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LA PARTICIPATION À L’INFRACTION
( suivant la science rationnelle )

par Daniel Jousse
( extrait de son «  Traité de la justice criminelle », Paris 1771 )

DES DIFFÉRENTES MANIÈRES
DONT ON PEUT PARTICIPER AUX CRIMES :
OÙ IL EST TRAITÉ DES COMPLICES DES CRIMES,
ET DE LEURS FAUTEURS, PARTICIPES ET ADHÉRANTS.

 

1. - Après avoir vu quelles sont les différentes espèces de crimes, et ce qui peut contribuer à les rendre plus ou moins graves, il faut examiner les différentes manières dont on peut y participer.

On peut être complice d'un crime en plusieurs manières :

1°.En y coopérant et prêtant secours.

2° En obligeant, persuadant ou engageant de le commettre; soit par ordre, ou conseil, ou mandat, etc.

3°. En y adhérant, après qu'il est commis ; soit par applaudissement, ou par récompense, ou en partageant, ou recelant ce qui en provient, tels que des effets volés ; ou bien en facilitant l'évasion et la fuite du coupable, ou en lui donnant retraite pour le dérober aux poursuites de la justice.

4°. C'est encore participer en quelque sorte à un crime, que de ne pas l’empêcher, en le révélant, lorsqu'on sait que quelqu'un prend des mesures pour le commettre, surtout lorsqu'il s'agit d'un crime qu’il est intéressant pour l'État de ne pas laisser commettre.

5°. On regarde comme complice en matière d'écrits et libelles, ceux qui les impriment, ou qui les vendent et débitent, ou qui les rendent publics, de quelque autre manière que ce soit. Je parlerai particulièrement de cette espèce de complicité, ci-après au titre des injures.

§ 1 - De ceux que participent à un crime en y coopérant

2. La coopération au crime, ou l'aide et assistance que l'on fournit au criminel, peut se faire en trois manières différentes.

1°. Avant le crime.

En prêtant les armes, le poison, les ferrements, l'échelle, ou autres instruments nécessaires pour le commettre.

En prêtant son cheval, son domestique, ou autres personnes, pour en faciliter l’exécution.

En offrant sa maison pour y commettre le crime ; ou à l’effet d'y délibérer sur les mesures nécessaires à son exécution; ou pour y recevoir le coupable.

En s’associant avec celui qui doit commettre le crime, afin d'empêcher que quelqu'un ne le détourne de le mettre à exécution.

En montrant au meurtrier la maison de celui qu'on veut tuer, pour lui faciliter l'exécution de son crime.

En retenant celui qu'on doit mettre à mort, jusqu’à l'arrivée de celui qui doit le tuer.

En portant des lettres qui contiennent des mesures et des complots touchant le crime.

Ou enfin en gardant les hardes et bagages de ceux qui doivent le commettre.

2°. Pendant le crime.

3. En donnant du secours et de l'assistance au criminel, dans le temps même de l’action, et en l'aidant à la commettre.

En empêchant celui qui est attaqué de se défendre, en lui ôtant ses armes, pour donner plus de facilité à l’agresseur de le tuer.

En le retenant pour l’empêcher de s'enfuir, et d'éviter le coup qu'on veut lui porter.

En empêchant et écartant ceux qui veulent venir au secours de celui qu'on attaque.

En tenant l'échelle, ou aidant le voleur à monter par dessus le mur, ou à forcer les portes.

En faisant le guet pendant le temps du crime.

Enfin en assistant le meurtrier par sa présence avec des armes, afin d'intimider la personne attaquée.

3°. Après le crime.

4. En partageant les effets volés. En recelant, cachant chez soi, ou vendant les choses volées.

En protégeant le coupable, et le cachant en sa maison.

En favorisant sa fuite, et empêchant qu'il ne soit arrêté.

En l'aidant à enterrer, ou cacher le cadavre de la personne homicidée, pour empêcher que le crime ne soit découvert.

De la punition de ceux qui participent au crime en y coopérant

5. Pour savoir la peine que méritent ceux qui coopèrent au crime, soit avant, soit après qu'il est commis, avec Julius Clarus il faut distinguer trois cas.

