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NOTIONS GÉNÉRALES SUR LA TENTATIVE

par R. et P. Garraud
« Précis de droit criminel »
(15e édition, Paris 1934, p.194 et suivantes)

Du degré de réalisation de l’acte délictueux

77. Phase psychologique. Pensée et résolution criminelles. Impunité de principe ; ses limites.

La pensée criminelle est un mouvement psychologique dont on n’est pas maître. C’est la tentation. Elle échappe à toute responsabilité. La résolution, c’est, avec la conception du délit, la volonté bien arrêtée de le commettre (voluntas sceleris). Tant que cette conception ou cette résolution reste renfermée dans la conscience, il ne saurait être question de la punir, puisque la volonté criminelle est encore inconnue du :pouvoir social. Mais alors même qu’elle serait constatée par suite d’aveux, ou parce qu’elle aurait été communiquée à d’autres, verbalement ou par écrit, elle ne serait pas punissable. En effet, la loi sociale ne règle que les rapports des hommes entre eux, et ces rapports- ne peuvent être troublés que par des actes. Sans doute, la connaissance d’une résolution criminelle sérieuse est une cause d’inquiétude sociale ; mais c’est à la police qu’il appartient d’agir pour prévenir sa réalisation et non à la justice pour réprimer sa conception. Du reste, la résolution criminelle n’est irrévocable que par son exécution.

Le principe que la résolution de commettre un acte délictueux, même lorsqu’elle est constatée, échappe à toute répression, résulte, dans notre droit positif, de 1’artcle 2 C.pén., qui punit la tentative alors seulement qu’elle est « manifestée par un commencement d’exécution ». Ce principe est absolu et n’admet aucune exception.

a) C’est en vain qu’on a pensé en trouver une dans les articles 305 et suivants du C.pén., qui punissent les menaces. En effet, si la loi punit les menaces, ce n’est pas « qu’elle ait cru avoir une preuve matérielle et suffisante donnée par 1e coupable d’une résolution criminelle sérieuse », mais parce que la menace est plus et moins qu’une résolution, c’est un fait extérieur de nature à causer par lui-même un trouble social. Et en conséquences elles sont punies, encore bien que leur auteur s’efforcerait de prouver qu’il n’avait point le projet de les mettre à exécution, car l’intention de réaliser la menace n’est pas constitutive du délit.

b) Il faut -en dire autant du complot, que l’article 89 § 2, punit de la détention, sans qu’il ait été suivi d’aucun « acte commis. ou commencé pour en `préparer l’exécution ». Le complot n’est pas, en effet, une simple résolution, mais « une résolution d’agir concertée et arrêtée entre plusieurs personnes », fait externe que le pouvoir social peut et doit punir. C’est par suite de la même considération que l’article 89 in fine punit la simple proposition, même non agréée, de former un complot. Cette invitation à prendre part à un complot est un acte de propagande qui crée un danger social, indépendant de la résolution qu’il fait connaître.

c) De même, les lois sur la presse n’incriminent pas la pensée, mais elles répriment certaines manifestations publiques, extérieures et dangereuses, telles que la provocation publique à commettre certains crimes ou délits, l’apologie publiquement faite de certaines infractions, la propagande en faveur d’actes criminels ou socialement dangereux (v. art. 24 et 25 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse ; loi du 28 juillet 1894, sur les menées anarchistes ; loi du 31 juillet 1920, sur 1a provocation à l’avortement et la propagande anticonceptionnelle).

d) C’est enfin en qualité d’acte extérieur, alarmant pour l’ordre public, que la loi punit l’asso­ciation ou entente formée dans le but de préparer ou de commettre des crimes contre les personnes ou les propriétés (C.pén., art. 265 et. 266 modifiés par la loi du 18 décembre 1893).

C’est si peu la volonté, la résolution de commettre telle infraction que la loi veut atteindre, qu’elle érige les menaces, les complots, les associations et ententes de malfaiteurs en délits spéciaux. Ces faits sont donc punis en eux-mêmes, et nullement en raison de leur rapport avec la résolution criminelle qu’ils révèlent.

