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LE PRINCIPE
DE LA SÉPARATION DES FONCTIONS

Extrait du « Cours de procédure pénale »
de G. LEVASSEUR ( Paris 1959-1960 )

Le principe de la séparation des fonctions
répond à une nécessité pratique manifeste.
En effet, l’exercice de telle ou telle fonction
suppose tant des qualités personnelles appropriées
qu’une formation professionnelle spécifique.

Ce principe se manifeste au juriste à travers
les trois fonctions classiques,
législative, judiciaire et exécutive ;
et dans la vie du Palais par la séparation
des fonctions de poursuite et de jugement.

Plan :

1° Sens et raison d’être de ce principe.

2° Domaine respectif et attributions de chacune des fonctions.

3° Effets attachés au principe de la séparation des fonctions.

N.B.  Depuis la publication de ce cours, les règles de procédure ont été à plusieurs reprises modifiées, parfois dans le sens préconisé par l’auteur ; mais l’exposé des principes généraux demeure toujours aussi instructif.

§ 1 - Le sens et la raison d’être du principe
de la séparation des fonctions

C’est au pouvoir législatif et à lui seul que revient normalement le droit et la charge d’établir les règles de l’organisation répressive. Le principe de la légalité domine en effet, à notre sens, l’ensemble de la répression, et pas seulement, comme la plupart des auteurs semblent le dire, les incriminations et les peines.

C’est par contre au pouvoir judiciaire qu’il revient d’examiner les infractions commises et de prononcer contre leurs auteurs les peines prévues par la loi, après quoi, le pouvoir exécutif interviendra pour assurer l’exécution de la sentence du juge. Toutefois, depuis une évolution récente, cette exécution doit s’opérer sous le contrôle du juge, qui désormais peut apporter à la sentence qu’il avait rendue diverses retouches.

Mais le rôle ainsi dévolu au pouvoir judiciaire est complexe ; il va falloir en effet découvrir les infractions commises, en identifier les auteurs, saisir la juridiction répressive compétente, examiner si les faits tombent bien sous les dispositions d’un article de la loi pénale, et, si la qualification des faits est exacte, évaluer la culpabilité de l’individu en fonction de la part qu’il a prise à l’infraction et, en fonction de sa responsabilité personnelle, choisir la peine qui lui sera appliquée afin que cette peine remplisse son rôle rétributif en fonction de la faute de l’individu, et qu’elle assure aussi la réadaptation du délinquant. Dans certains cas, le juge choisira une mesure de sûreté. En suite de quoi, c’est encore le juge qui devra veiller à modifier au besoin la sentence qu’il a rendue, afin que la peine prononcée remplisse bien les buts que le juge s’est proposé en la prononçant.

Or ces diverses tâches qui incombent au pouvoir judiciaire peuvent-elles être confiées au même magistrat ? N’exigent-elles pas des qualités différentes pour être accomplies avec le plus d’efficacité ? N’exigent-elles pas des connaissances différentes ? Certains le pensent et voudraient que la spécialisation du juge répressif non seulement le sépare du magistrat civil, contrairement à la règle qu’admet notre droit positif, mais qu’il soit cantonné dans l’un ou dans l’autre des divers aspects de la tâche que nous venons de décrire.

Cependant le législateur n’a pas suivi ces suggestions ; non seulement il admet l’unité de la justice civile et répressive, mais, a fortiori, il estime que les magistrats doivent avoir une vocation équivalente à toutes les fonctions répressives. Il ne juge pas souhaitable de spécialiser le juge dans tel ou tel des aspects de la fonction répressive.

