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DE LA TENTATIVE ET DE L’ATTENTAT
De la tentative suivant la science rationnelle

J. Ortolan, « Éléments de droit pénal »
(4e éd., T.1 p. 434 - Paris 1875)

981.

Le délit fort souvent est le résultat d’une volonté spontanée, exécutée aussitôt que formée, mais plus souvent encore l’agent, avant de l’accomplir, suit une progression d’actes successifs, qu’il importe d’examiner.

Une première série de ces actes se passe toute dans le mystère de l’activité psychologique de l’homme : la pensée traverse l’esprit, elle s’aiguillonne en désir, le désir se fixe en projet, le projet devient une résolution arrêtée : ce sont les actes internes.

Une seconde série appartient à l’activité extérieure. La résolution arrêtée, quoiqu’elle se cache le plus souvent, peut néanmoins se manifester au dehors, en paroles, en écrits, par menaces, par confidences et communications, surtout lorsque l’agent cherche des complices ; elle peut même avoir été arrêtée après délibération et par concert entre plusieurs, ce qui la fait passer dans les actes extérieurs.

Le projet résolu, l’agent prend ses mesures pour l’exécution : il examine les lieux et les personnes, ils cherche et obtient les renseignements, il se procure, il dispose les instruments et les moyens, il se transporte sur les lieux, il est prêt à exécuter : ce sont les actes préparatoires.

L’agent passe aux actes d’exécution, c’est-à-dire qu’il se met à l’œuvre du délit, qu’il emploie son activité à produire le mal du délit ; mais dans cette exécution elle-même combien de nuances, soit qu’elle se résume en un seul acte, destiné par sa nature et par ses effets ordinaires à amener à lui seul le résultat, soit qu’elle exige des opérations multiples, que l’agent y insiste, s’y emploie en efforts redoublés et consacre une nouvelle succession d’actes à l’achever !

982.

Après le dernier acte d’exécution, le rôle de l’agent, quant à la production du délit, est terminé ; mais quel va être l’effet de ses actes ? Quelles lésions de droits, quel préjudice en va-t-il résulter ? Il s’ouvre là une troisième série de faits, qui ne se réfère plus à l’exercice même de l’activité de l’agent, mais qui se rapporte aux conséquences de cette activité, et qui conduit jusqu’à la consommation du délit, c’est-à-dire jusqu’à la réalisation du mal qui en était le but final.

983.

Or, dans cette gradation, dans cette succession possible des faits, jusqu’à quel point l’agent est-il allé ? Jusqu’à quel point l’effet préjudiciable a-t-il été produit ? Et quelle doit être la loi pénale pour chaque terme distinct de la progression ? Telles sont les questions qui s’élèvent pour le criminaliste.

984.

Quand le mal qui constitue la fin du délit, mal qui doit être indiqué par conséquent dans la définition même du délit, a été produit, par exemple la mort dans l’homicide, la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui dans le vol, on dit que le délit est consommé. C’est là incontestablement le délit complet, le délit défini par la loi pénale, celui contre lequel la peine est édictée, en quelque sorte le type du délit. Les autres termes, qui s’en approche plus ou moins mais sans l’atteindre, n’en sont incontestablement, en fait, que des diminutifs. Il s’agit de savoir comment ils devront être traités en droit.

985.

Les actes internes, fussent-ils avoués, et la preuve n’en peut être saisie autrement que par un aveu, par une confidence quelconque, par le propre témoignage écrit ou non écrit de la personne en qui ils se sont passés, puisque c’est dans le for intérieur que ces actes ont lieu ; les actes internes, que cette personne ait renoncé à y donner suite par une répudiation morale de ses mauvaises pensées, ou parce qu’elle a vu quelque obstacle s’élever, ou parce que l’occasion ne s’est pas présentée, ne sauraient en aucun cas tomber sous le coup de la pénalité humaine. C’est d’une autre justice qu’ils relèvent : nous n’avons plus à y revenir.

986.

La menace, l’association et le concert par suite desquels la résolution a été arrêtée entre plusieurs peuvent, en certains cas, présenter par eux-mêmes, surtout lorsqu’ils se réfèrent à des crimes graves, des caractères assez immoraux et assez nuisibles pour constituer un délit, nous l’avons dit ci-dessus ; mais c’est alors un délit spécial, un délit distinct de celui annoncé par la menace ou dont la résolution a été concertée et arrêtée entre plusieurs, et bien inférieur. Trop d’intervalle sépare encore le projet, même résolu, même annoncé au dehors, même arrêté entre plusieurs, de la réalisation, pour qu’il puisse y avoir, en science rationnelle, le moindre doute à cet égard ; quelle que soit encore la cause qui ait fait que l’agent ou les agents se soient arrêtés à ce point.

La menace est plus particulièrement encore sous ce rapport dans une classe à part ; car c’est moins à cause de la résolution qu’elle annonce, qui pourrait ne pas être sérieuse, qu’à cause de l’alarme, de l’intimidation qu’elle produit, de l’outrage qu’elle contient et du but coupable dans lequel elle est faite, que le législateur est autorisé à l’incriminer (ci-dessus, n°802).

987.

Lorsque l’agent en est venu aux actes préparatoires, un pas de plus est fait vers le délit, mais le délit n’est pas encore commencé. Que l’agent soit, par une cause quelconque, arrêté à ce point, on aura toujours à se demander, sous le rapport de sa culpabilité intentionnelle, s’il aurait persisté ou non dans sa résolution, s’il aurait usé des moyens par lui disposés ou s’il ne les aurait pas abandonnés ; et dans tous les cas, ce qui est certain, en fait, c’est qu’il n’en a pas usé.

