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L’AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE
( LA RÈGLE NON BIS IN IDEM )

Extrait des « Éléments de droit pénal »
de Joseph ORTOLAN
( 4eédition, T.II p.294  -  Paris 1875 )

Rares sont les principes de procédure pénale
qui sont reconnus de manière quasi universelle.

Tel est le cas de la règle « non bis in idem »
qui interdit notamment d’attraire une personne
devant une juridiction répressive en lui reprochant
des faits pour lesquels elle a déjà été jugée.

N.B. Certaines des critiques faites ici par Ortolan
ont été prises en considération par la jurisprudence.

1775. « Que Votre Grâce fasse attention, disait Sancho Pança à Don Quichotte, que si le chevalier vaincu s’est acquitté de l’ordre qu’il a reçu, en allant se présenter devant madame Dulcinée du Toboso, il doit être quitté et déchargé, et ne mérite plus d’autre peine qu’il ne commette d’autre délit (Y no merece otra pena si no comete nuevo delito).

C’est le bon sens des nations, l’instinct universel de justice, traduit, en forme scolastique, dans ce brocard : « Non bis in idem ». Ceci  s’applique et au procès et à la peine ; ou, dans les termes dont nous nous serrons en ce chapitre, au droit d’action publique et au droit d’exécution. Nous ne disons pas, en semblable hypothèse que ces droits sont éteints, nous disons qu'ils sont épuisés.

1776. Une première condition pour l’application du brocard, c’est que la sentence soit devenue irrévocable ; car, tant qu’elle ne l’est pas devenue encore, le procès n’est pas terminé, il peut être soumis successivement aux diverses juridictions appelées, suivant leur hiérarchie, à en connaître. Ce premier point n’a rien d’absolu, il est sujet à varier, il dépend du système d’organisation judiciaire et de procédure pénale en chaque pays. Nous en traiterons ultérieurement. On dit de la sentence parvenue à ce point, qu’elle a acquis force ou autorité de chose jugée : qualification sur laquelle il y aura quelques particularités à faire remarquer quant au droit pénal.

1777. Une seconde condition, si nous nous tenions dans la justice absolue, serait que le compte pénal eût été bien réglé ; ou, en d’autres termes, que la sentence ne fût entachée d’aucune erreur ; car les comptes mal réglés doivent se refaire. Mais ici arrivent des considérations d’intérêt public : il n’y aura donc aucun procès qu’il soit permis de dire irrévocablement clos ; sans cesse ils se pourront, sur le motif ou sous prétexte d’erreur, ouvrir de nouveau ; partant, rien, en fait de justice, de stable, rien qui soit pour toujours arrêté

Pour couper court à ces incertitudes intervient une règle de droit public, qui procède par présomption : lorsque la sentence est arrivée au point où l’on dit d’elle qu’il y a chose jugée, on ajoute que cette chose jugée est tenue pour vérité : « Res judicata pro veritate habetur ». Qu’on remarque bien qu’il s’agit là d’une présomption et non d’une réalité absolue. Dans les pays qui, soit par les institutions, soit par les mœurs, possèdent ce qu’on peut appeler une bonne justice, il arrive, en effet, Dieu merci, que la plupart des sentences sont conformes à la vérité, et alors la présomption étant assise sur ce qui a lieu le plus souvent (de eo quod plerumque fit), est logiquement fondée.

Mais, comme errer est dans la nature humaine nul doute que même en cette hypothèse quelques-unes de ces sentences ne soient entachées d’erreur : telle est la condition inférieure de la justice de ce bas monde ; ces cas d’erreur, qui sont les plus rares, on en fait le sacrifice à l’intérêt public, on les englobe sous l’empire de la règle qui les répute vérité, et ainsi l’autorité de la chose jugée, dans les pays dont nous parlons contient forcément le sacrifice de certains cas particuliers et exceptionnels, fait à l’intérêt général.

Que dirons-nous des pays qui ne possèdent qu’une mauvaise justice ? Rien, sinon que la présomption y devrait être prise au rebours ; que l’autorité de la chose jugée y est, dans la plupart des cas, une injustice de plus, et qu’aussi l’y voit-on moins fermement assise et plus souvent méconnue.

Il n’est pas besoin de démontrer que le sacrifice des cas particuliers d’erreur contenue en l’autorité de la chose jugée doit être fait avec plus de facilité et maintenu avec plus de force, en droit pénal, lorsqu’il s’agit d’erreurs favorables à l’accusé ; mais qu’une porte, au contraire, doit être plus facilement ouverte à la réparation de l’erreur, lorsqu’elle a eu lieu dans la condamnation.

1778. C’est sous la préoccupation de cette idée dominante d’un acquittement sur lequel il ne doit plus y avoir à revenir, et même d’un acquittement résultant de la déclaration d’un jury, que notre législateur de 1808, prenant une formule passée de la constitution de 1791 dans le Code pénal de la même année, puis dans celui de brumaire an IV, a inscrit en notre Code d’instruction criminelle, toujours à l’occasion des affaires soumises au jury, l’article 360, ainsi conçu : « Toute personne acquittée légalement ne pourra plus être reprise ni accusée à raison du même fait. » La constitution de 1791 disait : acquittée par un jury légal. Nous reviendrons sur cette formule, en traitant de l’acquittement.

Cet article, si on voulait le prendre pour la formule, chez nous, de la règle non bis in idem, pécherait et par la place trop spéciale qu’il occupe et par sa rédaction trop restreinte. En effet, ce n’est pas à propos seulement des décisions en cour d’assises, c’est pour toutes les juridictions répressives que le principe aurait dû être législativement formulé : sa place était dans la partie générale du droit pénal.

Ce n’est pas seulement dans le cas d’acquittement qu’il existe, c’est dans le cas de toute décision terminant irrévocablement le procès. Que cette décision ait été une condamnation, une absolution ou un acquittement, du moment que suivant les règles de la hiérarchie judiciaire et de la procédure pénale elle est devenue inattaquable, le procès ne peut plus être recommencé : pas plus pour faire ajouter que pour faire retrancher quelque chose à la condamnation, pas plus pour faire rétracter une absolution qu’un acquittement.

La vérité est que notre législateur a voulu donner à l’irrévocabilité de l’acquittement résultant d’un verdict de non culpabilité, prononcé par le jury, une sanction à part ; qu’il a voulu fermer dans le cas d’un tel acquittement, des voies de recours qui restent encore ouvertes contre les décisions de condamnation, d’absolution ou même d’acquittement en police correctionnelle ou en simple police ; en un mot, ici l’irrévocabilité juridique se place dès la prononciation d’un tel acquittement, sans que nulle procédure ultérieure puisse en retirer le bénéfice à l’accusé, tandis que pour les autres décisions elle se place plus tard. Telle est la véritable portée de l’article 360 de notre Code d’instruction criminelle, et c’est pour cela que cet article ne figure que sous le titre des affaires soumises au jury.

