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LE DÉCÈS DE LA PERSONNE POURSUIVIE

Par Faustin HÉLIE
( « Traité de l’instruction criminelle » 2e éd. T. II p.548, Paris 1866 )

Si le procès pénal repose sur des faits (saisine in rem),
il est dirigé contre une personne (saisine in personam).
C’est pourquoi, à quelque moment qu’il survienne,
le décès du prévenu y met radicalement fin.

Seul tempérament notable :
les sanctions réelles, liées aux faits et non à la culpabilité,
peuvent encore être prononcées (confiscation des armes prohibées…).
Les procès faits aux cadavres ne relèvent plus,
de nos jours que des curiosités historiques.

970 - Le décès du prévenu éteint l’action publique. La poursuite n’a plus d’objet quand la peine n’a plus d’application. L’accusation doit s’arrêter au moment où la défense ne peut plus se faire entendre. «Quand il n’y a point d’accusé, dit Ayrault, il ne. peut y avoir ni accusation ni accusateur ».

Ce principe, dicté par la justice, n’était appliqué, dans la loi romaine et dans notre ancien droit, qu’avec quelques restrictions. La règle était en elle-même incontestée. Marcien déclare que la mort de l’accusé éteint la peine et par conséquent l’action : Defunctoeo qui reus fuit criminis, et poena extincta . Et Paul en donne la raison, c’est que la peine, étant principalement établie pour l’amendement des coupables, n’a plus d’objet quand le coupable a cessé de vivre ; quod poena constituitur in emendationem hominum : quae, mortuo eo in quem constitui videtur, desinit. Ce n’est pas l’accusation seulement qui s’efface, le crime même est aboli ; si decesserit, crimen solvitur, crimen morte finitum est .

Mais, la règle posée, les restrictions ne tardent pas à paraître. Il est, d’abord, certains crimes qui, soit que le législateur ait voulu inspirer un plus grand effroi, soit qu’il ait présumé que les familles en avaient tiré quelque bénéfice, peuvent être poursuivis contre les héritiers de l’accusé, mort avant toute condamnation ; tels étaient les crimes de concussion et de lèse-majesté : excepto repetundarum et majestatis judicio, quae, etiam mortuis reis, cum quibus nihil actum est, adhuc exerceri placuit, ut bona eorum fisco vindicentur. Cette exception s’étendait encore au cas où les accusés s’étaient donné la mort, conscientia delati, admissique criminis, metuque futurae sententiae.

Une seconde restriction avait pour base l’état de la procédure au moment du décès. En général, les actions civiles pouvaient seules être dirigées contre les héritiers ; ils n’étaient pas tenus de répondre aux actions pénales dirigées contre leur auteur, poenalibus actionibus haeredes non teneri. Mais cette règle recevait exception lorsque la condamnation était intervenue avant la mort ; la confiscation des biens était alors exécutée contre les héritiers : Ex judiciorum publicorum admissis, non alias transeunt adversus haeredes poenae bonorum ademptionis, quam si lis contestata et condemnatio fuerit secuta. Il suffisait même dans certains cas que l’accusation eût été commencée ; la confiscation des biens pouvait être prononcée contre les héritiers eux-mêmes.

971 - Ces dispositions furent, en général et sauf quelques modifications, appliquées dans notre ancien droit. Julius Clarus, en reconnaissant le principe de l’extinction de l’action, admet toutes les exceptions admises par la loi romaine ; il y joint, conformément aux opinions du temps, l’accusation d’hérésie, et il ajoute qu’en général l’action née du crime peut être continuée contre les héritiers toutes les fois que ce crime emporte la confiscation des biens : In omnibus casibus in quibus poena amissionis bonorum est imposita a lege ipso jure, potest etiam mortuo delinquente, tractari de eo crimine contra haeredes ad effectum confiscationis bonorum. Cette dernière disposition. était fort controversée. Bouteiller pose la règle de l’extinction de l’action dans les termes les plus absolus, et ne fait point d’exception relativement à la confiscation : « Si prisonnier est encore ou mort en prison, si c’est par crime qu’il étoit prisonnier, saches qu’il est délivré de l’accusation, ni rien ne lui en doit être demandé, ni de partie ni de justice, et tout est à la mort de l’accusé. Encore veut la loi dire que si le prisonnier de crime mourait en prison, avant qu’il fût atteint et convaincu de crime, pour ce, ne sont ses biens à prendre, confisquer ni arrêter, ainsi n’était qu’il se tuât en prison pour peur de justice et deson méfait ». Cette doctrine, malgré les dissidences qu’elle rencontrait, était en général appliquée dans la pratique : la confiscation des biens n’atteignait les héritiers que lorsque la condamnation était définitive.

