Page d'accueil > Table des rubriques > La science criminelle > Pénalistes > Les poursuites pénales > Généralités > H. Gréau, Histoire de la distinction entre l’action civile et l’action publique

HISTOIRE DE LA DISTINCTION ENTRE
L’ACTION CIVILE ET L’ACTION PUBLIQUE

Extrait de la thèse de Henry GRÉAU
« Étude sur la responsabilité civile en matière pénale »
( Douai 1878 )

La distinction entre l’action civile et l’action publique,
qui paraît si naturelle de nos jours en droit français,
a été très longue à se dessiner avec précision.

Elle présente pourtant une grande importance,
car il y va de l’accès de la victime au procès pénal
et de la défense de la société contre les malfaiteurs.

En filigrane, elle pose la question de l’action populaire :
peut-on abandonner le déclenchement de l’action publique
à l’initiative de toute personne, physique ou morale ?

Notions préliminaires

Le droit de chacun commence là où finit celui d’autrui. L’homme intelligent et libre a le droit d’employer toutes ses forces à l’accomplissement de sa destinée ; mais il ne jouit de ce droit qu’à la condition de le reconnaître et de le respecter chez les autres. L’inviolabilité de la personne humaine est donc le fondement et la mesure du droit.

On distingue deux sortes de droits : le droit naturel et le droit positif.

Le droit naturel est une branche de la loi morale ; il porte spécialement sur les droits et devoirs des hommes entre eux et nous est révélé par la conscience.

Le droit positif est l’ensemble des lois par lesquelles le législateur donne une sanction efficace aux préceptes du droit naturel, en obligeant uniformément les hommes et en organisant des tribunaux chargés d’appliquer la sanction.

Sans cela, en effet, si le droit naturel existait seul, chacun ne tarderait pas à l’interpréter dans le sens de son intérêt ou de ses passions. Mais c’est un devoir pour le législateur de ne promulguer que des lois conformes, autant que possible, aux règles du droit naturel.

Judiciairement parlant, l’homme n’est tenu que par la loi positive ; quand il s’arrête en deçà de cette limite, il agit bien, il use de son droit ; quand il la dépasse, il commet un acte illicite, il y a faute de sa part.

La faute est donc tout ce qui blesse injustement le droit d’autrui ; par suite, l’exercice régulier d’un droit n’est pas une faute.

Tout préjudice, résultat d’une faute, exige réparation. C’est un principe de droit naturel, consacré d’une manière très large par les articles 1382 et suivants du Code civil.

La faute peut consister dans une action ou dans une omission : dans une action, si l’auteur du fait reproché était dans l’obligation légale de ne pas le commettre ; dans une omission, s’il s’est trouvé dans une situation où il ne lui est pas permis de ne pas agir.

La faute est donc le fondement de la réparation et la base du principe des responsabilités.

Il existe deux sortes de responsabilités : la responsabilité civile et la responsabilité pénale.

I - La responsabilité civile consiste dans l’obligation de réparer, au moyen d’une indemnité pécuniaire ; le préjudice que l’on a causé sans droits. Il faut donc que le fait incriminé présente certains caractères ; il doit être :

Illicite : c’est-à-dire défendu par la loi civile ou pénale ;

Imputable à l’agent : c’est-à-dire, volontairement et librement accompli ;

Préjudiciable ;

Commis avec intention de nuire.

On dit alors qu’il y a délit civil.

Tout acte qui présente les trois premiers caractères, mais chez lequel on ne rencontre pas l’intention de nuire, s’appelle quasi-délit ; il n’y a plus alors qu’imprudence ou négligence.

Souvent encore la responsabilité découle d’un acte auquel on est resté complètement étranger ; on dit des personnes ainsi atteintes qu’elles sont civilement responsables ; tels sont les cas prévus par les articles 1384 et suivants, 1952 et suivants du Code civil, 73 du Code pénal [ancien], etc.

La base de cette responsabilité repose sur une présomption de faute et peut être, suivant les cas, le résultat de délits ou de quasi-délits de délits, si la personne responsable a ordonné l’acte préjudiciable ; de quasi-délits, si elle a omis de l’empêcher ou de le prévenir en ne veillant pas sur celui qui s’en est rendu coupable.

En résumé, on peut être déclaré responsable :

Soit de son propre fait (art. 1382-1383 C. civ.) ;

Soit du fait d’autrui, dans les cas prévus par la loi (art. 1384-1952 et s. C.civ., 73 C.pén.) ;

Soit même du dommage causé par les choses qui nous appartiennent (art. 1385-1386 C. civ.).

II. - La responsabilité pénale consiste dans l’expiation d’un fait illicite réclamé au nom de la société tout entière.

« L’infraction que les lois punissent des peines de police est une contravention ; l’infraction que les lois punissent des peines correctionnelles est un délit ; l’infraction que les lois punissent d’une peine afflictive et infamante est un crime. » (Art. 1er  C.pén.)

On embrasse sous la dénomination générique de délit criminel, par opposition à délit civil, toute infraction à la loi pénale. Le délit criminel comprend alors le crime, le délit proprement dit, et la simple contravention.

Il importe de distinguer avec soin le délit civil et le délit criminel.

Le délit civil (nous l’avons vu plus haut) est la faute intentionnelle et préjudiciable, prévue ou non par la loi pénale ; le quasi-délit, la faute préjudiciable commise sans intention de nuire.

Le délit criminel est toute infraction à la loi pénale, peu importe qu’elle soit dommageable ; de sorte qu’il se trouve qu’une faute intentionnelle et préjudiciable peut ne pas constituer un délit criminel ; de même que le fait, qualifié crime par la loi pénale, peut ne constituer ni délit, ni quasi-délit selon le droit civil.

Ainsi celui qui porte publiquement un costume ou une décoration qui ne lui appartient pas commet un délit purement criminel.

L’homicide par imprudence est un délit criminel puisqu’il est prévu par l’article 319 du Code pénal et entraîne contre son auteur une condamnation à une peine correctionnelle. Ce peut être en même temps, nous ne disons pas un délit civil, puisqu’il n’y a pas eu chez l’auteur intention de nuire - mais bien un quasi-délit, car nous en retrouvons tous les éléments - 1° il y a toujours faute ; car toute infraction à la loi pénale, quel que soit son peu de gravité en morale, constitue une faute dont l’agent doit être rendu responsable ; le droit d’autrui a été injustement blessé. -2° Il y aura presque toujours dommage et par suite droit pour la partie lésée de requérir application de l’article 1382.

Enfin, la vente de la chose d’autrui n’est jamais un délit criminel ; c’est tantôt un quasi-délit (art. 1599 C. civ.), tantôt un stellionat, délit purement civil , suivant que le vendeur a été de bonne ou de mauvaise foi (art. 2059 C. civ.).

De ce qui précède, il résulte que les délits sont : purement civils, quand les faits illicites, bien que dommageables, ne sont point réprimés par la loi pénale ; purement criminels, quand, spécialement prévus par la loi pénale, ils ne sont pas dommageables ; à la fois civils et criminels, quand ils sont en même temps dommageables et réprimés par la loi pénale.

Nos prémisses ainsi posées, on voit que les faits, qualifiés crimes, délits, contraventions par la loi pénale, blessent toujours l’ordre public et souvent l’intérêt privé. Une double réparation est donc nécessaire ; la réparation sociale, c’est-à-dire l’application d’une peine ; la réparation privée, c’est-à-dire le payement des dommages-intérêts et les restitutions.

Pour les obtenir l’une et l’autre, le droit met au service des intérêts lésés deux actions différentes ; la première, destinée à réprimer le trouble social, c’est l’action publique, et la poursuite en est confiée au ministère public ; la seconde, ayant pour but de donner à l’intérêt privé en souffrance, la satisfaction qu’il réclame, c’est l’action civile, et l’exercice en appartient à la partie lésée.

Mais du moment que le fait n’est pas seulement dommageable, mais qu’il est aussi punissable et qu’il peut, par là même, donner lieu à une poursuite publique, il n’était pas possible que les effets de ce voisinage étroit, de cette sorte de communauté entre l’intérêt social et l’intérêt privé, ne fussent pas réglés spécialement par nos lois ; il en naissait une nécessité évidente de conciliation entre le criminel et le civil et une influence marquée du sort de l’une des deux actions sur celui de l’autre.

Le, législateur l’a compris et a édicté des règles spéciales à ce sujet dans le Code d’instruction criminelle.