1779. Quant à la règle en elle-même de l’autorité de la chose jugée ou de la maxime non bis in idem, bien qu’il en soit fait dans nos lois pénales, indépendamment de celle dont nous venons de parler, certaines autres applications particulières (C.instr.crim. art. 246), nulle part elle ne s’y rencontre formulée d’une manière générale. Cependant, soit que l’irrévocabilité juridique, suivant les règles de hiérarchie judiciaire et de procédure pénale, arrive plus tôt, soit qu’elle arrive plus tard, du moment qu’elle est arrivée elle doit produire son effet, qui est d’épuiser l’action publique et d’empêcher que le procès pénal puisse être recommencé ; de clore la bouche au demandeur, suivant l’expression d’Ayrault, ou, en termes de pratique, de rendre la demande non recevable.

Il y a là un principe supérieur qui, même en l’absence de texte, par la seule force de la raison du droit, étend son empire. Nous l’appliquerons donc à toutes nos juridictions répressives, qu’elles soient de droit commun ou spéciales, cri­minelles, correctionnelles ou de simple police, même à nos juri­dictions d’instruction ; et nous l’étendrons à toutes les décisions, soit de condamnation, soit d’absolution, soit d’acquittement ou autres, du moment que ces décisions seront parvenues, chacune en ce qui la concerne, au point où elles deviennent irrévocables.

1180. Notre Code civil, traitant de l’autorité de la chose jugée en droit civil, en a marqué la limite générale en ces termes : « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement ». Mais, afin d’une plus grande précision, résumant une analyse qui nous vient des jurisconsultes romains, il en a signalé les éléments essentiels, qui sont : — identité de la chose demandée ; — identité de la cause de la demande ; — identité des parties et de la qualité en laquelle chacune d’elles procède (C.civ. art. 1351).

De semblables indications ne se rencontrant pas en notre droit pénal, notre jurisprudence des arrêts s’est trouvée livrée à elle- même pour y construire sa doctrine à ce sujet. Sauf les articles spéciaux du Code auxquels il faut qu’elle se conforme (C.instr.crim. art. 246, 360, 361 ), c’est en la raison générale du droit pénal qu’elle doit prendre la règle de ses décisions. Suivant cette raison générale, les éléments constitutifs de la chose jugée en droit pénal ne diffèrent pas, au fond, de ceux de la chose jugée en droit civil ; mais ils revêtent, en s’appropriant à la spécialité droit pénal, un tel caractère particulier et ils y reçoivent des applications tellement distinctes, qu’il y aurait fréquemment une cause d’erreur à les confondre entre eux, et à étendre des uns aux autres les mêmes manières de décider.

1781. La chose demandée dans un procès pénal par celui qui exerce l’action publique, c’est la punition de la personne poursuivie ; de même que la chose demandée par la partie civile, c’est la réparation du dommage. Cela est compris dans les termes mêmes de notre article 3 du Code d’instruction criminelle, lorsqu’il définit l’action publique, celle qui a lieu « pour l’application de la peine ». Ainsi désignée, la chose demandée l’est d’une manière générale, qui ne se déterminera qu’à la fin du procès, par la nature et la quotité de la peine, suivant les déclarations ou constatations de culpabilité. Or, une telle généralité étant commune à tout exercice de l’action publique, il n’y a guère de distinction ni par conséquent de difficultés pratiques à y rencontrer quant au premier élément constitutif de l’autorité de la chose jugée.

Cependant c’est à cette première condition, « identité chose demandée », qu’il faut rattacher cette observation bien connue, savoir, que les poursuites et les décisions disciplinaires ne font aucun obstacle aux poursuites et aux décisions pénales à raison du même fait, ni réciproquement, dans quelque sens que les unes ou les autres de ces décisions aient été rendues. En effet, punition disciplinaire et punition de droit pénal sont deux choses bien distinctes, ayant pour but de sanctionner des devoirs et de pourvoir à des intérêts différents ; le même fait peut donner lieu à l’une et à l’autre; la chose demandée n’est pas la même, et dés   lors ce n’est pas le cas de la maxime non bis in idem. Notre jurisprudence des arrêts a eu l’occasion de consacrer ce principe à l’égard des actions disciplinaires qui rentrent, soit à un degré, soit à l’autre, dans la compétence de l’autorité judiciaire, telles que celles qui sont relatives aux magistrats, aux avocats, aux avoués, greffiers, huissiers, notaires et, généralement, aux officiers ministériels ; mais le principe est vrai pour tous les ordres de discipline, dans les corps judiciaires comme dans les corps administratifs ou autres.

De cette première condition pour l’autorité de la chose nous passons à la seconde, « l’identité de cause ».

1782. La cause de la demande, tant pour l’action publique pour l’action civile, se trouve dans le fait qui est imputé à la personne poursuivie ; car c’est à raison de ce fait que la punition ou la réparation du dommage est demandée, et l’action publique doit démontrer que le prévenu s’est rendu coupable de ce fait, parce que c’est à elle à justifier de la cause de sa demande. Nous tenons à bien établir cette distinction, qui est la véritable, entre la chose demandée et la cause de la demande dans un procès pénal, parce que nous n’avons pas rencontré ordinairement cette analyse faite avec exactitude ni avec précision.

L’autorité de la chose jugée, et par suite l’épuisement du droit d’action publique, n’aura lieu que lorsqu’il y aura identité de cause, c’est-à-dire identité dans le fait poursuivi. Si les faits sont distincts, le droit d’action publique, épuisé à l’égard de l’un, évidemment ne l’est pas à l’égard de l’autre : ce sont deux causes distinctes de poursuite.

1783. Cela est vrai, même lorsqu’il s’agit de délits connexes ; car bien que liés entre eux par quelque lien logique, les faits y sont distincts, et nous savons que dans la connexité il y a pluralité de délits. Cependant notre jurisprudence, suivant la raison générale du droit et se déterminant par cette maxime qu’en définitive l’autorité de la chose jugée existe à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement, a décidé à bon droit, dans certaines circonstances particulières, que les faits connexes s’étaient trouvés tellement liés entre eux, et que la première sentence avait été telle, que, bien qu’elle n’eût directement acquitté le prévenu qu’à l’égard de l’un de ces faits, il en résultait aussi forcément la non-existence ou la non-culpabilité à l’égard du fait connexe, et par suite l’autorité de la chose jugée. Ce sont des décisions d’espèces, dont on ne peut qu’approuver l’esprit.

1784. S’il s’agit de délits continus, par exemple, celui de séquestration d’une personne, de port illégal d’une décoration, d’exercice illégal de la médecine, de possession de faux poids dans un magasin, la sentence purge la poursuite et épuise le droit d’action publique pour tout le temps compris dans cette poursuite, ordinairement jusqu’à la sentence même ; car nous savons que, dans le délit continu, quel que soit le temps pendant lequel il s’est prolongé, il n’y a qu’un seul délit.

Mais s’il s’agit d’une autre personne séquestrée, d’une autre décoration illégalement portée, d’un autre magasin dans lequel de faux poids étaient également possédés, ces faits, bien que contemporains de ceux qui ont été poursuivis, pourront en être, suivant les circonstances, tellement distincts, qu’ils auront formé des délits différents, et que le droit d’action publique, épuisé à l’égard des uns, ne le sera pas à l’égard des autres. Il faut, pour discerner ces nuances, bien examiner ce qui était compris dans la première poursuite, et si l’unité d’intention, de circonstances et de but, n’a pas lié ces différents faits en un seul tout, déjà directement ou indirectement jugé par la sentence.

