DICTIONNAIRE DE DROIT CRIMINEL
- Professeur Jean-Paul DOUCET -
Lettre M
(Huitième partie)
MINISTÈRE PUBLIC
Cf. Accusateur*, Action publique*, Audition du ministère public*, Avertissement (sanction semi-pénale)*, Avocat général*, Circulaire*, Classement sans suite*, Opportunité des poursuites*, Parquet*, Pourvoi en cassation*, Preuve (production des)*, Procureur de la République*, Répression*, Réquisitions*, Réquisitoire*, Séparation des pouvoirs*, Vérité*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n° 5, p.7 / p.ex.
Voir : Garraud, Les divers types de procédure pénale
Voir : M. Bluntschli, Les tribunaux en général et les tribunaux répressifs en particulier
Voir : H. Gréau, Histoire de la distinction entre l’action civile et l’action publique
Voir : G. Levasseur, Le principe de la séparation des fonctions
- Notion. Composé de magistrats spécialisés (les magistrats du Parquet*), le ministère public est notamment établi auprès des différentes juridictions répressives. Il est chargé de représenter la Société auprès de chaque tribunal de police, de chaque tribunal correctionnel, de chaque cour d'appel (chambre correctionnelle), de chaque cour d'assises, et auprès de la Cour de cassation (chambre criminelle).
Goyet (Le ministère public) : Le ministère public est une magistrature spéciale établie auprès de certaines juridictions à l’effet de représenter la Société et, en son nom, de faire observer dans les jugements à rendre les lois qui intéressent l’ordre général et de faire exécuter les jugements rendus.
Cass.crim. 30 octobre 1995 (Gaz.Pal. 1996 I Chr.42) : Le ministère public est représenté auprès de chaque juridiction répressive ; il assiste aux débats et au prononcé des décisions des juridictions de jugement ; il en est même ainsi lorsque celles-ci ont à se prononcer uniquement sur l’action civile.
- Histoire. Le ministère public, le procureur de la République et ses substituts trouvent leur origine dans les procureurs du Roi. Au départ il s'agissait de fonctionnaires chargés de défendre les intérêts de la personne du Prince ; mais, plus les pouvoirs du Souverain se sont étendus, plus le domaine de leur mission s'est étendu, au point qu'ils en sont arrivés à défendre l'intérêt général du royaume.
A. Esmein (Histoire du droit français) : Les procureurs du Roi avaient pour fonctions générales d'intenter les actions au nom du Roi lorsqu'il y avait lieu, et de défendre contre celles qui étaient dirigées contre lui ; en outre d'intervenir et de requérir dans toutes les causes où le Roi était intéressé... L'intérêt royal qu'ils étaient chargés de faire valoir fut d'ailleurs étendu de diverses manières. Tout d'abord, on ne prit en considération que les droits pécuniaires de la royauté ; puis, le Roi étant considéré comme le représentant de l'intérêt public, c'est l'intérêt public même que ces procureurs furent appelés à défendre devant les tribunaux.
Olivier-Martin (Histoire du droit français) : Les "gens du roi" sont des officiers chargés, dans chaque Parlement, de parler au nom du roi et de défendre ses intérêts... Ils se réunissaient dans une chambre spéciale, le "parquet", et se répartissaient la tâche devant les différentes chambres de la Cour. Ils concluaient "pour le roi", avertissant solennellement les juges de la gravité des intérêts qu'ils avaient à trancher. Mais ils n'entraient pas au "conseil de la cour", dans la salle où les juges rédigeaient leur arrêt... Nous avons conservé l'institution des gens du roi sous le nom de ministère public.
- Statut. Quoiqu'il soit un magistrat du pouvoir judiciaire, puisqu'il dépend du pouvoir exécutif il doit prendre en considération les instructions données par le Garde des Sceaux ; toutefois, il ne doit décider du sens de son action qu’en son âme et conscience. Méconnaît le sens de sa mission le magistrat du parquet qui se considère comme un simple rouage du Gouvernement et se plie servilement à ses injonctions, ou aux exigences des Parlementaires. C’était ce que faisait Fouquier-Tinville qui, chaque soir, passait prendre ses ordres auprès du Comité de sûreté général.
Garnot (Histoire de la justice) : Le ministère public est l'un des instruments du désir de contrôle de la justice par les gouvernements, tant sous l'Ancien régime, où le procureur général de chaque Parlement a la haute surveillance sur toutes les juridictions et le personnel, qu'à l'époque contemporaine, surtout, où les procureurs doivent exercer la surveillance des magistrats et des auxiliaires de justice pour le compte du ministère.
