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LES DIVERS TYPES
DE PROCÉDURE PÉNALE

par René Garraud
Extrait du « Traité de l’instruction criminelle » ( Paris 1907 )

La science criminelle connaît deux types extrêmes de procédure :
la procédure accusatoire où le juge se borne à arbitrer
le combat que se livrent l’accusateur et le défendeur ;
la procédure inquisitoire où le juge remplit un rôle actif
principalement orienté vers la recherche de la vérité.

Depuis des siècles elle s’efforce de bâtir un système mixte,
qui vise à permettre la recherche de la vérité
dans le respect des droits de l’accusateur et du défendeur.

7. L’histoire de la civilisation présente, au point de vue de l’organisation et de la procédure répressives, un nombre limité de combinaisons ; elles naissent successivement, dans un ordre historique qui correspond assez exactement à l’ordre logique de leur apparition. On distingue, en effet, trois types fondamentaux de procédure : le type accusatoire, le type inquisitoire, le type mixte. Chez presque tous les peuples, le droit criminel est parti de la procédure accusatoire pour aboutir à la procédure inquisitoire (1).

Mais une évolution en sens inverse se dessine : partout, on tend à rétablir les garanties essentielles du système accusatoire, la publicité et la contradiction. La seule institution du système inquisitoire qui ait défié les critiques et qui soit plus puissante et plus générale que jamais est celle du ministère public.

8. Le système accusatoire a deux caractères principaux. Il correspond à la notion élémentaire du procès pénal qui n’est, tout d’abord, qu’un combat simulé entre deux adversaires, combat auquel le juge met fin en donnant tort à l’un ou à l’autre. Il implique, au début, la confusion des deux procédures, pénale et civile, lesquelles, engagées l’une et l’autre par action privée, se déroulent primitivement, dans les mêmes formes, devant les mêmes juges et tendent à obtenir les mêmes satisfactions

Peu à peu, sans doute, l’opposition des objets réclamés amène, malgré l’identité des parties engagées dans l’instance, la séparation graduelle entre les procédés de l’instance pénale et ceux de l’instance civile. Mais dans le système accusatoire, la différence entre ces deux procès n’est jamais absolue et il y a réaction incessante de la peine sur l’indemnité et de l’indemnité sur la peine.

Voici quels sont les principes qui forment le fond de ce système de procédure.

9. L’accusation est librement exercée par tout citoyen, mais il n’y a pas de procès pénal sans un accusateur qui en prend l’initiative et la responsabilité. À ce point de vue, du reste, la mise en marche de la procédure appartient, tout d’abord, à la partie lésée ; plus tard, quand le besoin et l’intérêt social de la répression se font sentir et que le droit pénal se détache du droit privé, on reconnaît, à tout membre du groupe dont fait partie la victime, la faculté de commencer la poursuite au nom de la collectivité. C’est le système de l’accusation populaire. On comprend ainsi, arrivé à cette période de la civilisation juridique, que l’accusation est une fonction sociale ; mais on ne crée pas, pour l’exercer, des organismes permanents et officiels.

Cette évolution des conceptions juridiques est le point de départ de la séparation qui ira, grandissante, entre les procédures pénale et civile. Dans les procès criminels, la société paraît intéressée à les intenter et à les poursuivre. Il n’est pas au pouvoir de la victime d’un délit ou de ses concitoyens, sans le secours de la force publique, d’empêcher que le mal­faiteur, enhardi par l’impunité, ne commette bientôt de nouveaux crimes.

L’exercice de l’action sociale ou publique se justifie donc en matière criminelle : mais il serait inefficace ou excessif en matière civile. Sans doute, il peut être utile, au point de vue social, que la propriété soit respectée, les contrats maintenus, les préjudices réparés. Mais le moyen le plus sûr, pour atteindre ce résultat, est de laisser la liberté aux particuliers en leur donnant accès devant les tribunaux pour y débattre et y faire reconnaître leur droit (2). L’action civile est donc exercée au nom de l’intérêt privé ; l’action pénale, au nom de l’intérêt public. Dans l’une, l’initiative du procès doit appartenir exclusivement à la partie qui se plaint d’un tort personnel ; dans l’autre, au représentant de l’intérêt général. Cette distinction devient fondamentale dans tout système de procédure.

Le jour où cette évolution est accomplie, la procé­dure criminelle présente les caractères suivants : - Recherche et poursuite des faits délictueux par les représentants de la société ; - Jugement par les représentants de la société ; — Peine publique.