Cependant, il peut arriver deux choses : ou que les actes préparatoires se réfèrent à un crime tellement grave et dangereux pour la société que le législateur soit autorisé à les punir en leur qualité d’actes préparatoires, à raison même du crime dont ils étaient et dont il faudra prouver qu’ils étaient la préparation, comme acheminement vers ce crime ; mais se devra être, à coup sûr, d’une peine bien inférieure à celle du crime lui-même.

Ou bien il pourra arriver encore que ces actes accomplis comme préparatifs d’une action coupable constituent par eux-mêmes, indépendamment du délit auquel il se réfèrent, un autre délit prévu et pénalement réprimé par la loi : comme si, par exemple, pour se préparer à commettre un assassinat, quelqu’un volait un fusil au voisin, fabriquait de la poudre en contravention avec les lois sur cette fabrication, où s’armait d’un poignard en contravention avec les lois sur les armes prohibées. Ces préparatifs formeront alors un délit punissable en lui-même, sans qu’il soit même nécessaire de prouver le but criminel dans lequel ils étaient faits.

Dans l’un et dans l’autre cas, l’acte préparatoire n’est pas même le commencement du crime dont il est la préparation ; préparation et commencement sont deux choses distinctes.

988.

Du moment que l’agent en est venu aux actes d’exécution, cet agent est entré dans le délit même défini par la loi ; on peut dire que ce délit est commencé.

989.

Ici se présente une expression rendue technique en droit pénal, dont il importe de bien déterminer le sens, celle de tentative. Et il y a entre ces deux termes intention et tentative une corrélation d’idée que nous croyons utile de faire remarquer. L’intention (de « tenderein ») est le fait psychologique, le fait intérieur de la tendance, de la direction de notre volonté, et, par suite, de nos actions ou de nos inactions, vers un résultat à produire (voir ci-dessus n°249, 377 et suivants). La tentative (de « tentare », fréquentatif de « tenere », tâter, porter la main à diverses reprises est le fait d’avoir mis la main aux actes extérieurs tendant à la production de ce résultat (« ad tentare »).

Il suit de là que la tentative n’existe, en droit pénal, que lorsqu’il y a un acte ou une série d’actes, non seulement extérieurs, mais actes de mainmise, tendant à l’accomplissement du délit. D’où la conséquence que, ni la menace, ni la résolution concertée et arrêtée entre plusieurs, ni la provocation par paroles ou par écrit à commettre un délit, ne sauraient être qualifiées de tentative ; une telle qualification serait contraire à la nature même des choses, serait une falsification des faits et des termes : il n’y a pas encore eu mise à l’œuvre.

Lorsque l’agent en est venu aux actes préparatoires, peut-on dire qu’il y a tentative ? À la rigueur, et dans l’acception la plus large du mot, on le pourrait, car il y a eu mainmise à des actes extérieurs ayant pour but de parvenir à l’accomplissement du délit. Nos anciens ont usé du mot en ce sens, en l’affaiblissant par les épithètes éloignées, tentative éloignée.

Mais, à vrai dire, les actes préparatoires ne tentent pas à produire par eux-mêmes le mal du délit ; ils ne sont qu’un préalable, qu’une préparation à agir ; ce n’est pas au délit lui-même que l’agent a mis la main, il ne l’y mettra que par le premier acte d’exécution. La véritable tentative commence avec ce premier acte, et elle s’avance de plus en plus vers le but à mesure que l’agent est plus près d’achever cette exécution. Ce sera dans ce sens, déduit des données mêmes de la science rationnelle, que nous emploierons le mot tentative.

990.

La tentative peut-être inachevée ou achevée : inachevée, ou en d’autres termes, suspendue, lorsque l’agent, avant d’avoir mené à leur fin les actes d’exécution, s’est arrêté volontairement ou a été arrêté contre son gré dans le cours de ces actes ; achevée, lorsque, les actes d’exécution ayant été accomplis en entier par l’agent, le mal du délit n’a cependant pas été produit. Ce dernier cas se désigne encore par le nom de délit manqué.

Comment régira-t-on, en droit pénal, la tentative et les nuances diverses qu’elle présente ? Le problème n’est plus aussi simple que celui concernant les actes par lesquels elle est précédée, ni les solutions aussi unanimes.

991.

Si la tentative inachevée a été suspendue par la volonté de l’agent, cette suspension étant le fait de l’agent, lui sera imputée à bien, on ne recherchera pas le mobile interne de cette volonté de s’arrêter : est-ce repentir, ou bien prudence, appréhension de quelque danger que la réflexion à fait entrevoir, crainte du châtiment ? Qui peut sonder les cœurs ici-bas ? Il est l’auteur de la suspension, la cause efficiente et volontaire, on la porte à son compte, à sa décharge. Mais cela suffira-t-il pour qu’aucune peine ne lui soit appliquée à raison des faits déjà par lui accomplis jusqu’au moment où il s’est arrêté ? Les règles communes de la justice pénale ne sauraient donner cette conclusion. Le délit n’en a pas moins été commencé, les faits antérieurs n’en ont pas moins été commis. Fût-ce repentir, il ne suffit pas à un délinquant de se repentir après un acte coupable pour en faire disparaître la culpabilité. Le repentir, effaçant la faute et servant même de mérite à l’âme qui en est pleine, est chose de régénération divine et de sublimité chrétienne, mais non de justice terrestre. Ce peut-être un motif au juge d’atténuer la mesure individuelle de la peine, mais, sauf cette atténuation, la peine des faits accomplis est encourue.