Proal (La
criminalité politique) : Le Ministère public est le
protecteur de tous les citoyens pauvres et ignorants, des
ouvriers, des paysans, des domestiques, qui n'ont pas les moyens
de se porter parties civiles pour poursuivre des agents
d'affaires véreux, des notaires indélicats... Ces délinquants
cherchent à abriter leurs escroqueries et leurs abus de
confiance derrière des influences parlementaires...
Le magistrat du Parquet, qui poursuit un officier ministériel
investi d'un mandat politique, ou même un électeur très
influent, est souvent dénoncé sous un faux prétexte et disgracié
pour avoir fait son devoir... Moi-même étant procureur de la
République à Forcalquier en juillet 1877, j'ai été déplacé parce
que je voulais poursuivre un notaire membre du Conseil général
qui avait commis des abus de confiance.
La dignité de sa fonction impose au Ministère public de faire preuve de modération, tant au fond que dans la forme. Lors des Procès de Moscou, dans les années 1930, Vychinski dépassa Fouquier-Tinville quand il apostropha les accusés en ces termes : Une poignée de vils traîtres et d’assassins pensait, par ses crimes immondes, arrêter le cœur puissant de notre grand peuple. Une poignée infime de vils aventuriers a tenté de piétiner avec ses sales pieds les fleurs les plus parfumées de notre jardin socialiste… Ces chiens enragés du capitalisme voulaient mettre en pièces les meilleurs d’entre les hommes de notre terre soviétique… Je demande que ces chiens enragés soient fusillés tous, jusqu’au dernier…
- Mission du ministère public. C’est le ministère public, plus précisément le Procureur de la République*, qui a la charge d'exercer à titre principal l’Action publique*, de requérir l’application des lois, puis d'assurer l’exécution du jugement (art. 31 et s. C.pr.pén.).
De Ferrière (Dictionnaire de droit) : Le ministère public est le vengeur des lois… L’unique but qui le guide dans ses poursuites, c’est le maintien du bon ordre et de la discipline.
Code de droit canonique (Commentaire Salamanque).
Canon 1430 : Pour les causes contentieuses dans lesquelles le bien public peut être en jeu, et pour les causes pénales, sera constitué dans
chaque diocèse le promoteur de justice qui est tenu, par sa fonction, de pourvoir au bien public.
[La charge du promoteur de justice est de veiller au bien public. D’où la nécessité de son intervention dans toutes les causes pénales, où le bien
public est toujours en jeu]
Cour sup. just. Luxembourg 8 juillet 1959 (Pas.lux. 1961-1962 123) : Le droit d’exercer l’action publique appartient au ministère public et non au Gouvernement.
Commission de réforme du droit du Canada (Document 52, 1986) : Essentiellement, un crime est un acte répréhensible si grave qu'il est considéré comme une atteinte, non pas contre un seul individu, mais contre l'État lui-même. Dans le contexte du système de justice pénale canadien, c'est le respect de ce principe fondamental qui est à l'origine de la charge de procureur de la Couronne ou du ministère public. En effet, s'agissant d'infractions contre l'État, il est normal qu'elles soient poursuivies au nom de l'État par les représentants de celui-ci.
Cass.crim. 24 mars 1992 (Gaz.Pal. 1992 II somm.477) : Le ministère public est seul juge de l’opportunité des poursuites, et il ne peut, en raison de son indépendance à l’égard des juridictions, être contraint par la chambre d’accusation d’exercer l’action publique.
Cass.crim. 16 janvier 1975 (n° 20 p.55) : Une commune ne possède pas le droit d’agir devant les tribunaux de répression en raison de contraventions aux règlements de police ; la sanction de l’inobservation de ces règlements est assurée exclusivement par l’action du Ministère public poursuivant l’application de la loi pénale.
- Il a pour premier devoir de contribuer à la recherche de la vérité.
Exemple (Le Figaro 1er décembre 2005). Lors de la dernière audience du procès Outreau, l’avocat général J... a heureusement précisé : Dire que le ministère public est ici pour porter l’accusation est réducteur : il est ici pour une parole de vérité.
Code de procédure pénale du Guatemala. Art. 309. (Objet de la recherche). Dans la recherche de la vérité, le Ministère Public devra diligenter toutes les diligences pertinentes et utiles afin de déterminer l'existence du fait, avec l'ensemble des circonstances qui importent pour l'application de la loi pénale.
