DICTIONNAIRE DE DROIT CRIMINEL
- Professeur Jean-Paul DOUCET -
Lettres V - W
(Deuxième partie)
VELLÉITÉ
Cf. Cheminement criminel*, Délibération*, Intention criminelle*, Iter criminis*, Passage à l'acte*, Pensées*, Résolution criminelle*, Responsabilité pénale*.
Un velléitaire est un individu qui s'arrête à l'idée de commettre une infraction, qui va jusqu'à élaborer un projet afin de mener son dessein à terme, mais qui finalement ne se décide pas à passer à l'acte.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° I-121, p.173
Dictionnaire Petit Robert. Velléitaire :
Qui n'a que des intentions faibles, qui ne se décide pas à agir.
Velléité : Volition faible, passagère, intention qui n'aboutit pas à une décision.
Pierrot (Dictionnaire de théologie morale) assimile la simple velléité à une résolution incertaine, chancelante.
Huc (L'empire chinois) rapporte, parmi d'autres, cette maxime chinoise : Les grandes âmes ont des vouloirs; les autres n’ont que des velléités.
Une simple velléité ne tombe en principe pas sous le coup de la loi pénale, à moins que des actes préparatoires incriminés par des délits obstacles n'aient été accomplis. Par exception, les gouvernements autoritaires vont parfois jusqu'à sanctionner la plus légère velléité.
Garofalo (La criminologie) : Le choix des moyens peut démontrer le manque d'énergie ou la bêtise de l'agent, comme dans le cas où il s'imagine qu'il peut empoisonner un homme, avec du sucre ou du sel de cuisine... Il n'y aurait pas là de crime, non pas à cause de l'insuffisance du moyen, mais parce que cette insuffisance est une preuve évidente de l'inaptitude de l'agent. Ce dernier n'a que des velléités de crimes ; dans le fait il est inoffensif, la répression pénale serait donc absurde.
Maine (Études sur l'histoire du droit) : Dans le Turkestan russe, la moindre velléité de révolte serait punie avec la dernière rigueur.
Mais la velléité est prise en considération sur le plan disciplinaire. Elle peut constituer une faute, si elle s'est traduite dans des actes impliquant une mise en danger de personnes physiques ou morales.
Beattie (Éléments de science morale) : Les droits du vainqueur envers le prisonnier ne s'étendent pas au-delà de certaines précautions à prendre contre toute velléité d'agression de la part de ce dernier.
Caen 19 mars 1992 (JCP 1992 IV 1300) : Le risque présumé de tentations pour détourner des fonds ne constitue pas un élément objectif pouvant fonder un licenciement pour perte de confiance en l'absence du moindre fait ou indice pouvant être interprété comme une velléité de fraude ou de malhonnêteté.
VÉNALITÉ
Cf. Corruption passive*, Épices*, Sanctions (Sanction de l'opinion publique)*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° 114, p.78
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société », n° II-I-149, p.406
Un magistrat administratif ou judiciaire est vénal lorsqu’il accepte, à prix d’argent, d’accomplir un acte de ses fonctions ou de prononcer en faveur d’une partie. Comme un simple soupçon de vénalité suffit à porter atteinte à l’autorité morale de la justice, il est interdit à tout agent public d’accepter un don, aussi modeste soit-il.
Langlade (Code pénal français de 1810), à propos de ceux qui vendent leurs suffrages : Qu’il leur soit infligé une amende, comme supplément de peine due à l’esprit de corruption et de vénalité qui les a conduits.
Code de droit canonique (Commentaire Salamanque). Canon 1456 : Il est interdit au juge et à tous les ministres du tribunal d’accepter quelque don que ce soit à l’occasion d’un procès. [L’interdiction ne distingue pas entre dons grands et petits ; il en résulte que tout don rend le juge suspect, car les dons infléchissent l’esprit en faveur des donateurs au détriment de la justice]
B.Flornoy (L’aventure Inca) rapporte cette sentence de Pachacutec : Il faut traiter comme des voleurs les juges qui acceptent des présents.
- Vénalité des offices. En Ancien droit français, les offices judiciaires commencèrent par être héréditaires ; puis, dans un deuxième temps, l’acceptation du successeur proposé ou la désignation d’un nouveau titulaire devint payante. La vénalité de la nomination ou de la confirmation a souvent été dépeinte sous les couleurs les plus sombres ; à son crédit il faut porter une remarquable indépendance de la magistrature.
Montesquieu (De l’esprit des lois) : La vénalité des offices est bonne dans les États monarchiques, parce qu’elle fait faire, comme un métier de famille, ce qu’on ne voudrait pas entreprendre pour la vertu ; qu’elle destine chacun à son devoir, et rend les Ordres de l’État plus permanents.
