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DE L'INTERPRÉTATION
DES LOIS PÉNALES
(suivant la science rationnelle)

par J.-A. Roux « Cours de droit criminel »
( 2e éd., 1927 )

§ 18. -  Nécessité de l'interprétation.

Interpréter la loi pénale, c’est en déterminer la signification, afin d’en permettre ou d’en donner l’application exacte.

L’interprétation des lois est une nécessité, parce qu’il est impossible, et d’ailleurs peu désirable, que la loi renferme l’indication de toutes les hypothèses particulières, susceptibles de se présenter, et règle chacune d’elles par une disposition spéciale. Pour demeurer claire, la loi doit rester concise, et contenir simplement l’énonciation de règles générales, en laissant à l’interprétation le soin d’adapter ces règles aux espèces concrètes.

En principe, c’est à celui qui a fait la loi qu’il appartient d’en donner le sens.

Mais, qu’on s’adresse pour cette mission au législateur, ou qu’on la confie, comme dans la Constitution de l’an VIII, au Conseil d’État, l’interprétation législative ne suffit pas ; et l’on est obligé de remettre au juge, qui est chargé d’appliquer la loi, le pouvoir d’en déterminer la signification.

Cette interprétation est l’interprétation judiciaire.

§ 19. -  Règles d’interprétation judiciaire.

Toute interprétation suppose la recherche de ce qui est la loi, c’est-à-dire de ce qu’a voulu et de ce qu’a fait le législateur.

II y a là une double détermination, dont l’ensemble seul constitue la loi, parce que ce que le législateur a voulu sans l’exprimer dans un texte n’est pas la loi, n’étant pas dans la loi (exemple : les lois imparfaites), et parce que ce que le législateur a fait, sans l’avoir voulu, bien qu’étant dans la loi, doit être, autant qu’on le peut, rejeté de celle-ci, comme n’y étant pas rationnellement (cessante ratione legis, cessat ejus dispositio).

Cela revient à dire que la loi est dans la combinaison raisonnée de son esprit et de sa lettre.

Esprit de la loi

Techniquement, l’esprit de la loi est dans la perception du but que s’est proposé le législateur, en édictant les prescriptions qu’il a prises.

Pratiquement, l’esprit de la loi se trouve dans les travaux préparatoires de la loi, c’est-à-dire dans les discussions qui ont précédé son vote, et qui en éclairent le sens.

Mais, tous les travaux préparatoires n’ont pas la même valeur ; des distinctions sont à faire :

1° L’esprit d’un texte qui a été voté sans modification est à chercher avant tout, s’il s’agit d’un projet de loi, dans l’exposé des motifs qui le précède ; et s’il s’agit d’une proposition de loi émanant de l’initiative parlementaire, dans le rapport de l’auteur de la proposition.

2° L’esprit d’un texte, qui a son origine dans un amendement, est également à chercher, principalement dans le discours de l’auteur de l’amendement, et, à défaut d’indication, dans les discours des membres du Parlement, qui ont pris la parole à cette occasion.

3° Enfin, l’esprit d’un texte, que n’éclaire aucune des sources précédentes, est à demander de préférence aux discours des orateurs qui se sont tenus le plus près du but que la disposition législative a pour objet de réaliser.

En pareil cas, l’opinion d’un membre du gouvernement peut ne pas avoir plus d’importance que celle d’un député, ou d’un sénateur.

Au reste, c’est à la pensée des auteurs de la loi qu’il faut s’en tenir, et non pas à .ce que pourrait être celle-ci en présence des besoins actuels et nouveaux : la loi est, en effet, inséparable de la volonté qui l’a rédigée.

Lettre de la loi

La détermination de la lettre de la loi est donnée par l’examen grammatical et l’analyse logique de son texte, c’est-à-dire des expressions qu’il renferme, appréciées dans leur sens et leur position dans la phrase.

Comme il arrive souvent qu’une expression possède dans la langue française des significations différentes, la précision du sens qu’elle doit recevoir est à chercher d’abord dans le langage juridique, en laissant de côté la langue ordinaire (sens technique et sens vulgaire des mots) ; et ensuite entre plusieurs acceptions juridiques, dans le but spécial poursuivi par le législateur : d’où la maxime, la lettre de la loi tue, si on ne la vivifie pas au moyen de son esprit.

Limites de l’interprétation judiciaire

Comme il vient d’être dit, l’interprétation judiciaire est simplement la déclaration de ce qui est la loi.

Pour faire cette déclaration, le juge doit prendre la loi telle qu’elle est.