Le premier cas est celui où le crime a été commis en conséquence d’un complot, ou d’une délibération précédente, faite du consentement du complice. Dans ce premier cas, la peine du complice doit être la même que celle du principal auteur du crime ; et cela doit avoir lieu indistinctement, en quelque temps qu’il y ait coopéré, soit avant, soit pendant, ou après le crime : car, quoique ce complice n’ait point commis le crime par lui-même, néanmoins il a eu l’intention de le commettre ; surtout s’il avoir résolu dès le commencement d’y prêter son secours ; par exemple, s’il avoir promis des chevaux, pour se sauver, à celui qu’il savait devoir commettre ce crime.

6. Le second cas est celui où il n’y a point eu de complot précédent. Alors si le complice a été la cause prochaine et immédiate du .crime (on entend par cause prochaine celle sans laquelle le crime n’eût pu être commis, et par cause éloignée celle sans laquelle le crime eût été également commis) ; p. ex. s’il a été présent dans le temps qu’il a été commis, et qu’il en ait facilité l’exécution, soit par sa présence, soit par quelqu’autre acte de sa part, il doit être condamné à la même peine que le principal auteur du crime. Mais si ce complice n’a pas été la cause prochaine du crime, et qu’il n’en ait été que la cause éloignée; comme s’il a seulement fourni les choses nécessaires pour le commettre, il doit être puni d’une peine moindre que le principal délinquant ; surtout s’il n’a prêté son secours qu’après le délit commis : car il est vrai de dire que celui qui ne prête son secours au criminel qu’après qu’il a commis le crime, ne peut être regardé comme ayant prêté son aide au criminel ; et, par conséquent, il ne doit point être puni de la même manière que le principal auteur du crime, mais d’une peine moins sévère.

7. Un troisième cas, enfin, c’est lorsqu’il est incertain et douteux qu’il y ait eu un complot précédent, auquel le complice ait eu part. Alors si ce complice a recueilli chez lui le coupable, ou a facilité son évasion ; et que le crime soit de nature à mériter la peine de mort, on pourra le condamner à la question préparatoire ; du moins sans réserve de preuves. En effet, le secours que prête une personne pour faire sauver celui qui est coupable d’un crime, forme une preuve considérable contre celui qui a prêté ce secours, même après le délit commis, qu’il est participant de ce même crime. Ce qui n’a pas lieu cependant dans le cas où la qualité des personnes et les circonstances du fait feraient présumer le contraire comme si celui qui a fait sauver le coupable était son proche parent, ou son ami, particulier, ou s’il était son domestique, et que ce motif l’eut naturellement engagé à faire sauver son proche parent, son ami, ou son maître, des mains de la Justice, sans avoir d’ailleurs participé au crime.

8. Celui qui fait le guet, pendant le temps que le crime est commis, est regardé somme servant de cause prochaine à l’action du crime, et doit, par conséquent, être puni de la même peine que les principaux auteurs de ce crime.

A l’égard de celui qui garde les hardes et paquets des principaux délinquants, pendant le temps qu’ils commettent le crime, il ne paraît pas qu’il doive être puni de la même peine que les auteurs même du crime, mais seulement d’une peine plus légère.

Quant à ceux qui partagent ou recèlent les effets volés ; pour savoir s’ils doivent être punis de la même peine que les principaux voleurs ,voyez ce qui est dit au titre du vol (n°.170 & 178).

9. Il arrive quelquefois que celui qui prête son assistance, pour commettre un crime, est puni plus sévèrement que le principal auteur. Ce qui a lieu toutes les fois qu’il résulte de cette assistance un plus grand crime du côté de ce complice, que du côté du principal auteur du crime ; comme dans le cas d’un fils qui prêterait son secours pour tuer son père.

Au reste, dans tous les cas dont on vient de parler, il faut, pour que le complice puisse être puni, qu’il ait coopéré au crime sciemment et en connaissance de cause ; car s’il l’avait fait de bonne foi, et sans savoir ce dont il s’agit, il cesserait d’être punissable.

10. Cette connaissance, complicité ou connivence, se présume par les circonstances ; p.ex. par le profit qui en doit revenir à la personne qui a donné son assistance, ou par l’intérêt qu’elle peut y avoir, ou par les autres motifs qui peuvent l’avoir engagée à participer au crime : ce qui dépend aussi de la considération du temps, du fait, et de la qualité des personnes.

Mais on ne doit pas regarder comme complice et participe d’un crime, celui qui ne l’a commis, que parce qu’il y a été contraint par force et par violence.