Quant aux faits de même nature qui viendraient à se reproduire postérieurement à la sentence,  il est évident que le droit d’action publique subsiste en entier.

Les mêmes solutions doivent être appliquées au cas où il s’agirait, non pas de la continuité physique, mais d’une continuité morale telle que nous l’avons définie ci-dessus (n° 758 et 759 par exemple) de différents objets volés dans une même expédition, de différents coups portés dans une même rixe, de différentes pièces frappées dans les mêmes opérations de faux monnayage. Toutes les affaires de cette nature ne se présenteront pas toujours aussi nettement que celles que nous donnons en exemple ; mais la question y reviendra toujours à distinguer, premièrement s’il y aura eu dans les faits unité de délit ou plusieurs délits distincts ; et en second lieu, ce qui aura été directement ou indirectement compris dans la première poursuite et dans la sentence, ou ce qui n’y aura pas été compris.

1785. Sil s’agit de délits collectifs ou d’habitude, comme d’habitude d’usure, d’habitude d’excitation à la débauche de personnes mineures, d’habitude de mendicité de la part d’une personne valide, et autres semblables, tous les faits réunis jusqu’au moment de la poursuite et de la sentence, quelque nombreux qu’ils soient et à l’égard de quelque personne qu’ils aient été commis, forment, non pas une pluralité de délits distinctes, mais un seul ensemble qui constitue le délit d’habitude poursuivi : d’où il suit que le procès est clos et le droit d’action publique épuisé par la sentence relativement à tous les faits antérieurs. Vainement viendrait-on à. découvrir plus tard d’autres faits d’usure ou d’excitation à la débauche ou de mendicité, qui étaient restés inconnus dans le cours du procès quoique commis antérieurement, et vainement ces faits nouvellement découverts seraient-ils assez nombreux pour donner à eux seuls la preuve d’une habitude, ils ne pourraient plus être l’objet d’une poursuite. Ayrault en cite un exemple au sujet d’un homme accusé d’être ligueur, et condamné pour ce fait au bannissement seulement, tandis que son coaccusé était condamné à mort. La partie, qui avait envie de le faire pendre comme son compagnon, lui voulait encore faire faire son procès pour autres faits et actes de ligue commis auparavant. « Je trouvé cela estrange, écri Ayrault, et ne voulus admettre ceste seconde animosité ».

Mais, si les faits étaient postérieurs à la sentence, la solution serait différente, pourvu que ces faits fussent en nombre suffisant pour constituer à eux seuls une nouvelle habitude, sans en considération aucun des faits antérieurs.

1786. À non moins forte raison, les faits qui ne sont que des circonstances accessoires du fait poursuivi, aggravantes ou atténuantes, que des modes d’exécution, des appendices nécessaires ou accidentels de ce fait, lors même qu’ils viendraient à n’être découverts qu’après la sentence, ne pourraient-ils être l’objet d’une nouvelle procédure ayant pour but de faire modifier la première décision. Le droit d’action publique, épuisé à l’égard du fait principal, l’est à l’égard de tous les faits de cette nature, invoqués ou non invoqués dans le cours du procès, pourvu qu’ils soit bien reconnu qu’ils n’étaient qu’une dépendance, qu’une modalité du fait poursuivi et qu’ils faisaient corps avec lui. C’était aux parties, tant d’un côté que de l’autre, à explorer la cause et à la présenter au juge dans tout son jour, avec tous ses accessoires.

Ainsi, par exemple, vainement une personne irrévocablement condamnée pour coups ou blessures, ou pour recel de coupables, voudrait-elle rouvrir le procès pour faire valoir une circonstance de provocation, ou de parenté ou d’alliance, qui aurait pu lui servir d’excuse légale. Vainement, après une condamnation ou un acquittement irrévocable pour vol simple, le ministère public voudrait-il rouvrir le procès pour faire valoir des faits d’escalade, d’effraction, d’usage de fausses clefs, de nuit, de réunion à deux ou à plusieurs personnes, de port d’armes apparentes ou cachées, de violences ou de menaces employées pour exécuter le vol, de chemin public, de domesticité ou de service à. gages, toutes circonstances aggravantes de nature à entraîner une peine plus forte.

Mais serait-il possible au ministère public, après la décision sur le procès principal, de reprendre en détail quelques-unes de ces circonstances, lorsqu’elles en seraient susceptibles, et de les poursuivre en qualité de délits à part ? Cette question, à notre sens, n’est qu’une dépendance de celle que nous allons agiter sous les numéros suivants ; et si nous n’hésitons pas à la résoudre par la négative, c’est que nous n’hésitons pas non plus sur la question générale dont elle fait partie. C’est précisément à une situation pareille que le judicieux Sancho applique l’observation que nous avons citée ; car c’est au moment où don Quichotte, s’étant aperçu après coup que son armet, dans son terrible combat contre le Biscayen, a été brisé par celui-ci, vient, par le plus énergique serment, de jurer qu’il en tirera vengeance, c’est alors que son écuyer le prie de faire attention qu’ayant déjà reçu sa peine pour le fait de la bataille, le chevalier vaincu, s’il s’acquitte de cette peine, n’en peut mériter d’autre à moins qu’il ne commette d’autre délit. A quoi le miroir de la chevalerie répond : « Tu as parlé comme un oracle et touché le vrai point : ainsi j’annule mon serment en ce qui touche la vengeance à tirer du coupable.

1787. Sur les diverses règles qui précèdent, même sur cette dernière les criminalistes sont généralement d’accord. On ne doit pas s’attendre cependant, en jurisprudence pratique, à ce que les affaires s’offrent toujours simplement, avec un caractère bien déterminé. De la variété, de la complication des faits et des différentes manières de les apprécier, on voit naître, lorsqu’on parcourt les procès soumis sur cette question aux tribunaux, des difficultés et des divergences qui ne sont, en réalité, que dans l’application. C’est au moyen de l’analyse des faits du procès, en s’attachant à discerner ceux qui s’y rencontrent, ceux qui y sont dominants, et en les ramenant à se ranger, parmi les exemples que nous venons de parcourir, sous celui auquel ils appartiennent véritablement, qu’on trouvera avec plus de certitude la solution. Mais voici un point sur lequel c’est par rapport à la règle qu’il s’élève de sérieux dissentiments.

1788. Lorsque le même fait est susceptible d’être incriminé de diverses manières, peut-il être l’objet d’autant de poursuites successives qu’il présente d’incriminations distinctes possibles, ou bien une seule décision devenue irrévocable doit-elle avoir pour effet d’épuiser, par rapport à toutes ces incriminations le droit d’action publique ?

La situation dont il s’agit peut se présenter de diverses manières.

1789. Elle se présentera dans le cas du cumul idéal de délits, dont nous avons parlé ci-dessus (n° 1149) : par exemple, si le même fait d’oppression violente contre une femme contient à la fois les crimes de viol, d’inceste et d’adultère. Ce même fait, dans les pays où chacune de ces incriminations est frappée de peines publiques, pourra-t-il être poursuivi et jugé tour à tour comme viol, puis comme inceste, puis comme adultère ?

