctionnement de la démocratie. Eu égard à l’importance de celle-ci dans le système de la Convention, il ne saurait faire aucun doute qu’ils relèvent de l’art. 11

Cour EDH 26 septembre 1995

Vogt c. Allemagne (Gaz.Pal. 1996 II 526)

Le fonctionnaire bénéfice de la protection de l’art. 11 (liberté d’association). La protection des opinions personnelles visée à l’art. 10 de la Convention constitue l’un des objectifs de la liberté de réunion et d’association consacrée à l’art. 11.

Cour EDH 25 mai 1998

Parti socialiste c. Turquie (D. 1998 SC 372 note Perez)

La dissolution du parti politique apparaît disproportionnée au but visé et, partant, non nécessaire dans une société démocratique. En conséquence, elle enfreint l’art. 11 de la Conv.EDH.

Liberté de ne pas s’associer

Cour EDH 11 janvier 2006

Sorensen et autre c. Danemark (Gaz.Pal. Tables 2006 v° Droits de l’homme n° 20)

L’art. 11 Conv.EDH englobe un droit d’association négatif, autrement dit un droit à ne pas être contraint de s’affilier à une association. Les aspects négatifs et les aspects positifs du droit consacré par l’art. 11 doivent bénéficier du même niveau de protection.

Cour EDH 25 avril 1996

Gustafsson c. Suède (Gaz.Pal. 1997 II 471)

Dans son dernier arrêt à cet égard, l’art. 11 de la Convention a été interprété comme consacrant non seulement le droit positif de créer et d’adhérer à un syndicat, mais également l’aspect négatif de cette liberté, à savoir le droit de ne pas adhérer à un syndicat ou de s’en retirer.

Cour EDH 29 avril 1999

Chassagnou et autres c. France (D. 1999 IR 163)

Les associations communales de chasse agréées sont des associations au sens de l’art. 11 de la Convention.

Contraindre par la loi un individu à une adhésion profondément contraire à ses propres convictions et l’obliger, du fait de cette adhésion, à apporter le terrain dont il est propriétaire pour que l’association réalise l’objectif qu’il désapprouve, va au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer un juste équilibre entre des intérêts contradictoires et ne saurait être considéré comme proportionné au but poursuivi.

Il y a donc violation de l’art. 11.

Cour EDH 30 juin 1993

Sigurjonsson c. Islande (D.1994 IR 181)

Aux termes de l’art. 11 de la Conv.EDH, « Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts ».

«L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État».

Il échet de considérer que cet article consacre un droit négatif, c’est-à-dire le droit de ne pas s’affilier à une association ou de s’en retirer.

Une organisation d’exploitants de taxis est une association de droit privé.

Si l’obligation pour les chauffeurs de taxi d’y adhérer est prévue par la loi et poursuit un but légitime, elle constitue néanmoins un type de contrainte à considérer à première vue comme incompatible avec l’art. 11.

Si, à n’en pas douter, l’association joue au service de l’intérêt général un rôle dont l’obligation d’adhérer imposée à tout titulaire de la licence de son ressort doit faciliter l’exercice, les motifs avancés par le Gouvernement, bien que pertinents, ne suffisent pas à démontrer qu’il soit nécessaire d’astreindre un chauffeur de taxi à rejoindre l’association sous peine de perdre sa licence et en dépit de ses convictions personnelles.

Liberté de réunion et de manifestation

Convention EDH :

Art. 11, 1°. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique

Liberté de réunion

Cour EDH 26 avril 1991

Ezelin c. France (DS 1992 SC. 335 note Renucci)

La liberté de participer à une réunion pacifique revêt une telle importance qu’elle ne peut subir une quelconque limitation, même pour un avocat, dans la mesure où l’intéressé ne commet lui-même, à cette occasion, aucun acte répréhensible.