11. Un autre motif qui peut rendre ces sortes d’assistances ou secours excusables de la peine ordinaire, c’est lorsque le secours prêté par le complice, n’a point été suivi d’effet ; car alors la peine doit être moindre ; et même, si le délit est léger, on ne le punit point ordinairement.

A l’égard de celui qui est simplement présent dans le temps que le délit se commet, il ne paraît pas qu’il doive être puni en aucune manière ; surtout s’il n’a pu empêcher que ce délit ait été commis. Néanmoins s’il paraît que par sa présence il ait voulu l’autoriser, ou qu’il se soit associé avec les auteurs du crime, ou qu’il ait porté avec lui des armes qui le fasse présumer ; dans ce cas il doit être puni comme complice, ou de la même peine que les principaux auteurs, ou d’une peine moindre( Voyez ce qui est dit infra n° 37).

12. Mais de ce qu’une personne se trouve dans la compagnie de celui qui vient de commettre un meurtre, il ne s’enfuit pas qu’il soit complice de ce meurtre, si c’est par hasard, ou sans aucun dessein prémédité, qu’il s’est trouvé dans la compagnie du meurtrier, et que le contraire ne paraisse point par des circonstances qui fassent présumer qu’il ait participé au crime.

§ 2 - De ceux que participent à un crime, en donnant ordre, ou commission
à quelqu’un de le commettre, et comment ils sont punis.

13. II y a cette différence entre le conseil et le mandat, ou la commission que l’on donne à quelqu’un de faire une chose : que le conseil se donne pour l’utilité de celui à qui on le donne ; au lieu que le mandat se fait pour l’avantage du mandant.

C’est proprement cette distinction qui établit la différence qu’il y a entre ces deux actes ; quand même ils seraient conçus en des termes différents de ceux par lesquels on les exprime ordinairement.

14. Le mandat, soit qu’il se donne verbalement, ou par écrit ; est ordinairement conçu en termes impératifs, en forme d’ordre, ou de mandement, lorsqu’il se donne par un supérieur à un inférieur ; p.ex. à un fils, ou à un serviteur : mais il peut aussi se faire d’une manière rogatoire ; et cela ne change rien à son essence. Quelquefois même il se fait par convention, en donnant ou promettant de l’argent, ou autre récompense, au mandataire.

1°. On doit regarder comme une règle générale, que celui qui donne ordre, ou commission à quelqu’un de commettre un crime doit être puni de la même peine que celui qui le commet ; et qu’ils font l’un et l’autre également & solidairement sujets aux dommages-intérêts envers les parties civiles. La Coutume réformée de Bretagne, art. 625 en à une disposition.

15. Cette règle a lieu à plus forte raison dans les crimes atroces ; comme dans le crime de lèse-majesté, de parricide, et autres semblables.

Et c’est en conséquence de cette même maxime que ceux qui louent ou engagent des personnes pour assassiner quelqu’un, ou pour recourre un prisonnier des mains de la Justice, sont punis de mort, comme les assassins même, & les auteurs de la recourre (Ordonnance de Blois, art. 195 ; Ordonnance de 1670, T. 16, art. 4).

16. Il en est de même dans le cas où il y aurait plusieurs mandants, ou plusieurs mandataires, car alors ils seraient tous sujets à la même peine.

Ceux qui servent de médiateurs entre le mandant et le mandataire, pour porter les lettres à l’effet de commettre le crime, sont aussi punis de la même peine que les auteurs même du délit.

17. – 2°. Le mandat se prouve, non seulement par des preuves directes, soit par témoins ou par écrit, mais aussi quelquefois par de simples indices et conjectures ; pourvu que ces indices soient du nombre de ceux qu’on appelle violents ; p.ex. si quelqu’un a un ennemi capital, et qu’il ait été vu parlant en secret à l’oreille d’un particulier, et que sur le-champ ce particulier ait tué cet ennemi ; cela forme-alors un indice que ce particulier l’a tué de l’ordre du premier, surtout si ce particulier est un domestique, ou dans la dépendance de celui qui lui a parlé à l'oreille.

L'argent donné par celui qui a un ennemi capital, à celui qui tue cet ennemi, fait aussi quelquefois présumer que ce meurtre a été commis à l’instigation du premier ; surtout si le crime a été commis peu de temps après.