1790. Elle se présentera surtout lorsque, suivant des variations d’intention ou de résultats produits, le même fait sera susceptible de se transformer en tel délit ou en tel autre. L’exemple le plus fréquent que nous en ayons dans notre pratique criminelle est celui de l’incrimination d’infanticide transformée en celle d’homicide par imprudence ; puis celui de l’incrimination de meurtre transformée en celle de coups ou blessures ayant occasionné la mort sans intention de la donner, ou en celle d’homicide par imprudence.

Si l’on observe le cours des affaires criminelles chez nous ou ailleurs, on rencontrera d’autres faits pouvant donner lieu, quoique plus rarement, à des transformations analogues. Ainsi, une femme enceinte, à la suite de breuvages toxiques qui lui ont été administrés, a avorté, puis est morte, incrimination d’empoisonnement, susceptible de se transformer, si l’intention de donner la mort est écartée, en celle de crime d’avortement. Qu’on suppose, au lieu d’un breuvage vénéneux, des opérations ou manœuvres abortives : crime d’avortement susceptible aussi d’être qualifié blessures volontaires ayant occasionné la mort sans intention de la donner. De même l’incrimination de viol pourra se réduire à celles d’attentat à la pudeur ou d’outrage public à la pudeur ; l’incrimination d’attentat ayant pour but de détruire le gouvernement, à celle de délit ou de crime de rébellion envers l’autorité, si l’intention d’un renversement politique est écartée.

1791. Enfin la même situation se présentera toutes les fois que quelqu’un des modes d’exécution ou quelqu’un des faits accessoires d’un crime ou d’un délit sera susceptible, étant détaché du fait principal, d’être incriminé à part, comme formant par lui-même un délit particulier. Par exemple, si d’une incrimination de vol, ou d’extorsion de signature, ou de viol, on peut faire sortir celles de coups, blessures, violences ou voies de fait, ou celles de menaces avec ordre ou sous condition, ou de violation de domicile, ou de dégradations de propriétés, de destruction de clôtures, suivant les divers modes d’exécution qui auront été employés. J’avoue qu’il m’est impossible de considérer comme conséquents avec eux-mêmes les criminalistes qui, à l’égard de ces modes d’exécution ou de ces circonstances accessoires, n’hésitent pas à adopter la règle de l’unité de poursuite, tandis qu’ils en font une question douteuse à l’égard du fait principal envisagé sous divers aspects. Si le doute existe pour le fait principal, à plus forte raison doit-il exister pour les modes d’exécution ou pour les faits accessoires, à l’égard desquels il y a seulement cohésion et non identité. Le problème, à nos yeux, dans l’un comme dans l’autre cas, est le même.

1792. Ce qu’il y a de singulier encore, c’est que, dans notre pratique, ce problème n’est soulevé que dans l’hypothèse d’un acquittement, afin de savoir si le ministère public n’a pas le droit de reprendre la personne ainsi acquittée d’une première incrimination, et de l’impliquer dans une nouvelle poursuite en qualifiant le fait d’une autre manière. Cependant le problème se présente également pour le cas de condamnation, et l’intérêt pourrait en être grand si, cette condamnation, étant intervenue sur l’incrimination la moins grave, par exemple, sur une poursuite pour homicide par imprudence ou pour avortement, le ministère public voulait, par suite de nouvelles révélations, reprendre le même fait, en l’incriminant comme infanticide, ou comme meurtre, ou comme tentative d’assassinat, afin d’y faire appliquer la peine la plus grave. Je doute qu’aucun de nos criminalistes pratiques, ni le ministère public lui-même, crût pouvoir admettre un tel procédé. Cependant, en réalité, acquittement ou condamnation, le problème est toujours le même.

1793. Il ne faut pas croire pouvoir le résoudre par l’application seulement de cette maxime : « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement », de manière à en tirer cette conclusion : « La sentence n’a statué que sur les faits envisagés sous telle face, donc sous telle autre face légale, non soumise au juge, le procès reste encore ouvert ». Ce raisonnement, admissible en droit civil privé, où le gouvernement l’action et l’office de la juridiction sont tout autres, ne saurait l’être en droit pénal. Ceux qui veulent l’y importer en seraient bien  embarrassés si on les contraignait à l’appliquer logiquement, conséquents avec eux-mêmes, en toute occasion où il se présente : par exemple aux circonstances aggravantes ou aux résultats préjudiciables ignorés dans le cours du procès, mais découverts ou produits seulement après coup. Ils sont donc obligés de faire des distinctions, des restrictions, mus par un sentiment d’équité qui marche sans gouvernail, qui oscille en des voies multiples suivant des appréciations variables, et qui arrive, en définitive, contre leur gré, à la violation de l’autorité de la jugée, quelquefois même au mensonge judiciaire convenu et évident.

1794. Un motif déterminant empêche qu’on puisse se régir en droit pénal, par la seule maxime dont nous venons de parler : c’est que, lorsque des faits délictueux sont déférés à la juridiction répressive, la raison générale du droit pénal exige qu’ils y soient envisagés sous toutes les faces légales qu’ils présentent et dans tout l’ensemble des détails dont ils se composent. En effet, ni le fonctionnaire chargé d’exercer l’action publique, ni la juridiction pénale chargée de statuer, ne sont dans la situation partie privée qui dispose de ses droits comme elle l’entend, ou d’une juridiction civile qui ne peut statuer que sur ce qui lui est demandé. Ici le droit est celui de la société, c’est le droit de répression ; il faut que les faits soient punis comme ils le méritent : voilà qui détermine strictement la mission et le devoir du ministère public et de la juridiction pénale par rapport au fait poursuivi.

De quel droit opéreraient-ils sur ce fait des divisions, des mutilations ou des retenta ? Quelle manière de procéder que celle qui, à raison du même fait, suivant qu’il sera envisagé différemment, fera subir successivement à l’inculpé plusieurs procès, plusieurs détentions préventives, plusieurs angoisses d’instruction ou d’audience, usera temps sur temps, multipliera les frais, et fera défiler plus d’une fois devant des juges les mêmes séries de preuves, de témoins et de témoignages, tandis qu’en une seule instance le but pouvait être atteint ? Il n’est personne qui ne convienne qu’à en décider d’après la science rationnelle, une pareille procédure pénale est mauvaise. Si les preuves ne sont pas encore suffisamment recueillies ; si les modes d’exécution, si les circonstances accessoires, si les résultats préjudiciables du fait ne sont pas encore suffisamment connus, si les intentions ne sont pas suffisamment éclaircies : continuez l’instruction. Si le fait, par quelques-uns de ces aspects, dépasse les attributions de la juridiction à laquelle il a été déféré, que cette juridiction se déclare incompétente et que le procès revienne au juge investi d’un pouvoir suffisant pour y statuer dans son ensemble.

Mais, une fois le procès vidé et le caractère irrévocable acquis à la sentence, donnez à la dignité de la juridiction, donnez à la sécurité des personnes, de ne plus y revenir. Certains aspects, certains éléments du fait poursuivi ont-ils été laissés de côté, il en doit être comme à l’égard des éléments de preuve qui ne surgiraient qu’après coup. Le ministère public avait le devoir de tout poursuivre, la juridiction avait le devoir de tout juger ; la sentence, devenue inattaquable, a clos cette mission.: donc le droit d’action publique est épuisé.