78. Phase matérielle. Actes préparatoires. Actes d’exécution

Lorsque l’infraction est projetée, l’agent, s’il ne s’arrête pas, manifeste sa résolution par des actes extérieurs tendant à la réaliser Mais ces actes ne constituent pas nécessairement l’élément matériel de la tentative punissable. Dans sa première rédaction, celle de 1810, l’article 2 C.pén. avait bien souligné l’insuffisance des « actes extérieurs », puisqu’il n’assimilait au crime même que la tentative « manifestée par des actes extérieurs et suivie d’un commencement d’exécution ». Le caractère de la tentative consiste essentiellement, en effet, dans un rapport psychologique entre ce qui a été accompli par l’agent et le résultat criminel que l’agent n’a pu obtenir. Plus les actes accomplis se rapprochent du résultat, moins l’intention criminelle est douteuse, plus elle apparaît irrévocable et par conséquent plus la démonstration du danger qu’elle fait courir aux intérêts protégés est évidente. Mais à quelle phase l’effort vers le délit (conatus) sera-t-il suffisamment caractérisé par des actes extérieurs ?

Au lieu de laisser cette question à l’appréciation du juge et de livrer ainsi l’individu à son arbitraire, le droit pénal français a voulu tracer la ligne de démarcation entre les actes punissables comme « tentatives » et ceux qui ne le sont pas comme tels. La tentative ne commence qu’à l’exécution : les actes extérieurs qui précèdent ce moment ne sont pas punissables par rapport à ce qu’a voulu réaliser l’agent. La délimitation classique entre les deux catégories d’actes est donc marquée par le « commencement d’exécution », en opposition avec la seule préparation du délit.

I. Les actes simplement préparatoires sont ceux qui ne constituent pas l’exécution du délit projeté, mais qui se rattachent à ce délit dans l’intention de l’agent et qui tendent ainsi à son exécution : c’est, par exemple, le fait de se procurer du poison, par rapport à l’empoisonnement ; la fabrication d’un explosif, par rapport au crime d’explosion ; l’acquisition d’un instrument propre à -commettre une effraction, dans le but -de dévaliser un appartement. Par ces actes, l’agent se met dans les conditions matérielles voulues pour que l’exécution de l’infraction devienne possible, et si ses préparatifs sont terminés, il se met en quelque sorte à pied d’œuvre, mais sans être encore entré dans la phase de l’exécution. En ce qui concerne ces actes, trois observations doivent être faites.

Les actes préparatoires ne sont pas punissables comme actes de tentative du délit que l’agent a en vue : ce délit, pour la loi, n’est encore que subjectif, il n’existe que dans l’intention et par rapport à l’intention de l’agent. Mais, pris en eux-mêmes, sans relation avec l’entreprise coupable qu’ils ont probablement pour but de faciliter, les actes préparatoires sont souvent incriminés par la loi pénale. Il s’en trouve en effet qui, par leur nature ou par la condition de ceux qui les commettent, sont généralement considérés comme des faits tendant à préparer, à faciliter ou à occasionner certains délits et dont le caractère, éventuellement dangereux, est suffisamment caractérisé pouf être l’objet d’une prévision spéciale. La loi incrimine alors ces faits, non comme des tentatives de délits, mais comme des délits sui generis. On peut citer, à titre d’exemples, le port d’armes prohibées (C.pén., art. 314) ; la contrefaçon ou l’altération de clefs’ (C.pén., art. 399) ; les actes de violence punis comme tels, bris de clôture (C.pén., art. 437 et 456), violation de domicile (C.p.én, art. 114 et 184), etc. Ces divers faits peuvent donc avoir un double caractère : -par eux-mêmes et à raison de leur gravité propre, ce sont des infractions spéciales ; par rapport aux délits qu’ils ont pour but de faciliter, ce sont des actes préparatoires.

Les actes préparatoires sont incriminés par relation avec le délit même qu’ils ont en vue lorsqu’ils sont l’œuvre d’un complice. Ils empruntent alors la criminalité et la qualification du fait principal : ils sont punis parce que ce fait principal est puni, et ils sont punis de la même peine que ce fait principal (C.pén., art. 60, § 2).

Enfin, les actes préparatoires peuvent être punis par rapport à l’infraction, comme circonstances aggravantes du délit tenté ou consommé. C’est ainsi que l’escalade et l’effraction sont des circonstances aggravantes -du vol.

II. Les faits d’exécution sont ceux dont la série et l’ensemble constituent le corps du délit. Mais l’infraction. peut se présenter sous deux aspects, comme infraction consommée et comme infraction tentée.

L’infraction consommée est l’exécution achevée de tous les éléments constitutifs de l’action incriminée. Elle concorde donc exactement avec l’incrimination de la loi.

L’infraction tentée est l’exécution partielle des éléments de l’incrimination par un acte volontaire tendant à l’exécution complète de ces éléments.

III. Quelle est 1a. raison d’être de la distinction entre les actes préparatoires et les actes d’exécution, ces derniers formant seuls l’élément matériel de la tentative ?