Mais, avant d’aboutir à cette conception, qui est celle des peuples civilisés, bien des étapes sont successivement par­courues.

10. Les coutumes primitives ont un minimum d’exigence et d’idéal : elles se contentent d’éviter, dans la mesure du possible, le recours à la force brutale. Elles se considèrent comme ayant remporté une grande victoire sur l’instinct de la vengeance individuelle, quand elles ont imposé à l’offensé l’obligation de respecter certaines formes et certains délais dans l’exercice de son droit, et l’ont contraint, en cas de doute, à se soumettre à un arbitrage (3). C’est que, en effet, le juge est, à l’origine, un arbitre de combat ; il doit être choisi ou, tout ou moins, accepté par les deux parties. Aussi, retrouve-t-on, chez presque tous les peuples qui pratiquent le système accusatoire, soit le principe du jugement par les pairs de l’accusé, soit l’absence d’une procédure par défaut.

La première institution, le jugement par les pairs de l’accusé, par les hommes de sa tribu et de sa race, a toujours été considérée, dans les sociétés primitives, comme la meilleure garantie d’une justice impartiale ; elle porte le procès devant des arbitres, sans prévention, qui le jugeront souverai­nement, sous la seule inspiration de leur raison et de leur conscience. Des deux questions de fait qui se posent dans le procès pénal, l’une, la question de savoir si l’accusé est l’auteur du crime, a le caractère d’une question de conviction, l’autre, celle de savoir dans quelle mesure l’accusé en est moralement responsable, est une question de dosage de culpabilité : des juges populaires sont en état de les résoudre l’une et l’autre. La solution de ces questions n’exige pas, en effet, des connaissances juridiques spéciales.

La nécessité de la présence des parties dérive, à l’origine, du caractère même du procès, qui est une lutte simulée : tout combat suppose, en effet, la présence de deux combattants. Peu importe qu’il n’y ait plus qu’un symbole. La forme l’emporte sur le fond. Plus tard, une autre idée se mêle à la première et donne, à cette règle des droits primitifs, une nouvelle justification : le juge est un arbitre, il doit être accepté, tout au moins tacitement, pour être régulièrement constitué dans son pouvoir. La grande préoccupation à cette époque, c’est de contraindre l’accusé à subir le jugement : la mise hors la loi du défendeur récalcitrant est le procédé énergique dont on se sert dans ce but, à défaut de tout moyen direct de contrainte, et vu l’impossibilité de rendre le jugement. L’accusé qui ne se présente pas est traité en « out-law » et non en condamné (4).

11. Le juge, dans le système accusatoire, ne peut procéder, de sa propre initiative, ni pour se saisir, ni pour s’éclairer ; son rôle consiste à répondre aux questions qui lui sont posées, à examiner les preuves produites devant lui, et à se décider sur ces preuves. Il assiste en témoin à la lutte ; il dirige le combat pour qu’il soit et reste loyal ; il dit quel est le vainqueur : mais, à aucun moment de la procédure, il ne prend un rôle actif, soit pour poursuivre, soit pour enquérir.

L’instruction a trois caractères essentiels : elle est contradictoire, orale, publique. Les adversaires sont mis en présence dans un débat qui a lieu au grand jour. Chacun d’eux produit librement ses moyens de preuve, et l’instance ressemble à un duel à armes égales et loyales.

12. Les procédés employés pour rechercher l’auteur d’un crime et démontrer sa culpabilité sont en rapport direct avec les préjugés ou, si l’on veut, avec les croyances de l’époque.

L’effort principal de la poursuite porte sur la constatation du flagrant délit : dans les procédures primitives, le flagrant délit apparaît, en effet, comme l’hypothèse normale de la répression : le sentiment de vengeance, qui inspire la pénalité, est, dans ce cas, plus ardent ; la culpabilité, qu’il faut établir, est alors moins douteuse.

Hors le cas de flagrant délit, si l’accusé n’avoue pas, c’est à lui, par un renversement de la preuve, qu’il appartient d’affirmer son innocence, en prêtant le serment juratoire, et en le faisant appuyer par le nombre de cojureurs que fixe la coutume. C’est là le mode de preuve normal ; il constitue un droit pour l’accusé : mais il peut être écarté dans certains cas, et alors interviennent des épreuves par lesquelles on fait appel au jugement de la divinité. Ces épreuves sont de deux sortes. Dans les unes, ne figure que l’une des parties, ordinairement l’accusé ; pour citer les plus répandues, c’est l’épreuve du fer rouge, celle de l’eau bouillante, celle de l’eau froide ; dans les autres, les deux parties jouent un rôle actif ; c’est le duel judiciaire et l’épreuve de la croix (5).