1795. Par ce motif déterminant, nous rédigerons la formule générale, suivant la science rationnelle, en y apportant la modification suivante : « L’autorité de la chose jugée n’a lieu, en droit pénal qu’à l’égard de ce qui a fait et de tout ce qui aurait dû faire l’objet du jugement » ; nous ajouterons que le fait poursuivi y est compris tout entier : d’où nous conclurons que la sentence, une fois devenue inattaquable, purge toutes les incriminations variées dont ce fait aurait pu être susceptible, sans distinguer s’il s’agit de cumul idéal, de modifications d’intention, de modes d’exécution ou de tout autre changement d’aspect qu’on voudrait faire subir au même fait, et sans distinguer non plus s’il s’agit de condamnation ou d’acquittement.

1796. Ni la pratique anglaise ni celle des États-Unis d’Amérique, qui en dérive, n’ont consacré exactement cette règle. Elles ouvrent bien à l’accusé deux moyens de défense qui s’y réfèrent, nommés encore, par les vestiges du vieux parler normand, Pleaof (le plaids de) AutrefoitsAcquit, ou Autrefoitsconvict, c’est-à-dire précédemment acquitté ou précédemment convaincu. Nais, suivant la common-law d’Angleterre, l’usage en est restreint aux crimes capitaux, la maxime étant que nul ne peut, pour une même offense, être exposé deux fois à perdre la vie, ce qui se trouve comprendre toutes les félonies, même celles qui ont cessé, avec le temps, d’être capitales, parce que dans l’origine elles l’étaient toutes ; et, suivant la constitution des États-Unis d’Amérique, l’usage en est restreint aux offenses pouvant entraîner perte de la vie ou d’un membre. Il est à remarquer que ni la loi commune d’Angleterre ni la constitution des États-unis d’Amérique ne disent pour un même fait ; l’expression consacrée y est for the same offense, pour le même délit, ce qui parait admettre textuellement la variété possible d’incriminations.

Il n’est donc pas sans exemple, quoique rarement, d’y voir une personne acquittée par un jury sur une accusation de félonie, reprise devant un autre jury sur une accusation de délit inférieur (misdemeanor) à raison du même fait. Ce n’en est pas moins un mode de procédure pénale très vicieux ; on doit en attribuer l’origine au système des accusations privées qui existent encore en Angleterre, traitées sur beaucoup de points comme le sont les demandes entre particuliers, pouvant être soulevées par une personne ou par une autre, et au renouvellement desquelles les restrictions ci-dessus relatées ont eu pour but, dès l’ancienneté de la loi commune, de poser une certaine borne. Mais dans tout pays où les poursuites pénales sont exercées au nom de la société, par un représentant de cette société, et où la juridiction pénale est dans la plénitude de sa mission, ces bornes imparfaites, imaginées pour des demandes et pour des sentences divisibles entre plusieurs, n’ont plus de raison d’être ; il faut en venir à la règle générale que démontre la science rationnelle.

1797. Rien dans les textes de notre droit pénal français, ni dans la manière dont est exercée chez nous l’action publique ; ni dans l’organisation de nos juridictions répressives, rien n’autorise à s’écarter de cette règle générale du droit rationnel. Les articles de notre Code d’instruction criminelle qui se réfèrent à ce sujet parlent toujours, non pas d’un même délit, d’une même incrimination, mais du même fait (art. 246, 360), et par antithèse, pour mieux marquer la différence, d’un autre fait, d’un nouveau fait, pour le cas où de nouvelles poursuites peuvent avoir lieu (art. 361). Ces trois articles 246, 360, 361, avec leur expression du même fait, et leur antithèse d’un autre fait proviennent tous les trois de la loi de la Constituante sur la procédure criminelle, en 1791 ; d’où ils ont passé dans le Code des délits et des peines de brumaire an IV, sous la Convention (art. 255, 426, 427 ) ; puis dans le Code d’instruction criminelle de 1808, sous l’Empire. Chacun s’accorde unanimement pour reconnaître que dans la loi de 1791, comme dans le Code de brumaire an IV, ces mots le même fait, un autre fait, ont été mis pour signifier ce qu’ils signifient véritablement.

Nous ne disons pas, comme on a coutume de le dire, le fait matériel, car il n’y a jamais rien d’uniquement matériel ni dans un crime, ni dans un délit, ni même dans une contravention ; toujours, indispensablement, l’élément physique et l’élément moral s’y doivent trouver réunis, puisque toujours il y faut l’existence d’une faute, ce qui appartient essentiellement à l’élément moral. Mais nous disons le fait tel qu’il s’est passé, c’est-à-dire avec tous ses éléments physiques ou moraux, principaux ou accessoires. C’est là ce que comprend, en langage de pénalité, l’expression le même fait. Chacun en convient dans la loi de 1791, puis dans le Code de brumaire an IV ; mais voilà qu’au moment où les trois articles passent dans le Code d’instruction criminelle de 1808, le sens changerait, non pas dans les trois articles, mais dans un d’entre eux seulement, l’article 360 relatif à l’acquittement en cour d’assises par suite de la déclaration du jury, de telle sorte que les mêmes expressions signifieraient ici une chose et là une autre, et que le même fait voudrait dire, dans l’article 360, non pas ce qu’il dit ostensiblement, mais seulement la même incrimination.

Ce tour de passe interprétative est motivé sur les changements qui ont été apportés par le Code d’instruction criminelle de 1808 dans le système des questions à poser au jury. La cour de cassation est entrée dans cette voie dès 1812, c’est-à-dire presque immédiatement après la mise en vigueur des Codes criminels de l’Empire ; depuis, des criminalistes en crédit l’y ont suivie ; sa jurisprudence, d’abord oscillante, s’est affermie en ce sens, et une pratique conforme est devenue presque générale dans nos parquets. À tel point qu’aujourd’hui, ce qu’il y a de moins assuré chez nous, quant à l’épuisement du droit d’action publique, c’est un acquittement par voie de jurés. Nous y reviendrons plus tard, mais ce qui précède suffit pour nous autoriser à dire que nous ne nous rangeons en rien du côté de cette jurisprudence ; que nous la considérons comme contraire au principe de la science rationnelle, au texte de la loi positive et aux précédents historiques ; enfin qu’ayant pour but, dans l’intention de ceux qui l’ont introduite et de ceux qui la pratiquent, une meilleure administration de la justice pénale, elle en donne une plus mauvaise. Qu’on fasse des efforts d’interprétation pour ramener dans le sens des vérités de la science quelque texte positif qui semble s’en écarter, je le conçois ; mais qu’on fasse de tels efforts et qu’on se prenne à tourmenter des locutions fort claires pour faire sortir les dispositions de la loi positive hors des vérités du droit rationnel et hors de l’autorité des précédents, c’est ce qu’il est difficile d’admettre.

1798. Nous tenons donc pour certain, quant à nous, que, suivant notre droit positif, conforme en cela au principe rationnel, le droit d’action publique, dés qu’il y a eu sentence devenue inattaquable, est épuisé à l’égard du fait objet de cette sentence, dans tousses éléments et sous tous ses aspects, soit qu’il s’agisse e condamnation, soit qu’il s’agisse d’absolution ou d’acquittement

1799. La troisième condition pour l’existence de l’autorité de la chose jugée, l’identité des parties, est nécessaire en droit pénal comme en droit civil, en s’appropriant, bien entendu, aux particularités de ce droit.