Liberté de manifestation

Cour EDH 26 avril 1991

Ezelin c. République française (Gaz.Pal. 1991 somm. 202)

Bien que la sanction infligée à un avocat se situe vers le bas de l’échelle des peines disciplinaires figurant à l’art. 107 du décret du 9 juin 1972, qu’elle présente un caractère essentiellement moral puisqu’elle n’implique aucune interdiction, même temporaire, d’exercer la profession et de siéger au Conseil de l’Ordre, la Cour estime cependant que la liberté de participer à une réunion pacifique - en l’occurrence une manifestation non prohibée - revêt une telle importance qu’elle ne peut subir une quelconque limitation, même pour un avocat, dans la mesure où l’intéressé ne commet lui-même, à cette occasion, aucun acte répréhensible.

En résumé, la sanction infligée à un avocat, si minime qu’elle ait été, n’apparaît pas « nécessaire dans une société démocratique », aussi a-t-elle enfreint l’art. 11 de la Conv. EDH.

EXCEPTIONS aux Libertés d’ASSOCIATION et de réunion

Convention EDH :

Art. 11 2°. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État.

Principe d’interprétation stricte de cette disposition

Cour EDH 8 décembre 1999

Parti de la liberté er de la démocratie c. Turquie (D. 2000 SC 190 note Perez)

La Cour rappelle qu’eu égard au rôle essentiel des partis politiques pour le bon fonctionnement de la démocratie, les exceptions visées à l’art. 11 Conv.EDH appellent à l’égard des partis politiques, une interprétation stricte, seules des raisons convaincantes et impératives pouvant justifier des restrictions à leur liberté d’association.

Cour EDH 12 octobre 2004

Pompiliu Bota c. Roumanie (Gaz.Pal. 2004 J 3868)

Les exceptions visées à l’art. 11 appellent une interprétation stricte, seules des raisons convaincantes et impératives pouvant justifier des restrictions à la liberté d’association.

Restrictions légitimes

Cour EDH (Ass.plén.) 23 juin 1981

Le Compte et autres c. Belgique (Gaz. Pal. 1981.2.775, note G. Delamare)

Aux termes de l’art. 11 de la Conv.EDH, toute personne a droit à la liberté de s’associer. Ne constitue pas une entrave à la liberté de s’associer l’obligation de s’affilier à l’Ordre des médecins, celui-ci ne pouvant s’analyser en une association au sens de l’art. 11, du fait de son caractère d’institution de droit public poursuivant un but d’intérêt général : la protection de la santé, et assurant de par la loi un certain contrôle public de l’exercice de l’art médical, jouissant en vertu de la loi pour accomplir les tâches que lui a confiées l’État belge, de prérogatives exorbitantes du droit commun et utilisant ainsi des procédés de puissance publique, dès lors que sa création par l’État n’empêche pas les praticiens de fonder entre eux des associations professionnelles ou d’y adhérer.

Cass. 1ère civ. 28 juin 2007

Société Nodula et autre (Gaz.Pal. Tables 2008 v° Droits de l’homme n° 20)

Une société ne peut reprocher à l'arrêt attaqué d'avoir reconnu la légalité de son affiliation obligatoire à l'association « les congés spectacles », dès lors que la Cour d'appel relève que le but de l'association est de garantir, conformément aux prévisions des art. L. 223-16 et D. 762-1 C.trav., le droit des employés dits «intermittents du spectacle» de bénéficier de congés payés. L'adhésion contrainte des employeurs concernés, mesure nécessaire à la protection des droits ainsi assurée, est justifiée par l'art. 11, alinéa 2 de la Conv.EDH, la prévision légale requise s'entendant d'un texte accessible à tous et suffisamment intelligible.

Question du droit de grève

Cour EDH 10 janvier 2002

Unison c. Royaume-Uni (Gaz.Pal. Tables 2003 v° Droits de l’homme n° 33)

Sommaire : L’art. 11 Conv.EDH ne garantit pas expressément le droit de grève ni l’obligation pour les employeurs d’engager des négociations collectives. En effet, si la grève représente l’un des moyens les plus importants permettant aux syndicats de remplir leurs fonctions, il en existe d’autres.

Néanmoins, en l’espèce, l’interdiction de la grève doit être considérée comme une restriction à la possibilité pour le syndicat requérant de protéger les intérêts professionnels de ses adhérents et révèle donc une restriction à la liberté d’association. Elle doit dès lors respecter les exigences posées par l’art. 11 § 2 Conv.EDH.

