DICTIONNAIRE DE DROIT CRIMINEL
- Professeur Jean-Paul DOUCET -
Lettre A
(Deuxième partie)
ABUS D’AUTORITÉ
Cf. Complicité*, Harcèlement sexuel*, Pouvoir*, Séparation des pouvoirs*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° II-3, p.271 / n° II-209, p.332 et 333 / n° II-215, p. 340
Voir : Jean-Paul Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n° I-II-I-311, p.192
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la personne humaine » (4e éd.), n° I-316, p.169 (note 5 2e arrêt) / n° I-334, p.186 / n° I-334, p.186 (note 7) / n° II-114, p.274 (note 7) / n° II-114, p.275 (note 2) / n° II-120, p.283 / n° III-123, p.464
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Famille, des enfants et des adolescents », n° 317, p.151 / n° 451, p.305
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société », n° 17, p.20 / n° I-I-120, p.94 / n° II-I-145, p.396
Pour un exemple d’instigation au meurtre non suivie d’effet, voir : Cas pratique n° 11.
- Notion. Il y a abus d’autorité lorsque le détenteur d’un pouvoir sur autrui, que sa supériorité soit de droit ou de fait, en use, ou pour pousser celui qui lui doit obéissance à commettre une infraction, ou pour le contraindre à supporter une atteinte à sa dignité ou à ses droits.
Garraud (Traité de droit pénal) : Par autorité, le Code pénal entend, en matière de complicité, la puissance, soit de droit, soit de fait, que des personnes privées, telles qu’un père ou une mère, des maîtres… exercent sur d’autres personnes.
Chauveau Hélie, (Théorie du Code pénal) : Les abus d’autorité et de pouvoir peuvent avoir lieu sans émaner d’ordres précis, et être colorés sous des prétextes spécieux.
- Abus d'autorité, cas de complicité. Celui qui commet un abus d’autorité dans le but de pousser un subordonné à commettre une infraction est l’auteur moral de celle-ci. Le législateur le punit le plus souvent en tant que simple complice de l’auteur matériel.
Roux (Cours de droit criminel) : Au lieu d'employer les anciennes expressions de mandat, conseil ou ordre, susceptibles d'extension, le Code pénal a ramené l'acte de complicité à un abus d'autorité ou de pouvoir, ou à une pression exercée sur la liberté de l'agent.
Code criminel de Malte. Art. 42 : Une personne peut se voir imputer une infraction au titre de la complicité si elle a incité à le commettre ... par abus d'autorité.
Cass.crim. 24 juillet 1958 (Bull.crim. n°573 p.1012) sommaire : Le délit de complicité de faux témoignage est constitué dès lors que l’employeur, en usant de pression sur son employé, a obtenu qu’il fasse un faux témoignage.
Cass.crim. 3 avril 1996 (Gaz.Pal. 1996 II Chr.crim. 142) : Pour retenir la complicité du prévenu, propriétaire d’une discothèque, dans des poursuites du chef de violences avec arme, la Cour d’appel a relevé que ce dernier avait mis à la disposition de son personnel divers instruments, tels que battes de base-ball, barres, manches de pioches, matraques cachées, mais accessibles, à l’entrée de l’établissement et que le personnel avait consigne d’utiliser «en cas de besoin», étant précisé que ces employés seraient «couverts», s’il y avait des incidents graves, mais, «qu’en cas d’inobservation de ces consignes, ils pouvaient être mis à la porte».
Cass.crim. 28 juin 1993 (Gaz.Pal. 1993 II somm.470) : Pour déclarer à bon droit Georges, Gilbert et Thierry Vignes coupables de complicité de la tentative d’extorsion de fonds commise par Bernard Gauffre et Jean-Michel Berty, la Cour d’appel énonce que les trois prévenus employaient Bernard Gauffre pour récupérer, au besoin par la force, les sommes dues par leurs clients et, qu’en l’espèce, ils lui ont donné l’ordre, ainsi qu’à Jean-Michel Berty, en abusant de leur autorité sur eux, d’aller récupérer auprès de Christian Buisset les loyers en retard ou le camion loué, en dehors de toute mise en demeure ou de toute procédure judiciaire, et au besoin par la force.
- Abus d'autorité, incrimination spéciale. Lorsque l’abus d’autorité est perpétré dans le but de contraindre un subordonné à subir une infraction, il peut être incriminé soit directement (art. 460 C.just.mil.), soit en tant que circonstance aggravante.
Vitu (Traité de droit pénal spécial) : Les circonstances aggravantes du viol tenant à la qualité du coupable. Le premier groupe est celui des ascendants … La loi y ajoute les personnes qui ont autorité sur l’a victime.
Code pénal d’Andorre. Art. 25 : Constituent des circonstances aggravantes de la responsabilité … 5° L’abus d’autorité, de situation ou de confiance.
L'abus d'autorité apparaît particulièrement odieux lorsqu'il s'exerce dans un milieu où l'obéissance est de règle. C'est pourquoi il est sévèrement sanctionné par le Code de la défense nationale.
Code de la défense. Art. L.323-20 : Le fait pour tout militaire, pendant le service ou à l'occasion du service, par paroles, gestes, menaces ou écrits, d'outrager un subordonné gravement et sans y avoir été provoqué est puni d'un an d'emprisonnement.
ABUS DE BIENS SOCIAUX
Cf. Abus de confiance*, Sociétés commerciales*.
Le délit d’abus de biens sociaux, incriminé pour la première fois par un DL du 8 août 1935, tend à sanctionner les dirigeants sociaux qui, soit s’approprient directement des biens de leur société, soit en font un usage strictement personnel et contraire à l’intérêt de la société (anciennement art. 437 de la loi du 24 juillet 1966, pour les sociétés anonymes – actuellement art. L.241-3, L.242-6 et L.247-8 du Code de commerce).
Véron (Droit pénal des affaires) : Le législateur a, bien entendu, voulu sanctionner les actes qui consistent à s’approprier directement des biens appartenant à la société ou à faire payer par celle-ci des dépenses à caractère strictement personnel.
Cass.crim. 22 avril 1992 (Gaz.Pal. 1992 II somm. 472) : L’arrêt attaqué a pu déclarer les prévenus coupables d’abus de biens sociaux en retenant qu’ils avaient usé de leur qualité de dirigeants sociaux pour prélever des fonds afin de commettre un délit de corruption active, but qui ne peut coïncider avec l’intérêt social. En effet, l’usage des biens d’une société est nécessairement abusif lorsqu’il est fait dans un but illicite.
Cass.crim. 14 novembre 2007 (Bull.crim. n° 282 p. 1160) : Pour écarter à bon droit la prescription de l'action publique, l'arrêt attaqué énonce que ce n'est qu'à la suite de l'ouverture de l'information qu'est apparu le caractère fictif de l'emploi, constituant un abus de biens sociaux.