1800. Veut-on considérer la partie poursuivie ? Ce qui est jugé à l’égard d’une personne ne l’est pas à l’égard d’une autre. L’épuisement du droit d’action publique n’est que relatif à ceux auxquels s’est appliquée la sentence devenue irrévocable ; quant à tous autres, étrangers à cette sentence, le droit subsiste, bien qu’il s’agisse du même fait, et cela est vrai, quelle qu’ait été la sentence, condamnation, absolution ou acquittement.

Ainsi, après une personne condamnée pour un crime ou pour un délit, une autre personne peut être poursuivie comme coupable du même crime ou du même délit, même lorsqu’il est indubitable, d’après les faits, qu’il n’a pu y avoir qu’un seul coupable. L’erreur judiciaire commise à l’égard du premier inculpé, si erreur il y a eu, ne peut être une cause d’impunité pour le second, sauf à placer dans la législation le moyen de réparer autant que possible l’erreur, du moment qu’elle aura été reconnue et du côté où elle l’aura été.

De même, a fortiori, après l’acquittement d’une personne, une autre personne peut être poursuivie comme coupable du même fait. Cela s’observe même lorsque la première sentence a été motivée sur ce que le fait poursuivi n’était pas prouvé, comme il arrivait chez nous sous la loi de procédure criminelle de 1791 et sous le Code de brumaire an IV, lorsque le jury avait déclaré que le fait n’était pas constant, et comme il peut arriver encore aujourd’hui devant nos juridictions de police correctionnelle ou de simple police. En effet, ce qui n’a pas été prouvé à l’égard de l’un pourra l’être à l’égard d’un autre, et, lors même que le jury se serait exprimé d’une manière plus radicale, se fondant sur ce qu’il aurait été prouvé que le fait poursuivi n’a pas existé, ce ne serait jamais là que le résultat d’une preuve sur laquelle le juge a pu errer ; or les motifs de sécurité et de fixité qui empêchent de relever cette erreur à l’égard des personnes parties dans la première sentence, ne s’appliquent plus à celles qui n’y ont pas été parties. Même raisonnement pour les sentences d’absolution.

1801. Quelques difficultés se présentent dans le cas de complicité. Nous savons qu’il y a dans ce cas unité de délit et pluralité d’agents ; que le principe quant à la poursuite est celui de l’indivisibilité, de telle sorte que tous les acteurs ayant figuré dans le délit doivent être compris dans la même instance ; mais que cependant il peut y avoir quelquefois impossibilité de le faire, par exemple à l’égard de ceux qui seraient en fuite ou restés inconnus.

1802. Supposons d’abord une seule instance. Nous avons déjà dit que, si la sentence est motivée sur ce que le fait principal, objet des poursuites, n’est pas prouvé, tous les prévenus doivent être acquittés sur ce chef. En effet, c’est là une déclaration qui s’applique à tous, non pas en vertu de l’autorité de la chose jugée, mais en vertu de la logique. Il ne serait pas permis au juge d’acquitter l’un et de punir tel ou tel autre, soit comme auteur, soit comme auxiliaire, à raison de ce fait principal que ce même juge a déclaré non prouvé, parce qu’il y aurait en cela contradiction dans son propre jugement. Le cas peut se présenter, chez nous, devant nos juridictions de police correctionnelle ou de simple police, qui sont admises à motiver ainsi leurs décisions ; mais non devant nos cours d’assises, par suite de la déclaration de nos jurés, auxquels on ne pose plus, comme on le faisait sous la loi de procédure criminelle de 1791 et sous le Code de brumaire an IV, la question de savoir si le fait est constant ou non.

Nous avons donné une solution semblable pour le cas d’une sentence motivée, d’une manière générale, sur ce que le fait principal, objet des poursuites, n’est passible, en droit, d’aucune peine, soit, par exemple, parce qu’il ne tombe sous le coup d’aucun article pénal, soit par suite d’une prescription, d’une amnistie ou de toute autre cause légale opérant à l’égard de tous. Nul des prévenus alors ne doit être puni à raison d’un pareil fait. Il y aurait contradiction dans le jugement, à punir l’un et à absoudre les autres. Nous y mettons cette condition, « toutes les fois que la sentence a été motivée d’une manière générale, pour une cause opérant à l’égard de tous », parce qu’il peut exister certaines de ces causes dont l’effet serait, non pas commun, mais seulement relatif à quelques-uns des prévenus, par exemple une amnistie restreinte. Il n’y aurait alors, dans le jugement qui établirait entre les prévenus les différences prescrites, aucune contradiction, mais seulement observation de la loi. Dans les affaires où s’offrent de telles causes, il faut donc s’appliquer à bien distinguer l’effet qui doit être général de celui gui ne doit être que relatif.

Enfin, nous avons montré comment il n’existe aucune contradiction à séparer le sort des prévenus, quant à ce qui concerne les appréciations de culpabilité ; à tel point que le juge pourra déclarer non coupable la personne accusée comme auteur principal, et coupables tels ou tels des auxiliaires.

1803. Cependant il se soulève ici, à l’égard de certains délits d’une nature particulière, une difficulté de droit : n’y a-t-il pas quelques délits qui sont tels que leur existence n’est possible, dans l’affaire en question  bien entendu, qu’en la personne du prévenu principal et non en celle d’aucun autre ? On cite en exemple l’adultère et la bigamie, la banqueroute, la désertion et quelques autres encore. À coup sûr, en de semblables poursuites, il ne peut y avoir adultère que de la part de la femme mariée, bigamie que de la part du conjoint déjà engagé dans les liens d’un précédent mariage, banqueroute que de la part du commerçant, désertion que de la part du militaire, prévenus ou accusés principaux dans chacun de ces procès. Ne faut-il pas en conclure que déclarer ces prévenus ou accusés principaux non coupables équivaut à déclarer que le délit n’est pas reconnu avoir existé, et que dès lors il y aurait contradiction à condamner qui que ce fût comme en ayant été complice ? Telle est la doctrine générale des auteurs, et, sauf quelques décisions divergentes, telle est aussi celle de notre jurisprudence des arrêts.

1804. Je dois avouer néanmoins que cette doctrine ne me laisse pas sans scrupules. Je conçois qu’un jury, qui doit prononcer suivant un instinct de justice, appréciant en conscience la culpabilité de chacune des personnes déférées devant lui se fasse, dans une accusation de bigamie par exemple, le raisonnement suivant : «  Le fait est constant, voilà une femme qui s’est mariée quoique déjà engagée dans les liens d’un précédent mariage ; elle n’est pas exempte de faute ; mais elle a été obsédée par cet homme qui voulait parvenir à l’épouser ; on lui a dit, « De quoi vous inquiétez-vous ? Ne vous mêlez de rien, nous aurons tous les papiers, nous ferons toutes les démarches; d’ailleurs il est plus que probable que votre mari est mort, vous pouvez tenir cela pour certain : voilà des gens qui l’ont entendu dire, qui vous l’affirmeront ; seulement nous n’avons pu nous en procurer la preuve écrite, et jamais on ne pourra l’avoir. Est-ce une raison pour que vous restiez en veuvage toute votre vie ? » Cette femme est inexpérimentée, ou simple d’esprit, ou faible de caractère, et c’est ainsi qu’elle a été entraînée. Voici l’homme qui a employé toutes ces manœuvres, et qui est parvenu ainsi à contracter mariage avec elle ; voici les personnes qui sont venues lui donner ces faux renseignements, ces fausses indications, sachant très bien ce qu’elles faisaient, et qui ont coopéré frauduleusement à l’accomplissement du mariage. Nous estimons que, dans les circonstances du procès, cette femme, malgré sa faute, ne mérite pas d’être punie criminellement, et nous la déclarons non-coupable ; mais c’est sur les autres que doit tomber la peine, et nous les déclarons coupables ». Qu’y a-t-il d’illogique et de contradictoire en cela ?