Ce système n’est point spécial aux coutumes germaniques, il caractérise, non une race déterminée, mais un certain degré de civilisation (6). Dans la phase mythologique de l’esprit humain, on a questionné la divinité sur la culpabilité ou l’innocence, comme on la questionnait sur le sort d’une bataille. Il y a correspondance, à ce point de vue, entre les idées et les institutions. Le même esprit qui permet à la divination par les augures et les sorciers de se répandre, conduit à l’usage et à la diffusion de l’instruction criminelle par les ordalies (7) et le combat judiciaire (8).

13. Le système accusatoire, précisément parce qu’il symbolise et régularise le combat primitif, apparaît tout d’abord dans l’histoire de la civilisation juridique. On en retrouve l’origine dans les législations orientales ; on le voit prendre une forme précise dans les législations grecque et romaine ; puis décliner et disparaître avec la liberté, au temps du Bas-Empire. Après la chute du monde romain, nous le retrouvons, avec des formes grossières et rudes, organisé par les coutumes germaniques et féodales ; et tandis que, à l’époque moderne, il disparaît sur le continent européen, il se conserve en Angleterre et aux États-unis (9).

C’est en Angleterre que, dès la fin du XVIIIe siècle, l’Europe ira, par une sorte de retour ancestral, rechercher et retrouver le modèle de cette procédure archaïque, à laquelle on sacrifiera quelques-unes des meilleures créations du génie français, telles que le ministère public.

14. Le système de procédure dit inquisitoire est plus scientifique et plus complexe : il s’adapte, mieux que le précédent, aux nécessités de la répression sociale. Ses deux traits dominants sont, l’enquête secrète pour découvrir le coupable, et l’emploi de la question, pour obtenir son aveu. Mais ce type de procédure comprend un ensemble d’institutions appropriées, qu’il ne faut pas isoler, car elles s’expliquent les unes par les autres et se coordonnent les unes avec les autres.

15. La recherche et la poursuite du coupable ne sont plus abandonnées à l’initiative des parties privées. C’est le pouvoir social qui procède d’office aux actes nécessités par cette double fonction. Il crée des organismes pour enquérir, comme il en crée pour accuser. Sans doute, les institutions, qui correspondent à ces phases nécessaires du procès pénal, ne sont pas nées en un jour : leur origine est aussi obscure que leur développement est incertain. Nous ne prétendons constater ici que le point d’arrivée de l’évolution juridique : la transformation du caractère de l’instruction et de celui de la poursuite.

16. Un phénomène intéressant de l’évolution sociale et politique se produit d’abord quant au fait et au droit de juger. Ce qui était le droit et la fonction de tous devient le droit et la fonction de quelques-uns : le pouvoir de juger tend à se spécialiser. Il tend aussi à s’imposer. L’arbitre primitif change de caractère. Le juge, délégué par le pouvoir et non plus choisi par les parties, s’impose et ne se propose plus au délinquant : il devient le représentant du chef qui a seul le droit de rendre la justice. Son caractère change ainsi à un double point de vue.

- C’est un officier de justice, investi d’une fonction sociale, et choisi, à raison du caractère scientifique du procès pénal, parmi les hommes qui ont étudié les lois, les légistes.

- C’est un fonctionnaire permanent, chargé de juger tous les procès du même genre.

D’abord itinérants comme disent les textes, les juges se fixent plus tard dans certaines contrées qui deviennent ainsi des sièges de justice. C’est là que se créent et se développent, avec la jurisprudence, les sciences pénales. On recueille d’abord les coutumes; on les fixe par l’écriture. Des manuels de pratique judiciaire sont composés et servent de guides aux professionnels. Puis la science se crée, avec le développement de l’esprit d’observation et de critique.

17. L’examen du juge n’est pas limité aux preuves produites devant lui : le magistrat procède d’office, et suivant certaines règles, à l’instruction (inquisitio), c’est-à-dire à toute recherche de preuves admises par la loi.