18. Mais, dans le doute, le mandat ne se présume point ;et si le crime qui est commis procure un avantage à celui qui a engagé de le commettre, et à celui qui l’a commis, on présume plutôt que c’est un conseil qu'un mandat.

On ne peut informer contre le mandant, à moins qu’il ne soit constant qu’il y ait un mandataire. De même on ne peut informer contre le complice, ou fauteur d’un crime, à moins qu’il ne soit constant qu’il y a un principal auteur de ce crime.

De la ratification à l’égard d’un crime commis

19. La ratification, ou approbation, que l’on donne à un crime après qu'il a été commis, est comparée au mandat ; mais pour que cette ratification puisse donner lieu à la peine, il faut : 1° que le crime ait été commis au nom de celui qui le ratifie ; 2° que celui qui le ratifie, le ratifie comme ayant été commis en son nom ; parce qu'alors cette ratification équivaut à une confession extrajudiciaire.

Mais dans le doute, lorsque quelqu’un ratifie un crime, il est censé le ratifier comme ayant été commis en son nom ; ainsi c’est à lui à prouver qu’il n’a pas été commis en son nom, ou de son ordre. Il y a même des cas où la simple ratification peut être regardée comme équivalente à un mandat, sans une confession de cette espèce, lorsque cela se présume d’ailleurs par les circonstances ; comme s’il y avoir une inimitié capitale entre celui qui a ratifié le crime, et la personne offensée ; ou que ce crime ait procuré un avantage considérable à celui qui l’a ratifié.

20. La simple ratification d’un crime, quand il n’est pas prouvé que celui qui le ratifie a donné lieu de le commettre, ne doit pas être punie de la même peine que celui qui a commis le crime ; mais d’une autre peine moindre, suivant les circonstances du fait, et de la qualité des personnes.

Des circonstances qui excusent de la peine ordinaire celui qui a donné ordre, ou commission de commettre un crime.

21. Il y a plusieurs cas où celui qui a donné ordre de commettre un crime ne doit point être puni de la même peine que celui qui l’a commis. Ces cas font :

1°. Si celui qui a donné cet ordre, l’a révoqué avant que le crime ait été commis. Mais il faut pour cela que cette révocation ait été notifiée au mandataire, et elle ne se présume point, ni par l’absence du mandant, ni par la longueur du temps qui s’est écoulé entre le mandat et le crime commis.

Il faut même observer que, dans les crimes atroces, la révocation du mandat n’excuse point le mandant de la peine ordinaire ; comme dans les crimes de lèse-majesté, d’assassinat, etc.

22. En général la révocation du mandat excuse, à la vérité, de la peine ordinaire ; mais elle n’excuse point d’une autre peine moindre, surtout dans les grands crimes,

2°. Le mandant ne doit point être puni de la même peine que le mandataire, lorsque celui-ci a excédé le mandat qui lui a été donné ; p.ex. si le mandant avoir donné seulement commission de battre quelqu’un, et que le mandataire l’eût tué.

Il en est de même, si le mandat avait été donné pour enlever une femme ou une fille, et que le mandataire par des violences lui eût causé la mort.

23. Mais cette exception n’a pas lieu dans le cas où il n’a pas été au pouvoir du mandataire d’excéder les bornes du mandat; comme si on l’avait chargé simplement de blesser, et que cette blessure eût causé la mort de l’offensé ; parce que le mandant ne pouvait ignorer que souvent les blessures occasionnent la mort de ceux qui les ont reçues.

Elle n’a pas lieu non plus dans les cas où le mandataire excéderait son pouvoir en présence du mandant, sans aucune contradiction, ni réclamation de la part de ce dernier.

24. Il faut aussi observer que, dans tous les cas où le mandataire, au lieu d’excéder les bornes du mandat, a fait moins qu’il ne lui a été ordonné ; le mandant est toujours tenu de ce moins, et il est punissable pour raison de ce qui a été commis alors par le mandataire.

3°. Un troisième cas, où le mandant ne doit point être puni de la peine que mérite le crime qu’il a chargé de commettre, est lorsque ce crime n’a point été suivi d’exécution.

25. Mais cette règle n’a pas lieu dans les crimes atroces, dans lesquels le mandant doit être puni de la peine ordinaire due au crime lorsque le mandataire a fait tout ce qui dépendait de lui pour l’exécuter, quoique son attentat n’ait point été suivi d’effet ; comme dans l’assassinat prémédité ; car alors le mandataire et le mandant, doivent être punis de la même peine que si le crime eût été exécuté. (Ordonnance de Blois, art. 195 ; Ordonnance de 1670, T. 16, art. 4).