Il n’empêche pourtant qu’il existe un principe de la séparation des fonctions, mais ce principe n’a pas le sens qu’on pourrait de prime abord lui attribuer. S’il existe un principe de la séparation des fonctions, c’est parce qu’au point de vue de la liberté individuelle, au point de vue des garanties de la défense, au point de vue de la sérénité et de l’objectivité de la justice, le législateur estime qu’il n’est pas souhaitable que, dans un procès déterminé, la personne qui a rempli un rôle judiciaire de poursuite soit amenée dans le même procès à faire ensuite des actes d’instruction, et a fortiori à prendre des décisions de jugement. Et de même, le législateur estime qu’il n’est pas souhaitable que, dans le même procès, un magistrat qui a participé à l’instruction de l’affaire soit appelé ensuite à la juger. C’est en ce sens que législateur a posé le principe que les trois fonction, de poursuite, d’instruction et de jugement, devaient être nettement séparées ; elles le sont effectivement en ce sens que le même magistrat ne peut pas, dans la même affaire, avoir occupé plusieurs de ces fonctions.

En effet, si la fonction d’instruction était confiée au même magistrat que la poursuite (ce qui avait été prévu dans le projet de réforme du Code d’instruction criminelle préparé sous la présidence de Donnedieu de Vabres, qui confiait l’instruction au Procureur de la République) on pourrait craindre que la recherche des preuves n’offre pas toutes les garantie désirables. On pourrait craindre que cette recherche ait davantage pour but l’accablement du suspect que la manifestation de la vérité, du fait que celui qui recherche et établit ces preuves serait celui qui cherche à confondre la personne suspectée et poursuivie. On peut même se demander s’il est souhaitable que le magistrat qui a réuni les preuves, et qui doit les rechercher de façon objective et indépendante (il doit instruire à charge et à décharge) pendant le cours de l’instruction, soit également celui qui est appelé à se prononcer ensuite sur la pertinence et la suffisance des preuves qu’il a déjà réunies et à décider si elles justifient la comparution de l’inculpé devant une juridiction de jugement. Dans le régime du Code d’instruction criminelle les deux attributions étaient confiées à des autorités différentes. C’est la loi de 1856 qui les a réunies en les confiant toutes deux au juge d’instruction en adjoignant au pouvoir d’instruction qu’il possédait déjà, un pouvoir de juridiction exercé jusque- là par la Chambre du conseil du tribunal correctionnel.

D’autre part, il serait choquant que celui qui a été, à un moment donné, l’adversaire du prévenu, soit ensuite appelé à le juger (confusion de la poursuite et du jugement).

On pense même qu’il vaut mieux que le juge qui a réuni les preuves – même s’il a procédé à sa mission de façon objective - ne participe pas au jugement, parce qu’il peut avoir des idées préconçues sur la culpabilité du prévenu à la suite de l’instruction à laquelle il a procédé, Or le principe accusatoire qui domine la procédure de jugement veut que le juge arrive avec un esprit neuf et non prévenu au seuil des débats, et qu’il se décide uniquement d’après ces débats, subsidiairement d’après le dossier, dans la mesure tout au moins où le dossier lui permet d’éclairer les débats qui ont eu lieu devant lui.

Cette règle qui interdit au Magistrat qui a fait un acte d’instruction dans l’affaire, de participer au jugement de cette affaire, est éminemment favorable au prévenu ; car si le prévenu comparait devant la juridiction de jugement, c’est par hypothèse parce que le juge d’instruction a estimé qu’il y avait des charges suffisantes ; c’est donc que, déjà, le juge d’instruction a un certain préjugé à l’encontre de la personne poursuivie. Or l’instruction préparatoire, du fait qu’elle consiste à rechercher s’il existe des charges précises contre l’inculpé, permet à cette phase de la procédure de jouer le rôle d’une sorte de filtre, ne laissant venir devant la juridiction de jugement que des affaires qui paraissent fondées, sérieuses, qui ne reposent pas sur des accusations sans fondement. Il est en effet fort grave pour la réputation de l’individu, d’avoir à comparaître devant une juridiction répressive : même s’il est acquitté par cette juridiction, sa réputation pourra en souffrir, sans compter tous les autres inconvénients d’ordre matériel et moral. Il faut donc éviter d’envoyer devant la juridiction de jugement des gens contre qui les charges sont insuffisantes ; et la phase de l’instruction préparatoire aboutissant à la décision de renvoi ou à la décision de non-lieu est précisément destinée à jouer ce rôle utile. C’est pourquoi on pense que le juge d’instruction qui, s’est déclaré favorable à la mise en jugement a déjà certains préjugés contre le prévenu, et on préfère l’écarter de la juridiction de jugement pour que ceux qui la composent se prononcent avec une parfaite objectivité.