§ 5 -  la liberté politique

Convention EDH, Protocole add. n° 1

Art. 3. Élections libres : Les HPC s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans des conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif.

Principe

Cour EDH 18 février 1999

Matthews c. Royaume-Uni (Gaz.Pal. 2000 1050)

En application de l’art. 3 du Protocole n° 1 de la Conv.EDH, les États contractants s’engagent à organiser, à intervalles raisonnables, des élections libres à scrutin secret, dans des conditions qui assurent la libre expression du peuple sur le choix du corps législatif.

Cour EDH 16 mars 2006

Zdanoka c. Lettonie

(Sudre et autres, « Grands arrêts de la Cour EDH » 5ème éd. n° 63)

L’art. 3 du Protocole n° 1 diffère des autres dispositions de la Convention et de ses protocoles… en ce qu’il énonce l’obligation pour les Hautes Parties Contractantes d’organiser des élections dans des conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple et non un droit ou une liberté en particulier. Toutefois, eu égard aux travaux préparatoires de l’art. 3 du Protocole n° 1 et à l’interprétation qui est donnée de cette clause dans le cadre de la Convention dans son ensemble, la Cour a établi que cet article implique également des droits subjectifs, dont le droit de vote et celui de ses porter candidat à des élections.

Exceptions

Cour EDH 13 février 2003

Refah Partisi c. Turquie

(Sudre et autres, « Grands arrêts de la Cour EDH » 5ème éd. n°55)

La Cour partage l’analyse effectuée par la Chambre quant à l’incompatibilité de la charia avec les principes fondamentaux de la démocratie, tels qu’ils résultent de la Convention.

Cour EDH 7 juin 2007

Parti nationaliste basque c. France

(Gaz.Pal. Tables 2008 v° Droits de l’homme n° 21)

La Cour considère qu’en tant que telle, l’impossibilité pour les partis politiques de percevoir des fonds de partis étrangers n'est pas incompatible avec l’art. 11 de la Conv.EDH.

§ 6 -  la liberté religieuse

Convention EDH, Protocole add. n° 1

Art. 2 … L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques.

Cour EDH (Grande chambre) 18 mars 2011

Lautsiet autres c. Italie (n°30814/06)

64.  D'un point de vue général, la Cour estime que lorsque l'aménagement de l'environnement scolaire relève de la compétence d'autorités publiques, il faut voir là une fonction assumée par l'État dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, au sens de la seconde phrase de l'art. 2 du Protocole n° 1.

65.  Il en résulte que la décision relative à la présence de crucifix dans les salles de classe des écoles publiques relève des fonctions assumées par l'État défendeur dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement et tombe de ce fait sous l'empire de la seconde phrase de l'art. 2 du Protocole n° 1. On se trouve dès lors dans un domaine où entre en jeu l'obligation de l'État de respecter le droit des parents d'assurer l'éducation et l'enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques.

66.  Ensuite, la Cour considère que le crucifix est avant tout un symbole religieux. Les juridictions internes l'ont pareillement relevé et, du reste, le Gouvernement ne le conteste pas. Que la symbolique religieuse épuise, ou non, la signification du crucifix n'est pas décisif à ce stade du raisonnement.

Il n'y a pas devant la Cour d'éléments attestant l'éventuelle influence que l'exposition sur des murs de salles de classe d'un symbole religieux pourrait avoir sur les élèves ; on ne saurait donc raisonnablement affirmer qu'elle a ou non un effet sur de jeunes personnes, dont les convictions ne sont pas encore fixées.

On peut néanmoins comprendre que la requérante puisse voir dans l'exposition d'un crucifix dans les salles de classe de l'école publique où ses enfants étaient scolarisés un manque de respect par l'État de son droit d'assurer l'éducation et l'enseignement de ceux-ci conformément à ses convictions philosophiques. Cependant, la perception subjective de la requérante ne saurait à elle seule suffire à caractériser une violation de l'art. 2 du Protocole n° 1.