Cependant là-dessus une autre observation, toute basée sur l’utilité sociale, se présente : n’importe-t-il pas, en vue de cette utilité, de donner au délinquant qui a commencé l’exécution d’un délit un intérêt majeur à s’arrêter ; et cet intérêt ne se trouvera-t-il pas de la manière la plus efficace dans l’impunité qui sera offerte à ce délinquant, si la loi pénale promet de tenir pour non avenu, quant à la peine, le délit que de lui-même il aura renoncé à achever ? C’est à cette règle que se fixent les législations positives ; et la science rationnelle, non pas de la justice absolue, mais de la justice pénale des sociétés, n’a rien à y reprendre. Nous connaissons la condition inférieure de cette justice : l’impunité qu’elle décrète ici est décrétée par des motifs d’intérêt public, et elle n’est pas accordée au repentir seulement, elle est offerte même à l’intérêt du délinquant, qu’elle provoque. Toutefois, cette impunité n’est accordée qu’en ce qui touche le délit que l’agent avait commencé à exécuter et dont il s’est départi. Si les actes d’exécution déjà par lui accomplis constituent en eux-mêmes un délit achevé, par exemple, si, ayant voulu tuer, il s’arrête après le premier coup, qui n’a fait qu’une blessure, qu’il donne ou fasse donner secours au blessé et que celui-ci ne meure point, le délinquant ne sera point puni à raison du crime du meurtre auquel il a renoncé, et qui n’a pas été produit, mais il le sera pour blessure et suivant la gravité de cette blessure, laquelle forme en soi un délit complet.

992.

Si la tentative inachevée a été suspendue par des causes indépendantes de la volonté de l’agent, la peine du délit commencé est encourue, mais doit-elle être égale à celle du délit consommé ? Deux motifs s’opposent à cette égalité :

L’un, tiré de la personne de l’agent, de la mesure même de la culpabilité : c’est que l’agent n’a pas achevé tous les actes d’exécution. Sans doute la suspension, provenant d’une cause étrangère à sa volonté, ne saurait lui être imputée à bien, on ne peut lui en faire un mérite ; mais que conclure de là ? Qu’aucune rémission ne lui sera faite, comme dans le cas précédent, pour les actes par lui accomplis : c’est de toute justice. Mais quant aux actes ultérieurs, quelle que soit la cause qui l’ait arrêté, toujours est-il que, ni physiquement ni moralement, on ne peut dire qu’il les ait commis : or est-il permis à la justice humaine de punir quelqu’un pour des actes qui n’a pas faits ? Mais, dira-t-on, s’il n’eût été arrêté, il les aurait faits : c’est une hypothèse très probable sans doute, mais est-il permis de punir sur une hypothèse ? Il a voulu, ou, pour mieux dire, il aurait voulu faire ces derniers actes ; mais la volonté suffira-t-elle pour qu’on fasse entrer dans le calcul de la peine ces derniers actes qui n’ont pas existé ? Avec cela n’arrive-t-on pas directement à punir, dans ces derniers actes, la pensée, la volonté seule ? En réalité, l’agent n’a pas mené à fin tous les actes d’exécution, la possibilité de s’arrêter volontairement existait encore pour lui ; il est peu probable qu’il en eût usé, je l’accorde : mais peut-on, en fait de châtiment, tourner la probabilité contre lui ?

993.

Nous sommes, quand nous nous laissons aller à apprécier, par instinct, par sentiment et non par raisonnement, la gravité de la tentative, entre deux tendances contraires : une tendance venant de notre nature complexe, à la fois physique et morale, qui nous fait voir que les actes ultérieurs n’ont pas eu lieu, que la tentative suspendue même fortuitement n’est pas égale au crime consommé ; qu’elle en est une partie, mais qu’elle n’en est pas le tout, et que dès lors elle ne saurait être punie également ; - puis une tendance tout immatérielle, qui nous fait dire : Le délinquant avait l’intention de persévérer dans les actes d’exécution, de mener à fin le délit, en son âme et moralement la culpabilité entière existe, il doit donc subir la peine entière du délit. C’est là de la justice absolue, dégagée de l’élément des faits et du temps, une justice hors de notre portée. Même dans cette donnée toute spiritualiste, en la solution que nous prétendons en tirer, nous ne sommes pas justes. Nous partons de l’hypothèse que l’agent avait l’intention et qu’il aurait eu l’intention jusqu’au bout d’achever son délit : or cela, Dieu seul le sait, Dieu seul qui lit dans la pensée et dans l’avenir, qui peut voir quelle eût été la volonté ultérieure du coupable et ce qui serait arrivé au gré de cette volonté si les événements n’avaient pas tourné d’une autre manière. Est-il possible de jeter en une telle voie les tribunaux humains ? C’est une aspiration vers la justice absolue, avec l’impuissance de l’exercer.

994.

Le second motif est tiré du résultat des actes de l’agent : c’est que le mal constitutif du délit n’a pas eu lieu. Ce second motif a déjà été justifié en principe général (ci-dessus, n°963 et suivants) ; nous allons le discuter plus en détail dans l’hypothèse qui suit.

995.

Si la tentative a été achevée par l’agent, mais que l’effet en ait été manqué. Par exemple, le coup de feu destiné à donner la mort a été tiré, mais la personne sur laquelle il était dirigé n’a pas été atteinte, ou bien elle n’a été que blessée, et les soins de l’art ont fini par la ramener à la vie ; le poison a été jeté dans les aliments et donné, mais la personne qui l’a pris a été sauvée par sa constitution, par un contrepoison administré à temps, par l’habileté du traitement médical ou par une cause accidentelle quelconque  : la peine du délit manqué sera certainement encourue, mais sera-t-elle égale à celle du délit consommé ?