Tel est le sens et telle est la raison d’être de ce principe de la séparation des fonctions qui joue un rôle capital dans notre organisation répressive.

§ 2 - Le domaine respectif
de chacune de ces trois fonctions

Le domaine respectif de chacune des trois fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement ; les attributions qu’elles comportent ; les personnages judiciaires auxquelles elles sont confiées.

Sans doute, le rôle du. juge répressif est maintenant, nous l’avons signalé, sensiblement élargi dans le temps ; il ne s’arrête plus avec le prononcé de la sentence : le juge n’a complètement accompli sa tâche que lorsque la peine sera terminée et qu’elle aura produit les effets qu’il en attendait, de sorte qu’il existe à l’heure actuelle une sorte de "fonction d’exécution" dont l’autorité judiciaire est, elle aussi, saisie, fonction qui est dévolue au juge de l’application des peines, spécialement chargé de l’adaptation éventuellement nécessaire.

Mais cette fonction d’exécution, qui est actuellement encore embryonnaire, peut se rattacher à la fonction de jugement, car c’est la suite normale de la décision que le juge avait prise, les modifications que le juge de l’application des peines sera amené à apporter procéderont des mêmes soucis que ceux qui ont inspiré la sentence, et du reste le juge de l’application des peines à l’heure actuelle est précisément un magistrat dont les fonctions sont des fonctions de jugement ; il est choisi parmi les magistrats du siège. Il n’y a donc en définitive que les trois fonctions traditionnelles de la justice répressive à examiner.

I -  La fonction de poursuite

A)  En quoi consiste la fonction de poursuite ?

Le rôle essentiel des autorités de poursuite, c’est de déclencher les poursuites, de mettre en mouvement l’action publique, c’est-à-dire l’action que la société intente contre celui qui a enfreint ses lois. Après le déclenchement de l’action publique, des magistrats chargés de la fonction de poursuite doivent soutenir les intérêts de la société lésée, représenter celle-ci au cours du procès, et plaider en son nom. Enfin, une fois la décision obtenue, ils devront veiller à l’exécution de cette décision.

Seulement, avant de pouvoir entreprendre cette tâche, et précisément pour savoir quand il y a lieu de mettre l’action publique en mouvement et contre qui, il faut que le magistrat chargé de la poursuite soit au courant de l’infraction commise, qu’il soit informé de l’existence de cette infraction.

a) C’est pourquoi la première, chronologiquement, des tâches du magistrat chargé des poursuites sera tout d’abord de diriger des recherches systématiques ayant pour but la découverte des infractions.

Il les fera exécuter par des services spécialisés, les services qui composent ce que l’on appelle la police judiciaire placée sous les ordres du Ministère public, ainsi qu’il ressort des articles 12 et 13 du Code de procédure pénale.

Art. 12 : La police judiciaire est exercée, sous la direction du procureur de la République, par les officiers, fonctionnaires et agents désignés au présent titre.

Art. 13 : Elle est placée dans chaque ressort de cour d’appel, sous la surveillance du procureur général.

La police judiciaire qui reçoit du public plaintes et dénonciations, les transmet aux magistrats chargés des poursuites qui, d’ailleurs, peuvent en être saisis eux-mêmes directement.

La police judiciaire leur adresse également les procès-verbaux et les rapports qu’elle est amenée à établir et qui contiennent les constatations que ses membres ont eu l’occasion de faire au cours de l’exercice de leurs fonctions qui consistent précisément à rechercher Ies infractions.

Art. 40 : Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner.

Toute autorité constituée, ou tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.