Sumner-Maine (Études sur l’ancien droit) : Les sièges d’un Parlement français étaient occupés par des hommes qui conservaient une certaine dose d’indépendance, précisément parce qu’ils avaient acheté leur charge ou qu’ils l’avaient reçue par héritage. On peut mettre beaucoup de torts sur le compte des Parlements, mais ils ne furent jamais, entre les mains du roi, des instruments serviles ou des protégés complaisants, jusqu’en 1789.
VENDETTA
Cf. Composition volontaire puis légale*, Vengeance*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° I-244, p.258 / n° III-334, p.502
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Famille, des enfants et des adolescents », n° 5, p.7
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société », n° II-II-110, p.464
Voir : Tableau des incriminations protégeant la vie (selon la science criminelle)
Voir : Glotz, L’évolution de la solidarité familiale dans le droit criminel de la Grèce classique
- Notion. Variété de la Vengeance*, la vendetta se développe dans une société peu structurée, où les familles occupent une place prépondérante et où le pouvoir central paraît, soit faible, soit indifférent. À la suite d’un meurtre ou d’une offense grave, le plus proche parent de la victime a le devoir de venger l’honneur de sa famille en tuant un membre de l’autre clan.
Garraud (Traité de droit criminel) : Dans les temps anciens… la vengeance est dirigée contre l’ennemi du dehors : elle est la forme de réaction, dans les rapports des groupes sociaux… Dans les rapports de deux tribus, de deux familles, la pénalité s’exerce comme une vendetta.
Dupin (Règles de droit et de morale) : Chez les Germains, et nos ancêtres les Gaulois, il était permis de remplacer la vengeance en nature, que les Italiens et encore à présent les Corses ont nommée vendetta, par des compositions en argent, soit envers, les parents du mort, soit envers les justiciers, rois ou seigneurs.
- Universalité ancienne. Sous diverses formes, la vendetta semble avoir existé dans la plupart des peuples avant que la justice d’État ne parvienne à imposer son autorité morale.
Grousset (Gengis-Khan) : La mère de Gengis-Khan rappela à ses enfants le devoir de vendetta qui s’imposait à eux : « Vous ne devez avoir qu’une pensée : comment tirer vengeance de l’affront que nous ont infligé les frères Taïtchi’out ! »
Au Pakistan (Encyclopédie Microsoft Encarta), certaines tribus à forte organisation politique établirent de petits royaumes. Les principes fondamentaux du code social des Pachtounes sont l’hospitalité, la vendetta et le droit d’asile. Les causes de querelles entraînant des vendettas sont, selon eux, « les femmes, l’or et la terre ». Il arrive que des dissensions surgissent entre des familles ou des clans entiers et se transmettent de génération en génération, à moins qu’elles ne soient réglées au cours de réunions entre les khans.
Mérimée (Colomba) a popularisé cette institution, mais en forçant le trait : On n’est pas assassiné en Corse, comme on l’est en France, par le premier échappé de galère venu : on est assassiné par ses ennemis ; mais le motif pour lequel on a des ennemis, il est souvent fort difficile de le dire. Bien des familles se haïssent par vieille habitude, et la tradition de la cause originelle de leur haine s’est complètement perdue.
- Règle morale. Le progrès des deux notions de dignité de la personne humaine et de responsabilité individuelle ont conduit les moralistes et les juristes à condamner la vendetta.
Fauconnet (La responsabilité) : L'enfant n’est pas toujours à l’abri de la vendetta qui menace collectivement sa famille, qu’il soit ou non l’auteur de l’homicide. Parmi les observateurs des sociétés australiennes, Dawson rapporte que la vendetta s’éteint par le meurtre d’un membre quelconque du groupe tenu pour responsable, même d’une femme ou d’un enfant.
Janet (La morale) : Le sentiment du respect pour la vie humaine s'étant de plus en plus développé parmi les hommes, sous la double influence de la philosophie et de la religion, on a vu disparaître ou s'affaiblir tout ce qui pouvait porter atteinte à ce principe : c'est ainsi que. le cannibalisme, les vendettas, les guerres privées, les sacrifices humains... après avoir été longtemps des pratiques permises et même honorées, ont peu à peu disparu, les unes des mœurs, les autres de l'opinion.
Tarde (La criminalité comparé) : La disparition graduelle de la vendetta, de la vengeance héréditaire et à main armée, au cours de la civilisation, prouve-t-elle que la soif de vengeance ait décru ? Elle a plutôt changé de forme.