La première raison qui existait dans le cas précédent pour l’infériorité de la peine, c’est-à-dire la raison tirée des actes mêmes de l’agent, n’existe plus ici. L’agent a fait tout ce qui était en lui pour achever le délit ; il a mené les actes d’exécution jusqu’au bout ; il n’avait plus rien à y ajouter ; son rôle quant à la production du délit était terminée.

Mais il reste la seconde raison, celle tirée du résultat des actes de l’agent : l’effet constitutif du délit n’a pas été produit. Le délit est achevé quant à l’agent, mais il ne l’est pas quant à la victime, quant à la société, quant au mal qui en constituait la fin ; le préjudice social et le préjudice privé sont moindres ; celui-ci peut même être nul. Toute la démonstration que nous avons faite en principe général revient ici pour faire voir que la peine doit être moindre.

996.

Faisons le compte du coupable suivant les règles scientifiques les plus sévères de l’imputabilité. Nous lui imputerons, comme en étant la cause première, la cause efficiente, tous les actes qu’il a faits pour arriver à la consommation du délit ; dans ce compte figureront ces actes extrêmes, ces derniers actes de l’exécution qui manquaient dans la tentative inachevée mais qui se trouvent ici : son compte sera donc plus chargé que dans le cas précédent. Mais nous ne pourrons lui imputer, comme en étant l’auteur, comme en étant la cause efficiente, le mal constitutif du délit, puisque ce mal n’a pas eu lieu. Son compte sera donc moins chargé que dans le délit consommé.

Prétendre lui porter ce mal en compte, comme s’il avait eu lieu réellement, en disant : Mais il l’avait voulu, mais il a fait tout ce qui était en lui pour l’atteindre, mais il n’a pas tenu à lui qu’il ne fût réalisé, mais c’est un accident, mais c’est un hasard s’il ne l’a pas été : c’est toujours, en définitive, vouloir, par une raison d’intention, compter comme advenus des faits qui ne l’ont pas été, et punir, quant à ce mal, la volonté pour le fait ; c’est toujours vouloir s’abstraire de la réalité des faits physiques par la prédominance des faits moraux ; c’est toujours notre aspiration vers l’immatériel, notre noble ambition d’échapper à notre nature terrestre par le souffle de spiritualisme qui est en nous ; toujours la théorie de la justice absolue, qui ne peut pas être celle des sociétés.

997.

Les meilleurs esprits, je ne parle pas dans la pratique, mais dans la théorie, dans la science pure, ont bronché sur ce point. Parmi ceux-là mêmes qui ont tenu le plus fortement à faire reconnaître l’infériorité de la peine applicable à la tentative suspendue, par comparaison avec celle du délit consommé, plusieurs s’arrêtent dans cette voie devant le délit manqué, égalant ce délit manqué au délit consommé, ou bien restant en hésitation, sans solution précise et sans démonstration. Nous attribuons ces incertitudes ou ces contradictions à ce que la théorie fondamentale du droit pénal est mal assise dans ces esprits, ou vaguement entrevue, ou bien à ce que, n’en ayant pas arrêté la formule avec netteté, on l’abandonne après l’avoir énoncée comme une généralité, sans en déduire les conséquences qu’elle contient. Pour nous, qui marchons avec elle pas à pas, et qui lui demandons constamment la solution de nos problèmes, nous voyons ces solutions en sortir toujours fermes et concordantes.

998.

C’est au sujet de cette tentative achevée, dont l’effet a été manqué, que la double tendance à laquelle nous obéissons instinctivement se fait sentir. Si, de deux coupables de meurtre, dont l’un a tué sa victime, tandis que l’autre a vu la sienne survivre au crime ou peut-être n’en n’avoir pas été atteinte, le premier éprouve des remords plus cuisants et le poids du mal irréparable qu’il a causé, tandis que l’autre se sent plus léger dans ses remords à la pensée du mal qui n’a pas été fait, c’est que les maux dont nous sommes la cause productrice retombent sur nous, et que nous sentons bien que notre compte d’imputation s’en trouve chargé. Si le sentiment public, à l’aspect de ces deux coupables, obéit à ces différences, se portant à plus de sévérité, a plus d’animadversion contre l’un que contre l’autre, ce n’est pas par des considérations subtiles sur une compensation à établir entre le mal de la peine et les jouissances indues du crime que l’un aurait éprouvées, tandis que l’autre les aurait désirées sans les obtenir. Ceci est trop recherché et trop fréquemment faux pour entrer dans le sentiment public. C’est par un motif bien plus simple, bien plus réel : c’est que le public, instinctivement et sans y réfléchir, fait très bien le calcul de l’imputabilité, et met sur le compte de l’un une mort accomplie, qu’il ne peut pas mettre sur le compte de l’autre.