26. Et quand même le mandataire, dans ces sortes de crimes, ne serait pas venu à un acte prochain qui prouvât qu’il a tenté de commettre le crime, le mandant ne serait pas moins punissable ; mais alors il doit être puni d’une peine moindre, et proportionnée aux circonstances. Ce qui doit même avoir lieu, suivant quelques auteurs, dans le cas où le mandataire aurait refusé d’exécuter le mandat.

27. 4°. Un autre cas où le mandat n’est pas puni de la peine ordinaire, c’est lorsqu’il y a dans la personne du mandataire une qualité qui rend à son égard le crime plus grand qu’à l’égard du mandant ; comme si le mandant donnait commission à un fils de tuer son père, qui serait un étranger par rapport an mandant.

5°. De même, celui qui donne ordre, ou commission à quelqu’un de commettre un adultère avec une femme, pour faire injure au mari, ne doit point être puni de la même manière que celui qui le commet ; parce que, dans ces sortes de crimes, on ne peut pas dire que le mandant fasse le même mal que celui qui en est le principal auteur.

28. Au reste, il faut observer, à l’égard du mandataire, que le mandat ne peut jamais l’excuser. Mais si le mandat est un commandement fait par un supérieur à son inférieur ; comme d’un maître à un valet, ou d’un père à un fils ; alors, comme il renferme une espèce de nécessité d’obéir de la part du mandataire, ce dernier peut être excusé de la peine ordinaire, du moins dans les crimes légers ; et il devient seulement punissable d’une peine arbitraire, plus ou moins grande, suivant la nature du crime, à proportion du degré d’autorité et de puissance qu’avait celui dont l’ordre est émané, sur celui qui l’a exécuté.

29. Une autre observation à faire, en cette matière, est que le mandataire qui a commis un crime n’a aucun recours contre celui qui lui a donné charge de le commettre ; parce que ces sortes de conventions, étant contraires aux bonnes mœurs, sont réprouvées.

§ 3 -  De ceux qui participent au crime, en conseillant de le commettre,
et de la peine qu’ils méritent.

30. Conseiller un crime, c’est exciter, exhorter et engager à le commettre ; ce qui peut se faire en deux manières :

1°. En excitant simplement à le commettre.

2°. En instruisant de tous les moyens propres pour y parvenir.

C’est encore une manière de conseiller le crime, que de le louer comme une bonne action ; ou de le soutenir par des écrits, comme une chose permise et légitime.

Le conseil diffère de la coopération au crime, en ce que celui-ci s’exécute par des faits ; au lieu que le conseil ne se fait que par des paroles, ou par des écrits.

31. On peut regarder, comme une règle générale, que celui qui conseille à quelqu’un de commettre un crime, doit être puni de la même peine que celui qui le commet ; et cela a lieu principalement dans le cas où il paraît que, sans ce conseil, le coupable n’eût point commis le crime. Ce qui se présume, ou par la qualité du coupable, ou par le peu de temps qui s est écoulé entre le conseil et l’action ; et par les autres circonstances, comme si c’était un père qui eût conseillé plusieurs fois à ses enfants de tuer telle personne, et qu’en conséquence les enfants eussent commis ce meurtre.

32. Cette peine a lieu, à plus forte raison :

1°. dans le cas où celui qui a conseillé le crime ne s’est pas contenté simplement de le conseiller, mais qu’il a de plus indiqué tous les moyens nécessaires pour y réussir.

2°. Elle a lieu principalement dans les crimes atroces ; comme dans le cas d’une femme qui conseillerait à son amant de tuer son mari.

3°. Et à plus forte raison, à l’égard de ceux qui conseillent le crime, et qui aident à le commettre.

Dans tous ces exemples, ceux qui ont conseillé le crime sont, non seulement punis de la même peine que ceux qui en sont les principaux auteurs, mais ils sont aussi tenus comme eux de tous les dommages et intérêts envers les parties civiles.

33. Il faut cependant observer que la règle établie ci-dessus cesse d’avoir lieu dans plusieurs cas ; à savoir :

1°.Lorsque celui qui a donné le conseil l’a donné de bonne foi, ou par légèreté et en badinant, sans en sentir les suites.