Bergson (Les deux sources de la morale religieuse) : Dans les sociétés primitives, les attentats contre les personnes n'intéressent la communauté qu'exceptionnellement, quand l'acte accompli peut lui nuire en attirant sur elle la colère des dieux. La personne lésée, ou sa famille, n'a donc alors qu'à suivre son instinct, à réagir selon la nature, à se venger ; et les représailles pourraient être hors de proportion avec l'offense... Il est vrai que la querelle risquerait de s'éterniser, la « vendetta » se poursuivrait sans fin entre les deux familles, si l'une d'elles ne se décidait à accepter un dédommagement pécuniaire : alors se dégagera nettement l'idée de compensation.
- Science criminelle. Le législateur, dans la plupart des pays s'est forcé de mettre fin à la pratique de la vendetta en instituant des Compositions volontaires ou légales*. Les lois les plus récentes font même de la vendetta une circonstance aggravante du meurtre.
Hauriou (Aux sources du droit) : Combien n’a-t-il pas fallu de siècles pour extirper la plaie des vendettas de clan à clan et de famille à famille, qui s’opposait à la soudure définitive des populations !
Garçon (Le droit pénal, origine, évolution) : Les lieux d'asile permettaient, à ceux qui étaient menacés d'une vengeance, de se mettre à l'abri des coups de leurs ennemis et leur donnaient le temps nécessaire pour offrir et réaliser la composition légale.
Code pénal du Tadjikistan. Son Art. 110 voit une circonstance aggravante du meurtre dans le fait qu’il ait pour origine soit une haine nationale, raciale, religieuse ou locale, soit une vendetta.
VÉNÉFICE
Cf. Empoisonnement*, Poison*.
Terme de l'Ancien droit, que les praticiens avaient emprunté au droit romain. Gaffiot définit le "veneficium" comme la confection d'un breuvage mortel, un empoisonnement, un philtre magique, un sortilège, un maléfice.
Littré (Dictionnaire) : Terme d'ancienne jurisprudence. Crime d'empoisonnement par suite de sortilège.
Édit de juillet 1682. Art. 5 : Seront punis de mort tous ceux qui seront convaincus de s'être servis de vénéfices et de poison, soit que la mort s'en soit suivie ou non.
Bourg Saint-Edme (Dictionnaire de la pénalité) : Le 14 mars 1780, parut une déclaration du Roi, qui ordonna l'exécution de l'édit du mois de juillet 1682, notamment de l'article 6; et en conséquence, que tous ceux qui seraient convaincus de s'être servis de vénéfices, poisons, et de quelques plantes vénéneuses, indistinctement, et sous quelque nom qu'elles fussent connues, seraient punis de mort ; avec permission aux juges d'aggraver le genre de supplice.
Caroline. Art. 130 (Observation) : C’est une maxime
constante que de faire mourir par le poison est un plus grand crime que de tuer par le fer : Hominem veneno extinguere plus est, quam occidere gladio. Ce
crime renferme tous les caractères de l’atrocité, une pleine et entière délibération, par conséquent une malice au premier degré : toute la noirceur du
dol et de la surprise de la part de l’empoisonneur, avec l’assurance de voir le succès de son crime, sans s’exposer à aucun danger présent : nulle voie
du côté de l’empoisonné pour pouvoir s’en garantir : tout cela joint à l’intérêt essentiel du public d’en voir la vengeance, a obligé le Législateur de
statuer une peine qualifiée contre les empoisonneurs, telle qu’elle est exprimée dans cette Loi : Il n’est point d’État où ce crime ne soit puni de mort
sans rémission.
Afin que l’exemple inspire plus de terreur aux autres, ceux qui seront coupables d’un crime aussi noir, seront traînés sur la claie au lieu du
supplice, et avant l’exécution à mort, tenaillés avec des fers ardents, plus ou moins selon l’état des personnes, et la nature du délit, comme il est
marqué au sujet du meurtre.
1°. Il est donc nécessaire d’en observer la rigueur à la lettre dans les Jugements, et de condamner à ce supplice tous ceux qui seront convaincus de
s’être servis de vénéfices et de poison, soit que la mort de la personne empoisonnée ait suivi ou non...
2°. Tous ceux qui auront composé ou distribué du poison dans le dessein criminel d’empoisonner, seront condamnés comme complices à la même
peine.
3°. Tous ceux qui auront connaissance que le poison a été travaillé, demandé ou donné, ou qui sauront l’usage qui en a été fait, et qui ne le
dénonceront pas incessamment, doivent être condamnés à une peine extraordinaire selon l’exigence des cas, en quoi même les circonstances peuvent être si
graves par rapport à la qualité des personnes, et à la nature du délit, qu’ils mériteront la peine capitale comme fauteurs et complices des crimes.