D’autres fois, il est vrai, le sentiment public, inconséquent avec lui-même, obéira à la voix intérieure du spiritualisme, se refusant à l’idée que celui qui a montré la persévérance dans le crime, qui a fait tous ses efforts pour y réussir, et dont la culpabilité morale est la même, puisse profiter des hasards de fait ou des causes étrangères à sa volonté qui ont sauvé sa victime. Ce sont les oscillations de notre nature entre les deux éléments complexes dont elle est composée : la vérité, pour la justice d’ici-bas, n’est que dans la combinaison de ces deux éléments. Ce qu’il y a de singulier, c’est que nul n’hésitera cependant à calculer la responsabilité pénale sur l’heur où le malheur des événements dans les cas de faute, d’imprudence, de préjudice ayant dépassé l’intention du délinquant, ou de délits commis à tout hasard de ce qui pourrait en arriver. C’est surtout dans les cas les plus graves, présentant des détails émouvants, où l’acharnement du coupable à achever son crime est mis en saillie, que nous hésitons. Mais, si graves qu’on les suppose, ces nuances des faits d’exécution, dont il faudra tenir compte assurément dans la mesure de la culpabilité individuelle, pourront-elles entrer en balance avec la mort d’un homme effectuée d’une part et non effectuée de l’autre ; avec l’incendie ayant consumé d’une part les édifices, et amené la ruine des familles, tandis que de l’autre, il a été éteint avant que, nul en ait souffert ; sans parler du même contraste qui peut se reproduire dans chaque délit ? « Toujours est-il vrai, suivant l’observation d’une cour d’appel, lors des travaux préparatoires de notre Code pénal, que la consommation réelle du crime laisse bien loin derrière elle toute l’atrocité imaginable des tentatives ».

999.

Platon voulait, lorsqu’un homme cherchant à en tuer un autre n’avait fait que le blesser, qu’on respectât le bon génie dont l’intervention secourable avait épargné à l’un le malheur de la mort et à l’autre celui du forfait accompli, et que, par conséquent, le coupable fût condamné seulement à s’exiler dans quelque cité voisine, après réparation du préjudice qu’il avait pu causer. Nous traduisons en raisonnement la poésie de Platon.

1000.

Mais l’imagination poétique est ondoyante et pleine de poésie : le raisonnement, s’il est exact, est inflexible et toujours un dans sa conclusion. Ce respect du bon génie, que Platon prescrivait d’avoir dans la tentative de meurtre ordinaire, il ne le voulait plus dans celle de meurtre par le fils contre son père, par l’esclave contre son maître, ou par les frères et sœurs l’un contre l’autre. Notre raisonnement subsiste pour les crimes atroces comme pour ceux qui le sont moins. Pour les uns comme pour les autres, il est vrai que la tentative inachevée est inférieure à la tentative achevée dont l’effet a été manqué, et que celle-ci est inférieure au crime consommé ; parce que, pour les uns comme pour les autres, il est toujours vrai que la partie n’est pas égale au tout, et que le compte d’une personne ne peut pas comprendre, par fiction spiritualiste, comme s’ils avaient eu lieu, des actes qu’elle n’a point faits ou des maux qui ne sont point arrivés.

1001.

Si c’est par une raison d’impossibilité que l’agent n’a pas produit le mal du délit qu’il avait en vue, le cas prend le nom de délit impossible, et demande un examen particulier. Et d’abord il y a des impossibilités différentes : quelle sera celle dont il s’agit ici ? Parcourons les hypothèses diverses.

1002.

L’agent porte un coup de poignard à celui qu’il veut assassiner et qu’il croit endormi : cet homme était déjà mort ; l’agent n’a frappé qu’un cadavre.

Il tire dans l’obscurité un coup de fusil sur quelque objet qui prend pour l’homme auquel il en veut : cet homme ne se trouvait pas même sur les lieux, ni aucune autre personne ; l’agent n’a visé et atteint qu’un tronc d’arbre.

Une femme se croyant enceinte, dans l’intention de se faire avorter, prend des substances abortives : aucune grossesse n’existait, aucun avortement n’était possible par conséquent. Ce cas, moins fantastique que les précédents, s’est vu dans la pratique.

L’agent coupe des arbres dans une propriété qu’il croit à autrui ; cette propriété lui était échue en vertu d’un legs ; à son insu il a coupé des arbres sur son propre fonds. Il soustrait frauduleusement quelque objet mobilier qu’il croit à autrui : cet objet, à son insu, lui appartenait ; c’est sa propre chose qu’il a soustraite.

L’impossibilité provient dans tous ces cas de l’objet même du délit. Cette sorte d’impossibilité est radicale, absolue : pour qui que ce soit et par quelque moyen que ce soit, il ne saurait y avoir homicide d’un homme déjà mort ou d’un tronc d’arbre, avortement d’une femme qui n’est pas enceinte, vol d’une chose qui est à soit. J’en ai lu quelque part un exemple, qui paraîtra drôlatique sans doute et dont je ne garantis pas la réalité.

Un soir, à la nuit tombante, dans les environs de Lyon, se présente devant une auberge et demande à y être reçu, un conducteur d’ours. Pour l’homme on aurait bien quelque place, mais pour l’ours, dont les gens de l’auberge ne laissent pas que d’être effrayé, il n’y en a point. Enfin, sur les instances du conducteur, voici l’expédient que trouve l’aubergiste : il a un porc, destiné être tué le lendemain ; ce porc sera extrait de sa loge, casé pour la nuit dans une cour, et l’ours ira prendre sa place, bien enchaîné, dans la loge à porc. Ainsi fût-il fait. Mais voilà que, bien avant dans la nuit, des cris, des appels au secours mêlés à des hurlements partis de la loge, mettent tout le monde en sursaut. Armes, lumières en main, l’on accourt, et l’on trouve, étreint fortement dans les pattes de l’ours, un homme : c’était un maître larron qui, voulant profiter de la nuit noire et du dernier moment pour enlever le porc, qu’il savait à point, se sentant tout à coup saisi, presque étouffé en de grands bras velus et secoués comme par le diable, crier miséricorde tant qu’il pouvait. N’y avait-il pas, dans cette affaire, vol impossible faute d’objet ?