2°. Si le conseil a été donné d’une manière qui pouvoir recevoir une interprétation favorable , et non criminelle. ( Faria. ib. et 7a.)

3°. Si le conseil n’a point été suivi d’exécution. Ce qui souffre néanmoins exception à l’égard des crimes atroces ; comme dans les crimes de lèse-majesté, assassinat prémédité, etc. ; car, dans ces cas, celui qui a donné le conseil, quoique non suivi d’exécution, doit être puni de la même peine que celui qui a tenté de le commettre.

34. 4°. Un autre cas, où le conseil ne doit point être puni de la même peine que celui qui a commis le crime, c’est lorsque celui qui a donné ce conseil n’a pas conseillé directement le crime, mais un autre fait qui en était une cause éloignée ; p.ex. s’il avait conseillé de tirer vengeance contre un tel, ou de le traiter en ennemi, et que celui à qui il a donné ce conseil eût tué cette personne.

5°. Lorsqu’il y a une qualité aggravante de la part de celui qui a commis le crime, celui qui a donné le conseil ne doit pas non plus être puni de la même peine ; comme si quelqu’un avait donné conseil à Titius de battre une autre personne, et que Titius, au lieu de se contenter de battre cette personne, l’eût tuée.

§ IV -  De ceux qui participent au crime, en le favorisant et en y adhérant,
et comment ils doivent être punis

35. 1°.Ceux qui adhèrent et donnent leur contentement à un crime doivent être punis de la même peine que ceux qui l’ont commis. Mais cette règle n’a lieu que dans les crimes atroces ; comme dans les crimes de lèse-majesté et de parricide; et non dans les crimes légers.

2°. Celui qui favorise, ou qui approuve un crime, doit aussi être puni de la même peine que celui qui l’a commis, lorsque cette faveur ou approbation a donné lieu de le commettre. Mais si elle n’a rien ajouté à la détermination où était le coupable de mettre le crime à exécution, cette approbation exempte celui qui l’a donnée de la peine ordinaire du crime, et le soumet à une peine moindre, et proportionnée aux circonstances et à la qualité du crime.

36. A l’égard de ceux qui, dans leurs discours ou écrits, soutiennent des maximes dangereuses et criminelles (p.ex. qu’il est permis de tuer un Souverain dans certains cas, ou qui soutiennent comme orthodoxes des propositions hérétiques), ils doivent être punis, suivant quelques auteurs, de la même manière que ceux qui auraient commis les crimes dont ils prennent la défense ; mais d’autres prétendent qu’ils doivent être punis d’une peine moindre.

§ V -  De ceux qui ont connaissance du crime et qui, pouvant empêcher
qu’il soit commis, soit en le révélant ou autrement, ne l’empêchent point,
et de la peine qu’ils méritent

37. Quoique, suivant le sentiment général des criminalistes, on ne soit point obligé, dans le for extérieur, de révéler un crime qu’on sait devoir être commis, ni de l’empêcher quand on le peut, néanmoins cette règle souffre quelques exceptions.

1°. Dans les grands crimes, comme de lèse-majesté, assassinat etc., celui qui peut empêcher le crime, en le révélant ou autrement, et qui ne l’empêche point, du moins lorsqu’il peut le faire sans courir aucun danger évident, devient coupable, et doit être puni extraordinairement, suivant les circonstances et la qualité des personnes.

38. La seule connaissance même du complot, ou du crime qui doit se commettre, et qu’on ne révèle point, quand il s’agit de crime de lèse-majesté, suffit pour rendre criminel, et pour faire mériter, à celui qui a négligé de faire cette révélation, la peine de mort, suivant l’Ordonnance de Louis XI du mois de Décembre 1477. Nous avons dans l’histoire des exemples célèbres de ces sortes de punitions.

2°. La femme qui, sachant qu’on doit assassiner son mari, garderait le silence sans le révéler, doit aussi être regardée comme coupable de cet assassinat.

Et il en est de même du fils qui tairait l’homicide projeté de son père. (L. 6, D. ad legem Pompeiam de parricidiis)

39. A l’égard des autres degrés de parenté, comme frère etc., la peine est moindre que la peine ordinaire.

Les serviteurs qui savent qu’on doit commettre quelque crime contre leur maître, et qui ne le révèlent point, ou qui ne l’empêchent point, le pouvant faire, deviennent en quelque forte complices de ce crime, et doivent être punis pour cela.