Aussi, bien que le principe de la réparation de tout dommage privé résultant d’un fait imputable soit inscrit dans les articles 1382 et suivants du Code civil, et que de caractère civil de l’action subsiste aussi bien quand le fait est punissable que quand il ne l’est pas, on ne se trouve pas moins en présence de deux actions, de même nature au fond, mais qu’il importe de distinguer nettement.

De cette distinction, en effet, résultent de profondes différences dans leur mode d’exercice, dans leurs conséquences et dans leur durée.

C’est ce caractère spécial et particulier de l’action civile résultant d’un fait punissable que nous avons choisi comme objet de notre étude.

INTRODUCTION HISTORIQUE

La distinction entre l’action publique et l’action civile, si nette aujourd’hui, n’a pas toujours existé d’une manière aussi saisissante. Elle s’est dégagée lentement et élaborée peu à peu. C’est une conséquence éloignée mais inévitable du développement progressif de l’humanité.

L’institution d’une justice sociale qui réprime, ou d’un pouvoir modérateur qui concilie, suppose, en effet, un degré de civilisation déjà assez avancé. La justice, au début, ne peut être qu’affaire privée, et le seul droit qui subsiste est celui du plus fort. Chacun est son propre protecteur et se constitue lui-même son vengeur.

Le droit de vengeance a donc été le premier principe des peines ; là où il n’y a pas de justice sociale, la justice privée la remplace nécessairement.

Cette coutume barbare rencontra un premier adoucissement dans la religion ; l’usage des sacrifices expiatoires fut introduit. C’est sous leur influence salutaire que nous voyons l’idée de l’expiation, l’idée de la punition ou du repentir, purifiant l’agent et le rachetant de ses fautes.

Mais une société ne peut rester ainsi longtemps abandonnée aux intempérances des haines de chacun. L’autorité publique ne tarde pas à substituer son action aux forces aveugles de l’intérêt privé, et, opposant un frein à l’usage primitif du droit de vengeance, elle manifeste son influence par le principe du talion et la coutume des compositions.

Le talion, expression grossière d’une règle de la justice morale, est l’expiation limitée à la quotité du mal causé ; ce n’est en somme que la vengeance régularisée, une ombre de droit substituée à la lutte déréglée de la force.

Les compositions consistent dans une somme que l’accusé paie à la famille de la victime pour se mettre à l’abri de toute poursuite de sa part. Cette coutume, que l’on rencontre dans les lois hébraïques, grecques et romaines, trouva surtout son plus grand développement dans les mœurs germaniques ; mais la réparation est toujours exclusivement abandonnée à l’intérêt de la partie lésée, et la poursuite puise encore sa légitimité et sa source dans le droit de vengeance.

L’action publique représentant l’intérêt de la cité à côté de celui de l’individu est donc restée pendant longtemps un des éléments de l’action privée. Elle n’est parvenue à s’en dégager que lentement et par degrés. C’est l’histoire de ce développement à travers le temps et chez les différents peuples que nous nous proposons d’esquisser à grands traits.

CHAPITRE I
Des actions civile et publique
dans les législations grecque et romaine

Section I –  La législation grecque

On distinguait à Athènes deux sortes de jugements : les jugements particuliers et les jugements publics. Toutefois, la notion de la partie publique distincte de la partie privée n’existait pas  réellement; car les jugements étaient toujours provoqués par l’action individuelle des citoyens.

Mais si le droit d’accusation appartenait à chaque citoyen, l’exercice en était limité, et les formes de la poursuite variaient suivant les cas.

Ainsi pour les délits privés, c’est-à-dire pour les infractions portant atteinte à des droits ou à des intérêts particuliers, le droit d’accusation appartenait à la seule partie lésée ou à ses parents, à son tuteur, à son maître, sauf le cas de meurtre où la famille ne pouvait poursuivre, si la victime, avant de mourir, avait pardonné. Il était toujours permis à l’accusateur de transiger ou de se désister, et ce désistement rendait toute poursuite ultérieure impossible.

Malheureusement ces prérogatives n’étaient qu’un appât offert à la délation ; on accusait pour se faire acheter son silence, ou bien, on ne voyait dans ce rôle qu’un moyen de se produire dans les luttes oratoires et d’arriver aux honneurs et aux dignités publiques : Eschine et Démosthène l’ont bien montré.

Pour les crimes publics, au contraire, c’est-à-dire pour les infractions qui pouvaient troubler ou menacer la société tout entière, le droit d’accusation appartenait à chaque citoyen. Il avait pour but de resserrer le lien qui unissait tous les membres de la cité ; car attaquer un citoyen c’était les blesser tous, et, lorsque l’outrage avait quelque gravité, il était naturel, que l’action devînt commune. Mais, l’accusation étant une espèce de fonction publique, le citoyen qui l’exerçait ne pouvait transiger.

Toutes les affaires n’étaient pas portées devant la même juridiction. On en distinguait plusieurs :

a) L’Assemblée du peuple, pour les crimes politiques de la plus haute gravité ;

b) Le tribunal de l’Aréopage dont la compétence, étendue d’abord à tous les crimes, fut restreinte, sous Périclès, aux homicides prémédités, aux empoisonnements, incendies et tous autres crimes passibles de la peine de mort ;

c) Le tribunal des Éphètes, recruté parmi les membres du Sénat, et chargé spécialement des homicides non prémédités ;

d) Enfin le tribunal des Héliastes, le dernier et le plus important de tous, composé de six mille citoyens , tirés au sort chaque année et siégeant tour à tour. Ils avaient la connaissance de tous les crimes qui n’étaient pas réservés aux autres juridictions.

L’accusateur en intentant l’action en devenait le maître absolu ; mais il était tenu, comme garantie de son accusation, de déposer une certaine somme, et à son défaut, la cause était rayée du rôle. Par contre, il avait toujours le droit de s’assurer de la personne du coupable ; si celui-ci cherchait à s’enfuir, il pouvait même arrêter trois de ses parents et les retenir prisonniers jusqu’à ce que le fugitif fut en son pouvoir. Il était admis également à discuter les cautions présentées par l’accusé retenu en prison et pouvait s’opposer à la mise en liberté provisoire. C’était lui encore qui réclamait l’application de la peine, qui fournissait les témoins et les preuves.

Mais l’accusateur encourait, par cela même, une grave responsabilité ; et si, ayant échoué dans ses poursuites, il n’obtenait pas au moins le cinquième des voix des juges, il était condamné comme calomniateur à une amende de mille drachmes ; peut-être même à une peine corporelle, et perdait à jamais le droit d’accuser. Au contraire, en cas de condamnation, les magistrats étaient chargés du soin de l’exécution, et l’accusateur avait une place réservée parmi eux.

L’État ne prenait jamais l’initiative des poursuites, sauf le cas très rare où il était personnellement lésé, comme au cas de haute trahison, ou de manœuvres tendant à changer la forme du gouvernement. Les accusateurs étaient alors les Thesmothètes, qui dénonçaient les crimes au Sénat ou à l’Assemblée du peuple et provoquaient la désignation d’un citoyen pour soutenir l’accusation.

Ainsi, on le voit, l’action privée était le droit commun, la règle générale pour la répression des crimes et délits ; l’accusation publique n’existait qu’à l’état de moyen extraordinaire destiné, soit à suppléer les négligences de l’action privée, soit à atteindre les crimes purement politiques.

Section II -  La législation romaine

Le Droit romain a longtemps méconnu les vrais principes de la réparation des crimes et des délits, et les conséquences que la science juridique doit en tirer.

Il ne savait pas faire la part de l’intérêt social et celle de l’intérêt particulier et laissait à chacun le soin de veiller à la défense de ses propres intérêts. La société n’intervenait que comme arbitre.

Toutefois, on distinguait à Rome comme à Athènes, l’accusation publique et l’accusation des parties lésées ; la première était restreinte aux crimes spécialement prévus par la loi et poursuivis par jugements publics (publicisjudiciis) ; l’autre enveloppait au contraire tous les crimes, qu’ils fussent publics ou privés.

La partie lésée avait le choix entre deux actions ; elle pouvait agir par la voie civile ou par la voie criminelle.

Au criminel, le préteur, seul juge de l’affaire, infligeait au coupable une peine arbitraire (extra ordinem) ; nous verrons plus loin ce qu’il fallait entendre par crimen extraordinarium.