1003.

Je passe à des hypothèses d’un autre genre. L’agent, dans quelques parties reculée des campagnes, est persuadé qu’à l’aide de certains sortilèges on peut donner la mort : cela s’est vu de nos jours, même en France. Le voilà qui, de concert avec la personne à laquelle il croit ce pouvoir surnaturel, se livre aux pratiques du sortilège, prononce les paroles magiques qu’on lui dicte, et appelle la mort sur celui à qui il en veut, convaincu qu’il va le faire mourir : nous prenons en pitié et en regret une telle superstition, sans que l’idée d’asseoir là-dessus un procès criminel nous puisse venir.

L’agent met dans un breuvage une substance inoffensive croyant y mettre un poison : comme la femme de ce menuisier de Margès, petit village de la Drôme, qui demande à un pharmacien de l’arsenic pour détruire les rats ; le pharmacien refuse, à moins de certaines formalités qui doivent être remplies ; et quelques jours après il en parle au mari qui passait ; « Ah ! La malheureuse ! Elle veut m’empoisonner ! Il faut l’éprouver. » L’épreuve est faite ; d’accord avec le mari, le pharmacien livre un sel sans caractère nuisible en place d’arsenic, et la femme poursuit, jusqu’au dernier acte, jusqu’aux aliments préparés, présentés au mari et mangés par celui-ci, son projet d’empoisonnement qu’elle croit accomplir.

L’agent qui tire sur celui qu’il veut tuer avec une arme à feu qui a été déchargée à son insu, ou bien avec une arme à feu qui n’a été chargée, à son insu, qu’avec du charbon pilé au lieu de poudre : nous ne craignons rien pour la personne menacée. Mais, si c’est la capsule seulement qui a été retirée, si le choc de l’acier allait faire jaillir quelque étincelle, si quelque parcelle de la poudre fulminante était restée ! Nous ne sommes plus aussi rassurés. Il tire avec une arme à feu dont la balle a été extraite à son insu, la charge de poudre restant : mais si c’est à bout portant ou à peu près, mais si la bourre allait faire balle, si le coup allait porter malheureusement ! Nous sommes rassurés encore moins ! Il tire un coup d’arme à feu hors de toute portée, à deux kilomètres, à un kilomètre de distance : nous rions ; oui, mais faisons rapprocher graduellement cette distance, étendons, par le progrès industriel ou par la meilleure fabrication, la portée de l’arme, quel sera le point où nous cesserons de rire, où l’inquiétude commencera à nous gagner ?

L’impossibilité provient ici du moyen employé ; elle est quelquefois radicale, absolue ; mais d’autres fois elle devient problématique, accidentelle.

1004.

Enfin l’agent ne sait pas préparer le poison ou manœuvrer l’instrument dont il se sert ; il jette le poison véritable dans une boisson qui le neutralise et qui en détruit tout effet dangereux ; il est maladroit à ajuster et touche toujours loin du but ; oui, mais s’il eût jeté le poison dans un autre aliment, s’il allait être adroit par hasard ce jour-là !

Cette sorte d’impossibilité tient à la manière d’employer le moyen ; elle n’est que relative à telle personne, même à tel cas donné. Ce n’est pas vraiment une impossibilité.

1005.

Nous commencerons par mettre hors de la question tout ce qui n’est qu’impossibilité éventuelle, relative, problématique, comme il arrivera souvent dans les cas du paragraphe 1003, et toujours dans ceux du paragraphe 1004. De pareilles nuances des faits, improprement qualifiées d’impossibilité, ne doivent rien changer aux prescriptions de la loi pénale. C’est sous les règles de la tentative ordinaire, ou suspendue, ou dont l’effet a été manqué, que ces hypothèses se placent : sauf au juge à tenir compte de certaines de ces nuances, s’il y a lieu, dans la limite de ses pouvoirs. Mais, s’il s’agit d’une impossibilité radicale, absolue, qui existe et qui est insurmontable d’après les lois mêmes de la nature, pourra-t-on continuer à faire application de ces règles de la tentative ?

1006.

L’agent a eu incontestablement, nous supposons ce point démontré, l’intention de commettre un certain délit ; il y a employé des actes extérieurs qu’il a cru propres à produire ce délit, nous supposons ce second point démontré encore. Mais ce délit était imaginaire, et ces actes, d’après les lois mêmes de la nature, impuissants à le produire ; or un délit imaginaire, sans réalité physique possible, un délit qui n’a été et n’a pu être que dans la croyance de l’agent peut-il tomber sous le coup de la pénalité sociale ? Que, suivant la théorie de la justice absolue, dans la sphère du pur spiritualisme, cet agent soit coupable moralement, et punissable comme si le délit qu’il avait dans l’imagination eût existé, d’accord ; mais nous savons que cette justice ne peut pas être celle des sociétés.

La personne contre laquelle les actes sont dirigés et la société avec elle sont garanties par les lois mêmes de la nature : elles sont en parfaite sécurité. Où sera le danger du mal, et celui de la récidive, et celui de l’imitation, tant qu’il ne s’agira que de pareils faits et de pareilles circonstances ?