Mais une procédure extraordinaire, inconnue à la législation romaine, avait été, dans les cas analogues à ceux où celle-ci continuait l’accusation contre les héritiers, établie contre le cadavre ou la mémoire des accusés ; la loi poursuivait le mort jusque dans sa tombe pour en faire un exemple, suivant l’adage : male tractando mortuos, terremus et viventes. La condamnation, en prononçant la confiscation du corps ou des biens, réfléchissait alors contre les héritiers. L’ordonnance de 1670, T.XXII, art. 1, limitait à quatre cas l’application de cette procédure : « Le procès ne pourra être fait au cadavre ou à la mémoire d’un défunt, si ce n’est pour crime de lèse-majesté divine ou humaine, dans le cas où il échet de faire le procès au défunt seul, homicide de soi-même, ou rébellion à justice avec force ouverte, dans la rencontre de laquelle il aura été tué ». Ainsi, et sauf ces exceptions, la mort de l’accusé, quelle que fût l’époque de la procédure où elle intervenait, et tant que cette procédure n’était pas terminée par un jugement, éteignait l’action pénale et ne laissait aucune peine réfléchir contre les héritiers. Ce n’était que lorsque la mort était postérieure au jugement que ceux-ci devaient supporter le poids des condamnations pécuniaires

972 - Notre législation moderne a adopté le principe et rejeté toutes les exceptions. L’article 8 de la loi du 3 brumaire an IV et l’article 2 du Code d’instruction criminelle portent en termes absolus que « L’action publique pour l’application de la peine s’éteint par la mort du prévenu ». Les articles 84 et 85 du Code civil ajoutent que, « en cas de décès dans les prisons..., il ne sera fait sur les registres aucune mention de ces circonstances, et les actes de décès seront simplement rédigés dans les formes prescrites par l’article 79 ». Ainsi le décès éteint l’action entière, et la loi efface jusqu’aux traces de la procédure.

Pour opérer cette extinction, il suffit que le décès intervienne avant que le jugement ait acquis l’autorité de la chose jugée. Il n’y a point lieu de distinguer si la poursuite n’était pas encore intentée, si la procédure était commencée, si un jugement de condamnation avait été rendu, pourvu que le condamné fût encore dans le délai d’appel ou de pourvoi : tant que le jugement n’est pas devenu définitif, tant qu’il n’est pas acquis aux parties, la mort du prévenu anéantit la procédure et le jugement, il meurt integri status.

Cette suppression de la procédure s’étend jusqu’aux actes, jusqu’aux arrêts qui seraient survenus par erreur postérieurement au décès. Un individu avait été condamné par contumace à la peine des travaux forcés. Ses héritiers, dans une requête à la cour d’assises, ont exposé et rapporté la preuve que le décès de leur auteur en pays étranger avait précédé l’arrêt de condamnation. La cour d’assises, statuant sur cette requête, « attendu que l’action publique s’éteint par la mort de l’accusé, et qu’il appartient à la cour qui a prononcé sur la contumace de statuer sur la demande en nullité de l’arrêt ; sans s’arrêter à l’exception d’incompétence, déclare ledit arrêt non avenu ». Et la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du ministère public : « Attendu que la demande était uniquement motivée sur ce que, le décès de l’accusé étant arrivé avant que l’arrêt de contumace et été rendu cet arrêt était dépourvu de la matière substantielle qui devait lui servir de base et lui donner un caractère judiciaire ; que ledit arrêt, ayant été rendu par contumace, et par conséquent par défaut, était soumis aux règles générales relatives aux jugements par défaut, et qu’ainsi il était susceptible d’être rapporté par les juges qui l’avaient rendus ».