Les actes préparatoires ont tout d’abord un caractère équivoque; ou bien ils ne se rattachent pas -à une infraction :déterminée ; ou bien même ils peuvent être inspirés par une intention parfaitement licite et légitime ; ainsi l’achat d’une arme. peut constituer la préparation d’un assassinat, ou simplement d’un acte de chasse prohibée ; mais il peut être également indifférent, si l’acheteur n’a en vue qu’un usage licite de l’objet dont il s’est procuré la possession. La volonté de commettre un délit n’est, dans de pareilles hypothèses, aucunement manifestée par le fait considéré en lui-même, et cette incertitude sur la relation entre l’infraction et les acte qui ont servi à la préparer est un des motifs qui ont porté la loi à laisser les actes préparatoires impunis comme tels.

Mais ce motif n’est pas le seul ; car l’impunité existerait encore, même si là preuve était rapportée, par suite d’aveux ou par tout autre moyen, que tel acte n’a été accompli que pour préparer telle infraction. Cet acte obtiendra néanmoins l’impunité, parce qu’il n’a produit jusqu’ici aucun mal déterminé ; parce qu’il n’en produira que par suite d’une persistance de volonté chez l’agent, dont l’intention n’est certaine que par l’exécution même de l’infraction ; parce que, jusqu’à cette exécution, il est, pour la société, d’une meilleure politique de pardonner pour arrêter l’agent que de le frapper pour le pousser à consommer l’infraction.

Ces motifs nous expliquent que le législateur ait puni, par exception, un acte préparatoire dans l’article 89, § 1. Aux termes de ce texte, le complot formé en vue de détruire ou de renverser le gouvernement, qui est puni, par le simple fait de son existence, de la peine de détention, est punissable d’une peine plus grave, la déportation, « s’il est suivi d’un acte commis ou commencé pour en préparer l’exécution ». Cette disposition s’explique, tout d’abord, par l’idée même qui a fait ériger en délit le complot, par le trouble immédiat qu’il entraîne. Elle s’explique aussi par le caractère. exceptionnel des délits qui ont pour objet de renverser le gou­vernement établi. On ne saurait attendre, en effet, que le complot soit suivi d’un commencement d’exécution pour le punir, car une tentative heureuse rendrait toute répression impossible.

79. Des conditions de la tentative punissable

La tentative légale est constituée de deux éléments et d’une circonstance contingente : un élément intentionnel, la volonté déterminée de commettre tel crime ; un élément matériel, le commencement d’exécution ; une circonstance contingente, l’absence de désistement de l’agent. La réunion de ces deux éléments et de cette circonstance permet seule, aux termes de l’article 2 C.pén., d’incriminer et de punir une entreprise criminelle qui n’a pas été achevée, comme tentative de la commettre.

A. De l’intention en matière de tentative.

La tentative, comme l’origine étymologique du mot l’indique, suppose que l’acte incriminé tend à consommer tel délit. Ainsi Pierre frappe Paul d’un coup de poignard qui le blesse grièvement : il ne peut être question de déclarer Pierre coupable d’une tentative de meurtre que si l’on démontre tout d’abord que Pierre a eu l’intention de donner la mort à Paul. En matière de tentative, il faut répéter, avec le jurisconsulte Callistrate : « voluntas spectatur non exitus ». L’examen de .l’existence et du degré de la volonté criminelle, essentiel pour tout délit, le devient plus encore pour la tentative, puisque le délinquant est puni pour ce qu’il a voulu faire plutôt que pour ce qu’il a fait.

B. Du commencement d’exécution en matière de tentative.

En quoi consiste la tentative punissable ? On est d’accord pour reconnaître qu’en sériant les actes extérieurs qui acheminent vers le délit, on peut en distinguer trois sortes : les actes préparatoires, les actes qui tendent à l’exécution du crime; les actes d’exécution du fait matériel qui est incriminé. Assurément, il n’est pas indispensable, pour que la tentative existe, que le délinquant ait accompli un acte rentrant dans la définition du délit, telle qu’elle est donnée par 1a loi, par exemple que le voleur ait ,mis la main sur l’objet qu’il se propose de soustraire, que le meurtrier ait porté le premier coup. Celui qui est surpris en train de forcer le meuble dans lequel se trouve la somme ou l’objet qu’il veut soustraire se rend coupable, sans contestation possible, d’une tentative de vol, comme celui qui est arrêté au moment où il se précipite un poignard à la main sur sa victime se rend coupable d’une tentative de meurtre. En effet, la tentative ne consiste pas seulement dans le commencement d’exécution de l’acte même qui constitue le crime, tel qu’il est défini par la loi, de la soustraction dans le vol, .de l’homicide dans le meurtre ; elle peut aussi consister dans le commencement d’exécution du crime par des actes qui sont en dehors de ce crime, lorsque d’ailleurs ces actes manifestent, par l’intention de l’auteur, que celui-ci est en action pour accomplir le crime qu’il a projeté.