Cette obligation pèse sur les fonctionnaires en général, et particulièrement sur ceux de la police judiciaire ; mais les particuliers eux-mêmes sont tenus, dans certains cas, de porter à la connaissance des autorités publiques, c’est-à-dire finalement à la connaissance du magistrat chargé des poursuites, les infractions graves dont ils ont eu connaissance.

Ils y sont parfois tenus sous sanction pénale ; en effet, l’article 62 du Code pénal (ord. du 25 juin 1945) prévoit des peines correctionnelles à l’encontre de celui qui, ayant connaissance d’un crime déjà tenté ou consommé, n’aura pas, alors qu’il était encore possible d’en prévenir ou d’en limiter les effets, ou qu’on pouvait penser que les coupables ou l’un d’eux commettrait de nouveaux crimes qu’une dénonciation pourrait prévenir, averti aussitôt les autorités administratives ou judiciaires.

Par conséquent, lorsqu’il s’agit d’un crime les particuliers doivent prendre l’initiative de prévenir les pouvoirs publics.

Le magistrat chargé des poursuites peut d’ailleurs procéder à ces recherches et les faire directement. Il en est ainsi notamment en cas d’infractions flagrantes (art. 41 C.P.P.).

b) La seconde tâche. du magistrat chargé de fonctions de poursuites - seconde chronologiquement mais c’est sa tâche essentielle - c’est de mettre en mouvement, l’action publique.

Si, une infraction ayant été commise, il lui apparaît que, du point de vue légal, la loi a été violée, et qu’il est opportun d’exercer des poursuites, le Ministère public devra déclencher l’action publique et il le fera par des procédés techniques appropriés que nous étudierons plus tard. Il n’est pas nécessaire que l’auteur de l’infraction soit déjà connu ; s’il est inconnu, le magistrat chargé des poursuites pourra néanmoins déclencher l’action publique, et pour cela saisira le juge d’instruction d’un "réquisitoire afin d’informer contre X". Le juge d’instruction ainsi saisi, avec les moyens d’investigation dont il dispose, et qui sont plus étendus, plus puissants que ceux du procureur de la République, s’efforcera d’arriver à identifier l’auteur des faits constatés.

Dans cette mise en mouvement de l’action publique, le magistrat chargé des poursuites pourra être secondé par la victime de l’infraction, à qui la loi donne le droit de mettre elle-même en mouvement l’action publique (art. 3 C.P.P.).

La victime peut porter son action en réparation du préjudice que l’infraction lui a causé, son action civile, (qui est normalement de la compétence des tribunaux civils) devant le juge répressif compétent pour juger l’infraction ; si elle procède ainsi, elle déclenche automatiquement en même temps l’action publique. Le magistrat chargé des poursuites peut donc voir sa tache facilitée par l’aide que la victime peut lui apporter, en se chargeant de mettre elle-même en mouvement, indirectement, l’action publique.

c) Mais si la victime peut ainsi déclencher l’action publique, elle n’a pas l’exercice de l’action publique. Une fois la justice répressive saisie, l’exercice de l’action publique est confié uniquement et exclusivement au magistrat chargé des poursuites.

C’est le Ministère public en effet qui, au cours du procès pénal depuis le début jusqu’à la fin, va être chargé de soutenir l’accusation.

Dès le début de ce procès, il précisera ses prétentions. Il les modifiera au besoin d’ailleurs au cours du procès pénal, au cours de l’instruction d’abord, s’il y en a une, au cours des débats ensuite, en fonction de ce que cette instruction ou ces débats apporteront comme éléments nouveaux. Il fera connaître des prétentions par des réquisitoires, par des conclusions qu’il prendra devant la juridiction de jugement.

Étant ainsi partie au procès, et même une partie demanderesse, il peut suggérer de recourir à certains actes d’instruction, à certaines investigations. Il peut, à la suite des décisions qui seront rendues soit au cours de l’instruction, soit au cours de la phase de jugement, qu’il s’agisse de décisions préparatoires ou de décisions sur le fond, exercer les voies de recours (par exemple, au cours de l’instruction, contre les décisions de mise en liberté provisoire de l’individu, contre les décisions de non- lieu, etc.). Chaque fois qu’une décision doit être prise, que ce soit par le juge d’instruction ou par la juridiction de jugement, le Ministère public doit être consulté, car il est partie au procès, partie poursuivante, partie demanderesse Il en résulte d’ailleurs qu’il a, en principe, comme tout demandeur, la charge de la preuve. Et, comme la procédure est contradictoire devant la juridiction de jugement, il doit se trouver sur un pied d’égalité avec la défense ; il devra lui communiquer ses pièces, etc.