Les sujets ou vassaux, qui voient offenser leur Seigneur, sont aussi coupables, s’ils ne se mettent point en devoir de l’empêcher ; et ils deviennent punissables d’une peine arbitraire, suivant les circonstances et la qualité du fait.

40. 3°. Si les personnes qui n’empêchent point le crime sont tenues de le faire, par le devoir de leur état, et qu’elle avaient l’autorité et le pouvoir nécessaires à cet effet, elles deviennent coupables en ne l’empêchant point ; comme si un père, ou un maître, ou un mari, était présent à un crime commis par son fils, son serviteur, ou sa femme, et qu’il le vît commettre sans se mettre en devoir de l’empêcher.

Farinacius va encore plus loin, et prétend qu’il en doit être de même d’un ami, et d’un parent en général, lorsqu’il voit attaquer son parent, et son ami en sa présence, et qu’il ne l’empêche point ; du moins lorsqu’il peut le faire, sans courir aucun danger.

41. Un magistrat, un seigneur, ou une autre personne constituée en autorité, qui voit maltraiter un de ses sujets, vassaux ou justiciables, sans se mettre en devoir de l’empêcher, devient aussi punissable, à cause de sa négligence.

La maxime qu’on vient d’établir a lieu, à plus forte raison, lorsque le maître, le seigneur, le mari, etc. restent longtemps présents, et pendant tout le temps que dure le crime, ou l’offense faite à celui dont ils devaient prendre la défense ; parce qu’alors ils semblent, par leur présence et leur silence, autoriser cette offense.

4°. La simple connaissance même, qu’un père, ou un mari, ou un maître, a du délit qui doit être commis par son fils, sa femme, ou son serviteur, sans se mettre en devoir de l’empêcher, suffit pour rendre ce père, ce maître, ou ce mari coupable du délit. Farinacius ajoute cependant qu’ils ne doivent point alors être punis de la même peine que les auteurs du crime, mais d’une autre peine moindre, suivant les circonstances.

42. Par la même raison, les magistrats, seigneurs, ou autres supérieurs, qui, sachant que des personnes commettent des excès dans leur province, ou justice, négligent de poursuivre et de faire punir les coupables, doivent aussi être punis de peine arbitraire, suivant les circonstances. Voyez à ce sujet Boerius qui raconte qu’un Officier Royal fut privé de son office, pour avoir souffert qu’un enfant en maltraitât un autre grièvement en sa présence, sans se mettre en devoir de l’empêcher

Et il en est de même d’un évêque qui, sachant qu’un ecclésiastique de son Diocèse enseigne une mauvaise doctrine, négligerait de le faire punir.

Dans tous ces cas, la négligence est une espèce d’autorisation du crime ; Julius Clarus prétend même que, dans ce cas, le supérieur qui favorise un crime par voie d’autorité, ou de défenses, doit être puni d’une peine plus sévère que celui qui l’a commis. Il ajoute cependant que cela n’a lieu que quand il s’agit de crimes considérables ; mais que, dans les crimes moindres, il doit seulement être puni de la même peine.

Au surplus, on doit observer, que pour que ces sortes de connaissances, suivies d’inaction et de négligence, soient punissables, il faut qu’elles soient prouvées ; autrement elles ne se présument point.

Des femmes des voleurs, et autres criminels de profession,
si elles font tenues de les révéler.

43. On ne punit point les femmes des voleurs et autres criminels de profession, quand même elles auraient connaissance des crimes commis par leurs maris, et qu’elles sauraient que les effets par eux apportés en leurs maisons sont des effets volés ; si d’ailleurs il n’est prouvé qu’elles ont participé au crime, soit en se servant pour leur usage des effets volés, soit en les vendant, etc.

A l’égard des concubines des voleurs qui demeurent avec eux, elles ne peuvent être excusées par le même motif ; et cette simple connaissance des crimes commis par ceux qui les entretiennent suffit pour rendre ces femmes coupables, et pour les faire punir, non de la même peine que les principaux auteurs du crime, (à moins qu’elles n’y aient participé par elles-mêmes), mais d’une autre peine moindre, et proportionnée aux circonstances , et à la qualité des personnes.

N.B. La plupart des références fournies par Jousse ont été omises, afin d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture.

Signe de fin