DICTIONNAIRE DE DROIT CRIMINEL
Dictionnaire des noms propres
- Professeur Jean-Paul DOUCET -
Sur l’importance du rôle social des auteurs évoqués ci-dessous, voir notre étude :
La doctrine est-elle une source du droit ?
Lettre A
ABEL
Cf. Fratricide*, Jalousie*, Meurtre*.
Mosaïque photographiée au Palais des Normands à Palerme (Sicile)
Selon l'Ancien Testament, Abel fut la première victime d'un meurtre, et même d'un fratricide.
Ancien Testament (La Genèse, 4, 8) : Caïn dit à son frère Abel : « Allons dehors », et, comme ils étaient en pleine campagne, Caïn se jeta sur son frère et le tua.
Verger (Dictionnaire des figures du christianisme) : Abel est le second fils d'Adam et Ève. Berger élevant des moutons, il offre à Dieu des sacrifices qui lui sont agréables. Son frère Caïn cultive la terre, mais, pour un motif ignoré, Dieu les refuse. Emporté par la jalousie, Caïn se jette sur Abel et le tue. L'histoire d'Abel est celle du premier meurtre de l'histoire humaine, le fratricide d'un innocent.
ABÉLARD Pierre
Cf. Aristote*, Conscience*, Intention*, Université*, St Thomas d'Aquin*.
Pierre Abélard naquit en 1079 au Pallet, près
de Nantes, d'une famille noble dont le père était féru de lectures
savantes. Tout naturellement, il s'orienta vers l'étude ; d'abord à
Nantes, puis à Paris où il suivit les cours de Guillaume de
Champeaux. Très tôt il fonde sa propre école à Melun puis à Corbeil
; enfin il s'installe à Paris où le Chapitre de Notre-Dame lui
confie notamment un cours de dialectique (c'est à cette époque qu'il
rencontre Héloïse). Son succès lui suscita bien sûr nombre de jaloux
et d'ennemis qui le traduisirent devant un Tribunal épiscopal à
Soissons ; il fut contraint de brûler un de ses livres et il fut
même menacé d'excommunication. Revenu à Paris, et plus précisément
au monastère de Saint-Denis, il se consacra dès lors à sa mission de
moine-enseignant : « Je travaille à rechercher la vérité ; je ne
discute pas comme un sophiste, j'examine la raison comme un
philosophe » (il s'efforçait même de concilier foi et raison, comme
le fit récemment le Pape Benoît XVI). Certains estiment
qu'il fut le premier maître de l'Enseignement supérieur, devançant
ainsi la création des Universités. Lui se voyait comme le dernier
professeur de l'Antiquité ; alors qu'il fut le premier professeur de
la Première Renaissance.
Probablement sous l'impulsion de l'abbé Suger, qui le voyait comme un
perturbateur, en 1125 il est élu Abbé par les moines de l'Abbaye
Ducale de Saint-Gildas de Rhuys ; après tout n'est-il pas le moine
breton bénédictin le plus célèbre de France sinon d'Europe ? Mais le
fossé s'avère trop large et trop profond entre l'éminent
savant et ses moines tout à la fois frustres et irascibles. Il écrira dans
ce monastère, reconstruit après les dévastatrices invasions vikings, plusieurs de ses grandes œuvres;
mais il devra un jour s'enfuir devant l'ampleur des menaces contre
sa vie.
Grâce à la protection de Pierre le Vénérable, il trouve refuge dans
l'Abbaye de Cluny où, la paix faite avec Bernard de Clairvaux, il
finit paisiblement ses jours (il mourut le 21 avril 1142, au
Prieuré Saint-Marcel proche de la Saône).
Les pénalistes lui doivent d'avoir clairement distingué, dans le
péché, entre son aspect matériel de son aspect psychologique (la
conscience d'agir contre une règle posée par la loi morale), et
d'avoir placé ce second aspect au rang dominant. Le délit pénal que
nous connaissons encore de nos jours découle de cette analyse ; c'est même le point de
départ de la notion de responsabilité subjective dans la théorie de
l'infraction.