67.  Le Gouvernement explique quant à lui que la présence de crucifix dans les salles de classe des écoles publiques, qui est le fruit de l'évolution historique de l'Italie, ce qui lui donne une connotation non seulement culturelle mais aussi identitaire, correspond aujourd'hui à une tradition qu'il juge important de perpétuer. Il ajoute qu'au-delà de sa signification religieuse, le crucifix symbolise les principes et valeurs qui fondent la démocratie et la civilisation occidentale, sa présence dans les salles de classe étant justifiable à ce titre.

68.  Selon la Cour, la décision de perpétuer ou non une tradition relève en principe de la marge d'appréciation de l'État défendeur. La Cour se doit d'ailleurs de prendre en compte le fait que l'Europe est caractérisée par une grande diversité entre les États qui la composent, notamment sur le plan de l'évolution culturelle et historique. Elle souligne toutefois que l'évocation d'une tradition ne saurait exonérer un État contractant de son obligation de respecter les droits et libertés consacrés par la Convention et ses Protocoles…

72.  Le crucifix apposé sur un mur est un symbole essentiellement passif, et cet aspect a de l'importance aux yeux de la Cour, eu égard en particulier au principe de neutralité On ne saurait notamment lui attribuer une influence sur les élèves comparable à celle que peut avoir un discours didactique ou la participation à des activités religieuses …

76.  Il résulte de ce qui précède qu'en décidant de maintenir les crucifix dans les salles de classe de l'école publique fréquentées par les enfants de la requérante, les autorités ont agi dans les limites de la marge d'appréciation dont dispose l'État défendeur dans le cadre de son obligation de respecter, dans l'exercice des fonctions qu'il assume dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, le droit des parents d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques.

77.  La Cour en déduit qu'il n'y pas eu violation de l'art. 2 du Protocole n° 1.

 

Chapitre V :
La protection de propriété individuelle

Convention EDH. Protocole n°1 :

Art. 1. Respect du droit de propriété - Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou amendes.

Domaine de cette disposition

Cour EDH 28 septembre 2004

Kopecky c. Slovaquie (D. 2005 J 870)

La Conv. EDH ne garantit pas le droit d’acquérir un bien et seuls les biens au sens de l’art. 1er du Protocole n° 1 sont concernés.

Cour EDH 30 novembre 2004

Oneryildiz c. Turquie

(Sudre et autres, « Grands arrêts de la Cour EDH » 5ème éd. n° 64)

La Cour rappelle que la notion de « biens » prévue par la première partie de l’art. 1er du Protocole 1 a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété des biens corporels et qui est indépendante par rapport aux qualifications formelles du droit interne : ce qui importe c’est de rechercher si les circonstances d’une affaire donnée, considérées dans leur ensemble, peuvent passer pour avoir rendu le requérant titulaire d’un intérêt substantiel protégé par cette disposition... Ainsi, à l’instar des biens corporels, certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi être considérés comme des « droits de propriété », et donc comme des « biens » aux fins de cette disposition... La notion de « biens » ne se limite pas non plus aux « biens actuels » et peut également recouvrir des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » et raisonnable d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété.

§ 1 -  Principe

Principe d’interdiction de toute ingérence

Cour EDH 23 septembre 1982

Sporrong et autre c. Suède (Sudre et autres « Grands arrêts de la Cour EDH » 5ème éd. n°65)

L’art. 1er du Protocole 1 contient trois normes distinctes. La première, d’ordre général, énonce le principe du respect de la propriété ; elle s’exprime dans la première phrase du premier alinéa. La deuxième vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; elle figure dans la seconde phrase du même alinéa. Quant à la troisième, elle reconnaît aux États le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général et en mettant en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires à cette fin ; elle ressort du deuxième alinéa. La Cour doit s’assurer de l’applicabilité des deux dernières de ces normes avant de se prononcer sur l’observation de la première.

Cour EDH 7 août 1996

Zubani c. Italie (Gaz.Pal. 1997 II 475)

L’occupation illégale d’un terrain par l’Administration constitue une ingérence qui s’analyse en une privation de propriété au sens de la seconde phrase de l’art. 1 du Protocole n°1 à la Conv.EDH.