Ce qui vient d’être dit de la bigamie peut se rencontrer d’une manière analogue dans la plupart des autres exemples, comme ceux de la banqueroute frauduleuse, de la désertion, du faux en écriture authentique imputé à un notaire, et d’autres qui se sont produits dans nos annales judiciaires. Il ne faut pas être étonné si des verdicts du jury ont été plus d’une fois rendus en ce sens ; ce seraient les jurés qui auraient sujet de l’être si la partie de ces verdicts relative aux complices était annulée sous prétexte de contradiction, et l’impunité accordée à tons. Je reconnais qu’en fait et le plus souvent, l’acquittement de l’accusé principal devra entraîner, en de semblables incriminations, celui des accusés de complicité ; mais je dis que ce n’est pas une conséquence tellement nécessaire qu’on en puisse faire une règle de droit, ayant pour résultat de faire prononcer l’annulation des décisions qui y seraient contraires.

Notez que, toutes les fois que de semblables décisions se rencontreront, la pensée du jury aura été nécessairement celle que nous venons d’indiquer : 1° que le fait poursuivi est prouvé ; 2° que le prévenu principal en est l’auteur : ce seront les éléments personnels de la culpabilité qui, seuls, auront été estimés insuffisants chez ce prévenu principal pour constituer à sa charge une responsabilité pénale. En voici un exemple incontestable dans notre législation. Un crime est commis par une personne contrainte violemment ; elle est acquittée. Celui qui a opéré la contrainte, l’auteur moral du crime n’est, chez nous, considéré que comme complice. Ne devra-t-il pas être condamné ?

Notez encore que dire d’une personne qu’elle n’est pas coupable pénalement, ce n’est pas dire qu’elle ne le soit en aucune façon. Il y a des nuances infinies dans la faute (culpa), qui n’est autre chose que le manquement au devoir, la moindre suffit pour la responsabilité civile ; mais pour la responsabilité pénale, il faut que la faute s’élève à de plus hauts degrés. C’est pour cela que, tout en acquittant une personne comme exempte de faute pénale, on peut très logiquement la condamner à des dommages-intérêts comme coupable d’une faute suffisante pour la responsabilité civile.

Or, dans une situation semblable à celle qui vient d’être décrite, savoir le fait constant, l’accusé principal auteur de ce fait, une faute en sa personne, quoique au-dessous de la responsabilité pénale, n’y a-t-il pas une base suffisante, autant et plus qu’il ne faut, pour soutenir logiquement la déclaration de culpabilité à l’égard des complices dont la faute sera jugée s’être élevée au degré voulu pour la pénalité ? Nous parlons du jury ; mais les juges eux-mêmes qui sont appelés à détailler les motifs de leur sentence, comme chez nous les juridictions de police correctionnelle, ne pourraient-ils pas, en raisonnant très juste et fort conséquents avec eux-mêmes, motiver comme nous venons de le faire leur décision ? N’y aurait-il pas en cela une meilleure distribution de la justice pénale que dans l’impunité accordée par contrainte, contradictoirement à la réalité des faits, par la force imposée d’une prétendue logique ?

1805. De tous ces délits il n’en est qu’un à l’égard duquel nous admettrons comme impérieuse en droit, l’autorité de cette logique, c’est celui d’adultère ; parce que nous avons ici un délit d’une nature plus intime, où la loi fait passer l’intérêt du mari avant celui de la société, où l’on observe en conséquence diverses singularités, où l’acquittement de la femme est une satisfaction pour le mariage, qui ne doit pas être contredite ou troublée par la condamnation d’un prétendu complice, enfin où les actes coupables de ce dernier, la femme étant jugée pure d’adultère ne restent pas nécessairement impunis,  car ils peuvent, si le caractère de ces actes est assez grave pour cela, tourner en d’autres délits contre les mœurs, susceptibles de tomber sous le coup de la loi pénale.

1806. Supposons maintenant, toujours dans le cas de complicité, plusieurs instances séparées. Parmi les personnes compromises, soit comme auteurs, soit comme auxiliaires dans un même fait, quelques unes, étant soit inconnues, soit en fuite, n’ont pu être comprises dans la première instance, et ne sont poursuivies qu’après coup : quel effet devra avoir à leur égard la sentence prononcée dans la première instance et devenue depuis inattaquable ? Cette sentence pourra-t-elle leur nuire ou leur profiter, ou le nouveau jugement à rendre en sera-t-il complètement indépendant ? La question se présente soit que la première instance ait commencé par les personnes accusées d’être les auteurs du fait en omettant quelque complice inconnu ou en fuite, soit qu’elle ait commencé par les accusés de complicité, ce qui est sans doute plus irrégulier encore, mais ce à quoi les circonstances ont pu réduire la poursuite, si l’auteur, malgré les recherches de la police judiciaire et de l’instruction préparatoire, se trouvait encore inconnu ou en fuite.

1807. La doctrine des écrivains et notre jurisprudence des arrêts, dans leur tendance la plus générale, est d’appliquer au cas d’instances séparées les mêmes solutions qu’au cas d’une seule et même instance. Ainsi : — 1° Si la première sentence devenue irrévocable a déclaré le fait non prouvé, aucune poursuite ne pourra plus avoir lieu pour cause de participation, soit comme auteur soit comme auxiliaire, à ce fait jugé non constant ; — 2° Même solution si le fait a été déclaré d’une manière générale, pour cause opérant à l’égard de tous, n’être passible d’aucune peine ; — 3° Mais, si la première sentence a déclaré seulement les personnes poursuivies non coupables, rien n’empêche d’en poursuivre ultérieurement d’autres, soit comme auteurs, soit comme complices ; — 4° À moins qu’il ne s’agisse d’un de ces délits dans lesquels la déclaration de non-culpabilité à l’égard du prévenu principal équivaut à dire que le délit n’est pas constaté, comme nous l’admettons, quant à nous pour le délit d’adultère seulement.

1808. Toutefois, cette assimilation entre le cas d’une seule et même instance et celui de plusieurs instances séparées n’est pas, à nos yeux, sans pouvoir soulever de sérieuses objections. Ces cas sont régis par deux principes distincts l’un de l’autre : ce serait errer que de les confondre. ‘

Le premier cas, celui d’une seule instance, n’est régi, quant au point qui nous occupe, que par un principe de logique, savoir qu’il n’est pas admissible que le même juge, dans la même sentence, se contredise lui-même et qu’il y insère variablement des dispositions inconciliables les unes avec les autres. Voilà le seul principe en jeu dans cette première hypothèse ; il ne saurait y être question d’autorité de la chose jugée, puisqu’il n’y a qu’une seule et même sentence ; toutes les solutions que nous indiquées sous les n° 1802 à 1805 ne sont appuyées que sur la   nécessité de cette logique.