Il résulte de cette observation que, s’il est facile de distinguer un acte préparatoire proprement dit d’un acte constituant le commencement d’exécution des éléments mêmes du crime, il y a des faits indéterminés et équivoques, des cas limites, qu’on peut être tenté de ranger soit dans la catégorie des actes préparatoires, soit dans celle des actes d’exécution. Le diagnostic de la distinction n’a pas été fait par la loi, car il est impossible, en présence de l’activité humaine et de ses formes si variées et si ondoyantes, soit de définir les actes d’exécution, soit de les énumérer. Faut-il en conclure qu’il n’existe pas, en cette matière, de règle juridique que les juges soient tenus -de respecter à peine de nullité de leur décision ? La question ainsi posée se dédouble : 1° Il s’agit de savoir, en effet, si la distinction des actes préparatoires et des actes d’exécution constitue une question de droit ; 2° et, en cas de réponse affirmative, quel est le critère juridique de cette distinction.

I. Au premier point de vue, la jurisprudence a varié. Tout d’abord, la Cour de cassation évite de se prononcer ; puis elle décide que le point de savoir si tel acte est le commencement d’exécution de telle infraction ou- n’en est que 1a préparation, constitue une question de droit. Elle abandonne ensuite ce système pour ne voir, dans la distinction de l’acte préparatoire et de l’acte d’exécution, qu’une question de fait. Depuis, elle est revenue à sa première solution, et cette jurisprudence est approuvée par presque toute la doctrine. Sans doute, il appartient souverainement aux juridictions d’instruction ou de jugement de constater que l’agent a accompli tel acte, dans l’intention de commettre tel délit, par exemple qu’une effraction, une escalade a eu lieu à dessein de voler, ou à dessein de tuer ; mais si les faits sont faussement qualifiés d’actes d’exécution ou d’actes préparatoires, cette qualification doit être rectifiée par la Cour de cassation qui a toujours le. droit de contrôler les conséquences légales que les juges tirent des faits qu’ils ont d’ailleurs souverainement constatés, et de dire, par exemple, que l’escalade à dessein de voler constitue toujours une tentative de vol, mais que l’escalade à dessein de tuer ne constitue jamais une tentative de meurtre. La .loi, sans doute, n’a pas défini les actes d’exécution constitutifs de la tentative, mais elle exige des actes d’exécution, et c’est la violer que de refuser ou d’attribuer à tort ce caractère aux actes relevés dans le jugement. En un mot, des deux éléments de la tentative, l’élément intentionnel et l’élément matériel, le premier seul est souverainement apprécié :par les juges du fait.

II. Si la distinction des actes préparatoires et des actes d’exécution constitue une question de droit, il faut se demander à quel signe reconnaître les uns des autres. Ce problème capital est différemment résolu par les partisans des deux conceptions, objective et subjective, sur la nature de la tentative.

a) Dans le concept objectif, un acte ne peut être considéré comme formant l’élément matériel de la tentative que s’il réunit les deux conditions suivantes; il faut : 1 ° que cet acte présente un rapport direct et immédiat avec l’infraction que l’agent a en vue ; 2° que -ce rapport résulte de l’acte lui-même. En effet, dit-on, la différence essentielle entre les actes d’exécution et les actes préparatoires consiste en ce que ces derniers n’ont pas de signification précise, qu’ils ne révèlent pas l’intention déterminée de l’agent, tandis que les premiers sont si intimement liés avec le délit que, à la seule inspection, en doit, en principe, se rendre compte de l’infraction que l’agent avait entreprise.

b) Mais on ne peut songer à s’arrêter uniquement à la nature de l’acte considéré en lui-même sans rapprocher extrinsecus cet acte des circonstances et du but que poursuivait l’agent. Il existe, nous l’avons dit deux catégories d’actes d’exécution : ceux qui consistent dans le fait dont la loi défend l’accomplissement et qui forme l’objet du délit, la soustraction dans le vol, par exemple, et ceux qui consistent dans des faits voisins du délit, qui en sont le commencement d’exécution. Les premiers seuls ne laissent aucun doute sur l’intention de l’agent ; les seconds ont un caractère moins déterminé et doivent être rapprochés de cette intention, dont la recherche préalable s’impose au juge. Dans la répression de la tentative, c’est, avant tout, la volonté criminelle, manifestée par des actes extérieurs, que la loi pénale veut atteindre. Tel était le point de vue de notre ancien droit ; rien ne prouve qu’il ait été abandonné par le droit moderne. Sans doute, même en matière de tentative, l’intention n’est pas réputée pour le fait ; mais ces deux éléments, l’intention et le fait, s’éclairent et se précisent l’un l’autre dans cette forme d’incrimination.