Cass.crim. 26 mai 2010 (pourvoi n° 10-80392) : Il
résulte de l'arrêt attaqué que le prévenu a été cité du chef de dénonciation calomnieuse, pour avoir, alors qu'il était directeur administratif et
financier de la société, signalé au commissaire aux comptes de celle-ci des abus de biens sociaux qu'il imputait à la partie civile ; le tribunal a
déclaré ce dernier coupable par un jugement dont le prévenu et le ministère public ont interjeté appel ;
Pour confirmer à bon droit le jugement entrepris, l'arrêt relève que le commissaire aux comptes est une autorité, au sens de l'article 226-10
du code pénal, l'article L. 823-12 du code de commerce lui faisant obligation de révéler au procureur de la République les faits délictueux dont il peut
avoir connaissance dans l'exercice de sa mission.
Cass.crim. 16
mai 2012, n° 11-85150 (Gaz.Pal. 28 juillet 2012 p.25) : Pour
déclarer le prévenu... coupable d'abus de pouvoirs, l'arrêt
énonce que celui-ci a usé de son statut et de l'influence qui en
découle pour évincer les membres du comité des rémunérations,
hostiles au déplafonnement de sa rémunération et pour mettre en
place un nouveau comité qu'il savait acquis à ses vœux et dont
l'intervention aurait des conséquences très favorables pour lui,
non seulement sur ses rémunérations, mais encore sur le calcul
de sa retraite complémentaire et de son indemnité de départ à la
retraite qu'il savait proche et dont il avait lui-même décidé la
date, et que la nouvelle formule adoptée ne présentait aucun
aléa au vu des résultats financiers constamment en hausse de la
société ; les juges retiennent encore que le prévenu... pouvait
compter sur l'unanimité des administrateurs de la société pour
accepter ce nouveau mode de rémunération dès lors que le conseil
d'administration entérinait systématiquement les propositions
des comités spécialisés ; les juges ajoutent que les importantes
réserves faites par le cabinet T. et P. sur les conséquences
d'une entière variabilité de la rémunération n'ont pas été
portées à la connaissance du conseil d'administration ; ils
relèvent enfin que les agissements du prévenu..., motivés par la
seule recherche d'un enrichissement personnel, constituent des
actes contraires aux pouvoirs qui lui avaient été confiés et ont
eu des conséquences sur les charges financières et l'image de la
société.
En l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisance comme de
contradiction, d'où il résulte que le prévenu a abusé des
pouvoirs qu'il détenait en qualité de président du conseil
d'administration, en s'assurant le contrôle du comité des
rémunérations et en ne mettant pas les membres du conseil
d'administration en mesure de remplir leur mission, la cour
d'appel, répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont
elle était saisie, a caractérisé, en tous ses éléments
constitutifs, le délit d'abus de pouvoirs dont elle a déclaré le
prévenu coupable.
Exemple (Ouest-France 30 octobre 2009) : Il mène grand train avec l'argent de son entreprise. Casinos, voitures de luxe, soirées arrosées au champagne... Le gérant risque deux ans de prison ferme pour abus de biens sociaux : il laisse 200.000 € de passif.
ABUS DE BLANC-SEING
Cf. Abus de confiance*, Signature*.
- Notion. Le blanc-seing est une signature, portée à l’avance sur un document, pour ratifier une mention qui y sera ultérieurement portée. En abuse celui qui porte une mention différente de celle qui avait été convenue.
Garraud (Traité de droit pénal) : Il est possible, et le fait se présente même assez souvent, que, dans une circonstance de la vie, un individu ait besoin de donner une signature d’avance, sur une feuille de papier blanc, pour ratifier une écriture privée qui sera placée ultérieurement au-dessus de cette signature : c’est ce que l’on appelle un blanc-seing.
- Règle morale. Cet abus de confiance est évidemment condamné par les moralistes.
Pierrot (Dictionnaire de théologie morale) : Quiconque, abusant d'un blanc-seing qui lui aura été confié, aura frauduleusement écrit au-dessus une obligation ou décharge, on tout autre acte pouvant compromettre la personne ou la fortune du signataire, sera puni ...
- Science criminelle. L'abus de blanc-seing constitue une sorte d'abus de confiance, où la trahison est particulièrement choquante. C'est pourquoi il est généralement incriminé de manière spéciale et puni très sévèrement.
Voir : Tableau des incriminations protégeant la foi contractuelle (selon la science criminelle)
Voir : R. Garraud, L'abus de blanc-seing
Code annamite de Gia Long (Traduction Philastre) : Quiconque aura pris un blanc-seing et y aura faussement écrit une dépêche au nom d'une autre personne, puis l'aura fait parvenir à un tribunal pour nuire à autrui, sera puni selon la loi relative à ceux qui transmettent des écrits anonymes accusant quelqu'un d'une faute.
Code pénal d’Algérie. Art. 381 : Quiconque, abusant d’un blanc-seing qui lui a été confié, a frauduleusement écrit au-dessus une obligation ou décharge, ou tout autre acte pouvant compromettre la personne ou le patrimoine du signataire, est puni d’un emprisonnement d’un an au moins à cinq ans au plus et d’une amende …
Cass.crim. 12 janvier 1987 (Gaz.Pal. 1987 I somm. 200) : Commet le délit d’abus de blanc-seing celui qui abuse d’une signature qui lui a été confiée dans un but précis, en inscrivant frauduleusement sur cet écrit une obligation de nature à compromettre la fortune du signataire.
Prévention. L'idéal consiste à incriminer des actes préparatoires. Mais on n'en rencontre que de rares exemples en droit comparé.
Code annamite de Gia Long. Art. 321, annotation du Code chinois dont il s'inspirait : Apposer un sceau sur un papier blanc, c'est faire un usage clandestin d'un sceau pour préparer un faux.
- Droit positif. Ce fait était spécialement incriminé par l’art. 407 du Code pénal de 1810. Il ne l’est plus par le nouveau Code, qui s'en tient au simple abus de confiance (ou éventuellement à l'infraction de faux).
Voir : Tableau des incriminations protégeant la foi contractuelle (en droit positif français)
Véron (Droit pénal des affaires) : Selon le procédé utilisé par le coupable, l’abus de blanc-seing devra être poursuivi sous la qualification d’abus de confiance en cas de détournement d’un écrit remis en vue d’un usage déterminé, ou sous la qualification de faux en cas de falsification de l’écrit.
Cass.crim. 21 septembre 1994 (Gaz.Pal. 1994 II Somm. 710) : Si les faits de l’espèce ne sont plus punissables sous la qualification d’abus de blanc-seing, ils n’en sont pas moins constitutifs d’un abus de confiance.
ABUS DE CONFIANCE
Cf. Détournement*, Escroquerie*, Filouteries*, Foi contractuelle*, Furtum*, Infraction occulte*, Interversion de la possession*, Mandat*, Travail*, Vol* .