Cass.crim. 8 juillet 2015, pourvoi n° 15-81731 : Pour écarter à bon droit le moyen de nullité pris de ce que le ministère public, faute de présenter les garanties d’indépendance et d’impartialité requises afin de protéger la liberté individuelle, ne pouvait requérir la communication de renseignements relatifs à l’utilisation d’une ligne téléphonique en application de l’art. 77-1-1 C.pr.pén., l’arrêt relève que les mesures contestées correspondent à des actes d’investigation relevant de la compétence et des pouvoirs attribués au procureur de la République qui ne sont pas contraires à l’art. 8 de la Conv. EDH, lequel prévoit des restrictions au principe posé par cet article, notamment pour la prévention des infractions.
Cass.crim. 12 décembre 2007 (Bull.crim. n° 310 p.1259) : Devant les juridictions correctionnelles, en application des art. 458 et 512 C.pr.pén., le ministère public, fût-il partie jointe, prend au nom de la loi les réquisitions tant écrites qu'orales qu'il croit convenables au bien de la justice.
- En tant qu’accusateur, le ministère public ne peut être récusé (art. 669 al.2 C.pr.pén.).
Code de procédure pénale espagnol, Art. 96 : Les représentants du ministère public ne pourront être récusés mais ils s’abstiendront d’intervenir dans les actes judiciaires lorsqu’ils seront concernés par l’un des motifs énumérés à l’article 54 de la présente loi.
- Unité du ministère public. Le ministère public forme un corps unique à l’intérieur duquel règne un principe de subordination hiérarchique. Ce corps reçoit des instructions du ministère de la justice, mais par le canal des chefs de parquet qui jouissent de pouvoirs propres.
M-L. Rassat (Le ministère public) : L’organisation hiérarchique du ministère public a pour but de donner à l’institution, dans l’exercice des fonctions qui lui sont confiées, une impulsion suprême. Sa conséquence immédiate est qu’on peut vraiment dire qu’il n’y a qu’une action du parquet à qui son chef imprime une direction unique.
- Indivisibilité du ministère public. Tous les magistrats d’un même Parquet forment un seul corps, placé sous
l’autorité du procureur. Dans l’exercice de l’action publique, chacun de ses membres peut donc se substituer à un autre, le remplacer, ou lui succéder.
- Toutefois, en cas de passage d’un magistrat du parquet dans le corps des magistrats du siège, seuls les membres du ministère public qui ont
effectivement collaboré à une affaire donnée ne sauraient connaître de cette cause.
M-L. Rassat (Le ministère public) : Puisque le parquet est animé d’une seule volonté et que chacun de ses actes est censé émané de son chef, seul maître de son action, peu importe l’individu qui agit, l’action reste celle du parquet. Les officiers du ministère public auprès d’un même parquet sont « chose fongible ».
Cour EDH 23 novembre 2010 (n° 37104/06) n° 26 : Le ministère public se caractérise par son indivisibilité : les membres d'un même parquet forment un ensemble indivisible ; l'acte accompli par un membre du parquet l'est au nom de tout le parquet, et ils peuvent donc se remplacer ou être remplacés tout au long d'une procédure.
Cass. Belge 2e Ch. (Pas. 1974 I 243) : Tous les magistrats du parquet auprès d’une juridiction constituent indivisément le ministère public de cette juridiction ; en raison de l’indivisibilité de leur institution ces magistrats peuvent, à tout moment’ se suppléer l’un l’autre dans la même cause sans que le prévenu puisse s’en plaindre.
Cass.crim. 16 janvier 1894 (S. 1895 97) : La disposition qui exige que les magistrats qui concourent à la prononciation d'un jugement aient assisté à toutes les audiences de l'affaire, n'est pas applicable au ministère public, le ministère public étant un et indivisible.
Cass.crim. 28 mai 1974 (Bull.crim. n° 203 p.517) : La loi exige seulement la constatation, dans le jugement, de la présence du Ministère public à l’audience ; l’omission de son nom ne constitue pas la violation d’une formalité substantielle.
Cass.crim. 5 mai 1997 (Gaz.Pal. 1997 II Chr.crim. 198) : Les demandeurs ne sauraient se faire un grief de ce que l’acte d’appel, portant mention de la comparution du procureur de la République, a été signé par l’un de ses substituts dès lors que, en raison du principe d’indivisibilité du ministère public, ceux-ci puisent dans leur seule qualité, en dehors de toute délégation de pouvoirs, le droit de représenter le ministère public.