Cependant, le ministère public n’est pas tout à fait une partie ordinaire. S’il succombe, si l’individu bénéficie d’un non-lieu ou est acquitté, le ministère public n’est pas condamné aux dépens, car il agit uniquement au nom de la société. D’autre part, il n’est pas responsable, alors qu’un plaideur téméraire est respon­sable envers son adversaire ; le Ministère public n’est responsable qu’en cas de dol, en cas de mauvaise foi dans les poursuites qu’il a intentées, ou bien en cas de faute lourde professionnelle.

Il diffère également d’une partie ordinaire, parce qu’il n’est pas obligé de requérir la condamnation du prévenu, s’il lui apparaît que, finalement, cette condamnation n’est pas souhaitable. Lorsqu’il fait appel de la condamnation prononcée, c’est généralement parce que la peine lui parait insuffisante ; mais il pourrait très bien faire appel parce qu’au contraire la peine lui parait exagérée. De même, il ne peut pas se désister de son action ; son désistement ne mettra pas fin à l’action publique engagée. Il ne peut pas non plus transiger sur l’action publique, acquiescer à la décision rendue, c’est-à-dire renoncer à exercer des voies de recours, comme un particulier, et notamment la victime, peut le faire pour son action civile. Tout cela lui est interdit, parce que l’action publique ne lui appartient pas ; elle appartient à la société, et le Ministère public n’est ici qu’un mandataire. Pour qu’il puisse renoncer à l’action publique, il faudrait, par exemple, que les représentants qualifiés de la société l’y aient autorisé, par exemple que le législateur ait fait une loi d’amnistie ; en ce cas ce serait le peuple souverain qui aurait renoncé à l’action publique. Le Ministère public n’a pas, lui, la disposition de cette action, on lui en confie seulement l’exercice. L’article 1er du Code de procédure pénale a sur ce point rectifié heureusement la formule de l’article 1er du Code d’instruction criminelle : L’action publique pour l’application des peines est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi.

B)  Les attributaires de la fonction de poursuite ?

Deux hypothèses sont à examiner : celle de l’attribution de droit commun, et les cas d’attribution exceptionnelle.

a) L’attribution du pouvoir de poursuite ; régime de droit commun.

En principe, la fonction de poursuite est confiée à un corps spécial de fonctionnaires judiciaires, à un corps de magistrats qui forment ce que l’on appelle le Ministère public.

Il existe auprès de chaque juridiction des magistrats chargés des fonctions de poursuite et qui, comme tels, appartiennent au Ministère public ; l’ensemble de ces magistrats auprès d’une juridiction forme le "Parquet" de cette juridiction. Cette appellation vient de ce qu’autrefois les représentants de la société, les "gens du Roi" et notamment le Procureur du Roi, étaient sur le même plan que les procureurs des parties, c’est-à-dire sur le parquet de la salle d’audience, et non point sur l’estrade où siégeait la juridiction. Aujourd’hui, le magistrat du Ministère public est, lui aussi, sur l’estrade, légèrement à part de la juridiction de jugement, nais sur un plan plus élevé que les représentants des particuliers (prévenus, parties civiles, civilement responsables, etc.). Ceci est contraire à la tradition historique, et on a pu qualifier plaisamment cette situation d’"erreur de menuisier".

