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LES EFFETS DU CONSENTEMENT
DE LA VICTIME

Extrait de
« L’influence du consentement de la victime sur la responsabilité pénale »
de A. BADR ( Paris 1928, p. 46 et s. )

En premier lieu une remarque de terminologie s’impose.
D’un point de vue technique, il est impropre
de parler de « consentement de la victime »
car on pose ainsi, au départ du raisonnement,
l’idée qu’il y a une victime, donc un délit au sens large.

On rencontre la même impropriété de vocabulaire
quand certains parlent du jugement du « coupable »,
quand d’autres parlent du jugement du « délinquant »,
alors que tout au long d’un procès pénal le prévenu
doit être présumé innocent et appelé le « prévenu ».

La question qui se pose est de savoir
si une personne peut décider que tel
de ses intérêts juridiquement protégés
va sortir totalement ou partiellement,
définitivement ou temporairement,
du domaine d’application de la loi.

Si sa décision apparaît légitime,
les faits ne peuvent plus recevoir
aucune qualification pénale.
Par exemple, tout le monde s’accorde à dire
que celui qui prend possession d’un bien
qui lui a été donné par son propriétaire
ne commet évidemment pas un vol.

En revanche, si son acceptation paraît irrecevable,
celui qui en tire profit peut être poursuivi.
Ainsi, nul ne peut renoncer délibérément à sa liberté
et accepter d’être soumis à un travail forcé.

CHAPITRE IV
DES EFFETS DU CONSENTEMENT DE LA VICTIME
SUN L’EXISTENCE DU DÉLIT
ET SUR LA RESPONSABILITÉ PÉNALE

Maintenant que nous avons fixé quelques idées essentielles sur l’existence des délits, sur l’élément moral de la responsabilité et sur le consentement, nous pouvons nous demander quelle est l’influence du consentement de la victime sur l’existence des délits.

Nous supposons admis que le consentement émane d’une personne capable et qu’il n’est pas vicié. À première vue, la maxime « volenti non fit injuria » est une réponse catégorique à notre question. Malheureusement, cette maxime qui était d’une grande influence en droit romain, ne l’est plus dans les législations, modernes.

En droit romain, la règle « volenti non fit injuria » s’appliquait exclusivement aux délits qui portaient atteinte aux droits privés dont les titulaires avaient la libre disposition. Par contre, lorsque le délit portait atteinte à une disposition d’ordre public et d’intérêt social, l’acquiescement de la victime n’enlevait pas à l’acte son caractère délictuel et n’arrêtait pas les poursuites centre leur auteur.

Le problème d’aujourd’hui, c’est précisément de savoir ce que vaut à l’heure présente cette maxime. À Rome, en Grèce, beaucoup de délits privés n’étaient poursuivis qu’à la requête de la partie lésée, et la peine se résolvait le plus souvent en dommages-intérêts. Si la victime consentait, il n’y avait plus de délit, donc plus de poursuite. La maxime s’appliquait alors avec toutes ses conséquences.

Aussi l’une des applications les plus caractéristiques de la règle précédente se trouve dans le délit de « furtum » là où il n’y a pas violation de l’ordre public, et où le maître de la chose, par son consentement postérieur à l’acte enlève à ce dernier tout caractère délictuel.

Mais, dans les législations modernes, la loi pénale est essentiellement d’ordre public. Il s’ensuit que cette maxime n’a plus de valeur comme autrefois. Mais en a-t-elle encore une, si petite qu’elle soit ? Oui, et une importante.

Deux théories nettement opposées s’affrontent ; elles sont exclusives, absolues, donc fausses ; n’avons-nous pas dit que la Société n’est pas tout et que la personne reste avec ses droits dans cette Société ?

Pour la première théorie, le consentement ne produirait aucun effet juridique ; l’État est seul maître de la poursuite des délits, et seul il les crée et les décrète. Certes l’individu, en tant qu’individu dans l’État, a, en face de lui un tout social, et il est exact de dire qu’il doit son droit à la collectivité, mais qu’il est lié à cette collectivité par beaucoup de devoirs. Mais il ne faut pas exagérer. On peut avoir de l’État la conception que l’on voudra ; il est tout de même en dernière analyse une institution qui existe dans l’intérêt de la collectivité, laquelle au fond n’est rien autre chose que la somme des individus.