VENGEANCE
Cf. Accident*, Animosité*, Composition volontaire puis légale*, Droit de punir*, Érinyes*, Haine*, Justice privée*, Maléfice*, Némésis*, Nul ne peut se faire justice à soi-même*, Talion*, Vendetta*, Vindicte*, Wergeld*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° 1, p.1
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la personne humaine » (4e éd.), n° 44, p.42 (note 4) / n° I-2, p.56 (texte, puis notes 3 et 6) / n° I-119, p.77 (note 4 in fine) / n° I-202, p.98 / n° I-314, p.166 (note 5) / n° II-319, p.378 (note 8) / notamment
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société », n° II-II-110, p.464
Voir : E. Villey, Du droit de punir
Voir : Glotz, L’évolution de la solidarité familiale dans le droit criminel de la Grèce classique
Voir : En Chine impériale, des villageois éliminent des brigands
Voir : Dr J. Maxwell, Le criminel d'occasion
Voir : L'affaire Constance Kent
- Notion. La vengeance apparaît comme une réaction violente et non mesurée, à une agression subie par soi-même ou par l’un de ses proches. Elle marque parfois le début d'un cycle de vengeances qui n'a pas de fin.
Pufendorf (Le droit de la nature, éd. 1734) : La vengeance ne se propose autre chose que de rendre mal pour mal, injure pour injure.
Ortolan (Cours de législation pénale comparée) : L'esprit de vengeance est ainsi ; il n'est pas tranquille, impartial, calme. « Tu es soupçonné de m'avoir nui, donc tu es coupable ; ou bien prouve que tu ne l'es pas ! ».
Carrara (Cours de droit criminel) : Le sentiment inné de la vengeance privée a été, dans les sociétés primitives, de sa nature de passion, élevé à la hauteur d'un droit : droit exigible, droit héréditaire, droit rachetable au gré de l'offensé, droit que pendant des siècles on a regardé comme exclusivement propre à l'offensé et aux siens.
- Évolution. Partout en Europe, le recours à la vengeance (et au lynchage) a fait progressivement place à l'application de lois édictées, avant les agissements délictueux, par le Prince ou une Assemblée du peuple. Mais on peut constater que cette évolution n'est pas radicale et définitive.
Lucrèce,
poète romain (« De la nature
», V), évoque ainsi le passage
de la violence individuelle ou collective à l'application de
règles légales :
Jadis les choses tournaient à la fange et au désordre
extrêmes,
Chacun voulant pour soi le pouvoir et le rang suprême.
Puis certains professèrent la création de magistrats,
Instaurèrent le droit pour amener l'usage des lois.
Oui, le genre humain, lassé d'une vie de violence,
Épuisé de discordes, se soumit de lui-même,
D'autant plus volontiers, aux lois, à la stricte justice.
La colère inspirant à chacun violence plus âpre
Que ne le permettent aujourd'hui des lois équitables,
Les hommes prirent en dégoût ce temps de violence.
Jacques Leclercq (Leçons de droit naturel, T.IV-1) : L'intervention de l'État n'a pas seulement pour but de punir ; ce n'a même pas été, au début, sa raison principale ; mais plutôt de maintenir l'ordre troublé par les vengeances privées continuelles et d'empêcher les excès auxquels ces vengeances privées amènent.
H.Martin (Histoire de France) : Sinat, mari d’une prêtresse gaulois, Camma, avait été tué par un autre guerrier, épris d’elle. Le meurtrier, un chef puissant, gagne ou intimide les parents de Camma ; elle paraît se rendre. Le moment des noces arrivé, elle prend une coupe d’or, fait une libation à la divinité qu’elle sert, boit la première et tend la coupe à son fiancé. Il la vide d’un trait ; elle jette alors un cri de joie : Sois témoin, chaste déesse, que je n’ai consenti à survivre à mon cher Sinat que dans l’attente de ce jour ! Je l’ai vengé ! Toi, dis aux tiens qu’ils te préparent ton sépulcre ! La coupe était empoisonnée.
Exemple (Ouest-France 18 avril 2008) : Plus de 10.000 personnes ont participé hier aux funérailles de 18 Palestiniens tués mercredi lorsque l'armée israélienne a voulu venger la mort de trois de ses soldats tombés dans une embuscade... « Vengeance » scandaient les participants.
Pendant les premiers temps de l'Empire Carolingien, les coutumes franques se maintinrent vivaces. Les vengeances entre clans (Sippes) continuèrent à déclencher des guerres privées meutrières (faidas) ; mais le système des Compositions* finira par prendre ordinairement le dessus.
Riché (La vie quotidienne dans l'empire carolingien) : La guerre privée, la faida, provoque des tueries entre familles que le toi tente, en vain d'empêcher .