Un exemple va faire comprendre l’impossibilité de les séparer. En cas de vol, il est certain que, toutes les fois que d’inculpé a mis la main sur les objets qu’il veut soustraire, il y a tentative, parce que la soustraction même, c’est-à-dire le fait matériel constitutif du vol, est commencée, et qu’il ne peut y avoir aucun doute sur l’intention de l’agent. Mais le commen­cement d’exécution du vol peut exister, alors même qu’il n’y a pas eu encore soustraction. L’effraction d’un meuble, d’un coffre-fort (effraction intérieure) est évidemment un acte d’exécution, bien qu’il ne soit pas encore le commencement du fait matériel constitutif du délit. On est d’accord sur ce point. Mais en est-il de même l’effraction extérieure ? de l’escalade ? de l’usage effectif de fausses clefs ? Ainsi, un individu est surpris au moment où il s’efforce de pénétrer par escalade dans un appartement, de fracturer une porte d’entrée, soit d’appartement, soit de maison. Quel but poursuivait-il ? Au premier abord, il est impossible le dire. Peut-être avait-il formé le dessein de voler ? peut-être celui de tuer ? peut-être, si une femme était couchée dans la maison, voulait-il 1a violer ? On peut, suivant les circonstances, se trouver en présence d’un voleur, d’un assassin, d’un violateur. Pour résoudre la question de savoir quelle est la signification précise des actes reprochés à l’inculpé, i1 faudra donc, avant tout rechercher quelle était son intention, et cette intention sera éclairée par les antécédents du délinquant (délinquant primaire, délinquant récidiviste). Mais cette intention constatée, et sous la réserve de circonstances qu’il est difficile de prévoir à l’avance, il apparaît qu’une distinction est à faire suivant que le délit auquel auront tendu ces actes sera un vol ou tout autre crime. On peut dire, en effet, que l’escalade, l’effraction ou l’usage de fausses clefs sont des actes d’exécution du vol (C.pén. art. 381 à 398), et que l’agent, dès qu’il a fait un effort pour vaincre les obstacles sérieux qui s’opposaient à son dessein, est en pleine exécution du délit. Le reste, la soustraction, n’est qu’un jeu pour lui : le processus ad actum, qui caractérisait, d’après nos anciens auteurs, la tentative, est presque achevé. Mais s’il s’agit d’un autre crime, par exemple d’un meurtre, la solution ne saurait être la même. Ce n’est plus commencer l’exécution du crime que de pénétrer, même par escalade et effraction, dans une maison, avec le dessein de tuer. Ces actes sont trop éloignés de l’homicide pour en être, dans le sens de l’article 2, le commencement. Mais que l’on suppose l’agent, un poignard à la main, pénétrant dans une maison, en renversant d’un coup d’épaule la porte d’entrée pour y trouver sa victime. Nous n’hésiterions pas à voir, dans cet ensemble de circonstances, le commencement d’exécution du meurtre. C’est qu’en effet les solutions absolues ne peuvent être données que sous réserve de l’examen des faits rapprochés de l’intention de l’agent et éclairés par ses antécédents.

Ainsi, pour déterminer avec exactitude le point initial de la tentative, c’est-à-dire le commencement d’exécution, le juge recherchera : 1° quelle infraction l’agent avait l’intention de commettre, ce qui sera une question de pur fait, à examiner et à résoudre d’après les circonstances de la cause et appréciée souverainement par les juges du fait ; 2° si l’acte accompli constitue le commencement d’exécution de l’infraction voulue par l’agent, ce qui sera une question de droit. Mais, à ce dernier point de vue, la loi n’exige pas qu’il y ait un rapport de causalité, résultant de l’acte lui-même, avec l’infraction que l’agent veut réaliser : ce qui est nécessaire mais suffisant, c’est que l’acte tende directement et immédiatement à l’accom­plissement du crime, qu’on puisse affirmer que l’agent est dans la période d’exécution de son dessein, qu’il est en action criminelle parce qu’il met en œuvre les moyens qu’il a préparés .et réunis et que son intention est désormais irrévocable. L’idée que les Italiens expriment par l’expression intraduisible de l’univocita des actes d’exécution est un. concept tout relatif, car, suivant les circonstances et suivant les crimes, tel acte, l’escalade, l’effraction, par exemple, sera tantôt un acte d’exécution, tantôt un acte simplement préparatoire.