Bréhier (La philosophie du Moyen Âge) : Abélard a cherché, en dehors de la voie du réalisme, une solution neuve et originale au grand problème du Moyen Âge : Comment penser la Foi ? Le prétendu rationalisme d'Abélard est une invention moderne... L'Ethica ou "Scito te imsum" est un dialogue entre un philosophe et un chrétien où Abélard n'a pas la prétention de créer une morale autonome, mais de retrouver par la raison la morale du christianisme. Il admet que que la volonté de Dieu est la règle suprême de la conduite... Seulement il ajoute que cette loi n'est pas connue directement, mais intérieurement par la conscience ; à laquelle nous devons obéir... La conscience connaît la loi morale comme la loi naturelle ; elle est une raison ou un discernement du bien et du mal qui est commun à tous. Le péché consiste à donner notre assentiment (consensus) à un désir que nous reconnaissons comme injuste. [suivant son enseignement le droit pénal contemporain considère que ce qui fait la gravité morale du crime c'est son élément moral].
Ahrens (Cours de droit naturel) : Les grandes écoles de philosophie grecque, de Platon, d'Aristote, des stoïciens, ont été d'importants foyers de propagation des idées. Après que les Universités se furent formées au XIIe siècle à Paris ( principalement par l'enseignement d'Abélard), à Bologne (par les leçons de droit d'Inerius), des académies se fondèrent principalement en Italie : Académie platonique de Cosme de Médicis fondée à Florence en 1439...
Verger
(Dictionnaire des figures du christianisme, v° Abélard) : Acteur
du renouveau scolaire du XIIe siècle, professeur réputé, Abélard fut
à la fois dialecticien virtuose et théologien novateur... Le projet
d'Abélard n'était pas, comme on l'en accusa, de "percer les mystères
de la foi" pour comprendre Dieu par la raison humaine", mais de
montrer qu'il était possible, par les ressources de la dialectique,
de surmonter les contradictions apparentes de la Bible et des Pères
et de formuler, à propos des vérités révélées, des énoncés
acceptables pour la raison. C'est d'ailleurs ce que demandaient ses
étudiants dont la curiosité intellectuelle ne se satisfaisait plus
de la simple paraphrase du texte sacré.
La modernité d'Abélard ressort aussi de l'Éthique (ou "Connais-toi
toi-même"), traité de philosophie morale où il fait une place
essentielle à l'intention consciente dans la définition du péché.
Clanchy (Abélard) : « Connais-toi toi-même », « Scito te ipsum » : tel est le titre qu'Abélard donna à son éthique. C'était aussi le conseil de l'oracle de Delphes, maxime à la mode parmi les intellectuels du temps d'Abélard parce que la formule était typiquement grecque tout en contenant un message pour les chrétiens. On pouvait lire sur le fronton du temple d'Apollon : « Gnoti seauton » .
Letort-Trégaro
(Pierre Abélard) : Abélard a maintenant 35 ans ans, les autorités
de Paris lui offrent les chaires de dialectique et d'Écriture sacrée
du Cloître Notre-Dame. Il est en pleine possession de ses facultés
intellectuelles. Une mémoire exceptionnelle, une aptitude à n'être
jamais à court de réponse dans les controverses les plus difficiles
font de ses leçons un enchantement. Il n'a plus de rivaux à sa
taille. On vient l'écouter avec ferveur... Avant Abélard, Paris
était réputé dans le monde du savoir. Grâce à lui, cette réputation
va s'amplifiant. Dans toute l'Europe il n'est bruit que du "Magister
Petrus Aboelardus". On l'appelait le Nouvel Aristote...
Pour Abélard, l'alliance de la raison et de la foi est nécessaire.