La tentative est le commencement du délit : or peut-on dire que le délit ait été commencé ? On ne commence que ce qui est possible. Avoir commencé c’est avoir fait déjà en partie : comment avoir fait en partie ce qui est impossible en tous points ? La tentative gît dans des actes qui tendent à produire le mal du délit : mais, si ce mal ne peut être produit, il ne saurait y avoir d’acte tendant à le produire. La tentative à sa dernière période, la tentative conduite jusqu’au bout gît dans l’idée que l’effet des actes accomplis par l’agent a été manqué ; mais l’idée qu’un effet a été manqué emporte forcément celle qu’il y a une chance que cet effet fût produit : or, si l’effet était impossible, comment dire qu’il a été manqué ?

Tous ces raisonnements démontrent qu’en cas d’impossibilité absolue, insurmontable, dans l’existence du délit, quels qu’aient été les actes de l’agent, il ne peut y avoir ni tentative, suspendue ou achevée, ni effet manqué. Il n’y a qu’un simulacre de délit, qu’un simulacre de tentative, que la justice humaine ne saurait punir comme une réalité de ce délit ou de cette tentative.

1007.

On objectera que l’agent a fait preuve par ses actes d’une volonté perverse ; mais est-ce sur la preuve seule de la volonté d’un délit que la peine de ce délit peut être assise ?

On ajoutera que de ses actes on est autorisé à conclure au moins qu’il y a disposition chez lui a commettre ce genre de délit, et crainte qu’il ne le commette un jour dans des conditions où la possibilité en existera : cela est vrai, mais où ce raisonnement peut-il en venir ? Quant au passé, il ne constate qu’une chose, la disposition à ce genre de délit, et quant à l’avenir, qu’une crainte. Or la disposition à un délit ne suffit pas pour en faire prononcer la peine, et la crainte dans l’avenir encore moins. Si vous appliquiez cette peine, ce ne serait pas à raison des faits passés, puisqu’il est reconnu que ces faits ne peuvent être qualifié de tentative d’un délit impossible ; ce serait à raison de la possibilité future d’un délit analogue : nous voilà bien loin des bases de la pénalité humaine.

1008.

Mais les actes de l’agent, non punissables comme tentative d’un délit qui était impossible, ne peuvent-ils pas être punis du moins à un autre titre ; ne peuvent-ils pas donner lieu justement à des mesures de prévention, telles que celle de fournir caution pour l’avenir dans les pays où cette sorte d’institution existe ? Nous ne voyons, quant à nous, rien dans les principes de la pénalité sociale qui y répugne. Il est certain que la résolution de l’agent était immorale ; il est certain que cette résolution a été manifestée par des actes physiques extérieurs qui, bien qu’impuissants suivant les lois immuables de la nature pour réaliser le délit, peuvent être suffisants pour produire par eux-mêmes une certaine alarme et un certain mal social.

Or, puisqu’il est des cas où la menace seule, où la résolution annoncée au dehors sont susceptibles d’être érigées en délits comment n’en pourrait-il pas être de même, dans la proportion voulue, des actes dont nous nous occupons ? Ce serait une sorte de délit spécial et bien inférieure, à l’égard duquel le devoir du législateur, comme à l’égard de tous les autres délits, est toujours de rester dans la double limite juste et de l’utile. C’est cette dernière base de l’utile qui nous paraîtra le plus souvent faire défaut dans la répression de faits semblables : soit parce qu’en eux-mêmes ces fait son peu nuisibles et peu sérieusement alarmants, soit parce qu’ils sont tellement rares et tellement exceptionnels, qu’il y a peu de profit à embarrasser la loi pénale et la liste des délits de prévisions aussi excentriques.

1009.

En résumé, suivant les principes rationnels, nous arrivons à ses conclusions :

- La peine entière du délit, au délit consommé seulement.

- À la tentative achevée, dont l’effet a été manqué, la peine du délit avec abaissement.

- À la tentative inachevée, suspendue pour des causes indépendantes de la volonté de l’agent, cette peine avec un nouvel abaissement.

- Des degrés de plus de moins pourront exister dans cette tentative inachevée, suivant qu’elle aura été poussée plus ou moins loin avant d’être interrompue ; mais la loi, qu’il faut éviter d’ailleurs de rendre trop compliquée, ne peut suivre ces nuances multiples et variables des faits ; ce doit être l’office du juge en chaque cause.

- À la tentative suspendue par la volonté de l’agent, pas de peine, à moins que les actes déjà accomplis ne constituent par eux-mêmes un délit particulier complet.

- Aux actes préparatoires, pas de peine, à moins qu’il ne constituent par eux-mêmes un délit particulier complet en soi, ou que la loi, par exception, à raison de la gravité et du caractère dangereux de certains crimes, n’en ait puni même les préparatifs d’une peine spéciale, qui doit être inférieure à celle de la tentative inachevée.

- Même solution pour la résolution concertée et arrêtée entre plusieurs, et pour le délit impossible, qui ne sont punissables que si la loi les a érigés par eux-mêmes et exceptionnellement en délits spéciaux, dont la pénalité doit être inférieure encore à la précédente.

- La menace est plus encore dans une classe à part.