Les magistrats du Ministère public sont aussi désignés par l’appellation de "magistrats debout", ce qui s’explique par cette circonstance très simple qu’étant représentants d’une partie au procès, de la partie demanderesse qui est la société, ils se lèvent pour requérir devant la juridiction, de même que les avocats des parties se lèvent par respect devant le tribunal pour prononcer leur plaidoirie. les magistrats de jugement, qui sont au contraire assis sur leur siège, sur leur estrade, sont dénommés familièrement "les magistrats assis", ou "magistrats du siège", par opposition au Parquet.

le Parquet qui se trouve auprès du tribunal de grande instance (et que l’on peut appeler "parquet correctionnel") fournit les magistrats du Ministère public chargés d’exercer auprès du tribunal correctionnel et éventuellement auprès du tribunal de police (art. 45 C.P.P.).

Le Parquet correctionnel a pour chef le Procureur de la République, qui est très directement l’héritier du Procureur du Roi. Il est assisté d’un certain nombre de magistrats appartenant également au Ministère public et qui font partie de son Parquet, mais qui se trouvent vis-à-vis de lui dans une situation subordonnée.

Dans les très grands tribunaux, il y a des procureurs adjoints … Dans les tribunaux de moindre importance, le Procureur de le République est assisté par des substituts du Procureur de la République, qui travaillent sous ses ordres.

Au niveau de la Cour d’appel, nous trouvons le Parquet général dont les membres exercent leurs fonctions auprès de la Chambre des appels correctionnels, auprès de la Chambre [de l’instruction], et même éventuellement auprès de la Cour d’assises, puisque ce sont là différentes sections de la Cour d’appel.

Le chef du "Parquet général" est le Procureur général, qui est assisté d’un ou de plusieurs avocats généraux, et d’un certain nombre de substituts du Procureur général…

Enfin, près de la Cour de cassation, il y a un Parquet dont les magistrats exercent leurs fonctions auprès notamment de la Chambre criminelle (dans certains cas, les Chambres réunies peuvent être amenées également à connaître des questions pénales).

Le Parquet de la Cour de cassation est dirigé par le Procureur général près la Cour de cassation,, assisté d’avocats généraux, dont certains sont spécialement affectés au service de la Chambre criminelle.

N.B. Il n’y a pas de Parquet auprès du tribunal de police. Les fonctions fondamentales qui appartiennent au Parquet d’une juridiction sont ici remplies par le Parquet du tribunal de grande instance. Le Procureur de la République peut en effet (art. 45 C.P.P.) toujours venir occuper le siège du Ministère public devant le tribunal de police, y venir en personne et a fortiori y envoyer un de ses substituts [ce qui s’impose en ce qui concerne les contraventions de la 5e classe].

Mais le représentant normal, habituel en quelque sorte, du Ministère public devant le tribunal de police est le commissaire de police du lieu où siège le tribunal (art. 45 C.P.P.) et le Procureur général désigne pour un an certains remplaçants éventuels choisis parmi les commissaires ou même simplement les officiers de police, chefs de services de sécurité publique en résidence au siège d’un tribunal d’instance voisin faisant partie du ressort du même tribunal de grande instance. Si le commissaire de police ou aucun des remplaçants prévus par le Procureur général, ne peut ce jour-là venir à l’audience du tribunal de police, le juge du tribunal d’instance peut, à titre exceptionnel et s’il y a nécessité absolue (le tribunal ne pourrait pas siéger si le Ministère public n’était pas représenté), appeler pour la tenue de l’audience le maire de la localité ou un de ses adjoints à venir occuper le siège du Ministère public.

- Auprès de la Cour d’assises, qui est une section de la Cour d’appel, c’est normalement le Parquet général qui assure le service du Ministère public, donc le Procureur général ou un membre de son Parquet. Mais lorsque la Cour d’assises siège dans un département qui n’est pas celui de la Cour d’appel, elle se réunit au siège d’un tribunal de grande instance et les membres du Parquet correctionnel de la ville où se tiennent les assises qui peuvent être appelés à assurer le rôle de Ministère public aux lieu et place des membres du Parquet général.

b) Cas d’attribution exceptionnelle des fonctions de poursuite.