Elles s'éclairent et se fortifient l'une l'autre, et l'on ne peut
pas croire ce que l'on n'a pas compris. Pour Bernard de Clairvaux,
en revanche, la loi ne se conçoit pas sans mystères. et c'est tout
le mérite de l'homme de savoir prier et souffrir dans les ténèbres
jusqu'au jour où le Seigneur daignera l'illuminer... Il fallait que
l'un des des deux défit l'autre. Abélard fut vaincu dans un combat
déloyal.
[On observera que, à cet égard, Abélard fut un précurseur de St
Thomas d'Aquin, voire du Pape Benoît XVI].
Pierre le Vénérable, Abbé de Cluny, (Éloge funèbre d'Abélard). Si les termes employés sont outrés, comme le voulaient les usages du temps, on n'en ressent pas moins la très sincère et durable admiration de l'orateur pour le défunt : Abélard, le Socrate des Gaules, le Platon de l'Occident, notre Aristote, l'égal ou le supérieur des Logiciens de tous les temps... Connu comme le Prince des Écoles, génie varié, subtil et pénétrant qui pouvait tout surmonter par la force du raisonnement et par l'art de la parole.
AHRENS Henri
Cf. Burlamaqui*, Cumberland*, Doctrines criminelles*, Droit (naturel)*, Grotius*, Pufendorf*.
Voir : H. Ahrens, Le droit à la vie et le droit à l’honneur
Juriste et philosophe Henri Ahrens, né dans le Royaume de Hanovre en 1808, est mort à Leipzig en 1874. Après avoir fait ses études à Göttingen, il dut s'expatrier et enseigna successivement à l'Université libre de Bruxelles puis à Paris. Rentré en Allemagne en 1848, il participa à la politique de son pays tout en poursuivant sa carrière universitaire à Gratz puis à Leipzig. Sa formation de départ, jointe à l'expérience acquise lors de son activité d'enseignant dans plusieurs universités européennes, le conduisit tout naturellement à approfondir le droit naturel. Son remarquable "Cours de droit naturel ou de philosophie du droit" comporte, dans sa septième édition, deux volumes : le premier est consacré aux idées générales, le second aux institutions et questions spéciales (à l'image de la division du droit criminel de fond, en droit pénal général et droit pénal spécial).
Ahrens (Cours
de droit naturel, Préface de la 6e édition) : La grave
situation politique dans laquelle se trouvent presque tous les
pays civilisés, la perturbation dans toutes les idées morales,
qui se manifeste d'une manière si visible dans les déplorables
tendances plus ou moins matérialistes de divers genres que j'ai
caractérisées en plusieurs endroits, m'a engagé à déterminer
encore mieux le principe du droit dans son caractère idéal, à le
présenter dans ses rapport s intimes avec tout l'ordre moral, et
à montrer, par un coup d'œil historique, que tout l'ordre de
droit ainsi que toutes les institutions et formes de l'État ne
sont qu'un reflet, en quelque sorte un précipité, de toutes les
forces et tendances qui agissent dans l'atmosphère
intellectuelle de la société, et que les conditions essentielles
de la liberté privée et publique ne se trouvent jamais ailleurs
que dans une action puissante des idées et des convictions
morales au sein d'une société.
L'affaiblissement des convictions morales est en grande partie
la faute des gouvernements eux-mêmes, qui, quelquefois prévenus
contre la philosophie, ou insouciants et vouant leurs soins
principaux aux sciences dites exactes et positives, ont à un
haut degré, sans le vouloir, favorisé les tendances dont ils
déplorent aujourd'hui les résultats pratiques.
Pour relever les forces spirituelles et morales au sein d'une
nation, la première condition consiste en ce que l'étude des
sciences idéales, de la philosophie en général et dans son
application aux sciences positives, soit ranimée dans
l'instruction supérieure, pour former un contrepoids nécessaire
aux sciences positives, et pour préserver l'esprit de ne pas
perdre, dans la masse des connaissances qui s'accumulent de tous
côtés et qu'il doit s'approprier, la conscience de lui-même, de
sa nature intime, de ses facultés spirituelles et des grands
principes de l'ordre moral qui doivent lui servir de boussole
dans la vie et dans toute science pratique.