C. Du désistement volontaire de l’agent.

L’agent qui a commencé à perpétrer le délit peut s’arrêter avant que l’exécution soit complète, soit spontanément et par sa libre volonté, soit malgré lui et parce qu’il a été empêché de continuer par une circonstance indépendante de sa volonté.

I. Lorsque l’agent est arrêté, malgré lui, en cours d’exécution du délit, on dit qu’il y a tentative simple; quand il a fait tout ce qu’il pouvait et a exécuté complètement les actes nécessaires pour arriver à ses fins, mais que le résultat n’a pas été atteint, on dit qu’il y a tentative achevée ou délit manqué. Ces deux formes de tentative sont prévues et punies d’une manière collective par l’article 2 C.pén. Au moment où la limite entre les actes préparatoires et le commencement d’exécution est franchie, la peine fixée pour la tentative est encourue. Le fait ne peut plus être changé puisqu’il existe.

II. Mais, par des motifs de politique criminelle, analogues à ceux qui expliquent l’impunité des actes préparatoires, la 1oi promet l’impunité, quel que soit le degré d’exécution et tant que le délit n’est pas consommé, à l’agent qui, pouvant aller jusqu’au bout, s’est arrêté et s’est ainsi désisté de son entreprise criminelle. Le Code pénal français, dont la formule est reproduite par divers autres Codes, ne punit la tentative que « si elle n’a été suspendue ou n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur ». La société a certainement plus d’intérêt à fermer les yeux sur les actes qui n’ont pas consommé le délit, pour prévenir le mal à faire, qu’à punir le mal déjà fait : en déclarant punissable, dans tous les cas, le commencement d’exécution, elle pousserait elle-même le malfaiteur à l’exécution complète du délit. Cette amnistie, accordée à l’avance pour toute tentative volontairement interrompue, rentre dans la mission préventive de la loi pénale.

III. Le désistement de l’agent peut résulter du repentir ; mais il peut aussi provenir d’une autre cause, de la crainte par exemple. Pour amnistier l’agent qui s’arrête, avant la consommation du délit, faut-il rechercher les motifs de sa conduite ? Il existe, en législation, deux systèmes opposés, et ils se retrouvent dans l’interprétation du: Code pénal français. L’un ne tient compte que du désistement inspiré par le repentir ; l’autre en admet la validité, alors même que le désistement serait inspiré par contrainte morale exercée sur l’agent par un fait extérieur. Ces deux solutions sont trop absolues l’une et l’autre. La loi ne se préoccupe certainement pas des motifs qui ont déterminé l’agent : elle exige seulement que le désistement dépende de sa volonté libre et spontanée, qu’il ait sa base dans une résolution prise librement par l’auteur, quel qu’en soit le mobile, la crainte, le remords, la répugnance morale ou physique, la déception sur la valeur minime de l’objet qu’il voulait voler. En d’autres termes, la loi distingue seulement. deux situations : celle dans laquelle la tentative, « n’a été suspendue ou n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur », et celle où l’obstacle à la consommation du délit dépend « de la volonté de son auteur ».

IV. Mais un acte d’exécution, suspendu volontairement, qui, dans l’intention de l’agent, était une tentative pour accomplir tel délit, peut constituer la consommation d’un autre délit, si bien que l’agent, qui ne doit pas être poursuivi pour le délit qu’il a tenté, puisqu’i1 s’est désisté, peut l’être pour le délit qu’il a consommé. Ainsi l’individu qui, voulant tuer, s’est arrêté, après avoir porté un premier coup, alors qu’il pouvait achever sa victime, n’est pas coupable de tentative de meurtre, mais l’est certainement de coups et blessures (C.pén., art. 309).

80. Constatation des conditions de la tentative punissable

Par suite à la fois de l’obligation faite aux autorités et juridictions répressives d’opérer la qualification des faits, et de la circonstance que le point de savoir s’il y a ou non commen­cement d’exécution est une question de droit, l’existence des conditions de la tentative doit être exprimée dans toutes les décisions des juridictions d’instruction qui mettent en prévention ou en accusation pour crime ou délit tenté, comme dans toutes les décisions des juridictions de jugement qui condamnent pour les mêmes causes.