Conditions d’une juste ingérence de l’État

Cour EDH 27 octobre 1994

Katte Klitsche de la Grange c. Italie (Gaz.Pal. 1995 II 533)

En présence d’une ingérence dans le droit de propriété, il y a lieu de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu.

Cour EDH 23 novembre 2000

Ex-roi de Grèce c. Grèce (Gaz.Pal. 2001 J 1516 note C. Pettiti)

La Cour rappelle que la notion de « biens » prévue par la première partie de l’art. 1 du Protocole n° 1 de la Conv.EDH a une portée autonome qui est indépendante par rapport aux qualifications formelles du droit interne.

La Cour estime dès lors que les biens en question appartenaient aux requérants à titre privé et non en leur qualité de membres de la famille royale ; partant, les domaines litigieux constituaient un « bien » aux fins de l’art. 1 du Protocole n° 1, qui trouve à s’appliquer en l’espèce.

La Cour rappelle que l’art. 1 du Protocole n° 1 exige, avant tout et surtout, qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect de biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article n’autorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » et le second alinéa reconnaît aux États le droit de réglementer l’usage des biens en mettant en vigueur des « lois ».

La Cour estime que, grâce à une connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est « d’utilité publique », sauf si leur jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable.

Une mesure d’ingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. L’absence de toute indemnisation pour la mainmise sur les biens des requérants rompt, en défaveur de ceux-ci, le juste équilibre à ménager entre la protection de la propriété et les exigences de l’intérêt général.

Cour EDH 29 avril 1999

Chassagnou et autres c. France (D. 1999 IR 163)

Si des propriétaires ne sont pas dépouillés du droit d’user de leurs biens, de les louer ou de les vendre, l’apport forcé de leur droit de chasse sur leur terrain à une association communale de chasse agréée, ainsi que le prévoit la loi française 64-696 du 10 juillet 1964, dite loi Verdeille, les empêche de faire usage de ce droit, directement lié au droit de propriété, comme bon leur semble.

Cette limitation apportée à la libre disposition du droit d’usage constitue une ingérence dans la jouissance des droits que les requérants tirent de leur qualité de propriétaire.

S’il est dans l’intérêt général d’éviter une pratique anarchique de la chasse et de favoriser une gestion rationnelle du patrimoine cynégétique, le système de l’apport forcé aboutit à placer les requérants dans une situation qui rompt le juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l’intérêt général. Il y a donc violation de l’art. 1er du protocole n° 1.

Cour EDH 28 octobre 1999

Brumarescu c. Roumanie (D. 2000 SC 187, note Fricero)

La Cour admet qu’une privation de propriété par nationalisation peut se justifier si l’on démontre qu’elle est intervenue pour cause d’utilité publique, dans les conditions prévues par la loi, et sous réserve d’un juste équilibre entre l’intérêt général et les droits de l’individu.

La Cour observe qu’aucun motif sérieux justifiant la privation de propriété n’est invoqué, et que le requérant se trouve privé de son droit depuis plus de quatre ans sans avoir perçu d’indemnité reflétant la valeur réelle de son bien, ce qui traduit une rupture du juste équilibre.

§ 2 -  exceptions

Protection de l’environnement

Cour EDH 27 novembre 2007

Dame Hamer c. Belgique (Gaz.Pal. Tables 2008 v° Droits de l’homme n° 25)

L'affaire portait sur un litige au sujet d'une maison appartenant à l'intéressée, ressortissante néerlandaise résidant à Amsterdam.

La cour rappelle que si aucune disposition de la Convention n'est spécialement destinée à assurer une protection générale de l'environnement en tant que tel, la société d'aujourd'hui se soucie sans cesse davantage de le préserver. L'environnement constitue une valeur dont la défense suscite dans l'opinion publique, et par conséquent auprès des pouvoirs publics, un intérêt constant et soutenu. Des impératifs économiques et même certains droits fondamentaux, comme le droit de propriété, ne devraient pas se voir accorder la primauté face à des considérations relatives à la protection de l'environnement, en particulier lorsque l'Etat a légiféré en la matière. Les pouvoirs publics assument alors une responsabilité qui devrait se concrétiser par leur intervention au moment opportun afin de ne pas priver de tout effet utile les dispositions protectrices de l'environnement qu'ils ont décidé de mettre en oeuvre.