973 - Ce principe s’applique non seulement aux peines corporelles, mais encore aux peines pécuniaires. Le décès du prévenu ne permet pas de poursuivre contre ses héritiers une condamnation à l’amende plutôt qu’à toute autre peine. Cette solution a soulevé toutefois quelques objections en ce qui concerne les amendes prononcées en matière de contributions indirectes et de douanes. On a prétendu que ces amendes n’étaient point de véritables peines, qu’elles participaient de la nature des réparations civiles, et que, destinées à indemniser l’État des pertes causées par la fraude, elles devaient être poursuivies, après le décès du contrevenant, contre ses héritiers ou représentants.

Nous avons déjà, en établissant les droits du ministère public, examiné le caractère de ces condamnations pécuniaires, et reconnu qu’elles constituaient réellement des peines Nous nous bornerons donc à répondre ici au seul argument qu’on allègue pour les faire survivre au décès du délinquant. L’article 20 du Titre 13 de la loi du 6-22 août 1791, relative aux douanes, et l’article 35 du décrit du 1er germinal an XIII, sur les contributions indirectes, déclarent que « les propriétaires des marchandises seront responsables civilement du fait de leurs facteurs, agents ou domestiques, en ce qui concerne les droits, confiscations, amendes et dépens ». C’est sur cette disposition que la Cour de cassation s’est appuyée pour déclarer que « en cette matière spéciale et exceptionnelle, l’amende ne peut être assimilée aux peines qui, étant par leur nature purement personnelles, ne peuvent être appliquées qu’aux auteurs et aux complices des délits et contraventions ; d’où il suit que, lorsqu’une contravention aux lois de douanes a été commise par un fils mineur demeurant chez son père, celui-ci en est, sous le rapport de l’amende, civilement responsable »

Il est évident que cette jurisprudence a singulièrement étendu la disposition exceptionnelle qu’elle invoquait. Assurément l’amende cesse d’être personnelle quand, après avoir frappé les contrevenants, elle remonte jusqu’aux propriétaires des marchandises saisies. Mais il ne fallait pas confondre cette responsabilité spéciale, établie entre les propriétaires des choses saisies et leurs facteurs, avec la responsabilité civile que l’article 1384 du Code civil fait peser sur les pères et mères, maîtres et commettants, à. raison du dommage causé par leurs enfants mineurs, domestiques et préposés. La première repose sur la présomption que la fraude a eu lieu par les ordres et du consentement des propriétaires ; la seconde n’est qu’une conséquence du devoir de surveillance imposé à toutes les personnes sous la dépendance desquelles d’autres personnes sont placées. La première n’atteint que les seuls propriétaires des objets de contrebande, et elle les rend garants des amendes, parce qu’elle suppose entre eux et leurs agents une sorte de complicité ; la seconde s’étend à toutes les personnes que leur position oblige à une surveillance habituelle, et ne les rend responsables que des réparations civiles, parce qu’elle suppose, non point une collusion, mais une simple négligence. Enfin, l’une est une exception au droit commun motivée par la nature spéciale de l’infraction, par la nécessité d’en atteindre tous les auteurs ; l’autre n’est qu’une application de la règle générale qui veut que chacun supporte les conséquences de sa négligence ou de son imprudence.