Au civil, la partie lésée obtenait une action qui généralement prenait le nom du délit, telle que l’action furti, injuriarum, etc. La sanction consistait dans une condamnation pécuniaire pouvant aller au double, au triple, au quadruple même, et prononcée à titre de peine : de là le nom d’actions pénales privées donné à ces formes particulières de procédure.

La peine dont il s’agit ici n’était pas une peine publique poursuivie et infligée au nom de la société. Ces actions pénales n’étaient que des actions de droit civil, mais contenant, à titre de peine privée et au profit du demandeur, une condamnation pécuniaire, indépendante du préjudice éprouvé. Ainsi l’action de vol manifeste, ou non manifeste, n’était qu’une action pénale, car la chose volée se poursuivait elle-même par une action distincte appelée Reipersecutoria ; telles étaient encore les autres actions in rem et presque toutes les actions in personam (celles tout au moins nées d’un contrat ou d’un quasi-contrat). On appelait mixtes les actions dans lesquelles étaient confondues l’indemnité et la peine : telles étaient les actions bonorum vi raptorum, l’action legisAquiliae, etc,

Ces actions avaient pour but, comme nous l’avons déjà dit, de procurer à la victime, en dehors de la réparation du préjudice causé, une certaine somme d’argent, véritable appauvrissement pour le défendeur, et enrichissement pour le demandeur. Mais, par leur caractère essentiellement personnel, elles n’étaient jamais données contre les héritiers, sauf le cas où la poursuite ayant été intentée contre le délinquant, l’affaire était liée avant sa mort, par la litiscontestatio.

Pour ce qui est de l’accusation publique, à l’origine, le droit en était fort restreint. Il ne comprenait à proprement parler, que les crimes portant atteinte à la sûreté de l’État. Sans blesser personne, ils lésaient cependant les intérêts de tous. La conscience publique leur attachait une idée plus grande de criminalité, et la vigilance populaire était chargée de pourvoir à leur châtiment par les publicis judiciis qui poursuivaient l’application d’une peine corporelle ou pécuniaire prononcée au profit de l’État. L’accusateur devait déposer un libelle signé de lui, entre les mains du préteur ou du proconsul, désigner la loi en vertu de laquelle il accuse, les faits qu’il impute, et prêter serment que son accusation n’est pas calomnieuse. Pour les infractions de moindre importance, mais qui cependant blessent l’intérêt général, on en poursuivait la réparation par les actions populaires qui tendaient à obtenir seulement une réparation civile, c’est-à-dire pécuniaire ; telles étaient les actions de effusis et dejectis, de eo quod positum est, de albo corrupto, aux Institutes ; et, au Digeste, l’action de sepulcro violato. Il ne faut pas confondre les actions populaires avec les actions pénales privées. Le plus souvent on ne pouvait y plaider par procureur, l’obligation qui en résultait ne pouvait être cautionnée par des fidéjusseurs ; enfin, elle s’éteignait toujours par le laps de temps d’une année.

Le droit d’accusation publique ou populaire appartenait, en général, à chaque citoyen, cuivisex populo. Tous cependant n’étaient pas aptes à profiter du droit d’accusation. Les uns étaient repoussés pour cause d’indignité, les autres pour cause d’incapacité.

Au contraire, la loi faisait fléchir toutes ses défiances devant l’action privée. Ainsi, les femmes„ les pupilles, les faux témoins, les condamnés notés d’infamie, les indigents reprenaient le droit d’action, dès que leur intérêt se trouvait engagé. La raison de cette différence est facile à expliquer. En matière d’accusation publique, il fallait se défier tout à la fois de la pauvreté des uns et de l’indignité ou de la faiblesse des autres, car ils se trouvaient dans une situation où l’on pouvait suspecter leur bonne foi, ou leur désintéressement. En matière d’action privée, au contraire, l’allégation d’un préjudice devait être, aux yeux de la loi, un titre préférable à la qualité même du citoyen. Le dommage était plutôt réparé que puni.

Ces accusations publiques (publica judicia) avaient pris leur origine dans les quaestiones. On appelait quaestio la délégation de juridiction criminelle faite par le Sénat ou les Comices à un magistrat quelconque (quaestor), spécialement désigné pour connaître d’une affaire. La cause finie, la quaestio expirait. Peu à peu cependant, ces délégations, d’abord temporaires, se généralisèrent et devinrent permanentes et perpétuelles pour certaines catégories de crimes, sous le nom de quaestionesperpetuae. C’était introduire une certaine régularité dans l’accusation, et définir le délit en en précisant la peine et la procédure.

Cette transformation s’opéra tout d’abord pour les délits purement politiques. C’est ainsi que la première quaestio perpetua fut décrétée l’an 605 de Rome, par la loi Calpurniade repetundis ; puis elle s’étendit successivement, par une fiction de droit, aux crimes qui intéressent moins directement l’ordre public, tels que le faux (LexCornelia de falsis), le meurtre (Lex. Cornelia de sicariis), etc. Pour le meurtre, par exemple, la fiction reposait sur cette idée que celui qui ôte la vie à un autre citoyen, s’emparait accidentellement des prérogatives du juge, et, en usurpant ainsi l’imperium, violait la constitution de la cité. Enfin, on finit par confondre toutes ces quaestiones perpetuae dans l’appellation unique de publica judicia.

Les délits qui ne furent pas l’objet d’une quaestio perpetua restèrent soumis à la juridiction des Comices ou du Sénat qui, suivant les cas, retenaient l’affaire pour la juger eux-mêmes ou la déléguaient comme par le passé, soit aux consuls, soit aux préteurs soit à des quaestores particuliers. Ces délits étaient réprimés par une troisième variété de procédure appelée crimen extraordinarium.

Les crimina extraordinaria n’avaient pas, à vrai dire, de procédure déterminée ; la peine était entièrement laissée à l’arbitraire du préteur et pouvait consister en une condamnation afflictive. Le droit d’action ne pouvait appartenir qu’à la partie lésée ou à ceux qui y avaient intérêt ; aussi est-il qualifié par des Romanistes distingués du nom de crimen privatum.

Cette procédure, d’abord exceptionnelle, ne tarda pas à devenir la règle générale. C’est ce qui résulte du texte des Institutes et d’un passage d’Ulpien, où il indique clairement, à propos du vol, la transition de l’exercice exclusif de l’action civile à l’exercice facultatif de l’action criminelle.

Le système d’accusation de la République avait passé à l’Empire, mais pour s’y développer et s’y pervertir. L’accusation, publique à l’origine, avait bientôt tourné en délation secrète. Ce n’était plus qu’un moyen d’assouvir sa haine et sa vengeance ou de satisfaire sa cupidité. Tacite et Montesquieu (Esprit des lois, VI-VIII) nous ont tracé avec énergie le triste tableau de la justice à cette époque.

Mais on ne peut trouver dans une procédure ainsi exercée l’origine du Ministère public chargé de la vengeance sociale.

Nous ne la trouvons pas davantage dans l’institution des ProcuratoresCaesaris. Auguste, pour veiller à ses intérêts et pour administrer les biens qui composaient son domaine particulier, avait placé dans les provinces une espèce d’intendants, de fondés de pouvoirs, à l’instar des questeurs pour les provinces populaires (provinciaepopuli par opposition à provinciae Caesaris). Peu à peu ils acquirent une grande importance administrative, reçurent le droit de juger toutes les affaires relatives au fisc, concurremment avec les propréteurs et les proconsuls, et remplacèrent même quelquefois les présidents des provinces. On les retrouve dans les Gaules pendant les premiers temps de la monarchie. C’était, en somme, des employés subalternes chargés de la perception des impôts, de la manutention des domaines, et armés pour certains cas d’un pouvoir assez absolu, mais on ne peut voir en eux les représentants de la société chargés de réprimer les fautes qui peuvent lui porter atteinte.

Au temps de Valens , Valentinien et Théodose, nous voyons paraître à côté de ces agents impériaux, les defensores civitatis, magistrats municipaux nommés dans chaque cité pour protéger surtout la classe inférieure. Leurs fonctions duraient cinq ans. Ils devaient chercher à prévenir les crimes, dénoncer les coupables au juge et les traduire devant son tribunal ; ils avaient aussi une juridiction, et c’est à eux que devaient être soumises les causes de peu d’importance n’excédant pas 50 solides. Il est difficile de ne pas reconnaître dans cette institution une analogie lointaine avec le ministère public. Mais le mélange des attributions de ces officiers municipaux, leur prompte déconsidération et l’effacement presque immédiat de leur rôle ne permettent guère d’y reporter l’origine historique de la partie publique.