1010. Les différences de droit entre ces divers termes de la progression dans la voie du délit étant bien marquées, il importe extrêmement, dans la pratique, de bien distinguer, en fait, ces termes un des autres. La distinction se fera à peu près sans difficulté, sauf en ce qui concerne les actes préparatoires et les actes d’exécution. Quant à ces deux sortes de actes, y a-t-il entre eux quelque signe caractéristique et général qui puisse marquer d’une manière absolue et indubitable, pour tous les cas, où les uns finissent et où les autres commencent, ce qui est uniquement de préparation et ce qui est d’exécution ? Nous croyons qu’on le chercherait en vain. Dans toute la série des faits que ces actes peuvent embrasser, nous ne voyons que deux points où, sans controverse, aucun doute ne soit possible. Ainsi, en premier lieu, pas de doute possible tant que l’agent n’a fait encore que préparer les instruments, disposer les moyens d’actions sans passer à l’action, sans employer, sans mettre en oeuvre ces instruments ou ces moyens, de telle sorte qu’il est toujours libre de commencer ou de ne pas commencer à en faire usage. Dans tous les cas, et d’une manière absolue, chacun s’accordera à dire que ces actes ne sont que des actes préparatoires. Ainsi, en second lieu, pas de doute non plus, du moment que l’agent a commencé l’acte même qui, suivant la définition de la loi, constitue le délit ; l’acte tendant par lui-même immédiatement, c’est-à-dire sans autre opération intermédiaire, à produire le mal du délit : comme si l’agent a porté la main sur les choses qui veut soustraire, dans le délit de vol ; s’il a porté un coup à sa victime, s’il a tiré sur elle avec son arme à feu, dans le crime d’homicide ; s’il a apposé le feu sur les objets qu’il veut incendier, dans le crime d’incendie ; dans toutes les hypothèses semblables, et d’une manière absolue, chacun s’accordera encore à dire ici qu’il y a actes d’exécution, que le délit est commencé.

1011.

Mais entre ces deux point s’ouvre un intervalle rempli souvent par une série d’actes intermédiaires qui, sans être encore l’acte même constitutif du délit, s’en approche de plus en plus : l’agent a commencé à employer les moyens par lui préparés ; il s’est avancé plus ou moins vers l’acte, mais il n’y est pas encore arrivé. Par exemple, il s’est transporté sur les lieux, il s’est mis en embuscade, il a dirigé son arme sur sa victime ; quelqu’un se jette sur lui et l’arrête avant qu’il n’ait lâché la détente ; il a disposé les matériaux incendiaires, le bois où la paille sont amassés devant lui ; il vient allumer la torche qu’il se dispose à y appliquer, lorsqu’il est arrêté avant d’avoir appliqué cette torche. Il a dressé l’échelle par lui destinée à s’introduire dans la maison ou dans l’appartement qu’il veut dévaliser, il est monté sur cette échelle, l’escalade est terminée, il a ouvert ou brisé les portes ou les fenêtres à l’aide des fausses clefs ou des instruments par lui préparés, il est dans la maison ou dans l’appartement, lorsqu’il est arrêté avant d’avoir mis la main encore sur aucun objet à voler. C’est relativement aux actes de cette nature que les doutes s’élèvent, et que rien d’absolu ne nous paraît pouvoir être décidé en droit.

1012

Nous poserons bien en règle ordinaire que le commencement d’exécution qui doit être qualifié de tentative et auquel s’appliquent les solutions par nous exposées ci-dessus est le commencement de l’acte même constitutif du délit, et non le commencement, ni même l’accomplissement en entier des actes préliminaires qui y conduisent. C’est à ce commencement de l’acte même du délit que se rapportent les raisonnements sur lesquels sont fondées ces solutions ; or, dans les actes préliminaires, bien que l’agent se soit déjà mis en activité, l’acte même du délit n’est pas commencé ; il n’y a d’accompli que les actes préparatoires. Telle devra être, suivant nous, l’interprétation à adopter en règle commune par la jurisprudence.

1013.

Cependant, nous avouons qu’il est des cas dans lesquels il y aurait, d’après la nature du délit et d’après les circonstances, subtilité, lorsque l’agent est arrivé par une série d’opérations coupables au moment même du délit, à dire qu’il ne l’a pas encore commencé. On reculera, en pratique, devant une telle subtilité, lorsque surtout les actes préliminaires accomplis et tout voisins du délit seront des moyens usuels, des moyens tellement liés avec le délit, qu’ils feront pour ainsi dire corps avec lui et qu’ils blesseront la même nature de droits.

Difficilement, par exemple, il viendra dans l’idée de dire que l’escalade, que l’effraction d’une porte sont un commencement d’exécution des crimes d’homicide, de viol, de rapt de personne, de faux, bien qu’il soit prouvé qu’elles ont eu lieu dans l’intention d’arriver à exécuter ces sortes de crime : l’analogie, la connexion logique d’incrimination dont nous venons de parler, n’existe pas entre des crimes qui sont contre des personnes, contre la foi publique aux privée, et l’escalade, l’effraction, qui ne sont par elles-mêmes que des atteintes à la propriété.

Mais facilement, par la raison inverse, on se laissera aller à les considérer comme un commencement d’exécution du vol ; et il y a bien un point où, de l’aveu de tout le monde, il faudra arriver à cette assimilation, à moins de tomber dans l’absurde : le voleur qui sait qu’une somme en billets de banque qu’il veut voler est enfermée quelque part dans un secrétaire, en un appartement, brise la porte de cet appartement, il brise la porte de la chambre où se trouve le secrétaire, il brise la serrure du secrétaire et trouve un tiroir fermé à secret, il brise la serrure de ce tiroir, et là, avant d’avoir mis la main sur les billets de banque, il est arrêté par quelqu’un qui survient : il n’a commis encore que des effractions ; dira-t-on qu’il n’a pas commencé d’exécution du vol ?

Nous croyons donc que, tout en prenant pour guide la règle par nous indiquée, le juge ne doit pas en exagérer l’application, et qu’il est investi d’un certain pouvoir d’appréciation pour décider, d’après la nature et les circonstances des faits accomplis, s’il est vrai de dire que l’exécution du délit ait été ou non commencée.

Signe de fin