La jurisprudence n’a pas aperçu ces différences ; elle a confondu la règle et l’exception, elle a expliqué la disposition des lois de 1791 et de l’an XIII avec l’article 1384 du Code civil ; elle a méconnu non seulement l’esprit, mais le texte même des lois qu’elle appliquait. Cette jurisprudence n’apporte donc point un poids sérieux dans la question relative au caractère des amendes. Il faut ajouter, au surplus, que, chaque fois que la Cour de cassation a été appelée à régler, en ce qui concerne le payement de ces amendes, les effets du décès du contrevenant, elle n’a pas hésité à déclarer ces peines éteintes. Ainsi, elle .a décidé, en matière de douanes, que les héritiers d’un contrebandier décédé ne peuvent être poursuivis en condamnation de l’amende applicable à la contravention : « attendu que l’action publique s’éteint par la mort du coupable... et qu’une amende ordonnée par la loi pour la punition d’un délit ne peut être poursuivie que par l’action publique ». Elle a également jugé, en matière de contributions indirectes, « qu’en matière de contravention aux lois fiscales, comme dans toutes les autres matières, les amendes ont un caractère pénal ; qu’elles sont donc personnelles ; que l’action s’en éteint donc par le décès du contrevenant, lorsqu’il a lieu avant que la condamnation ait été prononcée ». Cette première jurisprudence, plus fidèle au principe de la matière que celle qui l’a suivie, fait une saine application de ce principe : l’action publique est éteinte, en matière de contravention aux lois fiscale comme en toute autre matière, par le décès du contrevenant avant toute condamnation définitive.

974 - Le décès du prévenu éteint-il l’exercice de l’action publique en ce qui concerne la confiscation des objets saisis ? Aux termes de l’article 11 du Code pénal, « la confiscation spéciale soit du corps du délit, quand la propriété en appartient au condamné, soit des choses produites par le délit, soit de celles qui ont servi ou qui sont destinées à le commettre, est une peine ». Or, l’action publique pour l’application d’une peine s’éteint, suivant l’article 2 du Code d’instruction criminelle, par la mort prévenu. Il est donc évident que la confiscation spéciale ne peut être poursuivie après le décès.

Conformément à ce principe, la Cour de cassation a successivement jugé : 1° dans une espèce où le détenteur de poids et mesures illégaux avait été renvoyé de la poursuite et les poids et mesures confisqués : «  que la confiscation n’est en général que l’accessoire d’une autre peine et la suite de la déclaration de culpabilité du prévenu » ; 2° dans une deuxième espèce identique : «  que la confiscation des faux poids et des fausses mesures saisis n’est que l’accessoire de la peine principale et que dés lors elle ne peut être prononcée contre le prévenu qui n’est pas déclaré coupable de cette contravention » ; dans une, espèce ou la confiscation d’un fusil de chasse avait été prononcée quoique le délinquant fût demeuré inconnu : « que la confiscation de l’instrument du délit n’est que l’accessoire de la peine dont la loi punit ceux qui s’en sont servis pour le commettre; qu’elle ne peut donc être légalement prononcée lorsque le prévenu de ce délit est resté inconnu ». Il résulte évidemment de cette jurisprudence que, puisque la confiscation spéciale est une peine, qu’elle ne peut être prononcée que comme accessoire d’une autre peine et comme une conséquence de la culpabilité du prévenu, il n’y a pas lieu de l’appliquer quand le décès du prévenu a précédé la condamnation.

975 - Cette règle, toutefois, reçoit deux restrictions.

La première a pour objet les marchandises prohibées par les lois fiscales : l’article 23 du Titre 10 de la loi du 22 août 1791 et l’article 34 du décret du 1er germinal an XIII déclarent que la nullité du procès-verbal, en matière de douanes et de contributions indirectes, ne fait pas obstacle à ce que la confiscation des marchandises soit prononcée. Ce n’est plus le contrevenant que la confiscation veut atteindre, c’est la marchandise elle-même. La Cour de cassation a jugé par ce motif : «  que cette confiscation, étant une disposition particulièrement relative à la chose même, ne saurait être rangée dans la classe des dispositions pénales qui, étant uniquement applicables à la personne, cessent d’avoir leur effet quand le prévenu est décédé ; d’où il suit que la confiscation de l’objet saisi pour contravention à une loi prohibitive peut être et demandée et poursuivie contre les héritiers mêmes du contrevenant, après le décès de celui-ci ». Et par un autre arrêt : « que la confiscation d’une marchandise prohibée n’a rien de personnel ; qu’elle n’affecte que la marchandise ; qu’elle doit donc l’atteindre en quelque main qu’elle se trouve ; que le décès du contrevenant ne pouvait donc être un obstacle à ce que la confiscation des tabacs sur lui saisis fût ordonnée contre son héritier ».