Il faut en dire tout autant des curiosi, juridiction spéciale de police, s’arrêtant là où commence le rôle de la justice et de la mission confiée aux évêques par Justin, mission toute de surveillance, et première trace de l’influence du christianisme sur la procédure criminelle.

En résumé, nous retrouvons à Rome, comme à Athènes, la publicité de la procédure, la participation des citoyens au jugement, et le droit d’accusation conféré à chacun des membres de la cité ; mais on n’y rencontre pas davantage l’action publique absolument distincte et indépendante de l’action privée.

Ulpien, il est vrai (les accusateurs devenant rares), reconnaît  formellement aux proconsuls le droit de rechercher et de poursuivre d’office les criminels dans les provinces. Gordien constate également l’existence d’une poursuite d’office parallèle à l’accusation publique. Constantin est non moins explicite et prévoit le cas où l’accusé est poursuivi, non par la voie de l’accusation, mais par la sollicitude de l’autorité publique. Mais, en somme, ce ne sont là que des indices et des tendances, conséquence nécessaire de l’état moral de leur époque. Et, à vrai dire, jamais la distinction entre l’action privée et l’action publique n’a été ni précisée, ni réglée.

Toutefois, cette tendance ira peu à peu grandissant ; elle sera recueillie par le droit canonique, et envahira, en la fécondant, comme nous allons le voir bientôt, notre législation moderne.

CHAPITRE II
Des actions publique et civile, chez les barbares,
sous l’ancienne législation française
et dans le droit intermédiaire

Section I -  La législation barbare

Dans la langue du droit, on comprend en générai sous la dénomination de législation barbare, les lois et coutumes des différentes peuplades qui, à partir du IIIe siècle, envahirent successivement l’Occident pour s’établir notamment en Gaule, sur les débris de l’Empire romain.

Ces peuples nouveaux, tout en apportant leurs mœurs et leurs coutumes nationales, respectèrent les usages des Romains vaincus, et mirent en application le principe de la personnalité des lois. Chacun devait être jugé par les lois de la nationalité à laquelle appartenait. On vit alors, d’une part, se composer des recueils de lois romaines par ordre et avec la sanction des chefs germains ; telles furent : la loi romaine des Wisigoths ou Bréviaire d’Alaric, la loi romaine des Burgondes ou le Papien ; et d’autre part, se rédiger et se promulguer les différentes lois germaniques des nouveaux royaumes ; telles furent la loi des Wisigoths, la loi des Burgondes ou loi Gombette, la loi des Ripuaires, la loi Salique, la loi des Bavarois, etc... Or, il est un fait à remarquer, c’est que les institutions criminelles de ces peuples barbares présentent de nombreuses analogies avec les institutions grecques et romaines. Le principe de la réparation est toujours le même, et la poursuite des crimes n’est qu’une affaire privée.

Les délits publics, très rares d’ailleurs, sont à peu près les seuls qui donnent lieu à l’application des peines corporelles. Chez les Germains, par exemple, au dire de Tacite, il n’y avait que deux crimes publics ; on noyait les traîtres ; on pendait les poltrons ; tous les autres crimes étaient considérés comme délits privés et passibles de peines pécuniaires ou compositions.

Ces compositions étaient des satisfactions pécuniaires données par le coupable à l’offensé ou à sa famille, suivant une convention réciproque entre les parties. À l’origine, les compositions étaient laissées à l’arbitraire des parties ; peu à peu, cependant, la loi se substitua aux exigences des intéressés, et les lois saliques, bourguignonnes, ripuaires, bavaroises, tarifèrent les divers délits avec une précision minutieuse. Ainsi, chez les Francs, il n’y avait pas moins de 358 compositions, qui se subdivisaient elles-mêmes en 31 variétés. La plus légère était de 7 deniers, et la plus forte de 1080 sous d’or. Toutes ces satisfactions étaient comprises sous la dénomination générique de, wergeld, et le coupable qui ne la fournissait pas était déclaré vargus, c’est-à-dire hors la loi. Il était remis à la famille de l’offensé qui en disposait selon son bon plaisir. Celui-ci pouvait même exiger des proches parents la prestation de la composition. La famille chez les Germains était, en effet, solidaire du fait de ses membres ; et comme, au cas de meurtre, elle profitait de la réparation, il était juste qu’ayant contribué au crime, elle contribuât à l’indemnité. Il fallait avoir renoncé à tous ses droits de famille, et depuis longtemps ne plus en exercer les devoirs, pour être affranchi de cette obligation.

A l’inverse, l’offensé et sa famille étaient obligés d’accepter la satisfaction.

Il est certain que, dans le principe, la composition n’était pas obligatoire, et le refus d’entrer en accommodement dut être d’abord facultatif. Mais, les choses se régularisant peu à peu dans les lois barbares, l’on y voit établir des peines contre les résistances. De libre qu’elle était, la composition devint forcée.

La dette payée, la paix était faite, et la réconciliation scellée par un serment : « Nous jurons d’être fidèles à ce serment devant morts et vivants, devant tout homme né et à naître, et cela tant que le chêne est debout dans le champ, tant que sur la terre va l’eau coulant ».

Celui qui osait rompre ce serment, encourait les plus grandes peines ; souvent même il était mis hors la loi, car ce crime ne contenait pas moins une offense publique qu’une offense particulière : c’était un mépris de la loi elle-même.

Le droit de vengeance étant ainsi régularisé, le pouvoir devait intervenir pour assurer l’exécution des institutions nouvelles. Cette intervention se traduisit par une indemnité accessoire au wergeld, désignée dans les lois barbares sous le nom de fredum, et que le coupable devait payer au pouvoir comme prix de sa protection.

Toutefois, c’était l’offensé qui devait en faire l’avance, sauf son recours contre l’auteur du délit. Ainsi, nous trouvons dans la loi des Ripuaires, que la partie qui avait obtenu gain de cause, devait recevoir le fredum et le porter au fisc, pour que la paix fût éternelle entre les Ripuaires.

Le fredum (du mot allemand frede paix), était donc la récompense de la protection accordée contre le droit de vengeance, et comme le dit fort bien Montesquieu, la justice se rendait pour protéger le criminel contre celui qu’il avait offensé. C’est ainsi que nous trouvons la première trace de l’intervention régulière du pouvoir public, dans la répression des crimes du droit commun.

Chez les Francs-Saliens , le fredum était du tiers de la composition tout entière ; chez les Lombards, de la moitié. C’est ce fredum qui plus tard, prenant le caractère d’une vraie peine, devint l’amende.

Il appartenait aux chefs des Justices locales, et ceux-ci avaient le droit de veiller à ce que des transactions n’intervinssent pas en secret à leur détriment.

La grandeur du fredum était proportionnée à la grandeur de la protection. Ainsi le fredum pour la protection du roi était plus important que celui accordé pour la protection du comte et des autres juges.

A l’origine, l’échelle de la composition était fort modérée. Cela devait être chez des peuples pauvres dont les ressources consistaient principalement en bétail, en armes et en chevaux. Mais peu à peu les compositions suivirent le progrès de la fortune publique, et l’on vit, chez les Lombards, la richesse s’étant développée, le niveau de la composition s’élever aussi.

Le taux de la composition variait suivant la nationalité, le sexe ou la qualité de l’offensé. Ainsi, le meurtre d’un Franc était taxé 200 sous d’or ; celui d’un Romain à 100 sous d’or seulement. Le meurtre d’un esclave ne donnait lieu à aucune autre composition que celle accordée au maître à titre d’indemnité et proportionnelle à la valeur de l’esclave. Les nobles Francs avaient une valeur spéciale, ainsi que les antrustions ou leudes du roi, dont le meurtre donnait lieu à une composition triple de celle d’un particulier. Le prix de la composition, pour un évêque, était fixé à 900 sous d’or. Du reste, la mesure de l’indemnité pour les membres du clergé, variait suivant la dignité, sans tenir compte de l’origine nationale ; ce qui prouve bien la supériorité du clerc sur le laïc. Le sexe lui-même jouait un rôle important dans le tarif de la composition.

On trouve également des compositions pour les actes involontaires, et la loi des Lombards en fournit notamment de nombreux exemples. Mais l’autorité, dans ce cas , ne pouvait exiger le fredum. Un acte involontaire, en effet, ne donne pas un droit de vengeance ; il n’y a pas d’offensé, et là où il n’y a point de vengeance à redouter, là il ne saurait y avoir de droit de protection contre elle.