Cette instruction, écrite et secrète, n’est pas contradictoire : le duel loyal entre l’accusateur et l’accusé est remplacé par l’attaque insidieuse du juge. Un nouveau moyen d’instruction, plus atroce peut-être mais plus logique que les ordalies, la torture, pénètre et s’infiltre, des cours supérieures de justice, jusqu’aux tribunaux inférieurs. L’aveu de l’accusé ayant acquis une influence prépondérante, la méthode par excellence pour arracher cette preuve, paraît être la question par le chevalet, le brodequin ou l’eau.

18. La torture est une institution d’origine romaine. Sans doute, sous la République et au commencement de l’Empire, les citoyens romains y échappaient. Seuls y étaient exposés : l’esclave quand il était accusé (10) ou simplement appelé en justice, et le provincial. Mais l’usage s’introduisit, aux premiers temps de l’Empire, de soumettre, à ce procédé d’instruction, les citoyens romains accusés de lèse-majesté. Puis, la torture devint d’une application si générale que les textes recommandent aux juges de ne pas commencer par là l’instruction et de recueillir d’abord des indices (11).

Il n’est donc pas étonnant que la diffusion de la torture coïncide, dans l’histoire moderne, avec l’exhumation du droit romain, à demi oublié, par les criminalistes de l’école de Bologne. C’est à partir de la fin du XIIe siècle, en effet, que la transformation de la procédure, par la substitution de la torture aux ordalies, commence à se manifester. Depuis lors, aucun pays de l’Europe n’a échappé à la contagion (12). A la fin du XIVe siècle, la torture est devenue d’un usage général. C’est, en quelque sorte, une des institutions fondamentales de l’ancienne procédure criminelle.

19. Deux institutions, destinées à limiter le pouvoir du juge, celle de l’appel et celle des preuves légales, trouvent leur origine dans la procédure inquisitoire dont elles forment deux traits caractéristiques.

L’appel est le droit de porter à nouveau, devant un juge supérieur, la cause déjà tranchée par le juge inférieur. La conception de l’appel est étrangère à la justice exercée par les pairs de l’accusé : elle répugne d’abord à la notion populaire de l’infaillibilité judiciaire ; si le premier juge a pu se tromper, pourquoi le second ne se tromperait-il pas ? Elle suppose, du reste, des tribunaux hiérarchisés ; les juges populaires doivent être souverains, chacun dans les limites de sa compétence. Aussi, l’appel, tel que nous l’entendons aujourd’hui, n’existait pas sous la République romaine, il fit son apparition sous l’Empire.

La procédure, soit germanique, soit féodale, essentiellement coutumière, ignora cette voie de recours (13). Mais avec la reconstitution de la souve­raineté et de la hiérarchie au profit de la royauté, l’appel s’introduisit dans les juridictions séculières sous l’influence grandissante du droit romain et du droit canonique.

La procédure inquisitoire et secrète conduisit, comme un contrepoids nécessaire, dans l’intérêt même de la défense, à organiser un système de preuves légales. Pour que le juge condamne, il faut qu’il réunisse certaines preuves déterminées d’avance ; mais d’autre part, s’il réunit ces preuves, il doit nécessairement condamner : peu importe, dans l’une ou l’autre hypothèse, son intime conviction. Ce système, en rendant plus difficile la condamnation, amène, par une conséquence fatale, à resserrer, de plus en plus, les mailles de la procédure criminelle. .II y a là un double mouvement qui, à certains points de vue, aggrave, et qui, à d’autres, améliore la situation du délinquant.

20. Le système inquisitoire est contenu, en germe, dans les dernières institutions de l’empire romain : il s’accommode bien, en effet, d’un pouvoir centralisateur et despotique.

La torture, comme procédé de recherche et de preuve, a été appliquée notamment à cette époque ; et, plus tard, le foyer de la contagion, qui envahira l’Europe, sera un coin de l’Italie d’où, vers le milieu du XIIe siècle, l’exhumation du droit romain jettera le trouble, en même temps que l’enthousiasme, dans tous les tribunaux féodaux.

L’Église a pu fournir aux juridictions laïques, dans les conditions où fonctionnaient ses tribunaux ecclésiastiques, une leçon et un modèle : elle a préparé, par son exemple, la substitution, achevée au XVIe siècle, dans tous les pays de l’Europe, de la procédure inquisitoire à la procédure accusatoire (14). C’est dans la seconde moitié du XIIIe siècle, que l’influence du droit romain et du droit canonique amène la formation de cette nouvelle procédure qui répudie les tendances germaniques, pour s’inspirer presque exclusivement des deux législations savantes de l’Europe, le droit romain et le droit canonique.