ARÉOPAGE
Cf. Lysias*, Tribunal*.
Dans l'Athènes classique l'Aréopage était le plus éminent des tribunaux, une sorte de Haute cour de justice composée d'anciens magistrats de la Cité, qui siégeait sur une colline dédiée à Arès se situant à l'Ouest de l'Acropole (Arès : Dieu du meurtre et de la guerre - Pagos : colline). C'est lui qui connaissait des crimes majeurs.
Flacelière (La vie quotidienne en Grèce au temps de Périclès) : Le plus ancien, le plus vénérable des tribunaux d'Athènes est assurément l'Aréopage, qui a perdu du temps de Périclès tout pouvoir politique, mais qui continue à juger les cas de meurtre prémédité, de blessures portées avec intention de tuer, d'incendie d'une maison habitée et d'empoisonnement ; il peut condamner à mort en cas de meurtre, ou à l'exil, assorti de la confiscation des biens, en cas de blessures.
Saint-Edme (Dictionnaire de la pénalité) : Aréopage - C'est le nom d'un fameux tribunal d'Athènes. Il prit, selon Hérodote, le nom de l'endroit où il s'assemblait ; c'était une colline située auprès de la citadelle appelée colline de Mars. L'époque de sa fondation est incertaine. Solon en est regardé comme le restaurateur. Ce sage législateur, en déposant ses lois à l'Aréopage, les confia à la garde des aréopagites, et ordonna que celui d'entre eux qui y contreviendrait paierait une statue d'or de son poids. On n'est pas d'accord sur le nombre des membres de l'Aréopage. On sait que Socrate fut condamné par ce tribunal par 281 suffrages. L'Aréopage tenait au commencement ses assemblées en plein air... Il connaissait des meurtres volontaires et involontaires, des empoisonnements, des incendies, des trahisons ; quelques auteurs assurent qu'il n'était pas permis d'appeler de ce tribunal au peuple. Les parties étaient obligées d'y plaider elles-mêmes... Pour être admis à l'aréopage, il fallait de la naissance, une fortune au-dessus de la médiocre, et surtout beaucoup de vertu. Ce tribunal avait une grande autorité dans la république : il veillait à l'exécution des lois ; il fixait l'emploi des deniers publics ; il veillait à l'éducation de la jeunesse, nommait ses curateurs et ses tuteurs ; il punissait les citoyens qui étaient accusés d'impiété, ou qui vivaient d'une manière dissolue ; il récompensait aussi les gens de bien. Les suffrages se donnaient avec des coquilles ; on les distingua par la forme et la couleur : ceux qui condamnaient étaient noirs et percés par le milieu, les autres étaient entiers et blancs. Chaque aréopagite donnait son suffrage en silence dans des urnes... On comptait ensuite les suffrages. Le jugement d'Oreste est un des plus célèbres de ce tribunal. On rapporte que, les suffrages étant également partagés, Athéna, qui le protégeait, ajouta son suffrage à ceux qui lui étaient favorables, et que depuis cette époque, toutes les fois que les voix étaient égales, on décidait en faveur de l'accusé, en lui donnant ce qu'on appelait le "suffrage d'Athéna". [les romains parlaient en ce sens du "suffrage de Minerve"]
L.Bodin (Extraits des orateurs attiques, p.383 ) : Au IVe siècle avant J.-C. le Conseil de l'Aréopage est surtout un tribunal dont les attributions sont très limitées. C'est devant lui que sont portées les affaires de meurtre avec préméditation, d'empoisonnement et d'incendie. Comme il a la surveillance des Oliviers sacrés, il prononce également sur les accusations d'impiété relatives à la destruction de ces arbres. Quoique déchu au point de vue politique, il conserve encore, grâce à l'antiquité de son origine un prestige moral qui lui permet de jouer un rôle dans les circonstances graves... C'est à lui que fut confiée l'enquête qui aboutit à la condamnation de Démosthène.