Tout était donc, chez ces hordes en apparence grossières, minutieusement prévu et tarifé, et ce n’est pas là un des côtés les moins intéressants de la civilisation germanique.

En résumé, nous ne trouvons pas encore, dans ces législations barbares, l’action publique réglée et mise en mouvement. Bien plus, nous n’y rencontrons même pas l’accusation publique qui avait pris au contraire un si grand développement à Rome comme chez les Athéniens. Cela n’a rien d’ailleurs qui doive nous étonner. L’accusation publique. ne pouvait s’harmoniser en effet avec les principes de la législation barbare, où les crimes, plutôt réparés que punis, ne touchaient en général que les parties lésées. Enfin, comme aux derniers jours de l’Empire romain et pour les mêmes causes (l’impuissance et l’inaction des parties privées), nous voyons apparaître confusément la poursuite d’office, à laquelle le pouvoir se trouve intéressé par l’institution du fredum, mais surtout du bannum , amende fixe de 60 sous d’or, prononcée au profit du roi dans certaines circonstances particulières.

La composition est restée longtemps une institution de notre pays. Peu à peu cependant, les peines corporelles, tendant à devenir générales, les lois sur le wergeld tombèrent en désuétude. On en trouve les derniers vestiges au XIVe siècle, dans une ordonnance du 3 mars 1356 ; mais, depuis longtemps déjà, l’argent tout seul ne rachetait plus les crimes et, avec l’affranchissement des communes, les compositions avaient tendu à disparaître.

Section II -  Des actions publique et civile
sous l’ancienne législation française ( 481 à 1789 )

Ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans un examen approfondi des différentes institutions criminelles qui, pendant plusieurs siècles, se sont succédé en France. Nous nous bornerons à en donner une esquisse rapide mais suffisante qui permette de saisir le point saillant de chaque institution, sans nous faire perdre de vue toutefois l’objet de ce chapitre, les conditions d’exercice de l’action civile et le développement progressif de l’action publique.

I

Après l’invasion des Gaules, les chefs de bandes germaines, devenus propriétaires d’immenses domaines, se trouvent investis à la fois d’un droit de propriété sur ces domaines et d’une sorte de droit de souveraineté qu’ils exercent dans l’étendue de leurs limites. C’est l’application sous une autre forme de la juridiction domestique des coutumes germaniques.

Époque mérovingienne. Sous les rois de la première race, on voit apparaître les ducs, marquis, comtes et barons, délégués par la royauté, qui réunissent dans la même main la puissance civile et militaire, commandent les armées et président à la distribution de la justice. Il y a pour ainsi dire en eux deux personnes distinctes : le délégué du souverain, ou fonctionnaire public, et le chef indépendant et possesseur de domaines.

Au-dessous d’eux, les viguiers ou vicomtes, les centeniers, les prévôts exercent les mêmes droits, mais avec des attributions plus restreintes.

Au-dessus de tous, le tribunal du roi : placitum palatii.

À époque fixe, des hommes libres, boni homines, appelés rachimbourgs, viennent de chaque cité rendre la justice au mallum du comte.

Le droit de juger est donc distinct du droit de justice ; le comte provoque les jugements, mais n’y prend aucune part.

Sous les rois de la seconde race (751-987), l’insouciance des ducs à tenir leurs assises et la négligence des rachimbourgs pour s’y rendre nécessite l’institution des missi dominici, envoyés royaux chargés de réprimer les écarts des juridictions locales, d’assurer le cours de la justice et de contraindre les juges à se conformer aux lois (ce fut sous Charlemagne qu’ils reçurent leur plein et entier développement).

Puis, nous voyons apparaître les scabins, scabini, juges permanents (à la différence des rachimbourgs, juges temporaires), élus par le comte avec le concours du peuple et qui, peu à peu, se substituent aux rachimbourgs, sans toutefois leur enlever le droit de siéger dans les plaids (placita).

Nous sommes au Xe siècle, et déjà l’on peut apercevoir les premiers résultats du travail de la société féodale. Les descendants des anciens chefs francs profitent des troubles de cette époque et de l’abaissement de l’autorité royale pour étendre leur puissance. Les ducs, comtes, barons, affranchis de toute tutelle, règnent en souverains dans l’étendue de leurs domaines sous le nom dérisoire de grands vassaux, et deviennent les chefs naturels des serfs, des bénéficiaires et des colons qui couvrent ces domaines.

La justice criminelle est transférée aux justices patrimoniales. Mais, par suite de la nouvelle division du sol, les juridictions publiques des comtes, vicomtes et autres  envoyés royaux subissent à leur tour une transformation.

En effet, les mâls publics sont étouffés par le développement du servage et de la vassalité, car les serfs ne sont justiciables que de la juridiction patrimoniale de leur maître, et les vassaux ont fait prévaloir ce principe que nul ne peut être jugé que par ses pairs : or leurs pairs sont à la Cour du seigneur. Il ne reste donc comme juges, et comme justiciables des plaids publics que les hommes libres dont le petit nombre, diminuant tous les jours, finit bientôt par disparaître avec les derniers vestiges des anciennes juridictions royales (nous verrons bientôt se reconstituer sous une nouvelle forme les justices royales à côté des justices seigneuriales et, à mesure que le pouvoir royal ira grandissant, elles prendront une influence prépondérante).

Ainsi, la puissance judiciaire, transportée tout entière aux justices patrimoniales, se trouve concentrée entre les mains des grands propriétaires. Justice et propriété sont alors synonymes ; la justice est attachée à la possession de la terre, c’est un privilège du sol.

Onzième et douzième siècles. Organisation des justices seigneuriales. Cependant, à côté de ce premier principe s’en développe bientôt un second. Partout, à côté des droits du propriétaire, on trouve les droits du seigneur, le fief et le droit de justice. Ces deux principes, d’abord confondus à l’origine par la force des choses (car le propriétaire et le seigneur ne formaient qu’une même personne), ne tardent pas à se dégager l’un de l’autre, et l’on arrive à distinguer bientôt les hautes, moyennes et basses justices qui ont joué un si grand rôle dans l’organisation féodale.

De plus par suite de circonstances diverses, telles que les désastres des guerres publiques ou privées les folles entreprises militaires ou les enthousiasmes généreux comme les Croisades, certains propriétaires ruinés se voient obligés d’aliéner tout ou partie de leur domaine. Mais ils en conservent le domaine direct, les droits de justice ; le seigneur servant reste justiciable de leurs assises. Ainsi s’explique la vieille maxime : Fief et Justice n’ont rien de commun ; c’est-à-dire que celui qui veut donner une terre en fief, peut en conserver le droit de justice ; comme au contraire la justice peut s’exercer sans qu’il y ait de terre à laquelle elle soit annexée.

Juridictions ecclésiastiques. Enfin, l’indépendance de l’Église se trouvant peu à peu menacée par les innombrables juridictions qui envahissent le territoire, celle-ci s’affranchit graduellement de la juridiction commune et attire à elle tous les procès qui concernent les clercs.

Ainsi s’établit le privilège de cléricature ; et les juridictions ecclésiastiques prennent tout à coup un immense développement.

II

Des actions publique et civile du onzième au dix-septième siècle. Au XIIe siècle, les lois germaniques ont donc disparu, cependant la justice criminelle est encore soumise à peu près aux mêmes règles. Pendant les siècles qui précèdent, des modifications ont été introduites (ainsi aux compositions ont succédé les supplices), des innovations de détail se sont fait jour, mais le principe est resté toujours le même. C’est la plainte de la partie lésée qui provoque la réparation du dommage et son châtiment. Si l’autorité intervient, c’est pour prendre sa part d’indemnité.

Devant les placita des comtes, devant les justices seigneuriales, le droit d’accusation appartient toujours et exclusivement à la partie lésée. Seulement elle peut, ou se porter elle-même partie au débat, ou dénoncer le crime ; et alors apparaît une première transformation dans le mode de poursuite.

En effet, l’idée du châtiment public, de la répression sociale s’est développée. D’un autre côté, souvent la partie lésée hésite à se charger du fardeau de l’accusation, car elle craint d’encourir la grave responsabilité qui pèse sur les accusateurs, responsabilité qui quelquefois s’élevait jusqu’à la peine du talion ; elle se borne alors à dénoncer le crime sans remplir les formes de l’accusation ; de là un changement inévitable dans le mode de poursuite, et comme à Rome dans les mêmes circonstances, la poursuite d’office devient un mode régulier de procédure.