21. Chacun de ces deux types de procédure, le type accusatoire et le type inquisitoire, a ses qualités et ses défauts : aucun ne contient, en lui-même, les garanties nécessaires à l’administration de la justice criminelle. Dans la procédure accusatoire, la poursuite et la recherche des délits sont complètement abandonnées à l’initiative des particuliers, initiative qui peut sommeiller par inertie, crainte ou corruption. Les chances d’impunité, conséquences de ce système, sont encore accrues, soit par la publicité qui existe à toutes les phases de la procédure, soit par la nécessité où se trouve le juge de limiter son examen aux seules preuves qui lui sont fournies par l’accusation. Mais, d’un autre côté, la procédure inquisitoire a des vices bien graves : c’est la poursuite et la recherche des délits exclusivement confiées aux agents du pouvoir ; c’est cette atmosphère de secret et, par suite, de suspicion, au milieu de laquelle se déroule le procès ; c’est enfin, cette absence de contradiction sérieuse entre l’accusation et la défense.

Aussi le progrès, dans la voie de la civilisation juridique, consiste à emprunter à chacun de ces types de procédure leurs meilleurs éléments et à organiser un type mixte dont une partie de la procédure est empruntée au système inquisitoire et dont l’autre reprend toutes les garanties et toutes les qualités du système accusatoire.

22. Ce type mixte se caractérise par les traits suivants, que l’on retrouve dans la plupart des systèmes de procédure des nations européennes et que le Code d’instruction criminelle français de 1808, dont l’influence en Europe a été si grande, est venu, pour la première fois, systématiser et formuler.

Les juges de la culpabilité n’ont pas l’initiative du procès, ils ne peuvent se saisir d’office : il faut donc qu’une accusation se produise ; mais le droit d’accuser est confié à des fonctionnaires spéciaux qui exercent ainsi un ministère public et dont les parties privées ne doivent être, en principe, que les auxi­liaires.

Le jugement est confié à des magistrats et à des jurés. Le mode et les conditions de participation des uns et des autres à l’administration de la justice criminelle varient, du reste, suivant les pays.

La procédure se dédouble en deux phases : l’instruction préliminaire, confiée à des magistrats et aboutissant à une décision préparatoire ; l’instruction définitive devant la juridiction même qui statue sur le procès. La première a un double caractère : elle n’est ni contradictoire ni publique. La seconde admet les deux principes de la contradiction et de la publicité.

On ne demande plus compte au juge des moyens par lesquels ils se sont convaincus. Et si la recherche et l’administration des preuves sont soumises à des règles légales, leur force probante n’est plus mesurée à l’avance et la solution du procès dépend de l’intime conviction des juges.

23. Comme tout système éclectique, cette procédure demande, dans l’application, une concentration d’efforts et de bonne volonté qui paraît lui avoir quelquefois fait défaut.

D’un côté, les magistrats, les professionnels, auxquels on a donné l’initiative et la direction du procès, ont manifesté, pour le concours des citoyens, un sentiment d’extrême méfiance, et, depuis 1810, on a vu s’accentuer et s’accélérer, avec des vitesses qui, depuis quelques années, n’ont fait que s’accroître, un retour à la conception du magistrat professionnel. D’un autre côté, au désir de la magistrature de reprendre tous ses pouvoirs, a malheureusement correspondu, chez la plupart des citoyens, le dégoût des obligations civiques, la volonté ferme de s’y soustraire. La fonction de juré a été considérée comme une corvée par ceux-là mêmes qui étaient le mieux en mesure de la remplir.

Cette situation n’est pas particulière à la France. Elle se présente dans tous les pays où a été importé ce système mixte de procédure.

24. C’est au type mixte que se rattache le système français. L’organisation judiciaire et la procédure actuelles sont dominées par quatre idées fondamentales … L’unité des la justice civile et de la justice pénale … Le principe de la division du travail … La division des juridictions et des autorités pénales correspond à la division des infractions en trois groupes : les cours d’assises, qui jugent les crimes ; les tribunaux correctionnels, les délits ; les tribunaux de police, les contraventions … Ces autorités fonctionnent pour toutes les personnes et pour tous les délits. Il n’y a pas deux justices : l’une de droit commun, l’autre d’exception …

 


NOTES :

(l) Les droits primitifs ont donné à la procédure la figure effective d’un combat. Comme toujours, ce qui devient simulacre commença par être une réalité, et il n’est nullement téméraire d’affirmer que les premiers moyens des plaideurs furent ce que sont encore aujourd’hui les derniers arguments des peuples, c’est-à-dire des coups.