- Règle morale. Considérée comme légitime tant que l'autorité publique n'était pas en position d'assurer la justice, la vengeance est de nos jours unanimement condamnée en raison de son caractère négatif, et dommageable pour la paix publique.
Règle de St Benoît (Chap. 4 - Quels sont les instruments pour bien agir ?). N°23 : Ne pas ruminer la vengeance.
Hegel (Principes de la philosophie du droit) : La vengeance apparaît commune une nouvelle violence en tant qu’action positive d’une volonté particulière. Elle tombe par cette contradiction dans le processus de l’infini et se transmet de génération en génération sans limite.
Chemin ( Code de religion et de moralité) cite Sénèque : La vengeance est contraire à l'humanité , quoiqu'en apparence conforme à la justice. Elle ne diffère de l'outrage que par l'ordre du temps. Celui qui se venge n'a que l'avantage d'être le second à mal faire.
Bautain (Manuel de philosophie morale) : La punition, pour être juste, ne doit jamais être une vengeance ; car la vengeance est une passion humaine, qui ne s'inquiète point de la justice. Elle entraîne presque toujours à l'iniquité ; et même fût-elle juste dans ses motifs et dans ses effets, elle serait encore immorale, parce qu'elle n'agit point dans l'intérêt de l'ordre mais pour se satisfaire.
Baudin (Cours de philosophie morale) : La morale et la société, intéressées à ce que l'on rende le bien pour le bien, le sont pareillement à ce que l'on ne rende pas le mal par le mal.
Von Jhering (L’esprit du droit romain) : La vengeance ne connaît d’autre mesure que le degré (purement accidentel et arbitraire) de surexcitation de l’individu lésé. Au lieu de briser la force de l’injustice, elle ne fait que la doubler, en ajoutant à l’injustice existante, une injustice nouvelle. Il est dès lors aisé de comprendre qu’elle doit céder devant la loi de l’ordre.
- Science criminelle. Jadis considérée comme un devoir, la vengeance est interdite dans un État de droit, qui prend la répression à son compte. À la vengeance privée succède la vindicte publique, qui se manifeste dans l’exercice de l’action publique par le ministère public.
César (La guerre des Gaules- VI,16) : Les druides pensent qu'on ne saurait apaiser les Dieux immortels qu'en rachetant la vie d'un homme que par la vie d'un autre homme, et il y a des sacrifices de ce genre qui sont d'institution publique. Certaines peuplades ont des mannequins de proportions colossales, faits d'osier tressé, qu'on remplit d'hommes vivants : on y met le feu, et les hommes sont la proie des flammes. Le supplice des ceux qui ont été arrêtés en flagrant délit de vol ou de brigandage passe pour plaire davantage aux Dieux.
Muyart de Vouglans (Les lois criminelles de France) : La vengeance dans les affaires criminelles appartient particulièrement au souverain, comme étant un droit régalien de sa couronne.
Franck (Philosophie du droit pénal) : Le droit pénal n’a d’abord été que le droit de la vengeance, et ce droit, entièrement privé, héritage de toute une famille, s’attachait aussi à la famille de l’offenseur, le poursuivant dans sa personne et dans celle de ses enfants, de ses petits-enfants, de tous ses proches, jusqu’à ce que le sang eût lavé le sang.
Toureille (Crime et châtiment au Moyen-âge) : Le premier mouvement qu'appelle le crime est toujours la vengeance et, dans les sociétés primitives, elle est la façon la plus normale de répondre à l'agression. Mais la vengeance présente un inconvénient majeur : elle déclenche un mouvement sans fin qui peut conduire à la disparition de parentés entières et remettre en cause la survie de l'espèce.
Alland et Rials (Dictionnaire de la culture juridique). V° Vengeance, par G. Courtois : En Occident la vengeance souffre d'un discrédit profond. Les discours les plus divers la représentent généralement ( à l'exception notable de la tradition aristotélicienne) de manière toute négative. Elle apparaît (dis)qualifiée par cinq traits : Démesurée... Interminable... Archaïque... Illusoire... Immédiate...
Bluntschli (Droit public général) : L'État moderne, par respect de la paix publique, défend de se faire justice à soi-même.
Maxwell (Le crime et la société) : Il faut avoir le constant souci de l’ordre social, sans lequel aucune collectivité ne peut vivre ni prospérer ; or, rien ne compromet cet ordre autant que la substitution de la vengeance privée à la protection de la loi ; c’est là un phénomène de régression et une cause active de décadence.
Pour imposer la Composition* en lieu et place de la vengeance, le législateur a parfois usé de voies détournées (rapprocher « Le marchand de Venise » de Shakespeare, où le pseudo-juge autorise Shylock à prendre la livre de chair prévue au contrat, mais à la condition de ne pas verser une seule goutte de sang). Il a par exemple limité le nombre des personnes privées pouvant exercer la vengeance.