La deuxième restriction a pour objet les choses nuisibles dont la suppression ou la destruction est ordonnée par la loi. Tels sont les comestibles gâtés, les boissons falsifiées, les armes prohibées. La possession de ces objets est un délit non seulement pour celui dans les mains duquel ils ont été saisis , mais pour ses héritiers, dans les mains desquels ils tombent à son décès. C’est en ce qui concerne les choses de cette nature que l’on peut avec M. Merlin : « La confiscation affecte les choses saisies ; ce sont les choses saisies qui forment le corps de la contravention à laquelle la loi inflige la peine de la confiscation. La peine de la confiscation doit donc atteindre les choses saisies tant qu’elles existent ; elle doit donc les atteindre partout où elles se trouvent ; elle doit donc les atteindre même entré les mains des tiers à qui le contrevenant les a transmises ; elle doit donc les atteindre même entre les mains de l’héritier du contrevenant ». On peut dire, au surplus, que dans les deux cas notre règle ne reçoit point, à proprement parler, une restriction véritable ; la contravention s’est continuée en la personne de l’héritier, aussitôt la chose prohibée a passé, à titre d’héritage, entre ses mains ; en poursuivant contre lui la peine de la confiscation, ce n’est pas le délit de son auteur que l’on poursuit, c’est le sien propre ; l’action publique, en demandant la confiscation d’une chose prohibée, ne poursuit point un délit éteint par le décès du délinquant, elle poursuit la possession de cette chose par son héritier.

976 - Quelle est l’influence du décès du prévenu sur la condamnation avec frais ? Il est évident que, lorsque la condamnation est devenue définitive, le remboursement des frais peut être poursuivi contre les héritiers. Cette question avait présenté quelques doutes dans une espèce où le décès du condamné, postérieur à la condamnation devenue définitive, avait précédé l’exécution ; ses héritiers réclamèrent contre l’application des frais, et la cour de justice criminelle, qui avait prononcé la condamnation, les en avait déchargés.

Le conseil d’État, saisi de l’examen de la question, déclara « qu’il est de principe que la mort avant le jugement éteint l’action criminelle, qu’après le jugement contradictoire elle affranchit le condamné de la peine ; mais que, dans les deux cas, elle laisse subsister l’action et les adjudications civiles ; que mal à propos on a regardé le remboursement des frais comme l’équivalent de la confiscation, laquelle, ainsi que la mort civile, n’est que la suite de l’exécution ; que le remboursement des frais n’est qu’une indemnité accordée au fisc, aux dépens duquel se font les poursuites, et qui a les mêmes droits que les plaignants et les accusateurs privés , et par avis du 26 fructidor an XIII, il renvoya l’administration des domaines à se pourvoir devant la Cour de cassation.

Cette Cour, par arrêt du 5 décembre 1806, se borna à casser l’arrêt de la cour de justice criminelle et à renvoyer les réclamants devant les tribunaux civils, attendu qu’il s’agissait uniquement, dans l’espèce, de décider si l’événement de la mort du condamné avant l’exécution de l’arrêt altérait le droit en vertu duquel le remboursement des frais de procédure était acquis à la régie ; et que cette contestation purement civile excédait les attributions de la cour de justice criminelle ».