Dans certains cas exceptionnels, l’attribution des fonctions de poursuite est organisée différemment. L’art. 1er C.pr.pén. parle des "magistrats ou des fonctionnaires auxquels elle (l’action publique) est confiée par la loi". Or nous n’avons trouvé jusqu’à présent qu’un seul fonctionnaire qui puisse remplir les fonctions du Ministère public, c’est le commissaire de police ; encore n’appartient-il pas lui-même au Ministère public ; il ne fait qu’en exercer les fonctions.

Il y a dans certains cas une organisation exceptionnelle : soit parce que l’on se trouve devant une juridiction d’exception, soit parce que, bien que la juridiction compétente soit un tribunal de droit commun, ce n’est pas, à raison de l’infraction commise, le Ministère public habituel qui va remplir les fonctions de poursuite…

C)  Le statut du Ministère public

a) Le recrutement.

Les membres du Ministère public sont des magistrats recrutés par la voie normale de recrutement de la magistrature, c’est-à-dire, à l’heure actuelle, parmi, les élèves sortant du Centre National d’Études Judiciaires [École de la magistrature], de la même façon que les autres magistrats. Le recrutement par voie latérale fonctionne également de la même façon pour le Parquet que pour le Siège.

b) Le déroulement de la carrière.

Au point de vue de leur nomination et de leur mutation éventuelle, il faut remarquer que les magistrats, au cours de leur carrière, peuvent être nommés aussi bien dans un poste du Siège que dans un poste du Parquet. A grade égal, il y a une parité entre l’une et l’autre fonction. Au cours de leur carrière, la plupart des magistrats occupent successivement des fonctions au Siège ou au Parquet.

Ceci peut d’ailleurs paraître étonnant étant donné que le statut des magistrats du Ministère public n’est pas exactement celui des magistrats du Siège, notamment sur un point très important, celui de l’inamovibilité : alors que les magistrats du Siège sont inamovibles, ce qui est une garantie précieuse pour leur indépendance, les magistrats du Parquet ne bénéficient pas de cette prérogative…

c) La hiérarchie du Ministère public.

D'autre part, et c'est là un caractère fondamental du statut des magistrats du Ministère public, ils sont hiérarchiquement organisés et, dans cette hiérarchie, le supérieur a le droit de donner des ordres aux inférieurs.

1° Organisation de la hiérarchie.

Les représentants du Ministère public auprès du tribunal de police, qui n'appartiennent pas au Ministère public parce que ce ne sont pas des magistrats – ce sont généralement des Commissaires de police, mais qui sont chargés de remplir le rôle de Ministère public sans appartenir au corps du Ministère public - doivent exécuter les ordres du procureur de la République, comme 1’indique expressément l’article 44 C.P.P.

De même, les membres du Parquet correctionnel qui se trouve auprès du tribunal correctionnel doivent exécuter les ordres du chef de ce Parquet qui est le procureur de la République ; mais celui-ci doit exécuter et faire exécuter les ordres qu’il reçoit de l'échelon hiérarchique supérieur, c'est-à-dire du Procureur général.

Au sein du Parquet général, les membres (avocats généraux et substituts du Procureur général) sont tenus, eux aussi, d’exécuter les ordres du Procureur général, chef du Parquet.

Enfin, le Procureur général doit exécuter les ordres du Garde des Sceaux qui lui viennent de la Chancellerie.

Le Parquet de la Cour de cassation - Procureur général et avocats généraux - doivent également exécuter les ordres qu'ils reçoivent de la Chancellerie mais ils n'ont pas d'autorité sur les Parquets généraux des Cours d'appel. L’échelon du Parquet général de la Cour de cassation se trouve, à l’égard de la hiérarchie qui monte du Tribunal de police au Parquet correctionnel, au Parquet général et enfin au Garde des Sceaux, en retrait, mais subordonné lui aussi au Ministre de la Justice.

L'article 5 précité déclare que les magistrats du Parquet sont placés "sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous- l'autorité du Garde des Sceaux, Ministre de la justice". Des manifestations de ce pouvoir hiérarchique se relèvent également dans l’article 36 et l’article 37 du Code de procédure pénale.