Quand le délit est clers et appert, c’est-à-dire flagrant et notoire, il peut être vengé par l’office du juge (écrit Beaumanoir)).

Quand le crime est dénoncé par la partie lésée, cette dénonciation produit les mêmes effets que la notoriété ou le flagrant délit.

C’était une conséquence forcée de l’inertie des citoyens, qui, endormis dans une indolence égoïste, cessaient de se dévouer aux accusations publiques ou en redoutaient les dangers.

Institution du ministère public. Mais cette poursuite d’office, restreinte à un petit nombre de crimes, dut paraître bientôt insuffisante à la protection de l’intérêt public. Aussi , tant par son insuffisance que par son développement, elle conduisit à l’institution du ministère public.

Les origines de cette institution sont restées obscures.

Au XIIIe siècle, elle n’existait pas encore.

Au milieu du XIVe siècle, nous la trouvons en pleine vigueur sans qu’on puisse lui assigner un point de départ bien défini, ou désigner aucun monument législatif qui lui ait donné naissance.

Il ne pouvait guère en être autrement.

L’institution du ministère public n’est pas née d’une conception soudaine, mais avec l’aide du temps, par le développement de fonctions analogues. D’ailleurs, « il était bien impossible qu’il y eût des accusateurs publics, dans un temps où toutes les questions de fait et de droit et surtout les procès criminels se décidaient par la voie des armes. Qui eût voulu se charger d’un ministère qui l’eût obligé d’entrer en champ clos avec tous les accusés ? » (Henrion de Pausey).

Mais lorsqu’au XIIIe siècle, l’action de plus en plus prépondérante de la royauté abat tour à tour les Cours féodales et les Cours d’Église ; quand le pouvoir central, poursuivant son œuvre d’unification, a fait admettre partout ces paroles de Beaumanoir, un peu prématurées peut-être lorsqu’il les écrivait : Le roi est souverain par-devers tous, et a, de son droit, la garde générale de son royaume, par quoi il peut faire tous établissements, comme il lui plaît pour le commun profit, et ce qu’il établit doit être tenu. Alors on ne s’étonne plus de rencontrer une partie publique qui prenne en mains les intérêts de la société, dont le Roi est le représentant, et réprime les crimes qui troublent son repos.

De grandes incertitudes règnent, disions-nous, sur le point de départ de l’institution du ministère public.

On est cependant généralement d’accord pour en trouver l’origine dans les attributions des Procureurs royaux ou Gens du roi.

Il est tout d’abord un fait incontestable, c’est qu’au XIVe siècle on rencontre en plein exercice, une partie publique avec tous ses caractères.

Ainsi, écrit Faustin-Hélie : Le Procureur du roi doit poursuivre un fait puni par les ordonnances, lors même que la partie lésée ne poursuit pas. Il donne des conclusions sur la répression de tous autres délits. Il ne doit entamer des poursuites contre les accusés qu’autant que les faits sont établis et qu’une information a été même commencée. Enfin les procès dans lesquels il s’est porté partie ne donnent lieu, à aucuns remboursements de dépens, lors même qu’ils sont dénués de fondement.

II est impossible de méconnaître dans ces attributions les caractères qui constituent le ministère public ; voyons donc comment peu à peu ces principes se sont développés.

Les anciennes Justices royales avaient disparu, avons-nous dit, étouffées par le développement progressif de l’organisation féodale et par l’établissement des Justices seigneuriales.

Chaque seigneur avait placé à la tête de ses provinces des viguiers, des prévôts, des vicomtes, etc., chargés de rendre la justice ou d’en assurer la bonne exécution.

Le Roi, outre son droit de suzeraineté sur les domaines des grands vassaux, avait ses domaines particuliers, dans lesquels il plaçait lui aussi, à la tête des justices, comme les seigneurs eux-mêmes, des prévôts et des vicomtes.

Vers la fin du XIIe siècle, les provinces de la couronne furent divisées en gouvernements distincts sous le nom de baillages. Le bailli (gardien), appelé aussi sénéchal dans quelques provinces du Midi, était un officier, homme d’épée, chargé tout à la fois de rendre la justice et sauvegarder les droits du Roi.

Investis d’une haute surveillance sur les prévôts et sur les autres officiers inférieurs, les baillis rappelaient sous plusieurs rapports par leurs diverses attributions les missi dominici de la seconde race.

Ils allaient de prévôté en prévôté, surveillant l’administration de. la province, réformant les abus, destituant les prévôts et les sergents indignes inspectant même les justices seigneuriales à mesure que l’autorité royale pénétrait dans les diverses provinces, et représentant le roi partout où celui-ci avait des intérêts à défendre ; c’est ainsi qu’ils inventaient les cas royaux, et l’introduction de l’appel leur ménageait le moyen de connaître même des cas ordinaires.

Peu à peu cependant, l’institution change de physionomie.

Les baillis, en effet, ne pouvaient suffire à poursuivre le recouvrement de tous les droits royaux ; et il leur était interdit de figurer, comme partie au nom du roi, dans des procès dont ils connaissaient comme juges.

Ils durent donc s’adresser à des procuratores.

Ces procureurs formaient une classe nombreuse d’agents d’affaires qui prenaient la mission de représenter les parties devant la justice.

Les seigneurs ne pouvant faire valoir, par eux-mêmes, leurs droits, privés ou fiscaux, lorsqu’ils étaient contestés, avaient dû charger des tiers de ce soin.

Quand les baillis et sénéchaux devinrent insuffisants, les rois eurent aussi leurs procureurs, procuratores regis, et les baillis furent autorisés à déléguer leurs fonctions à des lieutenants, pourvu qu’ils missent à leur place prud’homnesidoines est suffisants et qui soient hors de mauvais soupçons.

Insensiblement cette délégation passa dans les mœurs, les baillis et sénéchaux ne conservèrent plus qu’un vain titre ; puis le titre suivit la fonction, et le tout passa à leurs lieutenants.

C’est ainsi que les légistes, adonnés à l’étude des lois écrites et des coutumes, s’emparèrent peu à peu de ces juridictions, et devinrent seuls maîtres de l’administration de la justice. Aux hommes d’épée succédaient les hommes de robe.

D’un autre côté, aux hommes féodaux et aux bonnes gens qui venaient siéger aux assises des baillages, furent substitués peu à peu des praticiens et des juges permanents. Ce furent encore les légistes qui successivement prirent la place de ces hommes jugeurs. Aux assises temporaires avaient succédé les tribunaux permanents ; ajoutons que les formes publiques de l’accusation ne tardèrent pas à être remplacées par une procédure plus compliquée mais plus discrète, la procédure inquisitoriale.

Or, en même temps qu’ils dirigeaient la justice et siégeaient comme juges, les baillis et par extension les procureurs, étaient les hommes d’affaires, les gens du Roi, gentes nostrae.

Comme jadis les procureurs fiscaux du temps d’Auguste, ils étaient chargés de la conservation et de l’administration des domaines. Ils passaient les baux des fermes, vendaient les récoltes, percevaient les revenus, et surtout poursuivaient le montant des condamnations judiciaires, une des branches les plus importantes des revenus royaux.

Ces procureurs, obligés par leur mandat de contrôler les actes de la justice pour maintenir les prérogatives de la couronne, s’immiscèrent peu à peu dans son administration.

Touchant eux-mêmes une prime sur chaque somme qu’ils faisaient rentrer au Trésor, ils surveillèrent avec soin l’exécution des lois, la conduite des juges, les actions des citoyens. Bientôt même dénonçant les crimes aux magistrats compétents, ils s’en constituèrent les vengeurs au nom du roi, devenu le seul représentant de la société, et, se trouvèrent ainsi les protecteurs naturels de l’ordre public.

Dès lors, il y eut des officiers publics chargés de la vindicte sociale.

Au sommet de l’ordre hiérarchique, se trouvaient les Procureurs généraux qui exerçaient leurs fonctions près des Cours supérieures.

Puis les Procureurs du roi, attachés d’abord aux baillages et aux sénéchaussées ; puis, successivement aux autres sièges royaux.

Enfin les Procureurs fiscaux attachés aux justices seigneuriales.