Il résulte de ces deux décisions que les frais, dans cette première hypothèse, doivent être supportés par les héritiers. On ne peut qu’adhérer à cette solution, puisque la condamnation, étant devenue définitive, devait, même après le décès, être exécutée dans toutes les choses susceptibles d’exécution, et que l’exécution des condamnations pécuniaires n’est point étroitement liée à celle des peines corporelles. La question ne présente, au surplus, qu’un intérêt de principe, puisque les condamnations pénales, aux termes de l’article 23 du Code pénal, sont exécutoires du jour où les arrêts sont irrévocables.

Mais lorsque le prévenu ou l’accusé meurt sans avoir été frappé d’aucune condamnation, ou lorsque cette condamnation est frappée d’appel ou de pourvoi, ou enfin lorsque les délais de cet appel ou de ce pourvoi ne sont pas expirés, la condamnation aux frais peut-elle être poursuivie contre les héritiers ? La Cour de cassation a jugé, dans plusieurs espèces où le décès était survenu après la condamnation et avant qu’il eût été statué sur le pourvoi, qu’il n’y a plus lieu dans ce cas à statuer relativement à l’exécution de la peine, parce que la mort a éteint l’action publique ; mais qu’il y a lieu de statuer sur le pourvoi relativement à la condamnation aux frais et aux indemnités civiles ; qu’elle doit donc à cet égard examiner la régularité de la procédure et du jugement de condamnation, et cela sans qu’il soit nécessaire d’appeler les héritiers on représentants du condamné, sauf à ceux-ci à former opposition à l’arrêt qui aurait rejeté le pourvoi.

Cette distinction peut donner lien à quelques observations. La condamnation aux frais de la procédure criminelle n’est point une peine, mais elle est la conséquence, l’accessoire d’une peine ou du moins d’une déclaration de culpabilité. Elle n’est pas purement civile, elle est de nature mixte, elle prend sa source non dans le préjudice causé, comme les dommages-intérêts et les restitutions civiles, mais dans le caractère moral du fait et dans la culpabilité de l’agent. C’est par ce motif que les articles 162 et 368 du Code d’instruction criminelle ne font supporter les frais qu’à la partie qui succombe sous l’accusation criminelle dont elle est l’objet. C’est par ce motif que la Cour de cassation a maintes fois déclaré « que la condamnation aux frais n’est que la conséquence de la condamnation prononcée contre le prévenu déclaré coupable d’un fait punissable ».

À la vérité, elle a mis en même temps les frais à la charge soit des accusés absous, soit des mineurs acquittés pour défaut de discernement ; mais c’est que, dans l’un et l’autre cas, elle a vu, à côté, soit de l’absolution, soit de l’acquittement, un fait, non punissable à la vérité, mais répréhensible et même coupable ; c’est qu’elle a fait de cette condamnation l’accessoire d’une déclaration de culpabilité qui, pour ne motiver aucune peine, n’en existait pas moins. Or quel est l’effet direct et immédiat du décès de l’accusé avant qu’il soit statué sur le pourvoi ? C’est d’anéantir la condamnation principale, c’est d’effacer jusqu’à la déclaration de culpabilité qui en était la base. La condamnation aux frais, qui ne peut exister qu’accessoirement à cette déclaration, qui n’en est qu’une conséquence et qu’un effet, doit donc cesser d’exister avec la cause qui l’a produite. La faire survivre à cette déclaration, c’est lui assigner pour base un fait dommageable peut-être, mais non un fait criminel ; car elle n’est légitime, elle ne peut être prononcée, que lorsque la procédure criminelle a été justement exercée, c’est-à-dire lorsque le fait objet de cette procédure est qualifié crime, délit ou contravention par la loi.

977 - Le décès du prévenu n’éteint l’action publique qu’en ce qui concerne ce prévenu seulement ; elle peut librement s’exercer contre ses coauteurs ou ses complices.

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NB : Certains des derniers développements ci-dessus sont dépassés en l’état des textes actuellement applicables. Mais nous les avons conservés, non seulement en raison de leur valeur scientifique, mais encore parce qu’ils peuvent se retrouver d’actualité si des dispositions proches venaient à être adoptées.

Signe de fin