Ayrault (Ordre et instruction judiciaire) : À Athènes, le pouvoir judiciaire appartenait au peuple. Les crimes les plus graves étaient déférés au tribunal de l'Aréopage. Le tribunal des Héliastes, composé de citoyens désignés par le sort, formait un véritable jury auquel étaient soumis tous les autres crimes.
ARGOU Gabriel
Cf. Ayrault*, Domat*, Jousse*, Le Brun de la Rochette*, Muyart de Vouglans*, Rousseaud de la Combe*, Tiraqueau*, Serpillon*, Pothier*.
Jurisconsulte français (1640 – 1703), il prêta le serment d’avocat au Parlement en 1664. Cependant, dit-on, "on ne voit point qu'il se fût adonné à la plaidoirie, on rapporte même qu'il s'énonçait difficilement ; mais ce défaut d'élocution était compensé par une profonde érudition qui le fit connaître de M. le Chancelier Pontchartrain, lequel l'honorait de son estime et de sa confiance". Il fut notamment l’auteur d’une « Institution au droit français », dont la première édition fut donnée en 1692. Cet ouvrage bénéficia d’une excellente réputation, du fait que la matière y était traitée avec méthode et précision ; il donna lieu à plusieurs éditions (11 au total, la plus connue étant celle due à Boucher d’Argis, lui aussi avocat au Parlement). Elle concerne le droit civil plutôt que le droit criminel, mais n’en retient pas moins l’attention ; ne serait-ce que par une intéressante introduction historique.
Argou (Introduction à son Institution) : Chez les Gaulois, les druides avaient la conduite de tout ce qui regardait la religion et les études ; ils rendaient aussi la justice, même en matière criminelle, dans de grandes assemblées qui se tenaient tous les ans... La peine de ceux qui ne leur obéissaient pas était une espèce d’excommunication : ils étaient exclus des sacrifices, ils passaient pour impurs et scélérats ; tout le monde fuyait leur rencontre ; et ils ne pouvaient recevoir aucun honneur ni même faire valoir leurs droits en justice.
ARISTOTE
Cf. Abélard*, Cicéron*, Cumberland*, Grotius*, Montesquieu*, Platon*, Pufendorf*, St Thomas d'Aquin*, Socrate*.
Voir : Aristote " Traité de la morale "
Voir : Séparation des pouvoirs ou séparation des fonctions ?
Né à Stagire en 384 av. J.-C. (d'où son surnom : le Stagirite), mort à Chalcis en 322. Disciple de Platon, dernier des grands philosophes grecs, précepteur
d'Alexandre de Grand, il fit la synthèse des connaissances de son temps. Redécouvert après la période obscure du Moyen-âge, il fut notamment remis à l'honneur par
St Thomas d'Aquin, qui le nommait : le Philosophe, sans plus de précision. Sa règle d'or est la modération, la recherche du juste milieu, cette étroite ligne de
crête à suivre pour éviter les précipices faisant tomber dans les extrémismes, les intégrismes, les tyrannies. S'il s'attache aux analyses rationnelles (comme le
fera St Thomas d'Aquin), c'est à un rationnel prenant en compte la nature humaine. En ce qui nous concerne, nous n'avons conservé de lui que ses ouvrages de morale ; ses
traités juridiques, au sens strict, ne nous sont hélas pas parvenus.
De ses écrits, nous avons principalement consulté :
« Éthique à Nicomaque » (son fils),
« La rhétorique », « La politique ».