Cass.crim. 5 septembre 1990 (Gaz.Pal. 1991 I Chr.crim. 104) : Si le principe d’indivisibilité du ministère public permet à chacun de ses membres d’agir au nom de tous, il ne saurait interdire au magistrat lui ayant appartenu de se prononcer comme juge sur une procédure dont il n’a jamais eu à connaître dans ses fonctions antérieures.
- Hiérarchie du ministère public. Le ministère public est hiérarchisé, en sorte que chacun de ses membres doit obéissance à ses supérieurs hiérarchiques. Ses réquisitions écrites doivent être conformes aux instructions qui lui ont été données.
Goyet (Le ministère public) : Les membres du ministère
public sont unis par un lien hiérarchique. Ils doivent obéissance à leurs supérieurs et par suite ils doivent, en conformité des ordres qu'ils reçoivent,
intenter selon le cas l'action publique ou s'abstenir de la mettre en mouvement.
Au sommet de la hiérarchie, le Garde des Sceaux, véritable chef du ministère public, exerce directement son autorité sur le procureur général près la
Cour de cassation et sur les procureurs généraux près les Cours d'appel.
Le procureur général près la Cour de cassation n'exerce pas d'autorité sur les procureurs généraux près les Cours d'appel. Il peut seulement leur
adresser des observations à l'occasion des affaires qui ont été portées devant la Cour de cassation.
Les procureurs généraux près les Cours d'appel sont les chefs hiérarchiques de tous les membres du ministère public près les juridictions de son
ressort.
Le refus d'un membre du ministère public de se conformer à l'ordre reçu l'expose à des mesures disciplinaires qui peuvent aller jusqu'à la
révocation.
- Liberté de parole du ministère public. Si le ministère public est hiérarchisé, son représentant à une audience bénéfice cependant de la liberté de parole. Il lui est ainsi possible, pour tenir compte de l’apport des débats dans la recherche de la vérité, de prendre des réquisitions orales contraires à sa position de départ, et de demander soit une disqualification des faits soit même l’acquittement du prévenu (art. 33 C.pr.pén.).
Merle et Vitu (Traité de droit criminel) : L’officier du ministère public, fonctionnaire soumis au pouvoir hiérarchique quand il est dans son parquet, redevient un magistrat indépendant, jouissant de la liberté de parole, lorsqu’il se trouve à l’audience ; elle prend forme dans un adage ancien : « la plume est serve, mais la parole est libre »… A l’audience, il leur est permis d’exprimer oralement une opinion contraire à la position qu’ils ont dû prendre par écrit.
En 1467, le Procureur général de Saint-Romain répondit au Cardinal de la Balue, qui exigeait l’entérinement des lettres patentes abolissant la Pragmatique sanction de Bourges : Il est au pouvoir de Sa Majesté de m’ôter la charge qu’elle m’a donnée ; mais tant que je l’exercerai, je n’agirai jamais, ni contre ma conscience, ni contre les intérêts du royaume. (sa situation était semblable à celle du Connétable de France, que le Roi pouvait démettre mais non commander - procédure qui présentait l’avantage de mettre en évidence une décision arbitraire)
Cass.crim. 13 mai 1976 (Bull.crim. n° 157 p.390) : La parole du Ministère public à l’audience est libre ; il est indépendant dans l’exercice de ses fonctions ; il a le droit de dire tout ce qu’il croit convenable au bien de la justice, comme de produire tous les documents et de donner toutes les explications qui lui paraissent utiles, sauf le droit des parties en cause d’examiner et de discuter les pièces produites et de combattre les arguments présentés par le ministère public.
Tribunal révolutionnaire rénové (20 septembre 1794) : Accusé d’avoir prêché la tolérance religieuse, Chatenay Lanty répondit : - Voulez-vous éteindre et amortir les discussions religieuses ? Soyez tolérant ! Au reproche d’avoir favorisé le fanatisme (la religion catholique), il répondit avec mesure et dignité que la loi prévoyait la liberté des cultes et – Je n’ai jamais pu me persuader qu’il fût permis de commenter et d’interpréter une loi qui n’admet pas de distinctions. La fin de Robespierre ayant amorcé la fin de l’arbitraire et le retour au légalisme, l’Accusateur public se laissa convaincre et se rallia à un acquittement que la forte impression faite par l’accusé sur les jurés et sur le public semblait appeler.