En cour d’assises, la question posée aux jurés devra comprendre, à peine -de nullité, ces éléments légaux de la tentative qui seront réunis dans. une question unique. Le président ne devra donc pas se borner à demander : L’accusé est-il coupable d’une tentative de meurtre ? mais : L’accusé est-il coupable d’avoir (ici, 1a date) commis une tentative de (spécifier, ici, le crime, avec ses circonstances constitutives), laquelle tentative, manifestée par un commencement d’exécution, n’a été suspendue - ou n’a manqué son effet - que par des circonstances  indépendantes de la volonté de son auteur ?

Quant aux décisions des juridictions d’instruction et de jugement, statuant sur des tentatives soit de crimes, soit de délits, la Cour de cassation casse pour insuffisance de .motifs celles se bornent à reproduire les termes de l’article 2 C.pén., par exemple en déclarant un prévenu coupable de tentative de vol, manifestée par un commencement d’exécution, et n’ayant suspendue ou n’ayant manqué. son effet que par des circonstances indépendantes de sa volonté, et elle exige que soient précisés les faits d’où résultent -le commencement d’exécution et l’absence de désistement volontaire

81. Distinction entre les délits tentés, manqués et consommés

La définition de l’article 2 C.pén. distingue deux degrés dans la tentative, tout en les confondant par rapport à la répression. Il y est question, en effet, d’actes d’exécution qui ont été suspendus et d’actes d’exécution qui ont manqué leur effet. Le délit tenté et le délit manqué sont des délits imparfaits. On -les oppose l’un et l’autre au délit consommé. Mais leur imperfection ne tient pas à la même cause : un délit peut être imparfait parce que la série des. actes qu’il suppose a été interrompue ou insuffisamment exécutée, mais il peut l’être aussi, quand l’action étant parfaite pour produire le mal du délit, l’agent n’a cependant pas obtenu le .résultat qu’il en attendait : on dit, dans le premier cas, que la tentative a été suspendue ; qu’elle a été manquée, dans le second. Ainsi, un individu va tirer un coup de fusil ou de revolver sur une personne qu’il veut tuer ; à ce moment quelqu’un intervient et l’empêche de tirer ; le meurtre a été tenté. Le coup de feu a été tiré, mais la victime n’a pas été atteinte : le meurtre est manqué. Pour déterminer la portée et l’intérêt de l’article 2 C.pén., qui assimile les délits tentés aux dédits manqués sous le nom générique de tentatives, en les distinguant des délits consommés, il faut nous fixer sur le point extrême de la tentative et nous demander à quel moment elle cesse, 1e délit étant consommé.

I. Dans le sens légal du mot, un délit est consommé lorsque te fait imputé au prévenu réunit toutes les conditions que la loi exige pour l’existence de ce délit. Ainsi, pour savoir si le dédit dont il s’agit est consommé ou s’il n’y a qu’une tentative, il faut examiner, non pas si l’auteur a atteint son but, mais uniquement si le fait, qui est l’objet des poursuites, réunit tous les éléments constitutifs du délit, tel qu’il est défini par la loi pénale.

Or, en examinant da définition légale des diverses infractions, on remarque qu’une notable différence les sépare, relativement au moment où elles doivent être considérées comme accomplies.

a) Souvent, la loi punit un acte déterminé, un acte dont l’exécution seule constitue le délit. Cet acte peut avoir des résultats préjudiciables que le coupable a eus certainement en vue lorsqu’il l’accomplissait ; mais le délit est consommé, encore que ces résultats n’aient pas été réalisés. Ainsi, le crime de fausse monnaie, prévu par l’article 132, est accompli dès que les monnaies ont été contrefaites ou altérées, alors même -qu’elles n’auraient pas été émises ; le faux, prévu par les articles 145 et suivants, est consommé, alors même que le faussaire n’aurait pas obtenu, par la production du titre, les avantages qu’il attendait de l’acte falsifié; l’empoisonnement est accompli dès que les substances propres à donner la mort ont été absorbées, alors :même que la mort ne s’en serait pas suivie. On ne peut donc considérer l’altération de monnaies, le faux, l’empoisonnement, dans le cas où ces faits n’ont pas eu le résultat recherché, comme des tentatives qui auraient manqué leur effet : ce sont bien des crimes consommés.