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la personne humaine », (4e éd.), n° IV-112, p.559
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société », n° I-I-413, p.267 / n° II-II-216 p.508
Voir : G. Levasseur, L’abus de confiance
- Notion. L’abus de confiance consiste, de la part de celui qui s’est vu confier un bien par contrat, à refuser ou à se mettre hors d’état de le restituer.
Tarde (La criminalité comparée) : L’augmentation des vols, des abus de confiance, des faux, n’est due précisément à un progrès de l’égoïsme. Elle s’explique simplement par la voluptuosité toujours croissante de nos mœurs.
Joly (La France criminelle) : Le Compte général de 1860 disait : "L'homme cupide qui sait lire et écrire a, moins souvent que l'ignorant, recours au vol pour satisfaire sa cupidité : il emploie de préférence l'abus de confiance, l'escroquerie, le faux."
Statistiques. Observatoire national de la délinquance (août 2006) : Août 2005 à juillet 2006 - Escroqueries et abus de confiance : 150.613.
- Règle morale. Celui qui a reçu un bien, pour un durée et un usage précis, manque à sa parole s'il ne le restitue pas, et commet de ce fait une faute morale.
Morale de Zoroastre (trad. Anquetil de Perron) : La bonne foi oblige de rendre ce qu'on a emprunté, quand même celui qui a prêté serait riche, et par conséquent en état de s'en passer.
Catéchisme de l'Église catholique. § 2409 : Toute manière de détenir injustement le bien d'autrui est contraire au septième commandement. Ainsi retenir délibérément des biens prêtés.
Gousset (Théologie morale) : Commettent un péché les personnes qui s’approprient une partie des choses d’autrui qu’ils ont reçus pour faire un ouvrage, dont on leur paye la façon.
Le livre des récompenses et des peines (Traduction Stanislas Julien d'un ouvrage taoïste) : En général, quand nous avons emprunté un objet pour notre usage, nous devons le ménager comme s'il nous appartenait, et le rendre dès le moment où nous n'en avons plus besoin ... Il n'est pas permis d'en frustrer ses créanciers à force de le garder longtemps.
Fordyce (Éléments de philosophie morale) : Qu'un ami, un voisin, ou même un étranger, nous aient confié un dépôt, et qu'il le redemande quelque temps après ; les idées de la confiance qu'il a mis en nous, de la propriété non transférée mais déposée, ne s'offriront pas plutôt à notre esprit, que nous ressentirons d'abord et inévitablement l'obligation de rendre le dépôt.
- Science criminelle. Cette infidélité a longtemps été considérée comme une variété du Vol*, elle s’en distingue pourtant nettement par l’Intérêt protégé* : alors que le vol porte atteinte à la paisible Possession des biens*, l’abus de confiance blesse la Foi contractuelle*. Même s’il fut englobé dans le vol (furtum) par les droits primitifs, ce délit relève rationnellement de la police de l’exécution des contrats fiduciaires.
Voir : Tableau des incriminations protégeant la foi contractuelle (selon la science criminelle)
Voir : R. Garraud, L'abus de blanc-seing
Voir : R. Garraud, Définition et éléments du vol
Morin (Répertoire de droit criminel). V° Abus de confiance : La morale et la religion réprouvent tout manquement à la foi privée.
Von Liszt (Traité de droit pénal allemand) : L'abus de confiance est la violation par un individu de l'obligation résultant de contrats ou de situations quasi contractuelles de prendre soin et de conserver des intérêts patrimoniaux à lui confiés.
Chauveau Hélie (Théorie du Code pénal) : La loi romaine a considéré comme coupable de vol (furtum) le dépositaire qui se servait de l’objet mis en dépôt entre ses mains.
Constitution de Charles Quint (Caroline) : Celui qui aura sciemment et frauduleusement disposé du bien d’un autre, dont la conservation et la garde lui aura été confiée, commet une action qui doit être punie ainsi qu’un vol.
Code annamite de Gia Long. Art. 135 : Celui qui aura reçu en dépôt des valeurs, objets ou troupeaux d’une autre personne, et qui, sans autorisation, les dissipera ou les consommera, sera jugé d’après la loi relative au vol, mais avec diminution d’un degré.
Code criminel du Canada. Art. 336. Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque, étant fiduciaire d’une chose quelconque à l’usage ou pour le bénéfice, en totalité ou en partie, d’une autre personne, ou pour un objet public ou de charité, avec l’intention de frauder et en violation de sa fiducie, détourne cette chose, en totalité ou en partie, à un usage non autorisé par la fiducie.
Cass.crim. 16 décembre 2015, n° 14-83140, relatif à des cassettes vidéo : Vu les art. 314-1 et 322-1 C.pén., peut faire l'objet d'un abus de confiance et du délit de destruction tout bien susceptible d'appropriation.
Cass.crim. 1er juin 2011, n° 10-83758 : L'usage abusif de la chose confiée est exclusif de tout détournement s'il n'implique pas la volonté du possesseur de se comporter, même momentanément, comme le propriétaire de la chose.
- Droit positif. L'abus de confiance était incriminé par l'art. 408 du Code pénal de 1810. Il l'est maintenant par l'art. 314-1 du nouveau Code.
Voir : Tableau des incriminations protégeant la foi contractuelle (en droit positif français)
Éléments constitutifs de l’infraction. Puisqu’il concerne l’exécution des contrats, l’abus de confiance suppose, en Condition préalable*, l’existence d’un contrat ; en outre, selon le droit commun des incriminations, il comporte un Élément matériel* et un Élément moral*.
a) Condition préalable. Par respect du principe de la légalité criminelle, le législateur de 1810 avait donné une liste des contrats protégés (y figuraient notamment le dépôt et le mandat). Le nouveau Code vise plus sagement tout contrat en vertu duquel une personne se voit remettre un bien mobilier à charge de le restituer ou d’en faire un usage déterminé.
Véron (Droit pénal spécial) : La caractéristique essentielle de l’abus de confiance est l’existence d’un contrat préalable conclu entre le coupable et sa future victime... Il faut, mais il suffit, que le détournement porte sur une chose remise à titre précaire dans un cadre contractuel.
Cass.crim. 14 février 2007 (Bull.crim. n° 48 p.281) : Selon l'art. 314-1 C.pén., l'abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire.
Cass.crim. 5 septembre 2007 (Bull.crim. n° 194 p.825) : L'abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire. Ne commet pas cette infraction la personne qui refuse de restituer des fonds qui lui ont été prêtés.
Cass.crim. 19 janvier 2010 (Gaz.Pal. 25 mars 2010). Somm. : Les fonds remis à un établissement d'enseignement au titre de la taxe d'apprentissage ne le sont qu'à titre précaire, de sorte que leur détournement en connaissance de" cause constitue le délit d'abus de confiance.