Ruskaia Pravda (que l'on traduit : "La Loi russe" ou la Vérité russe"), coutume édictée par Jaroslaw le Grand (copie datant du XIIIe siècle) : Art.1er : Si un homme tue un homme, le frère vengera son frère ; le fils vengera son père, ou le père son fils ; ou les neveux leurs oncles. S'il n'y a pas de vengeur le meurtrier paiera 40 grivnas d'amende.
Le Foyer (Le droit pénal normand au XIIIe siècle) : Les lois d'Henri I disposent que si, par malchance, je tombe d'un arbre sur vous et vous tue, votre parent pourra, s'il le veut, poursuivre son droit de vengeance contre moi, mais il ne pourra l'exercer qu'en grimpant sur un arbre et en se laissant tomber sur moi.
Plusieurs codes pénaux voient actuellement dans l'acte de vengeance, tantôt un délit, tantôt une circonstance aggravante de certaines infractions.
Code pénal d'Andorre. Art. 275 : Quiconque pour se faire justice, aura porté atteinte aux choses ou aura usé de violence ou intimidation envers les personnes encourra la peine de six mois d'emprisonnement.
Code pénal de Macédoine. Art. 123 : Celui qui prend la vie d’autrui sera puni d’un emprisonnement de dix ans au moins … si son acte relève d’une impitoyable vengeance ou pour d’autres motifs bas.
Code pénal soviétique de 1962. Art. 231 : Le fait, pour les membres de la famille de la victime, de ne pas renoncer à la vengeance familiale à l'égard du meurtrier et de sa famille, alors que cette renonciation était recherchée suivant les modalités prévues par le règlement sur la procédure de conciliation en matière de vengeance familiale, est puni de la résidence forcée pour une durée de deux ans au plus, ou de l'interdiction de séjour pour trois ans au plus.
Code pénal de l'Uruguay. En matière de séquestration - Art. 282 : Sont des circonstances aggravantes spéciales, et l'application du maximum de la peine sera justifiée, quand l'infraction aura été commise ... 3º Par esprit de vengeance.
- Droit positif. Nul ne devant prétendre se faire justice, les tribunaux français estiment à juste titre que le fait de se venger constitue une faute.
Cass.crim. 6 octobre 1987 (Gaz.Pal. 1988 I 141) : Est justifié l’arrêt qui, après avoir constaté le caractère contraire aux bonnes mœurs de la petite annonce qu’une personne avait fait publier, par vengeance, dans un journal, a déclaré le directeur de la publication coupable du délit prévu par l’art. 283 C.pén.
Paris 13 janvier 1983 (Gaz.Pal. Tables 1983-1985 v° Contrat de travail n° 1702) : Un salarié, tenu à l'égard de son employeur d'une obligation de loyauté et de fidélité, a commis une faute grave en dénonçant spontanément aux administrations intéressées, par pur esprit de vengeance, des fraudes commises par son employeur à leur égard, peu important que ces fraudes soient réelles ou supposées, dans l'intention manifeste de nuire à celui-ci et de discréditer l'entreprise auprès de ces organismes.
VENGEUR
Cf. Justicier*.
Un vengeur est une personne qui exerce la vengeance. Au XVIIIe siècle le terme était fréquemment employé ; notamment à l’égard du ministère public, appelé « vengeur des lois », et du bourreau, nommé « vengeur du peuple ». De nos jours il revêt un caractère péjoratif.
Proal (Le crime et la peine) : La croyance à un dieu vengeur du crime était générale chez les anciens peuples.
Montesquieu (De l’esprit des lois, VI, VIII) : Pour faire exécuter les lois, le Prince prépose dans chaque tribunal un officier afin de poursuivre en son nom tous les crimes … le vengeur public.
Jousse (Traité de la justice criminelle) : Le Procureur-Général intervient comme vengeur du crime commis.
Warée (Curiosités judiciaires). Éloge du Chancelier Maupeou : Quel respect ne devons-nous pas à l’homme vertueux à qui le souverain remet et son sceptre bienfaisant et son glaive vengeur !
VENTE (Police des)
Cf. Démarchage*, Enchères*, Escroquerie*, Foi contractuelle*, Fraude contractuelle*, Ordre public*, Tromperie*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société », n° II-II-254, p.553 (sur la police des foires et marchés)
- Les fraudes dans les ventes présentent un caractère universel, dans le temps que dans l'espace. Nous en retiendrons deux exemples.
Jeandidier (Droit pénal des affaires, 5e éd.), pour la France : Un exemple classique est la technique dite du fardage qui consiste à présenter des fruits ou légumes de telles sorte que n'apparaissent à la vue que des articles irréprochables, alors qu'en dessous se trouve cachée de la marchandise avariée.