Or, il existe toute une série de violations de droits qui ne portent atteinte qu’à la personne lésée, en tant qu’individu, en tant que personne privée. Ces infractions ne peuvent pas être considérées comme des attentats contre l’État. Elles ne portent aucune atteinte à l’État, du moins pas directement. Il est clair que là, où exclusivement l’intérêt de l’individu comme tel est en jeu, l’État comme tel, n’est pas obligé de réagir. C’est surtout le cas des délits contre la propriété. Le propriétaire d’une chose peut licitement détruire la chose qui lui appartient, c’est son droit ; et cette destruction deviendrait un délit, si la destruction était l’œuvre d’un tiers avec le consentement du propriétaire !

Pour la deuxième théorie, le consentement de la victime serait efficace et produirait des effets juridiques. Cette doctrine est évidemment fausse, si elle est généralisée ; si le délit s’effaçait par le consentement de la victime, où serait le droit de l’État et de la collectivité ? L’État et l’ordre public ne seraient plus que des mots creux et vides de sens.

Heureusement les partisans de cette deuxième opinion ne s’accordent que sur cette vague affirmation de principe : le consentement la victime produit des effets.

Les divergences se marquent aussitôt, dès qu’il s’agit de baser, de fonder le droit du consentement, de produire des effets juridiques.

Les uns prétendent que le consentement donne un droit à agir. D’antres refusent catégoriquement d’invoquer des principes de droit privé pour résoudre un problème de droit pénal, et prétendent que le consentement ne crée aucun droit, mais qu’il rend un crime impossible, parce qu’il supprime un élément constitutif du fait matériel de l’infraction. Cette opinion a beaucoup de ressemblance avec cette autre opinion qui soutient que la clause tacite « invito laeso  » est un élément essentiel de tous les crimes ou du moins de certains crimes.

D’autres auteurs nient cela également, mais ils voient dans le consentement une renonciation juridique, en vertu de laquelle le fait, qui autrement serait illégal, devient juridiquement indifférent. Finalement, d’après quelques auteurs, le but qui est propre à la loi pénale devient, par suite du consentement, caduc, de sorte que celle-ci ne peut plus être appliquée.

Les divergences continuent à se marquer plus profondément encore, quand il s’agit de limiter le champ d’application du consentement de la victime.

Ici, nous pouvons distinguer deux grands groupes d’opinions. L’un d’eux admet les effets juridiques du consentement d’une façon illimitée. L’autre défend l’idée que le consentement ne produit d’effets juridiques que d’une manière limitée, par rapport à certains délits, ou seulement sous certaines conditions qui sont à déterminer.

Sans, toutefois, entrer dans le détail de ces divergences, il importe d’abord de faire remarquer que, attendu que des dispositions générales d’ordre pénal font défaut, la limitation des effets juridiques du consentement ne peut avoir lieu qu’en vertu de dispositions spéciales, c’est-à-dire qu’après avoir étudié les éléments constitutifs de chaque fait matériel particulier et les formes qui pourraient s’y appliquer.

Mais, il faut ensuite aussi faire observer qu’à toutes ces théories, ce qui fait défaut, dans la mesure où elles cherchent à limiter les effets juridiques du consentement, c’est un critère objectif. Elles ne peuvent se fonder aucun critère solide. Nous allons les exposer sommairement.

La première théorie est celle des droits aliénables et inaliénables.

Cette théorie était autrefois prépondérante ; elle ne l’est plus aujourd’hui ; elle est considérée comme surannée.

D’après elle, le consentement ne devait produire d’effets juridiques que lorsqu’il s’agissait d’atteintes portées contre des droits dits aliénables, et ne produisait aucun effet d’ordre juridique, s’il était question d’atteintes porté aux droits dits inaliénables.

En effet, du moment que les partisans de cette théorie n’indiquent pas quels sont les droits qui sont aliénables et ceux qui sont inaliénables, elle ne prouve rien. Une énumération de ces droits fait défaut.

Dans une deuxième théorie, le consentement serait juridiquement efficace, dans la mesure où le sujet lésé aurait la faculté d’en disposer. Or, comme l’a bien fait remarquer Zitelmann, la faculté de disposer n’a d’autre sens que « le pouvoir de consentir d’une façon efficace » et par conséquent, au lieu de donner une explication ou une définition, on ne fait que mettre un mot à la place d’un autre.

Dans une troisième théorie, le consentement ne produit d’effets juridiques que dans la mesure où l’État, en décrétant une répression, a voulu protéger uniquement des intérêts d’ordre privé, et non d’ordre social. Mais-alors, la question qui se pose, c’est de savoir à quel moment et dans quels délits l’État protège exclusivement des intérêts privés. À cette question, il est difficile de répondre : dans combien de cas les intérêts privés n’intéressent-ils pas l’ordre public ?