Cass.crim. 20 octobre 2010 (n°10-80722, Gaz.Pal. 6 janvier 2011) sommaire : Constitue un abus de confiance le fait, pour un notaire, de créditer un chèque sur son compte personnel alors qu'il lui a été remis à fin de transcription d'un jugement de divorce à la conservation des hypothèques.
Peu importe, en règle générale, que le contrat en cause présente une cause technique de nullité civile ou commerciale. Ce que le droit pénal pourchasse, c’est la violation de la parole effectivement donnée.
Constant (Manuel de droit pénal belge) : La nullité du contrat violé ne fait pas disparaître l’abus de confiance.
Cass.crim. 12 mai 1964 (Bull.crim. n° 161 p.354) : La demanderesse ne peut trouver un motif d’impunité dans la circonstance que le contrat de louage serait nul.
La preuve de l’existence du contrat invoqué, qui incombe à la partie poursuivante, s’effectue selon les règles propres au contrats civils ou commerciaux.
Cass.crim. 1er juillet 1992 (Gaz.Pal. 1993 I Chr.crim. 123) : La preuve du contrat civil dont le délit d’abus de confiance présuppose l’existence doit être faite conformément aux règles du droit civil.
Cass 2e Ch. belge 27 septembre 1976 (Rev.dr.pén. 1976-1977 325) : Dans une poursuite du chef d’abus de confiance, il appartient au ministère public de faire la preuve, non seulement de l’existence du contrat à l’exécution duquel se rattache l’infraction, mais également du détournement ou de la dissipation frauduleuse des objets remis.
b) Intérêt protégé. L'incrimination protège toute valeur ou bien meuble susceptible d'appropriation, y compris les fichiers informatiques. Mais on observera que la loi vise seulement des biens spécifiés, et non des biens fongibles tels des billets de banque.
Cass.crim. 16 novembre 2011 (n° 10-87866) : Les dispositions de l'art. 314-1 C.pén. concernant l'abus de confiance s'appliquent à un bien quelconque, susceptible d'appropriation... Des informations relatives à la clientèle constituent un bien susceptible d'être détourné.
Cass.crim. 22 octobre 2014, pourvoi n°13-82630 : En l'état de ses énonciations, d'où il résulte que le prévenu a, en connaissance de cause, détourné en les dupliquant, pour son usage personnel, au préjudice de son employeur, des fichiers informatiques contenant des informations confidentielles et mis à sa disposition pour un usage professionnel, la cour d'appel, a caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, le délit d'abus de confiance.
Cass.crim. 14 novembre 2000 (Bull.crim. n° 338 p.1003) : Les dispositions de l'art. 314-1 C.pén. s'appliquent à un bien quelconque et non pas seulement à un bien corporel. Constitue un abus de confiance le fait de détourner le numéro de carte bancaire communiqué par un client pour un paiement déterminé et, par là même, d'en faire un usage non convenu entre les parties.
Cass.crim. 19 juin 2013, n° 12-83031 : L'utilisation, par un salarié, de son temps de travail à des fins autres que celles pour lesquelles il perçoit une rémunération de son employeur constitue un abus de confiance.
c) L’élément matériel consiste en un détournement, c’est à dire en un acte accompli par le détenteur précaire qui fait échec à la restitution loyale du bien en cause à son légitime possesseur : délaissement, destruction, détérioration, détournement, dissipation, refus de restituer, usage abusif, vente à un tiers… Il y a détournement lorsque le simple détenteur accompli sur la chose confiée un acte de maître.
Garraud (Traité de droit pénal) : Dès lors que le dépositaire a disposé en maître de la chose qui lui a été confiée, on peut dire, théoriquement, qu’il l’a dissipée ou détournée. En effet, détourner, c’est distraire de sa destination ; dissiper, c’est à la fois faire disparaître ou aliéner l’objet.
Cass.crim. 19 mai 1969 (Gaz.Pal. 1969 II 78 et la note) : Le contrat de louage de chose fait obligation au preneur de rendre, à l’expiration du bail, la chose louée ; le détournement de celle-ci se trouve réalisé, dès lors que le preneur, à qui une automobile a été confiée, l’a abandonnée dans une rue.
Cass.crim. 13 février 1984 (Gaz.Pal. 1984 II 433) : Si le seul usage de la chose confiée n’entre pas dans les prévisions de l’art. 408 C.pén., il n’en est pas de même lorsque cet usage implique la volonté du possesseur de se comporter, même momentanément, comme le propriétaire de la chose. A donc pu être déclaré coupable d’abus de confiance un salarié, dont la mauvaise foi a été souverainement appréciée par les juges du fond, dont il est constaté qu’il avait utilisé la voiture mise à sa disposition par son employeur, pour les nécessités de son activité, non seulement pour son usage personnel mais encore dans l’intérêt tant d’une autre entreprise que de son épouse ou de son fils.
Cass.crim. 20 juillet 2011 (n° 10-81726, Gaz.Pal. 29 octobre 2011 p.42) sommaire : L'appropriation indue par la banque du solde créditeur d'un compte clôturé caractérise le délit d'abus de confiance, peu important que, durant le fonctionnement du compte, l'établissement ait eu la libre disposition des fonds.
Cass.crim.
19 mars 2014, pourvoi n° 12-87416 (à paraître au Bulletin
criminel) : Le prévenu, salarié de la Société générale,
est poursuivi du chef d'abus de confiance pour avoir, de 2005 au
19 janvier 2008, dans ses fonctions d'opérateur de marché, dit
"trader", détourné des fonds en prenant des positions
spéculatives qui ont porté sur plusieurs dizaines de milliards
d'euros, en utilisant, au mépris de son mandat et au-delà de la
limite autorisée, les moyens techniques qui lui étaient confiés
;
Retient à bon droit la culpabilité de ce prévenu la Cour qui
relève que la Société générale n'a pas eu connaissance des
activités de son salarié, qui les lui a dissimulées.
Selon le droit commun, ce qui compte c’est que le créancier de la restitution ait subi un préjudice. Peu importe que l’auteur de l’acte délictueux en ait ou non, directement ou indirectement, tiré profit.
Cass.crim. 16 février 1977 (Bull.crim. n° 60 p.139) : La loi n’exige pas, comme élément constitutif de l’abus de confiance, que le prévenu se soit approprié la chose confiée, ni qu’il en ait tiré un profit personnel.
Cass.crim. 5 octobre 2011 (Gaz.Pal. 3 novembre 2011 p.9 note Detraz) : Le salarié d'un bar qui, sans autorisation omet délibérément de réclamer le prix des boissons servies par lui aux clients, même pour fidéliser ces derniers, commet le délit d'abus de confiance. [On peut rappeler que le mobile ne saurait influer sur la qualification des faits - De plus le commentateur souligne à juste titre que le manque à gagner du patron s'élevait à 13.520 €, ce qui établit que le prévenu a accompli indûment des actes de maître]
d) L’élément moral. Le détournement du bien confié ne relève de la loi pénale, dans un droit subjectif, que si le simple détenteur a eu conscience de la portée de son acte. Mais il faut observer que certains actes sont si éloquents que le juge n’a pas à s’interroger particulièrement sur ce point.