Ainsi, des contraintes sur le droit de propriété peuvent être admises, à condition certes de respecter un juste équilibre entre les intérêts en présence, individuel et collectif.

La Cour n'a donc aucun doute quant à la légitimité du but poursuivi par la mesure litigieuse: protéger une zone forestière non bâtissable.

Reste à déterminer en l'espèce si l'avantage pour le bon aménagement du territoire et la protection de la zone forestière où était située la maison de la requérante peut être considéré comme proportionné par rapport à l'inconvénient causé à celle-ci.

Tous les éléments conduisent la Cour à conclure que la requérante n'a pas subi une ingérence disproportionnée dans son droit de propriété.

II n'y a donc pas eu violation de l'article 1 du Protocole n° 1.

Atteintes émamant du pouvoir législatif (législation fiscale…)

Cour EDH 23 février 1995

Gasus-Dosier… c. Pays -Bas (Gaz.Pal. 1996 II 516)

Le second paragraphe de l’art. 1 du Protocole n° 1 réserve explicitement le droit pour les États contractants d’édicter des lois qu’ils jugent nécessaires pour assurer le paiement des impôts…

Pour adopter semblable loi, le législateur doit se voir reconnaître une ample marge d’appréciation, spécialement en ce qui concerne la question de savoir si -et, dans l’affirmative, jusqu’où- le fisc doit être placé dans une position meilleure pour recouvrer ses créances que les créanciers ordinaires pour recouvrer leurs créances commerciales. La Cour respecte l’appréciation portée par le législateur en pareilles matières, si elle est pourvue de base raisonnable.

Atteintes émanant du pouvoir judiciaire

Cour EDH 18 juillet 1994

Veditelli c. Italie (Gaz.Pal. 1995 II 532)

S’inscrivant dans le cadre de la procédure pénale, le séquestre poursuivait un double objectif : sauvegarder les preuves de l’infraction et éviter l’aggravation de cette dernière. La mesure avait donc un but légitime.

Cour EDH 5 mai 1995

Air Canada c. Royaume-Uni (DS 1996 SC 202 note Fricero)

La saisie d’un avion n’entraîne pas de transfert de propriété et la décision d’en prononcer la confiscation n’a pas pour effet de priver la compagnie aérienne de la propriété de celui-ci ;

La restitution de l’avion sous condition d’un versement est une mesure prise en application d’une politique tendant à empêcher les transporteurs d’importer des drogues prohibées ;

Dès lors, le second alinéa de l’art. 1er du Protocole n° 1 de la Conv. EDH est applicable ;

Les mesures prises cadrent avec l’intérêt général, d’autant plus que la compagnie aérienne avait la faculté d’exercer un recours ;

Vu la grande quantité de drogue découverte, la condition de verser une certaine somme n’est pas disproportionnée à l’objectif poursuivi, un juste équilibre étant réalisé ;

Quant à la saisie, les inspecteurs devaient entamer une procédure en confiscation dès que la saisie de l’appareil avait été contestée ;

L’exigence de l’accès au tribunal était donc remplie à cet égard…

Atteintes émanant du pouvoir exécutif

Cour EDH 22 septembre 1994

Hentrich c. France (Gaz.Pal. 1995 II 535)

Si le système du droit de préemption de l’Administration fiscale ne prête pas à critiques en tant qu’attribut de la souveraineté de l’État, il n'en va pas de même lorsque son exercice est discrétionnaire et qu'en même temps la procédure n'est pas équitable. La décision de préemption ne peut avoir de légitimité en l’absence d’un débat contradictoire et respectueux du principe de l’égalité des armes, qui permette de discuter la question de la sous-évaluation du prix, et par voie de conséquence, la position de l’Administration fiscale.

Suite des Grands arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme

Signe de fin