Des théories plus modernes n’aboutissent pas plus à une solution générale. Une quatrième théorie considère le consentement comme un negotium juris et lui attribuent des effets d’ordre pénal, en tant et dans la mesure où il produit des effets juridiques d’ordre privé. Il en résulte que d’après cette théorie le consentement n’est juridiquement efficace que lorsque le personne consentante est le seul sujet du droit lésé. Mais alors on se demande quels sont ces cas, dans lesquels la personne consentante est l’unique sujet du droit lésé ?

On peut faire la même objection à une cinquième théorie, qui admet les effets juridiques du consentement dans le cas d’un droit soi-disant relatif, mais les rejette dans le cas d’un droit soi-disant absolu. Car, également ici, la première question qui se pose, c’est de savoir ce qu’on entend par un « droit relatif » et ce qu’on entend par un « droit absolu », en d’autres termes, c’est la question de savoir quand la clause tacite de l’invito laeso est un élément essentiel du fait matériel et quand elle ne l’est pas.

Que faut-il en conclure ? C’est qu’à toutes ces théories un critère objectif fait défaut. La conclusion qui saute aux yeux, et qui est très importante pour notre étude, c’est qu’il n’y a pas lieu de penser que, dans tes circonstances l’une de ces théories, quelle qu’elle soit, devienne un jour une théorie prépondérante, de sorte qu’elle puisse écarter, en raison de son évidence, toutes les autres théories qui ont été émise jusqu’ici. Il est impossible de résoudre le problème dans une formule générale. C’est dans l’étude de chaque délit en particulier que le législateur, doit puiser la réponse pour chaque espèce. Il suffit de se rappeler que les points de vue auxquels se placent les cinq théories plus haut ne sont pas les seuls d’où la question peut être envisagée. Il ne s’agit pas que d’intérêt public, d’invito laeso, mais encore de l’intérêt bien compris de la victime et de l’État, des dangers privés et publics qu’engendrent certaines poursuites...

La seule conclusion à laquelle on peut arriver sans controverse possible, c’est que, lorsqu’il s’agit de délits qui portent directement atteinte à la société, à l’État, est absolument inadmissible de, parler d’effets juridiques du consentement de la victime. Ce consentement ne pourrait être donné que par les représentants de l’État qui sont chargés précisément de l’exécution de la loi. Or, par le fait de reconnaître à ces organes la faculté de donner le consentement ou de ne pas le donner, on les placerait au-dessus de la loi, on les considérerait comme supérieurs et transcendants, puisque par le fait qu’ils auraient la faculté de donner le consentement, on leur accorderait logiquement le droit de se désister à leur gré du devoir qui leur incombe, en raison de leur fonction, notamment d’exécuter la loi. Or, l’idée première, l’idée maîtresse initiale et primordiale, qui est à la base de la création de ces organes exécutifs, c’est l’idée du devoir et non pas l’idée de droit ni de faculté. Dans ce cas, le consentement est logiquement impossible ; celui, qui doit faire exécuter les lois ne peut en suspendre à son gré l’exécution, il n’en a pas le droit.

Concluons, sans hésiter, que le consentement de la victime a une efficacité juridique limitée, en ce qui concerne l’existence du délit. Et tel est l’avis de tous les codes modernes. Les uns, comme ceux du type du droit anglais, partent du principe affirmatif, que la loi doit reconnaître au consentement de la victime une efficacité juridique ; mais ils émettent maintes exceptions à cette règle. D’autres Codes, comme le Code mexicain, partent, en sens inverse, du principe négatif, et nient l’efficacité juridique du consentement ; mais, en pratique, ils apportent à cette règle des tempéraments dans le positif, et ils adoptent, en fin de compte, cette idée que le consentement va souvent jusqu’à supprimer le caractère délictueux de l’acte.

Certainement, il est impossible d’établir, dans notre problème, des critères généraux. Ce n’est qu’en prenant les cas d’espèces, les délits, en cherchant à apprécier les divers éléments constitutifs des différents faits matériels de l’infraction, dans leur signification sociale et individuelle, en étudiant leurs conséquences, avec le plus grand soin, qu’on arrivera à des solutions pratiques, portant sur certaines espèces de délits, et non sur le délit en général.

Signe de fin