Toutefois les juges conservèrent la plus grande part de leurs attributions, et tout en ne pouvant plus, il est vrai, continuer la procédure jusqu’à son entière instruction, sans le concours de la partie publique dont les conclusions durent précéder les décrets et les élargissements, ils maintinrent le droit de commencer la poursuite d’office sans le concours d’aucune partie. En effet : Si les juges ne pouvaient suppléer aux fonctions des Procureurs du roi ou fiscaux, ceux-ci eussent été entièrement les maîtres de faire ou non des poursuites et de laisser des crimes impunis (Jousse). De là l’ancienne maxime « Tout juge est procureur général » c’est-à-dire que les juges étaient investis de plein droit, lorsque l’intérêt public l’exigeait des fonctions du ministère public et pouvaient en conséquence informer d’office. Toutefois, il faut remarquer que ce principe n’était pas d’une application générale ; car hors le cas de flagrant délit, ou d’une dénonciation, le juge ne peut informer d’office, quoique le Procureur du roi ou fiscal le puisse par voie de plainte, parce que le juge ne peut en même temps être plaignant et juge, ce qui renferme deux qualités incompatibles (Jousse).

En somme, vers la fin du XVIe siècle, les attributions de la partie publique peuvent se résumer ainsi. Elle poursuit les crimes, elle accuse, elle réunit les preuves, elle requiert l’application de la loi, elle représente en un mot l’intérêt social, et exerce l’action publique dans sa plénitude, mais elle ne l’exerce pas exclusivement.

Les juges peuvent toujours poursuivre d’office, et la partie lésée conserve le droit de provoquer la réparation des intérêts civils et la punition corporelle.

Cette procédure nouvelle, introduite par l’ordonnance de 1498, généralisée par les ordonnances de 1536 et de 1539, trouva son entier développement dans l’ordonnance de 1670.

Conditions d’exercice de l’action civile. L’action de la partie privée pouvait se traduire de trois manières distinctes, auxquelles correspondaient trois dénominations différentes.

« Nous distinguons, dit Muyart de Vouglans, trois sortes de parties privées : l’une que nous appelons partie civile, parce qu’en même temps qu’elle défère le crime à la justice, elle s’oblige à le poursuivre à ses frais, et à administrer les témoins et autres preuves nécessaires pour parvenir à faire condamner l’accusé à la réparation du tort qu’elle a souffert de son crime. L’autre, qui s’appelle simplement plaignant, parce qu’elle se contente de déférer simplement le crime à la justice, par une plainte qu’il en rend, sans vouloir l’obliger à le poursuivre à ses frais. Mais il faut pour que ce plaignant puisse s’exempter d’avancer les frais, qu’il n’ait point déclaré se rendre partie civile, soit par la plainte, soit par un acte subséquent. Enfin une troisième espèce de partie privée, est celle connue sous le nom de dénonciateur, parce qu’il ne veut point paraître ouvertement, ni comme partie civile, ni comme plaignant, mais qu’il se contente de provoquer la partie publique en lui donnant avis du crime, pour qu’il en fasse la poursuite en son nom ».

Un procès criminel pouvait prendre naissance également par trois voies différentes : Il y avait la plainte (que les parties se portent partie civile ou non), l’accusation et la dénonciation. Nous avons vu ce qu’étaient la plainte et la dénonciation.

L’accusation était le nom donné à la plainte formée par la partie publique, seul et véritable accusateur, pouvant seul conclure à la peine que mérite le crime.

Cette accusation se faisait par une requête ou réquisitoire de la partie publique, et pouvait avoir lieu dans trois cas différents :

Le premier était lorsque cette partie publique rendait plainte d’office et sans y être excitée par la dénonciation de qui que ce fut, comme lorsqu’il s’agit du flagrant délit, ou de la rumeur publique ;

Le second était celui de la dénonciation dont nous avons parlé ;

Le troisième enfin, était celui du désistement que la partie privée aurait fait de la plainte.

La partie publique est alors tenue d’y suppléer et de reprendre la poursuite en son nom.

Le juge pouvait bien, lui aussi, entamer d’office, dans certains cas, un procès criminel ; mais il devait donner communication au ministère public et requérir ses conclusions.

Les magistrats, chargés de la partie publique, étaient tenus de poursuivre les crimes capitaux et toutes les infractions qui, troublant l’ordre et la tranquillité publique, étaient punies de peines publiques et exemplaires, sauf certains crimes réservés, qui, regardant principalement l’honneur et l’intérêt particulier des familles, ne pouvaient être poursuivis sans le concours de la partie privée. À l’égard des crimes qui n’entraînaient pas une peine afflictive ou infamante, ils restaient dans le pouvoir de la partie privée, qui pouvait ou les poursuivre ou transiger.

Si la partie civile avait, la première, dénoncé le fait à la justice, la partie publique pouvait, intervenir, joindre son action à celle de la partie civile ; mais celle-ci conservait toujours le premier rang : elle était partie principale ; c’était elle qui dirigeait l’instruction, qui requérait l’application de la peine.

Si c’était la partie publique qui avait mis l’action en mouvement, la partie civile pouvait encore se joindre à l’action intentée quand elle avait à le faire. Et dès lors, elle devenait en quelque sorte partie principale. La poursuite, dès ce moment, se faisait en son nom, quoique la partie publique continuât de rester en cause pour la vengeance publique. C’était elle aussi qui devait faire tous les frais du procès contre l’accusé.

L’exercice de l’action civile, longtemps obligatoire, était devenu facultatif depuis l’ordonnance de 1560.

Procédure. Le premier acte de la procédure était l’information, dont l’objet était de recueillir les charges.

Les dépositions des témoins, recueillies par le greffier, étaient déposées au greffe.

Puis une ordonnance du juge autorisait la publication des lettres monitoires émanées des juges d’Église et prescrivant à tous ceux qui en auraient connaissance de dénoncer le crime.

L’information, achevée, devait être communiquée aux gens du roi, qui étaient tenus de donner, dans les trois jours, leurs conclusions tendant, suivant les cas, à l’élargissement de l’accusé, ou à son renvoi à l’audience ou à la délivrance d’un décret (le décret était un jugement préparatoire qui ordonnait que l’accusé serait soit seulement assigné pour être ouï, soit ajourné à comparaître en personne, soit pris au corps et constitué prisonnier).

L’accusé devait être interrogé dans les vingt-quatre heures.

L’interrogatoire était communiqué au procureur du roi et à la partie civile pour avoir leurs conclusions.

Puis, suivant la gravité des cas, le procès était converti en procès ordinaire, c’est-à-dire en procès civil ou réglé à l’extraordinaire.

La conversion du procès en procès civil avait lieu lorsque les juges pensaient que le fait n’était pas passible de peines corporelles ou infamantes. Dans le cas contraire, il était procédé au règlement à l’extraordinaire.

L’instruction procédait alors par récolements et confrontations, puis les pièces communiquées aux procureurs du roi donnaient lieu à de nouvelles conclusions tendant, soit à l’application immédiate de la peine, soit à l’absolution de l’accusé, soit à une mesure interlocutoire.

À ce moment de la procédure, la partie civile faisait signifier à l’accusé la requête de ses conclusions civiles, à laquelle celui-ci pouvait répondre par une requête d’atténuation.

La procédure était ensuite portée devant le tribunal ou la Cour où l’accusé était admis à faire valoir ses moyens de défense.

Si les faits justificatifs allégués paraissaient sérieux, les juges pouvaient ordonner une enquête. Mais à l’inverse, lorsque, malgré de fortes présomptions, l’accusé refusait de faire l’aveu de sa culpabilité, on lui appliquait la question. On sait quel abus il a été fait de ces terribles supplices.

Enfin, la procédure arrivait devant les jugés réunis en chambre du conseil, pour rendre leur jugement définitif. Et, après un rapport de l’affaire par l’un d’eux , un nouvel examen des preuves et un dernier interrogatoire de l’accusé, la sentence était rendue.

Tels furent les principes qui régirent l’action civile jusqu’en 1789. La Révolution devait apporter des changements considérables, mais depuis longtemps reconnus nécessaires, dans cette partie de l’administration de la Justice.

Section III -  Des actions publique et civile
dans le droit intermédiaire ( 1789-1810 )

L’Assemblée Constituante, par un décret du 11 août 1789, avait décidé que l’ordre judiciaire serait l’objet d’une constitution nouvelle.

Les défiances auxquelles étaient en butte la royauté et la magistrature devaient rejaillir naturellement sur l’institution du ministère public, qui en était l’émanation directe.

Tout le monde fut à peu près d’accord pour conserver l’institution, mais de longues et ardentes discussions se produisirent pour savoir comment ce magistrat serait choisi et institué. Nous devons les résumer brièvement.