Si des erreurs se sont glissées dans le texte d’une loi, il ne lui appartient pas de les corriger.

D’autre part, si une lacune apparaît dans son contenu, il n’échet pas davantage à l’autorité judiciaire, si haut placée qu’elle soit, de la faire cesser : ce serait substituer une oeuvre différente au monument législatif, et créer des peines arbitraires. Il n’existe pas, en effet, en matière pénale, de règle analogue à celle de l’article 4 du Code civil, qui impose au juge, à peine de déni de justice, de ne pas s’abstenir de juger sous prétexte du silence ou de l’obscurité de la loi.

En pareil cas, le juge pénal doit prononcer un jugement de relaxe, et mettre hors de poursuite, pour cause de silence de la loi, le prévenu amené devant lui. Il en doit être ainsi, parce que le droit pénal a un caractère légal, et que la coutume n’est pas comprise au nombre de ses sources.

Par opposition, à ce qui est admis en droit civil, il n’y a donc pas, en droit pénal, d’application de la loi pénale par voie d’analogie, ou de raisonnement a contrario ou a fortiori, ni possibilité de constitution d’un droit prétorien. Limitée à ce qui est la loi, l’interprétation doit dégager uniquement ce qu’a voulu et fait le législateur. C’est en ce sens qu’on a l’habitude. de dire que les lois pénales sont de stricte interprétation.

Mais, dans ces bornes, l’interprétation est libre pour donner à la règle légale toute l’étendue qu’elle comporte, et lui faire embrasser toutes les hypothèses, mêmes nouvelles, que contiennent logiquement ses prescriptions.

Toutefois, il est reconnu que, en cas de doute, l’interprétation la plus favorable pour l’inculpé est à préférer.

Il en est ainsi, non pas tant seulement à cause du caractère rigoureux de la sanction pénale, que parce que le doute doit faire hésiter sur la volonté du législateur à comprendre cette hypothèse sous l’empire de la règle, et que le droit pénal doit avoir un caractère légal, non pas d’une façon équivoque, mais d’une manière certaine.

De plus, il est admis que le juge peut réparer les simples erreurs matérielles qui se sont glissées dans le texte de la loi pénale.

Reconnaissance de principes supérieurs

Malgré les règles d’interprétation qui précèdent, il y a lieu d’admettre des principes supérieurs d’équité, qui régissent les théories du droit pénal, non pas sans doute en l’absence de toute disposition législative, mais au delà des termes des applications qui en sont faites, et dont la présence dans la législation en suppose la reconnaissance implicite.

C’est ainsi que, en dépit du silence de la loi, la solution de l’article 64 du Code pénal, décidant qu’il n’y a ni crime ni délit quand le prévenu est en état de démence au temps de l’action, ou lorsqu’il a été contraint par une force irrésistible, a été étendue à la matière des contraventions de police.

C’est ainsi que l’article 66 du Code pénal, qui veut que l’accusé de moins de seize ans … soit acquitté, lorsqu’il est décidé qu’il a agi sans discernement, a été reconnu applicable, par identité de raison, aux contraventions de simple police, bien que, par sa place dans le Code pénal, il soit spécial aux crimes et aux délits.

C’est ainsi également que, malgré les termes des articles 327 et 328 du Code pénal, n’admettant la justification qu’en cas d’homicide, de blessures ou de coups, la théorie des faits justificatifs a été appliquée à n’importe quel crime ou délit, commandé par l’autorité légitime, ou nécessité pour la défense de soi-même et d’autrui.

C’est ainsi encore que, de quelques textes particuliers, on a déduit le principe de la rétroactivité de la loi pénale la plus douce ; et que, par voie d’induction, on a dégagé de l’autorité de la chose jugée le principe non bis in idem.

Il existe donc, à. n’en pas douter, non pas un droit pénal coutumier à proprement parler, mais un droit pénal non écrit, conséquence de la technique insuffisante du Code pénal.

La règle « nullum delictum sine lege nulla » n’est pas un obstacle à son admission, puisque précisément sa reconnaissance dans le domaine qui lui est assigné a pour effet, non de créer un délit ou une peine, mais d’enlever à un fait commis son caractère délictuel.

D’un autre côté, l’article 65 du Code pénal, d’après lequel nul crime ou délit ne peut être excusé, ni la peine mitigée, que dans les cas où la loi déclare le fait excusable ou permet de lui appliquer une peine moins rigoureuse, n’élève pas davantage une objection, puisque ce texte, limité aux excuses, est étranger aux causes de justification ou d’irresponsabilité pénale.

Signe de fin