Cass.crim. 26 juin 1973 (Bull.crim. n° 297 p.713) : Il n’est pas nécessaire, pour établir légalement l’abus de confiance, que l’intention frauduleuse soit établie en termes exprès ; il suffit qu’elle s’induise des circonstances matérielles retenues par les juges.
Cass.crim.
7 mars 2012, n° 11-82318 (Gaz.Pal. 28 juillet 2012 p.23) :
Il résulte de l'arrêt attaqué que le prévenu, qui exerçait la
profession de bijoutier au sein de la société X... , est
poursuivi du chef d'abus de confiance, pour avoir détourné un
bijou qui lui avait été confié en vue de sa vente ;
en l'état des énonciations de l'arrêt, dont il résulte que le
demandeur s'est sciemment mis en situation de ne pouvoir
représenter l'objet qu'il était chargé de vendre ou d'en
restituer la valeur, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous
ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, l'infraction
poursuivie, a justifié sa décision le déclarant coupable.
Gaïus (Instituts de droit) : Lorsqu’on détourne la chose d’autrui de l’usage en vue duquel elle vous a été confiée, il n’y a délit que si l’on a conscience d’agir contre le gré du propriétaire.
Poursuites. Deux particularités peuvent être observées. D'abord, du fait que l'acte de détournement s'effectue parfois de manière occulte, le point de départ du délai de prescription peut être retardé au jour où cet acte a pu être décelé. Bien plus : lorsque l'infraction donne lieu à des atteintes répétées, chacune de celle-ci est considérée comme un nouveau délit.
Cass.crim. 8 février 2006 (Bull.crim. n°34, p.134) : En matière d'abus de confiance, la prescription ne court que du jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique. Il appartient aux juges du fond de rechercher à quelle date ont pu être constatés les faits caractérisant un abus de confiance.
Cass.crim. 13 septembre 2006 (Bull.crim. n° 220 p.776) : Le délit d'abus de confiance résultant du paiement de salaires rémunérant des emplois fictifs est une infraction instantanée, consommée lors de chaque paiement indu.
L'action civile peut être exercée par les détenteurs et possesseurs des biens détournés (sous condition, en cas de procédure collective, que cette dernière ait été clôturée).
Cass.crim. 8 janvier 1998 (Gaz.Pal. 1998 I Chr.crim. 73) : Pour condamner à bon droit le prévenu au paiement de dommages-intérêts au profit du Crédit agricole mutuel de T... et du P..., après l'avoir déclaré coupable de détournements au préjudice de clients de cette banque, l'arrêt énonce que la qualification d'abus de confiance ouvre droit à réparation, non seulement aux propriétaires, mais encore aux détenteurs et aux possesseurs des effets ou deniers détournés et, qu'ainsi, la banque est fondée, en sa qualité de détentrice de ces deniers, à invoquer un préjudice direct dont elle doit être dédommagée.
Cass.crim.
6 avril 2016, pourvoi n° 15-81.272 (Bull.crim. n°
123 p.240) : Les créanciers d’un débiteur en liquidation
judiciaire ne peuvent, dans les hypothèses prévues par l’art. L.
643‑11 du Code de commerce, recouvrer l’exercice individuel de
leurs actions contre ce débiteur qu’après que la procédure
collective a été clôturée pour insuffisance d’actif.
Encourt la censure l’arrêt qui déclare recevable la demande
d’indemnité formée par les victimes d’un abus de confiance, sans
constater que la liquidation judiciaire dont l’auteur des faits
avait été l’objet était clôturée.
D'autre part, la preuve du contrat en cause doit être rapportée conformément aux règles de fond dont il relève : preuve civile pour un contrat civil, preuve commerciale pour un contrat commercial ...
Cass.crim. 1er juillet 1992 (Gaz.Pal. 1993 I Chr.crim. 123) : La preuve du contrat civil dont le délit d'abus de confiance présuppose l'existence doit être faite conformément aux règles du droit civil.
Sanction. On discute pour savoir si le détournement, caractéristique de l’abus de confiance (proche de la trahison), est plus ou moins grave que la soustraction, constitutive du vol (voisine de la violence). Notre Code retient au départ la même sanction que pour le vol (3 ans d’emprisonnement) ; en outre, le dépositaire infidèle doit restituer le bien en cause et réparer le préjudice subi.
Code annamite de Gia Long. Art. 135 (Commentaire officiel) : Il y a diminution de la peine d’un degré par rapport au vol, parce qu’entre l’acte de détournement et l’acte de soustraction il existe une légère dissemblance.
Véron (Droit pénal spécial) : Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement lorsque l’abus de confiance est réalisé par un mandataire de justice ou par un officier public ou ministériel.
ABUS DE CONSTITUTION DE PARTIE CIVILE
Cf. Acquittement*, Constitution de partie civile*, Dénonciation calomnieuse*, Innocent*, Relaxe* .
- Notion. On parle d’abus de constitution de partie civile lorsqu’une personne privée déclenche à tort des poursuites pénales, que ce soit de mauvaise foi ou à la légère.
Larguier (Procédure pénale) : Le déclenchement de l’action publique par l’action civile permet à la victime de vaincre l’inertie éventuelle du ministère public … mais il y a risque d’abus de constitution des parties civiles, ce qui présente des dangers, pour les personnes (danger de voir de prétendues victimes utiliser la procédure pénale comme moyen de pression, comme moyen dilatoire, comme moyen de profiter des procédés pénaux d’investigation, et pour la bonne marche de la justice (encombrement des juridictions d’instruction et des juridiction de jugement malgré le filtrage de l’instruction).
- Science criminelle. Dans la procédure accusatoire antique, on appliquait ici la loi du talion : si celui qui se portait accusateur échouait dans sa démonstration, c’est lui qui se voyait appliquer la peine encourue par l’accusé.
Code d’Hamourabi : Si quelqu’un a accusé un homme en lui imputant un meurtre, mais qu’il n’a pas pu l’en convaincre, l’accusateur sera tué.
Ulpien (Digeste, 47, 10, 13) : Si quelqu’un, par désir de me nuire, me cite à tort devant un tribunal, je pourrai le poursuivre du chef d’offense.
- Droit positif. Puisqu’en droit français on autorise celui qui se tient pour victime d’une infraction à ouvrir un procès pénal, notre législateur a dû préciser les sanctions qui lui sont applicables en cas de poursuites injustifiées. Ce dans le cas où c'est la partie civile qui a saisi la juridiction qui statue.