Villey (Philosophie du droit, T.I) : Aristote philosophe du droit. Les juristes n'ont pas le droit d'ignorer cette philosophie, parce qu'Aristote fut probablement le fondateur de la philosophie du droit, si l'on prend ce mot au sens strict. Il s'est intéressé à tout, a tout observé, même le droit, c'est-à-dire les activités du monde judiciaire. Un cas rarissime chez les philosophes. Il est vrai que plusieurs de ses œuvres sur le droit sont perdues, mais nous avons sa Rhétorique (comprenant une solide étude du rôle de l'avocat) ; sa Politique (modèle d'étude du droit naturel; et ses éthiques, les plus fameuses étant celles à Nicomaque qui ont tenu dans l'histoire de la science du droit un rôle vraiment fondamental et dont la lecture s'impose.
Voilquin (Introduction à sa traduction de l'éthique de Nicomaque) : Si le nom d'Aristote a été prononcé, au cours des siècles, avec un ferveur admirative, il n'y a pas lieu de s'étonner. Ce philosophe clôt magnifiquement la belle période de l'hellénisme, dont il a recensé, avec un soin minutieux, les connaissances intellectuelles et scientifiques ; son génie universel a fait la somme des acquisitions réalisées de son temps ; il a fourni un labeur extraordinaire pour les ordonner, les classer, tout en fondant une philosophie qui constitue une des œuvres maîtresses de l'esprit humain.
Le Pape François (Discours devant le Parlement européen du25 novembre 2014) : Une des fresques les plus célèbres de Raphaël, qui se trouve au Vatican, représente l'École d'Athènes. Au centre se trouvent Platon et Aristote. Le premier a le doigt qui pointe vers le haut, vers le monde des idées, nous pourrions dire vers le ciel ; le second tend la main en avant, vers celui qui regarde, vers la terre, la réalité concrète.
Malaurie (Anthologie de la pensée juridique) : Jusqu'à la fin de la Renaissance, Aristote a été, malgré de nombreuses éclipses, le philosophe, celui qui a le plus influencé la pensée occidentale, romaine et médiévale, notamment la pensée juridique et la science politique... La vertu principale (de la loi, de la morale, du juge) est celle du juste milieu, qui permet d'échapper à l'excès ou au manque. Je présenterai quatre aspects de la conception qu'il se fait du droit : sa modération (I), son attachement à la stabilité des lois (II), la hiérarchie des normes (III) et les obscures relations entre la loi écrite et la loi naturelle (IV)... [voir les citations réunies à l'appui de ces quatre développements]
Cadiet
et Euvrard
(in Dictionnaire de la justice, v° Aristote) : Le livre V de
l'« Éthique à Nicomaque
» achevant l'examen des vertus éthiques,
constitue un véritable traité de la justice. La vertu de justice
est la disposition acquise qui rend l'individu apte à vouloir et
à faire, de son plein gré, ce qu'exige la justice. Encore
convient-il de déterminer objectivement cette dernière,
c'est-à-dire ce que doit faire l'homme juste. Or le juste se dit
en plusieurs sens, comme le langage courant le reconnaît en
appelant injuste celui qui viole la loi et celui qui viole
l'égalité, prenant plus que sa part. Corrélativement, le juste
est ce qui est conforme à la loi (le légal) et ce qui respecte
l'égalité (l'égal).
Le juste politique, c'est-à-dire une constitution excellente
avec son cortège de lois et d'institution, a pour vocation de
concrétiser ou d'objectiver les normes du droit naturel, les
rendant ainsi effectives.
Gaarder (Le monde de Sophie) : Concernant les relations avec les autres hommes, Aristote indiqua la voie royale : nous ne devons être ni lâches ni casse-cou, mais courageux. Faire preuve de peu de courage est de la lâcheté et trop de courage, c'est de l'inutile témérité. De la même façon, nous ne devons nous montrer ni avares ni dépensiers, mais généreux. Là encore, ne pas être assez généreux, cela s'appelle de l'avarice, et être trop généreux, c'est jeter l'argent par les fenêtres. C'est la même chose pour la nourriture. Il est dangereux de ne pas manger assez et il est aussi dangereux de trop manger. L'éthique d'Aristote, comme celle de Platon, rappelle la médecine grecque : vivre dans l'équilibre et la modération est l'unique moyen pour un homme de connaître le bonheur ou l'harmonie.