Voy. Beaudouin, La participation des hommes libres au jugement dans le droit français (Rev. histor. du droit, 1887-1888, p. 246 à 279) ; Jhering, Esprit du droit romain, t. I, p. 122, note 33.

(2) La différence entre le procès pénal et le procès civil, à ce point de vue, a été bien mise en relief par Tarde, Philosophie pénale, p. 422 et 423.

(3) Summer Maine, De la codification d’après les idées antiques, p. 13.

(4) Voy. Molinier, Mort civile, p. 18; Du Boys, Histoire du droit criminel des peuples modernes, t. 1, p. 122.

(5) Dans notre pays, les ordalies par l’eau bouillante, le fer rouge, l’eau froide, fréquemment usitées sous les mérovingiens, deviennent rares dès le commencement de la deuxième race.

(6) On retrouve le serment juratoire et les ordalies dans l’antiquité grecque (Esmein, Mélanges, p. 240 et suiv.; Sophocle, Antigone, vers 264) ; chez les Indous (Lois de Manou, trad. Loiseleur-Deslongchamps, t. 8, 109, 113-116).

Ce système fonctionne encore aujourd’hui chez un grand nombre de peuples sauvages (Kohler, Studien über Ordalien der Naturvölker, dans Zeitschrift für vergleichende Rechtswissenschaft, t. 5, p. 368 et suiv., et t. 4, p. 365 et suiv.).

Voy. sur le caractère des ordalies dans les coutumes celtes : H. d’Arbois de Jubainville, Études sur le droit celtique, t. 1, p. 50.

(7) Voyez sur ce point, Tarde, Philosophie pénale, p. 424 ; Esmein, Cours élémentaire d’histoire du droit français, 98.

(8) D’Arbois de Jubainville (op. et loc. cit.) a démontré, du reste, que le duel conventionnel chez les Celtes, comme chez les vieux Romains (combat des Horaces), dans l’Iliade (duel d’Ajax contre Diomède), et dans l’épopée de Thèbes, est inspirée par une conception tout autre que le duel judiciaire du moyen âge. Comme ce dernier, il intervient en matière litigieuse ; mais la notion de justice divine en est absente. Ni les Celtes, ni les héros d’Homère, ni les Horaces et les Curiaces ne songent à une intervention de la divinité pour faire triompher le bon droit. Le duel n’est pour eux qu’une imitation de la guerre privée.

(9) Cf. Seymour-Harris, Principii di diritto e procedure penale inglese (Traduction de Bertola, Verone, 1898) ; Fournier, Code de procédure criminelle de l’État de New-York, Introduction sur la procédure criminelle aux États-Unis (Paris, Larose, 1893).

Mais, aux États-Unis, il existe un ministère public. L’insécurité et l’impunité, résultant dans un pays neuf et formé d’éléments si divers, du système de poursuite anglais qui abandonne la répression à l’initiative des citoyens, ont fait comprendre, aux États- Unis, la nécessité de confier à un fonctionnaire spécial le soin de poursuivre la répression.

(10) Esmein (Cours élémentaire d’histoire du droit français, p. 36) a fait observer que « l’antiquité n’a jamais admis le témoignage de l’esclave « sans le contrôler pour ainsi dire par la torture ».

(11) L. 11, C. IX, 41.

(12) Voyez Tarde, Philosophie pénale, p. 43e.

Cf. Molinier, La torture (Toulouse, 1879). Extrait du Recueil de l’Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse.

(13) L’appel de défaut de droit et l’appel de faux jugement sont des institutions spéciales de la procédure féodale qui n’offrent, avec l’appel moderne, qu’une analogie de nom.

(14) Ce système, employé d’abord pour les poursuites contre l’hérésie, ensuite pour tous les crimes, est devenu, sous le nom de procédure à l’extraordinaire, le système de droit commun en vigueur devant les juridictions royales pour la poursuite des grands crimes jusqu’en 1789.

Voyez Faustin Hélie, op. cit., t. 1, n° 206, 207 et 208; Léo, Histoire de l’inquisition au moyen âge (trad. par Salomon Reinach, Paris, 1900), liv. I, ch. IX à XII, t. 1, p. 399 et suiv.; Tenon, Histoire de l’inquisition, passim.

Signe de fin