Cass.crim. 6 octobre 2010 (n° 09-88002 - Gaz.Pal. 25 novembre 2010) : Selon l'art. 472 C.pr.pén., la juridiction qui renvoie le prévenu des fins de la poursuite peut lui allouer des dommages-intérêts pour abus de constitution de partie civile lorsque la partie civile elle-même a mis en mouvement l'action publique. Tel n'est pas le cas lorsque les prévenus ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel par arrêt de la chambre de l'instruction.
- L’art. 91 C.pr.pén. vise la plainte avec constitution de partie civile. En cas de dénonciation téméraire ou abusive, il prévoit l’octroi de
dommages-intérêts et la publication de la décision innocentant le défendeur.
- L’art. 472 suit la même doctrine en cas citation directe abusive. Voir Demande reconventionnelle*.
- Si la dénonciation n’était pas simplement téméraire, mais faites avec intention de nuire, sa victime peut en outre exercer l’action en Dénonciation
calomnieuse*.
Cass.crim. 20 décembre 1961 (Bull.crim. n° 540 p.1031) : L’action exercée en vertu de l’art. 91 C.pr.pén. est fondée sur l’art. 1382 C.civ. ; ainsi, le prévenu qui a fait l’objet d’une plainte avec constitution de partie civile et qui a bénéficié d’une ordonnance de non-lieu ne peut obtenir de dommages-intérêts contre le dénonciateur que s’il rapporte la preuve d’une faute imputable à la partie civile.
Cass.crim. 6 novembre 1979 (Bull.crim. n° 308 p.838) : Si la partie civile, qui a elle-même mis en mouvement l’action publique par une citation directe, peut être condamnée envers le prévenu relaxé à des dommages-intérêts, il ne peut en être ainsi que s’il a agit de mauvaise foi ou témérairement ; une telle faute ne saurait se déduire du seul exercice par la partie civile du droit de citation directe qui lui est ouvert par les art 2 et 3 C.pr.pén.
Cass.crim. 9 juin 1970 (Bull.crim. n° 191 p.457) : Le caractère fautif de la dénonciation doit être apprécié au moment même où elle a été faite.
Cass.crim. 5 janvier 1963 (Bull.crim. n°11 p. 19) : L’évaluation du dommage subi par la victime d’une plainte avec constitution de partie civile, suivie d’une information terminée par une ordonnance de non-lieu, doit être effectuée de manière à ce qu’il n’y ait pour cette victime, ni perte, ni profit.
ABUS DE DROIT
Cf. Autodéfense*, Faits justificatifs*, Fraude*, Fraude à la loi*, Légitime défense*.
- Notion. Il y a abus de droit lorsqu’une personne détourne une voie de droit de son but légitime, dans l’espoir de commettre en toute impunité une voie de fait. Il en est ainsi lorsqu’un automobiliste, arrivant à un croisement par la droite, fait mine de s’arrêter pour laisser passer une personne arrivant sur sa gauche puis ré-accélère afin de provoquer un léger accident qui lui permettra de faire réparer aux frais de l'assureur une voiture déjà en piteux état.
Digeste de Justinien, 47, X, 13, 3. Ulpien : Si quelqu'un par injustice me cite devant un tribunal pour me blesser, je pourrai le poursuivre pour injure.
Denisart (Collection de jurisprudence, 1768) : L’intention du législateur excepte toujours le dol et la fraude, autrement l’injustice trouverait son appui dans la loi même.
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Art. 54. Interdiction de l’abus de droit - Aucune des dispositions de la présente Charte ne doit être interprétée comme impliquant un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Charte.
- Caractère. La notion d’abus de droit est par essence de caractère judiciaire. Elle se situe à la limite du champ d’application de la loi (édictée de manière générale et abstraite) et ne peut dès lors être appréciée que par les tribunaux (statuant de manière spéciale, individuelle et concrète). On remarquera que, du point de vue des techniques juridiques, elle se situe sur le même plan que l’état de Nécessité*.
Von Jhering (L’esprit du droit romain) : Un jugement exact sur ce point ne peut être porté que dans un cas concret, et reste ainsi abandonné à l’appréciation individuelle. A la place de la lettre morte de la loi, se place ici la loi vivante qui se plie entièrement à l’espèce concrète.
Hauriou (Aux sources du droit) : La maxime amorale : « La fin justifie les moyens » engendre l’abus du droit de nécessité.
Alland et Rials (Dictionnaire de la culture juridique). V° Abus de droit, par A. Sériaux : La théorie dite de l'abus de droit (plus exactement de l'abus des droits ou, au singulier, de l'abus d'un droit) a pour vocation de corriger certaines conséquences jugées néfastes de la reconnaissance de droits subjectifs au profit des personnes physiques ou morales. Par son inspiration, elle s'apparente ainsi à d'autres correctifs, tels que la bonne foi, l'équité ou la règle "fraus omnia corrumpit".
- Effets. Lorsque l’abus de droit est prouvé devant le juge, vu les circonstances de l’espèce, son auteur ne peut invoquer la loi qu’il a détournée de sa fin. Il est alors passible de dommages-intérêts, et même parfois d’une sanction pénale (voir les rubriques suivantes).
Vidal et Magnol (Droit criminel) : Le fait justificatif tiré du caractère licite des sports n’a lieu que si l’on a observé loyalement les règles du jeu et si on n’a pas fait un usage abusif de la force et de la violence (Trib.corr. Bordeaux 22 janvier 1931, Gaz.Pal. 1931 I 397).
Colmar 3 septembre 2002 (Gaz.Pal. 24 juillet 2003), statuant au civil : Sauf exception, les décisions de justice peuvent être diffusées, et chacun a le droit de se faire l’écho d’une décision qui a été prononcée à son égard… Mais il y a abus lorsque, à dessein de nuire, le titulaire du droit de porter à la connaissance de tous le litige dans lequel il est impliqué en fait un usage préjudiciable à autrui.
Cass.1e civ. 13 mai 2015, pourvoi n° 14-14691, statuant sur demande de modification d'une pension alimentaire : Le demandeur fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à une amende civile de 1.000 € ; mais, ayant relevé qu'il avait initié une nouvelle procédure dans des conditions aventureuses, sans établir de fait nouveau justifiant la modification de la précédente décision, la Cour d'appel a pu décider qu'il avait fait dégénérer en abus l'exercice du droit d'agir en justice.
Cass.crim. 3 novembre 1999 (Gaz.Pal. 2000 I Chr.crim. 1133) : Constitue un abus de droit, le fait de requérir, sur le fondement de l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881, l’insertion d’un texte, qui ne se borne pas à répondre à une mise en cause, mais a pour objet d’assurer une présentation générale et de promouvoir des thèses d’un parti politique.
Abus des lois. Le principe de légalité impose notamment au législateur d'édicter des lois précises prise dans l'intérêt du bien commun. Si le pouvoir législatif use de son autorité pour favoriser une idéologie ou une catégorie de personne, il abuse de sa fonction. On en voit un exemple avec les lois de la Révolution liées à l'institution du Tribunal révolutionnaire.