Dans la seconde hypothèse, au contraire, commence l’autorité de la chose jugée; or, cette autorité est fondée sur une nécessité de fixité et de sécurité à donner à tous ceux qui ont figuré comme parties dans une sentence devenue irrévocable; mais non sur aucune obligation de concordance logique entre plusieurs sentences distinctes. Chacun sait parfaitement, en effet, qu’il est permis au juge de rendre deux sentences successives en des sens diamétralement contraires l’un à l’autre, sur une même demande et pour une même cause, du moment que l’une des parties a changé ; parce qu’il ne faut pas qu’une première erreur judiciaire, si erreur il y a eu, en commande nécessairement une seconde ; ce qu’on exprime en disant que les jugements sont bons pour ceux qui les obtiennent, ou nuisibles à ceux contre lesquels ils ont été obtenus. Nous avons fait, dans le n° 1800 qui précède, l’application de cette règle au droit pénal. C’est ainsi qu’après une première sentence irrévocable décidant à l’égard de tel prévenu que tel fait n’est pas constant, ou qu’il n’est passible d’aucune peine, une autre sentence peut décider à l’égard de tout autre prévenu que le même fait est constant, ou qu’il est puni par la loi, et réciproquement. La contradiction est manifeste, mais, puisqu’il s’agit de prévenus différents et séparés, rien n’y fait obstacle ; pourquoi donc en serait-il autrement lorsqu’aux deux poursuites successives se joint cette particularité que les personnes poursuivies sont prévenues d’avoir été liées ensemble, comme auteurs ou comme auxiliaires, dans ce même fait ?

Il ne suffit pas de dire : « Mais c’est contre le ministère public qu’il a été jugé irrévocablement que le fait en question n’est pas constant, ou qu’il n’est passible d’aucune peine, par conséquent le ministère public n’a plus à y revenir » ; dans l’hypothèse qui précède, c’est bien aussi contre le ministère public que la sen- tence irrévocable a été rendue, et cependant le ministère public peut y revenir encore, parce qu’il y revient à l’égard d’un autre prévenu : il suffit, en effet, que l’une des parties change pour que l’autorité de la chose jugée n’ait plus lieu.

La raison de la différence de décision, si différence il y a, ne peut se chercher que dans la différence de situation, laquelle consiste uniquement dans le lien de complicité que la prévention relève dans un cas entre les prévenus successifs, et dont il n’est pas question dans l’autre. On peut dire, pour le cas de complicité, que l’affaire aurait dû régulièrement se juger dans un seul procès, et que dès lors il convient de revenir, autant que possible, au même résultat en donnant autorité à la première sentence au profit  de tous, sur des points aussi généraux et d’un intérêt aussi commun entre tous, que les deux questions de savoir si le fait poursuivi est constant, ou s’il tombe sous le coup de la loi pénale ; qu’à l’égard de ces points généraux et d’un intérêt commun, les prévenus successifs, par cela seul que la prévention les présente comme ayant été associés dans le fait poursuivi, sont défenseurs naturels les uns pour les autres, et que dès lors la première décision favorable sur ces points doit profiter à tous ; que d’ailleurs il y a plus de simplicité et moins de rigueur à le décider ainsi. Mais la preuve qu’on ne se trouve pas ici dans les véritables conditions de l’autorité de la chose jugée, c’est que, si l’on suppose ces deux questions générales résolues par la première sentence contre les prévenus, personne ne contestera, j’imagine, à ceux qui, n’ayant pu être compris dans la première instance, seront poursuivis plus tard pour complicité, le droit de soutenir et de pouvoir faire juger, malgré la première sentence irrévocable, que le fait poursuivi n’est pas démontré, ou qu’il n’est passible d’aucune peine. L’espèce de solidarité entre les auteurs et les auxiliaires dans leur défense les uns pour les autres, quant aux points d’intérêt commun, peut s’entendre, bénignement, si l’on veut pour les décisions favorables, mais ne saurait s’étendre bien certainement aux décisions nuisibles ; ceux qui n’auront pas figuré dans la première instance pourront toujours dire : « Ce n’a pas été jugé contre moi ».

1809. Veut-on, quant à la condition de l’identité des parties, nécessaire pour l’existence de l’autorité de la chose jugée, considérer la partie poursuivante ? La nécessité est la même, aussi impérieuse pour la partie poursuivante que pour la partir poursuivie. Mais quelle est cette partie poursuivante ? est-elle susceptible de varier d’un procès à l’autre ? Si l’on se place dans l’observation des principes rationnels, on verra que non.

En effet, dans les pays où, comme chez nous, il est, non seulement reconnu en principe, mais encore organisé en pratique, d’une manière très forte et très suivie, que c’est à la société seule qu’appartient le droit d’action publique, et où ce sont toujours des officiers publics qui exercent ce droit en son nom, comment la partie poursuivante pourrait-elle varier ? Les officiers, quels qu’ils soient, et dans quelque procès que ce soit, ont beau changer, ce n’est pas à la personne du mandataire, c’est à celle du mandant qu’il faut regarder ; la partie poursuivante est toujours la société. Le droit d’action publique, une fois épuisé par suite d’une sentence devenue inattaquable, est épuisé pour la société et par conséquent pour tous les officiers qui la représentent. Toutes les difficultés sur ce chef, de cette manière, ont disparu.

1810. Il n’en était pas de même dans le système des accusations exercées par des particuliers, soit en qualité de partie lésée, soit en qualité de citoyen intéressé à la chose publique, comme l’ont pratiqué les Romains, ou comme le pratique encore l’Angleterre. Ici, l’idée que la punition est infligée au nom et dans l’intérêt de la société, bien que subsistant comme idée fondamentale, n’est pas dégagée nettement, avec une autorité exclusive. Elle n’exerce qu’une influence équivoque sur l’accusation et sur la personne de l’accusateur, où l’on voit le caractère privé se confondre avec le caractère public et souvent prédominer.

La société ne peut se dire obligée, avec toute garantie, par un mandataire qu’elle n’a point choisi. Celui-ci, ne remplissant pas le devoir d’une charge publique, est libre de présenter son accusation sous l’aspect, avec les développements ou les retranchements qui lui conviennent. Peut-être la poursuite pénale aura-t-elle été engagée par une partie qui n’y allait que d’un pied, comme dit Ayrault, ou qui s’entendait avec l’accusé, dans le but précisément d’arriver à un acquittement ou à une condamnation si légère, que ce soit moquerie.

Voilà pourquoi, dans de pareils systèmes, l’unité de partie poursuivante n’est pas une sérieuse réalité comme dans le nôtre : pourquoi il y a lieu à distinguer maintes fois si l’accusation a été portée par une personne ou par une autre (ab alio), de telle sorte qu’il y a variation possible quant à la partie poursuivante ; pourquoi, dès lors, l’autorité de la chose jugée et l’épuisement de l’action publique après une sentence irrévocable n’y sont reconnus qu’avec des exceptions et des restrictions qui n’ont plus de raison d’être dans notre système.

Signe de fin