b) Mais, la plupart du temps, la loi ne se borne pas à incriminer des actes en faisant abstraction de leurs conséquences ; elle exige, comme condition même de la consommation d’un grand nombre d’infractions, que l’exécution de l’acte délictueux ait produit un effet et que l’agent ait obtenu le résultat qu’il en attendait. Les infractions de cette nature ne sont donc consommées qu’au moment où le mal voulu a été accompli. Il en est ainsi du meurtre, qui n’est consommé que par la mort volontairement donnée à la victime (C.pén. art. 295); de l’avortement, qui n’est consommé que par l’expulsion prématurée du fœtus (C.pén. art. 317). Toutes les fois que l’infraction, telle qu’elle est définie par la loi pénale, consiste dans un effet déterminé, tel qu’un homicide, un avortement, etc., l’action, exécutée dans l’intention de réaliser cet effet, ne forme qu’une tentative, quand cet effet n’a pas été produit, et doit être traitée, au point de vue légal, comme une tentative de crime et non comme un crime consommé.

c) Enfin, il existe quelques infractions dont le type est constitué par certains crimes ou délits de coups et blessures volontaires (art. 309 à 311 C.pén.) où la loi gradue la peine de l’infraction elle-même sur certaines conséquences effectivement réalisées : aussi incrimine-t-elle d’une manière distincte, et frappe-t-elle de pénalités différentes, les coups et blessures ayant entraîné une incapacité de travail d’une certaine durée, ayant entraîné une mutilation, une infirmité permanente, la cécité : de pareilles infractions qui ne peuvent recevoir de qualification pénale que si le résultat est effectivement réalisé, ne peuvent tomber sous le coup de la loi pénale que sous forme d’infractions consommées; elles sont exclusives du concept de l’infraction tentée ou manquée.

Même si on laisse de côté ces hypothèses exceptionnelles, où la conception même de la tentative est sans application, on constate que, par suite de la distinction entre les délits formels constitués par le seul emploi d’un moyen criminel, et les délits matériels, consistant en un résultat, l’étendue de la tentative se trouve plus ou moins restreinte suivant le caractère juridique de l’infraction.

La loi pénale tient-elle compte des conséquences de l’acte commis, du résultat ? La tentative peut alors se présenter sous deux formes différentes : elle peut être achevée ou inachevée. Elle est inachevée, lorsque l’agent n’a pu mener à leur fin les actes qu’il a entrepris ; voulant tuer, il est empêché de tirer sur sa victime, parce que son arme est relevée par un tiers. La tentative est achevée quand, l’exécution étant complète, le résultat voulu n’a cependant pas été atteint : ainsi le meurtrier a tiré, mais son coup a dévié. Dans le premier cas, le délit est tenté ; il est manqué dans le second, de sorte qu’il y a tentative simple, ou délit tenté, quand l’infraction est imparfaite au point de vue de son exécution ; il y a tentative complète, ou délit manqué, quand elle est imparfaite au pont de vue de son résultat.

La loi pénale réprime-t-elle l’acte commis, indépendamment de ses conséquences ? La première forme de la tentative est seule possible, et le délit manqué est juridiquement consommé.

II. Or, il importe de fixer avec précision le moment on l’exécution du fait délictueux cesse d’être une tentative et prend le caractère d’une infraction consommée : cela importe, non par rapport à la peine légale, puisque l’infraction tentée est punie de la même peine que l’infraction consommée, mais au point de vue du désistement volontaire de l’agent. Tant que l’infraction n’est pas consommée, la tentative pour la commettre reste impunie, si elle n’a manqué son effet que par la volonté même de l’auteur. Or, pour que l’agent puisse invoquer cette disposition, il faut que le fait à raison duquel il est poursuivi ne constitue qu’une tentative. La possibilité d’un désistement volontaire est de l’essence de cette forme -d’incrimination. Mais dès que le délit est consommé, les actes par lesquels le délinquant essayerait de réparer le préjudice causé, anéantirait même, autant qu’il dépendrait de lui, les conséquences du fait délictueux, n’empêcheraient pas l’infraction d’avoir été consommée et la peine d’être encourue. La réparation du préjudice pourrait être une circonstance atténuante de la culpabilité, mais non un fait justificatif. Ainsi, la décision qui prendrait pour fait interruptif d’une tentative de vol la restitution volontaire de l’objet volé serait rendue en violation de l’article 379, puisque le vol est consommé par la soustraction frauduleuse de la chose, c’est-à-dire dès que le voleur s’en est emparé dans l’intention de se l’approprier. De même pour le joueur qui jette les cartes dès qu’il s’aperçoit que sa tricherie est découverte. Ainsi encore, ce serait en vain que l’individu qui a fait prendre une substance vénéneuse en aurait paralysé les effets en administrant lui-même un antidote ; car aux termes de l’article 301, l’empoisonnement est un crime consommé, alors même que son effet est manqué.

Signe de fin