Cf. : Pouvoir -abus de pouvoir*, Tribunal révolutionnaire* .
Décret du 21 prairial an III (9 juin 1795) : La Convention nationale, considérant l'abus que l'on a fait des lois révolutionnaires, l'impossibilité de distinguer par des révisions les innocents des coupables, et qu'il y a moins d'inconvénients et plus de justice et de loyauté à rendre les biens aux familles de quelques conspirateurs, que de s'exposer à retenir ceux d'innocents, elle a décrété que les biens des condamnés révolutionnairement depuis l'époque du 10 mars 1793 seraient rendus à leurs familles ...
ABUS DE FAIT JUSTIFICATIF - Voir : J-P. Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n° I-I-II-1.
ABUS DE LA CRÉDULITÉ - Voir : Escroquerie*.
ABUS DE LA FAIBLESSE D’AUTRUI
Cf. Abus de confiance*, Délits pénaux – délit formel*, Escroquerie*, État de nécessité*, Manipulation mentale*, Patrimoine*, Personnes vulnérables*, Prescription*, Secte*, Usure*, Vol* .
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la personne humaine » (4e éd.), n° V-110, p.632
- Notion. L’idée générale est de protéger les personnes qui se trouvent, temporairement ou définitivement, dans un état de moindre résistance face aux difficultés de la vie, à l’encontre de ceux qui voudraient profiter de cette situation pour les dépouiller.
Plutarque (Vie de Crassus) : Au moment où une maison brûlait, Crassus l’achetait ; de même que les maisons adjacentes que les propriétaires effrayés, et dans l’incertitude de l’extension du sinistre, lui vendaient à vil prix. Il devint ainsi possesseur de la plus grande partie de Rome.
Cass.crim. 6 mai 2008 (Gaz.Pal. 11 juin 2009, somm.) : Le délit d'abus de faiblesse est constitué par des manœuvres exercées à l'égard d'une personne en état de déficience psychique pour la conduire à un acte ou une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.
Exemple (Ouest-France 17 décembre 2014) : Un ex-notaire baulois est jugé pour abus de faiblesse - Il a dicté à une veuve de 85 ans un testament qui faisait de sa propre compagne la "légataire universelle", puis enregistré lui-même ce document. Avant de faire signer à l'octogénaire un viager, qui était financé par elle-même.
Exemple (Ouest-France 4 avril 2014, dernière page) : Norma, une nonagénaire canadienne a embauché, il y a quatre ans, une femme de ménage devenue indispensable à sa vie. Au point que le mois dernier, celle-ci s'est installée avec mari et enfants chez la vieille dame et l'a bouclée dans sa chambre. Le couple a vidé ses comptes bancaires et s'est mis à vendre ses biens. Le manège a pris fin grâce à un livreur de pharmacie qui a prévenu la police.
- Règle morale. Il est bien évident que les moralistes condamnent unanimement celui qui profite de la fragilité d'une personne pour porter atteinte, soit à sa personne, soit à ses biens. Ainsi, l'Église et le Roi étaient traditionnellement considérés comme les protecteurs « de la veuve et de l'orphelin ».
St Thomas d'Aquin (Somme théologique, II-II, Q.65, a.4, sol.2) : Les injustices commises envers les veuves et les orphelins sont plus graves, et parce qu’elles s’opposent davantage à la miséricorde, et parce que le mal causé à ces malheureux leur est plus pénible, parce qu’ils n’ont personne pour le réconforter.
Du Boys (Histoire du droit criminel) : La religion chrétienne vint prendre le manteau royal et l'étendre sur le pauvre, la veuve et l'orphelin délaissés. Une fiction touchante de la charité éleva le plus petit et le plus faible au niveau du plus grand, en lui faisant un titre de noblesse de son abandon.
- Science criminelle. Particulièrement odieux, l'abus de la faiblesse d'une personne porte à celle-ci une double atteinte : d'abord dans sa liberté de décision et d'action, puisqu'on lui fait accomplir un acte qu'elle n'aurait pas fait si elle avait été en état de résister ; ensuite dans son patrimoine, puisqu'on profite de cette situation pour l'appauvrir. Il doit donc être rangé dans la catégorie des délits complexes.
Voir : Tableau des incriminations protégeant les libertés intellectuelles (selon la science criminelle)
Voir : Tableau des incriminations protégeant la foi contractuelle (selon la science criminelle)
Code pénal polonais de 1932. Art. 268 : Quiconque, en exploitant l’état de nécessité où se trouve une personne, conclut avec elle un contrat lui imposant une prestation matérielle évidemment disproportionnée avec la prestation réciproque, est puni de la réclusion de moins de cinq ans.
Code pénal du Brésil. Art. 173 : Abuser, dans son intérêt ou dans celui d'autrui, de l'état de nécessité, de passion ou d'inexpérience d'un mineur, ou de la faiblesse mentale d'autrui, en l'induisant à accomplir un acte susceptible de produire un effet juridique à son préjudice propre ou au préjudice d'un tiers : Peine - réclusion de deux à six ans...
- Droit positif. L’art. 223-15-2 C.pén. (anciennement 313-4) incrimine le fait de profiter de la vulnérabilité d’une personne pour lui faire accomplir des actes qui lui sont préjudiciables Ce délit apparaît d’une gravité morale telle qu’il est punissable dès qu’est accompli un acte de nature à léser la personne handicapée, que la prescription ne court que du jour du dernier acte dommageable, et que son auteur ne saurait échapper aux poursuites en invoquant l’immunité familiale.
Voir : Tableau des incriminations protégeant la foi contractuelle (en droit positif français)
Gattegno (Droit pénal spécial) : La notion de personne particulièrement vulnérable vise, soit l’état de minorité, soit l’état dune personne dont la vulnérabilité est due à l’âge, à la maladie, à l’infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse apparent et connu de l’auteur de l’infraction dont cette personne est la victime.
Cass.crim. 12 janvier 2000 (Gaz.Pal. 2000 II somm. 1481) : L’article 313-4 du Code pénal prévoit que l’acte obtenu de la victime doit être de nature à lui causer un grave préjudice, il n’exige pas que cet acte soit valable, ni que le dommage se soit réalisé.
Cass.crim. 19 février 2014, n° 12-87558 : A pu déclarer M. X..., chef de service en psychiatrie, coupable, du 26 juillet au 13 octobre 2005, d'abus de faiblesse à l'égard de sa patiente, Mme Y..., qu'il a conduite à avoir avec lui des relations sexuelles alors qu'elle souffrait de troubles bipolaires ; en effet l'acte auquel a été conduite la personne vulnérable, au sens de l'art. 223-15-3 C.pén., peut être tant matériel que juridique.