Certains orateurs font valoir que le droit d’accusation, étant un droit populaire, appartient à chaque citoyen, qui peut l’exercer librement ; qu’il est à craindre qu’un homme nommé par le prince, qui tient son état du prince, qui attend du prince seul l’amélioration de cet état, ne soit plutôt l’homme de la Cour et du ministère que l’homme du peuple et du citoyen.

D’autres répondent que l’accusation publique n’a pour objet que l’exécution des lois, qu’elle rentre naturellement dans les attributions du pouvoir exécutif, qui seul représente la société ; qu’il faut, pour réfréner toutes les violations de la loi, une action puissante et indépendante des intérêts particuliers ; que cette action ne peut être exercée que par le pouvoir exécutif, qui seul peut lui imprimer une unité nécessaire et une active impulsion, etc., etc.

Alors une grande hésitation s’empare des esprits. L’Assemblée commence d’abord par déclarer que le droit d’accusation, tout en étant, il est vrai, un des attributs de la souveraineté nationale, doit être délégué par le peuple au pouvoir exécutif, chargé de veiller à l’exécution des lois, et qui ne peut remplir cette tâche sans coopérateurs, surtout sans coopérateurs choisis par lui.

En conséquence, les officiers du ministère public seront nommés par le roi ; toutefois, ils seront inamovibles et indépendants.

Mais l’Assemblée revient bientôt sur cette première décision, et, divisant les fonctions du ministère public en deux parts, elle attribue, l’une à un agent nommé par le peuple : ce fut l’accusateur public ; l’autre à un agent nommé par le roi.

Bien plus, elle charge les juges de paix, dans chaque canton, de la police de sûreté, ce qui réunit entre leurs mains trois attributions distinctes la recherche, la poursuite et l’instruction des infractions à la loi.

En même temps, à côté des officiers de police chargés de rechercher et de constater les crimes et les délits par une instruction préparatoire, la loi établit comme droit de chaque citoyen la dénonciation du tort personnel ou plainte dont l’exercice associe le plaignant à l’instruction, l’oblige à produire des témoins, le fait participer à la rédaction de l’acte d’accusation de concert avec le directeur du jury, et lui donne le droit, en cas de dissidence, de rédiger un acte séparé et de le présenter directement au jury d’accusation qui doit statuer. Si l’accusation est admise, le plaignant intervient dans les débats par audition de témoins et par observation.

D’un autre côté, tout homme, témoin d’un attentat soit contre la liberté et la vie d’un autre homme, soit contre la sûreté publique ou individuelle, était tenu d’en donner avis à l’officier de police du lieu du délit. C’était la dénonciation civique.

Ainsi les parties lésées. et les citoyens témoins d’un crime avaient deux droits distincts, celui de provoquer une information et celui d’intervenir dans le cours de cette information pour en surveiller la marche et concourir à son succès.

Tel fut sur ce point l’ensemble général de la loi des 1629 septembre 1791 sur la procédure criminelle. Mais ce système, trop compliqué pour être efficace, manquait d’unité et par suite d’énergie. Aussi ces institutions n’eurent pas une longue durée.

Par un décret de la Convention nationale en date du 20 octobre 1792, les commissaires nationaux près les tribunaux criminels sont supprimés, et leurs fonctions attribuées aux accusateurs publics.

Puis, la Constitution du 5 fructidor an III les rétablit et divise de nouveau les fonctions du ministère public entre l’accusateur public et les commissaires du Directoire exécutif.

Le Code des délits et des peines du 3 brumaire an IV consacra cette distinction. Il mérite quelques développements.

Tout en reproduisant, sauf quelques changements, la législation de 1791, ce Code est lui-même un traité complet d’instruction criminelle.

« Expression généreuse de la philosophie sociale la plus avancée, ce Code, écrit avec une clarté élégante, et dont chaque disposition portait pour ainsi dire sa raison d’être en   elle-même » (écrivitt Mignet) contient 646 articles, et était l’oeuvre personnelle du grand jurisconsulte Merlin. Il fut voté en deux séances par la Convention qui l’adopta de confiance.

Une chose frappe tout d’abord ; c’est la séparation complète de la justice criminelle et de la justice civile. À peine si ces deux juridictions ont de rares points de contact ; chacune d’elles a son organisation à part et son personnel tout à fait distinct.

Le mode de plainte et d’intervention de la partie lésée est à peu de chose près le même que dans la loi de l’Assemblée Constituante, et bien que son action soit réduite à ses intérêts civils, elle participe encore à la poursuite d’une façon active et directe.

De plus c’est pour la première fois, que la distinction entre l’action publique et l’action civile est nettement établie. Dans des dispositions préliminaires, rappelant les principes sur lesquels reposaient à la fois la protection sociale et la sécurité individuelle, on lit :

Art. 4 : Tout délit donne essentiellement lieu à une action publique ; il peut aussi en résulter une action privée ou civile.

Art. 5 : L’action publique a pour objet de punir les atteintes portées à l’ordre social ; elle appartient essentiellement au peuple. Elle est exercée en son nom par les fonctionnaires spécialement établis à cet effet.

Art. 6 : L’action civile a pour objet la réparation du dommage que le délit a causé. Elle appartient à ceux qui ont souffert ce dommage.

Il est à remarquer que la distinction faite auparavant et reprise depuis entre le plaignant et la partie civile n’avait pas été maintenue dans le nouveau Code. On y rencontre constamment l’une ou l’autre expression indifféremment employée.

Mais bientôt, la réaction opérée par le gouvernement consulaire au profit du pouvoir central, commence à se faire sentir, et, à l’inverse de ce qui s’est passé en 1792, les accusateurs publics sont supprimés par la loi du 22 frimaire an VIII, puis leurs fonctions attribuées à l’ancien commissaire du Roi (alors commissaire du gouvernement), qui eut ainsi la direction absolue des magistrats du ministère public.

La loi du 7 pluviôse an IX, vient à son tour enlever aux juges de paix une partie de leurs attributions, la recherche et la poursuite, pour les confier dans chaque arrondissement à un substitut du commissaire du gouvernement qui, sous le nom de magistrat de sûreté, aura pour mission de rechercher les délits et de les poursuivre comme partie publique.

Enfin les jugements rendus d’abord au nom de la nation (Décret du 15 août 1792, art. 7), ensuite au nom du peuple français (Constitution du 24 juin 1793, art. 61), puis au nom de la République (Constitution du 5 fructidor an III, art. 130), sont rendus, à partir du 28 floréal an XII, « au nom de l’Empereur, par les officiers qu’il institue. »

Dès lors, l’action publique est bien réellement une des attributions du pouvoir exécutif. Il en est la source unique ; lui seul peut donner à cette action l’impulsion nécessaire et la déléguer à ses agents.

Les rédacteurs du Code actuel [de 1808] ne firent que reprendre ces idées pour les étendre ou les modifier.

Répudiant les imperfections de la loi de brumaire an IV, qui étaient la conséquence inévitable des théories alors dominantes ; repoussant également ce qu’il y a de philosophique dans ses déclarations, ils lui empruntèrent toutefois une partie considérable de sa procédure, et s’approprièrent, en la précisant mieux, la distinction déjà faite entre l’action civile qu’elle laisse à la partie lésée, et l’action publique au seul ministère public.

Cependant la partie lésée peut encore exercer une influence considérable quoique moindre sur l’action publique ; mais on établit une distinction entre les matières correctionnelles et les matières criminelles. En matière correctionnelle, elle met nécessairement l’action publique en mouvement, car elle saisit les juges par sa citation directe ; de sorte que ceux-ci peuvent prononcer une peine même en dehors des réquisitions du ministère public. En matière de grand criminel, elle n’a que le droit de plainte ; mais, en se constituant partie civile, elle joue un rôle important dans l’accusation, comme nous le verrons dans la suite de ce travail.

En résumé, l’action publique et l’action civile, confondues à Rome comme à Athènes, se sont peu à peu dégagées l’une de l’autre à mesure qu’elles se rapprochaient de l’époque moderne. Aujourd’hui elles sont régies par des règles distinctes. Mais comme un même fait peut leur donner naissance, il arrive nécessairement qu’elles se rencontrent, se touchent et se confondent encore quelquefois.

Ces effets ont été prévus par le législateur dans le Code d’instruction criminelle et réglés d’une manière spéciale.

Signe de fin