Qiu Xiaolong (De soie et de sang), pour la Chine : Les marchands... pouvaient se montrer dangereux par leurs tricheries effrénées. Non contents de mettre de la glace dans les poissons ou d'injecter de l'eau dans les poulets, ils allaient jusqu'à maquiller leurs produits.
- La police des ventes est principalement assurée en France par le Code de la consommation, qui réprime les fraudes contractuelles.
Vente à la sauvette - On désigne par l'expression "vente à la sauvette" le fait de mettre des marchandises en vente dans un lieu public en méconnaissance de la réglementation en vigueur. Cette manière de procéder est sanctionnée par les art. 446-1 à 446-4 (loi du 14 mars 2011) et R. 644-3 C.pén. (art. R.38 14° de l'ancien Code).
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société », n° II-II-254, p.554
Ripert et Roblot (Traité de droit commercial) : La loi tendant à réprimer la vente à la sauvette punit ceux qui, sans autorisation ou déclaration régulière, offrent, mettent en vente ou exposent en vue de la vente des marchandises dans les lieux publics en contravention aux dispositions réglementaires sur la police de ces lieux.
Vitu (Traité de droit pénal spécial) : Par l'incrimination de ce type de vente, il s'agit de protéger, non pas les consommateurs, mais les commerçants sédentaires, régulièrement patentés et imposés, contre des francs-tireurs qui échappent aux contraintes du commerce ordinaire.
Cass.crim. 30 oct. 1984 (JCP 1985 IV 12) : Une cour d'appel a violé la loi en décidant que, si la vente du muguet sur la voie publique à l'occasion du 1er mai avait, à l'origine, pour objet des fleurs sauvages, la coutume s'est étendue depuis plusieurs années au muguet cultivé, et que ces ventes échappent, en vertu d'une tolérance générale, à l'application de l'art. R. 38-14° C.pén., alors qu'une tolérance n'est pas de nature à empêcher l'application d'une disposition pénale.
Vente à perte - L'art. L.442-2 du Code de commerce (loi du 3 janvier 2008) dispose que le fait pour tout commerçant, de revendre ou d'annoncer la revente d'un produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat est puni d'une amende de 75.000 €. Cette interdiction comporte des exceptions.
Cass.crim. 10 octobre 1996 (Bull.crim. n° 358 p.1056) : Caractérise suffisamment le préjudice direct ou indirect invoqué par une association de consommateurs agrée la cour d'appel qui relève que la revente à perte, incompatible avec une concurrence saine et loyale, est contraire à l'intérêt général des consommateurs.
Cass.crim. 4 février 1991 (Gaz.Pal. 1991 II 401 note Doucet)) : Le délit de revente à perte est établi par la seule constatation de l’élément matériel.
Cass.crim. 22 novembre 2006 (Bull.crim. n° 293 p.1057) : L'art. L.442-2 C.com. n'opère aucune distinction entre les opérateurs et incrimine tout commerçant qui revend un produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat.
Vente aux enchères - Voir : Enchères*.
Vente avec prime - Le législateur interdit aux commerçants d'inciter leurs clients à acheter tel ou tel produit en faisant miroiter l'offre d'un cadeau. Cette prohibition figure actuellement à l'art. L.121-35 du Code de la consommation.
Vitu (Traité de droit pénal spécial) : Le législateur a voulu protéger les consommateurs contre des achats inconsidérés et inutiles, effectués uniquement pour se procurer l'objet offert en prime. Il s'est préoccupé aussi de freiner l'augmentation des prix que provoque la prétendue largesse des commerçants.
Cass.crim. 5 avril 1995 (Gaz.Pal. 1995 II Chr.crim. 356) : Pour déclarer le prévenu coupable de la contravention de vente avec primes, pratique commerciale prohibée par l'art. L.121-35 du Code de la consommation et réprimée par l'art. 33 du décret du 29 décembre 1986, la Cour d'appel énonce que la société de vente par correspondance a proposé d'offrir gratuitement, aux 100 premiers acheteurs d'une batterie de cuisine, une montre d'une valeur de 850 F. En statuant ainsi, la Cour d'appel a justifié sa décision ; en effet, il n'importe, pour l'application des textes précités, que l'attribution de la prime à laquelle donne droit la vente soit limitée à un nombre restreint de consommateurs.
Vente par colportage - Ce type de ventes n'offre pas toujours des garanties suffisantes de qualités substantielles. C'est pourquoi les autorités locales peuvent les réglementer.