Cass.crim. 26 mai 2009 (Gaz.Pal. 20 décembre 2009) : L'abus de faiblesse doit s'apprécier au regard de l'état de particulière vulnérabilité au moment où est accompli l'acte gravement préjudiciable à la personne.
Cass.crim. 5 octobre 2004 (Bull.crim. n° 233 p.835) : La prescription, en matière d’abus de faiblesse, ne commence à courir qu’à partir du dernier prélèvement effectué.
Sanction civile, notamment à l'encontre de celui qui abuse de la faiblesse d'une personne âgée pour lui soutirer une assurance-vie à son profit.
Cass.crim.
19 avril 2017, pourvoi n° 16.80.718 (publié au Bull.crim.) :
En ordonnant, à titre de peine complémentaire, la
confiscation de la créance de 243.290, 56 € figurant sur le
contrat d'assurance-vie saisi par ordonnance du juge des
libertés et de la détention notifiée à la prévenue, et en
condamnant par ailleurs cette dernière à verser à M. Z...,
partie civile, une somme comprenant le montant de cette même
créance en réparation de son préjudice matériel, la cour d'appel
n'a méconnu aucun des textes ni principes visés au moyen.
D'une part, même si les primes d'assurance sont issues de sommes
que la victime a été conduite à remettre à l'auteur de l'abus de
faiblesse, souscripteur du contrat d'assurance-vie, le droit de
créance dont, seul, bénéficie ce dernier en exécution du
contrat, n'est pas susceptible de restitution à la victime.
D'autre part, les dommages et intérêts alloués à la partie
civile ne constituent pas une peine et peuvent par conséquent se
cumuler avec une mesure de confiscation d'un contrat
d'assurance-vie, la partie civile pouvant le cas échéant
demander, en application de l'article 706-164 du C.pr.pén., que
la somme qui lui a été allouée à titre de dommages et intérêts
soit prélevée sur les fonds ainsi confisqués.
N.B. Ce délit est également incriminé par l'art. L.122-8 du Code de la consommation.
Cass.crim. 26 octobre 1999 (Gaz.Pal. 2000 J 1131) : Pour déclarer à bon droit S... et B... coupables du délit d'abus de faiblesse prévu et puni par les articles L.122-8 et L.122-10 C.consom., l'arrêt attaqué retient que, s'étant rendus ensemble au domicile de C..., ils se sont fait remettre, moyennant la promesse de souscrire à son profit un placement unique, des bons au porteur et un contrat d'assurance et lui ont fait signer une demande de rachat de ses bons, sans mentionner leur nombre, leur montant, ni leurs numéros, et sans lui délivrer aucun reçu.
Exemple (Ouest-France 8 février 2013) : L'artisan condamné pour abus de faiblesse. L'entrepreneur avait abusé de la vieille dame en facturant des travaux à hauteur de 38.000 €. Hier il a été condamné à cinq mois de prison avec sursis et 22.000 € de dommages-intérêts.
ABUS DE POSITION DOMINANTE
Cf. Ententes prohibées*, Monopole*.
Dans le domaine économique, soumis à la loi du marché, c’est normalement l’exercice de la concurrence que joue le rôle de régulateur (art. 1er de l’ordonnance du 1er décembre 1986). Les pouvoirs publics doivent donc veiller de près à ce que le jeu de la libre concurrence ne soit pas faussé ; d’où l’incrimination de l’abus de position dominante (art. L.420-2 C.com.).
Code de commerce. Article L.420-2 (état en 2001) :
Est prohibée, dans les conditions prévues à l’article L.420-1, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une
position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes
liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de
se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.
Est en outre prohibée, dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par
une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces
abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou pratiques discriminatoires visées à l’article L. 442-6.
Renucci (Droit pénal économique) : La lutte contre les pratiques anti-concurrentielles… Aux termes de l’art. 86 du Traité de Rome, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante est interdit.
Cass.crim. 16 mai 1991 (Gaz.Pal. 1991 II somm. 475) : Lorsqu’un usager du répertoire d’une société de droits d’auteur, poursuivi pour contrefaçon, soutient que ladite société abuse de sa position dominante sur une partie substantielle du Marché commun en lui imposant des redevances sensiblement plus élevées que celles pratiquées dans les autres États membres, il appartient à cet usager d’apporter au préalable la preuve que la comparaison des tarifs a été effectuée sur une base homogène.
ABUS DE POUVOIR - Voir : Pouvoir*.
ABUS DE QUALITÉ VRAIE
Cf. Escroquerie*, Manœuvres frauduleuses*.
Il est fréquent que, pour tromper autrui, une personne s’attribue un mérite qu’elle n’a pas ; par exemple qu’elle prenne illégalement la qualité
d’architecte, de médecin ou de prêtre.
Mais il arrive aussi qu’un individu malhonnête se prévale du titre qui est effectivement le sien pour induire autrui en erreur et lui soutirer des
fonds, des biens ou des services ; on parle en ce cas d’un « abus de qualité vraie ».
Pradel et Danti-Juan (Droit pénal spécial) : L’abus de qualité vraie consiste pour l’agent à faire état d’une qualité qu’il possède vraiment, mais qui lui sert à couvrir ses mensonges grâce à la confiance qu’elle inspire.
- Escroquerie par abus de qualité vraie. C’est principalement dans le but de tromper un cocontractant, qu’un professionnel véreux rend un mensonge crédible en le couvrant de ses titres, de sa déontologie professionnelle, ou de sa compétence présumée. Cette manoeuvre constitue l'une des formes punissables du délit d'escroquerie.
Voir : A. Vitu, les éléments constitutifs du délit d’escroquerie (n° 2327)
Garçon (Code pénal annoté) : L'abus d'une qualité vraie se tourne en manoeuvre frauduleuse lorsque cette qualité est de nature à imprimer à des allégations mensongères une gravité et une apparence de réalité propres à commander la confiance et à égarer la volonté de la personne trompée.
Cour sup. du Luxembourg 19 février 1973 (Pas.lux. 1972-1974 290) : Si le simple mensonge n’est pas constitutif du délit d’escroquerie, il en est autrement si le mensonge est accompagné de l’abus d’une qualité vraie. Pareil comportement constitue une manœuvre frauduleuse lorsqu’elle est de nature à imprimer à des allégations mensongères l’apparence de la vérité et à commander la confiance de la victime.
Cass.crim. 30 juin 1999 (Gaz.Pal. 2000 J 103) : Abuse de sa qualité vraie l’avocat qui se fait remettre de l’argent en affirmant faussement à sa victime qu’il convient de corrompre l’administrateur judiciaire pour obtenir de la juridiction commerciale des décisions favorables.
Cass.crim. 8 décembre 1965 (Gaz.Pal. 1966 I 172) : Commet le délit d’escroquerie le courtier d’assurance qui abuse de sa qualité et, par cette manœuvre frauduleuse, obtient le versement de primes d’assurances non dues.