ATLAS
Cf. Égérie*.
Selon la mythologie classique, pour avoir commis l’erreur de se joindre aux ennemis de Zeus, le géant Atlas fut condamné à porter la voûte du Ciel sur ses
épaules.
Dans les derniers temps de la civilisation grecque, on vit en lui le savant qui avait agencé la sphère céleste, et qui en connaissait dès lors, non seulement
toute la géographie, mais également toutes les lois. De là à en faire le dépositaire de la Loi naturelle*, il n’y avait qu’un pas à
franchir ; Montesquieu nous dit l’avoir accompli (voir ci-dessous).
Montesquieu (Page de titre de L’esprit des lois) : … Cette espèce de lois, qui n’ont pas été créées par un être humain, mais que nous ont été enseignées par le grand Atlas.
AYRAULT Pierre
Cf. Argou*, Jousse*, Le Brun de la Rochette*, Muyart de Vouglans*, Rousseaud de la Combe*, Serpillon*, Tiraqueau*.
Pénaliste français (Angers 1536 – 1601), Lieutenant criminel au Présidial d'Angers. Son principal ouvrage est intitulé « De l’ordre et instruction judiciaire » (les éditions ordinairement citées datent de 1610 et 1615) ; il retient l’attention car, critiquant la procédure de son temps, il est le premier à avoir souligné la nécessité pour les juges, chargés d’instruire un dossier criminel, de procéder avec ordre et méthode. C’est sa lecture qui m’a indirectement conduit à travailler sur le Raisonnement judiciaire*, puis qui a dicté le plan de mon livre consacré au « Jugement pénal ».
Ayrault (De l’ordre et instruction judiciaire) : Pour faire le procès d’un accusé, la plus noble et plus difficile partie, c’est l’instruction ; quant à juger, il n’y a rien de si aisé à qui a tant soit peu d’expérience, de probité, et bon & clair entendement… L’instruction, l’ordre et le maniement de procéder est la principale et nécessaire partie de la Justice : la formalité y est si nécessaire qu’on ne saurait se dévoyer tant soit peu, y laisser omettre la moindre forme et solennité requise, sans que tout acte n’en vienne incontinent à perdre le nom de Justice, et prendre celui de force, machination, voire de cruauté ou tyrannie toute pure. La raison est que Justice n’est quasi proprement autre chose que formalité et cérémonie.
Jousse (Traité de la justice criminelle) : Il y a dans cet ouvrage d’excellentes choses, mais qui se trouvent noyées dans une très grande et vaste érudition. L’ouvrage en général est très utile pour les juges qui sont chargés de faire l’instruction des procès criminels.
Jeanvrot, dans l’édition abrégée qu’il a donnée de cet ouvrage
en 1881, rapporte qu’il paraît avoir exercé dans ses fonctions de lieutenant criminel une rigoureuse sévérité. Une épitaphe placée sur son tombeau par un de ses
petits-fils le loue d’avoir été « l’effroi des coupables ».
Son livre sur l'Ordre et l'Instruction judiciaire contient une courageuse critique de la procédure de son temps. Il a même sur certains points, avec une
élévation de vues et une indépendance d'esprit remarquables, sollicité des améliorations qui ne se trouvent pas encore réalisées aujourd'hui.
Louvet, greffier au présidial, en trace le portrait suivant : « Le sieur Ayrault a bien dignement exercé son état, pour avoir bien et saintement rendu
la justice à l’endroit des méchants, qu’il a fait punir selon leurs démérites ; et particulièrement il a bien fait couper des têtes à un grand nombre de
gentilshommes de ce pays d’Anjou, qui étaient mauvais et l’avaient bien mérité. Il était un grand justicier. On l’a surnommé « Pierre qui ne rit point »…
Il aimait grandement la musique ; toute sa récréation était de jouer sur les violes.