Cons.d'État 21 février 1986 (Gaz.Pal 1986 II somm. 480) : La vente par colportage de denrées de bouche ou de tout autre produit manufacturé, sur les plages très fréquentées en période estivale d’une commune, présentait, tant pour la salubrité publique que pour la tranquillité publique, des dangers de nature à en justifier l’interdiction pendant la saison balnéaire .
- Mais le droit commun peut aussi être parfois invoqué, du fait qu'il appartient aux juridictions répressives d'apprécier la validité des conventions en cause. Ainsi, l'annulation d'un contrat de vente peut ouvrir la voie à une poursuite du chef de vol.
Cass.crim.
30 octobre 2012, n° 11-81266 (Bull.crim. n° 234
p.497) : Les juridictions pénales peuvent, elles-mêmes,
apprécier la validité des conventions dont dépend la décision
sur l’action publique.
En conséquence, justifie sa décision la cour d’appel qui, pour
dire établi à l’encontre de l’ancien dirigeant d’une société un
délit de vol portant sur des biens meubles constituant l’actif
de ladite société, mise en liquidation judiciaire, retient que
ce n’est que par l’effet d’opérations frauduleuses que le
prévenu est devenu fictivement propriétaire de ces biens
appartenant en réalité à la société, et qu’il a ensuite procédé
à leur donation à des membres de sa famille au cours de la
période suspecte, ce dont il résultait que les conventions que
ce prévenu invoquait étaient nulles et n’avaient pu lui conférer
aucun droit .
VENTE DITE "PAR CHAÎNE" OU "PYRAMIDALE" - Voir : Boule de neige*.
VÉRACITÉ - Voir : Vérité*.
VERDICT
Cf. Arrêt*, Jugement*, Sentence*.
Le mot verdict est un terme anglais qui désigne la réponse du jury aux questions qui lui ont été posées par le président de la juridiction pénale (il vient de l’ancien français : Vrai-dire). On l’emploie de plus en plus souvent, mais improprement, comme synonyme d’arrêt de la Cour d’assises.
Garraud (Précis de droit criminel) : La réponse du jury aux questions qui lui sont posées s’appelle le « verdict » (vere dictum).
Code criminel du Canada. Art. 647 : Le juge ordonne au shérif de fournir aux jurés assermentés des rafraîchissements, des vivres et un logement convenables et suffisants pendant qu’ils sont ensemble et tant qu’ils n’ont pas rendu leur verdict.
Tarde (La criminalité comparée) : Je pense, que les jurés d’Ille-et-Vilaine, par exemple, n’ont pas besoin d’être convaincus avec la même force que ceux de la Dordogne, pour se décider à rendre un verdict de condamnation.
Cass.crim. 20 octobre 1993 (Gaz.Pal. 1994 I 16) : Un verdict négatif ne met pas obstacle à ce que la Cour examine si le fait poursuivi, dépouillé des circonstances qui lui imprimaient le caractère d’un crime, n’est pas néanmoins de nature à engager la responsabilité civile de l’accusé.
VÉREUX
Cf. Chevalier d'industrie*, Concussion*, Corruption*, Prévarication*, Probité*, Requin d'affaires*, Trafic d’influence*.
On qualifie de véreuse une personne malhonnête, particulièrement connue pour son manque de probité. Trop imprécis, ce terme n'est que rarement employé par le législateur et par les tribunaux.
Corre (Les criminels) : Dans le "grand milieu" on trouve des personnages souvent d'éducation et de situation élevées, qui ne se piquent pas d'une moralité scrupuleuse et estiment que la faute cachée n'est pas répréhensible : fonctionnaires à conscience large et souple, centres de tripotages véreux, hommes d'affaires.
Le Bon (Les révolutions) : Sous le Directoire, le luxe, la soif des plaisirs, les dîners, les parures, les ameublements formaient l’apanage d’une société nouvelle composée uniquement d’agioteurs, de fournisseurs aux armées, de financiers véreux enrichis par le pillage.
Proal (La criminalité politique) : À toutes les époques, on a vu des hommes politiques se faire les complices de financiers véreux. Il s'est formé une race de brigands civilisés qui, donnant une forme savante à la spoliation, pillent et dévalisent le public.
Tarde (La philosophie pénale) : Dans les classes supérieures, que de concussions, de marchés véreux, de trafics de décorations exigent la complicité de gens riches et réputés honnêtes qui en profitent, non toujours à leur insu !
Bluntchli (Droit public général) : Tout État peut apporter au principe du libre établissement des restrictions qui écartent de son sein les éléments véreux venant de l'étranger.
Taine (Les origines de la France contemporaine) : Sous la Terreur, le meneur en chef, la tête dirigeante du Comité du Bonnet Rouge, est, selon l'usage, un homme de loi véreux.