2° Nature et portée des ordres reçus.

Quels ordres les membres du Ministère public peuvent-ils recevoir de leurs chefs hiérarchiques ?

Ils peuvent, par exemple, recevoir l’ordre d’intenter des poursuites à la suite de certains agissements. Si ces agissements constituent des infractions, il est normal que le Ministère public intente des poursuites, mais le procureur de la République à qui ce soin incombe dispose d’un pouvoir d’opportunité ; or il n’a pas à apprécier lui-même l’opportunité des poursuites s’il reçoit l’ordre d’avoir à les intenter. Il en serait de même d’ailleurs en sens inverse, s’il recevait 1’ordre de classer l’affaire. De même, il peut recevoir l’ordre de conclure dans tel ou tel sens, de réclamer telle ou telle condamnation ou, à la suite de la décision rendue par la juridiction de jugement, de faire appel ou, au contraire, de ne pas faire appel. En effet, les membres du Ministère public, à quelque échelon qu’ils appartiennent, sont les représentants de la Société ; ils sont les mandataires de celle-ci et ils doivent suivre les instructions de ceux qui sont les représentants qualifiés de la Société, c’est-à-dire du Gouvernement.

Si les membres du Ministère public n’obéissaient pas aux ordres qu’ils reçoivent dans ce domaine, ils engageraient leur responsabilité disciplinaire. Il en est ainsi en particulier parce qu’il n’y a pas, dans l’administration judiciaire, comme cela existe dans l’administration ordinaire, de pouvoir de substitution : ici le supérieur hiérarchique ne peut pas se substituer à l’inférieur et agir à sa place. Par exemple, lorsque le procureur de la République a reçu l’ordre de ne pas engager de poursuites et qu’il en a cependant engagées, l’action publique est déclenchée et l’affaire doit venir devant la juridiction de jugement. Il y a donc là un fait grave car il y a quelque chose de juridiquement irréparable Inversement, s’il a reçu l’ordre d’engager des poursuites et s’il ne les engage pas, le Procureur général ne peut la faire à sa place ; la seule ressource est de déplacer le Procureur de la République et d’en nommer un autre qui obtempérera aux ordres qu’il aura reçus. Le fait qu’il n’existe pas de pouvoir de substitution oblige à se montrer particulièrement strict en ce qui concerta l’obéissance hiérarchique.

Cependant, il ne faudrait pas croire que le représentant du Ministère public n’est qu’un rouage automatique qui obéit aux ordres qu’on lui donne. Il ne faudrait pas croire non plus que le Procureur de la République, et les magistrats du Ministère public en général, sont obligés de développer des thèses qu’ils estiment contraires à leur conscience. "La plume est serve, mais la parole est libre" dit un adage fort ancien ; ce qui signifie que les membres du Ministère public sont tenus d’obéir aux ordres qu’ils ont reçus de leurs supérieurs dans les conclusions écrites qu’ils prennent devant la juridiction où ils exercent leurs fonctions mais que dans leurs explications orales, ils conservent le droit de parler selon leur conscience. C’est là un principe traditionnel dont le C.proc.pén., désireux de souligner l’indépendance de la magistrature, même de celle qui est tenue à l’obéissance hiérarchique, a souligné expressément et confirmé l’existence dans l’article 33 C.proc.pén. qui déclare que le Ministère public "est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données dans les conditions prévues aux articles 36, 37 et 44". Mais : "Il développe librement les observations orales qu’il croit convenables au bien de la justice".

Si le procureur de la République ou, d’une façon générale, un membre du Ministère public, ne s’est pas conformé aux instructions qu’il avait reçues, il encourt des sanctions disciplinaires. Seulement, là aussi, on a voulu prendre certaines précau­tions contre l’arbitraire ; et les sanctions disciplinaires sont entourées de certaines garanties : elles ne peuvent être prises que sur avis de la Commission de discipline du Parquet, prévue à l’article 59 de l’Ord. 58-1270 du 22 décembre 1958...

Cette Commission, composée de pairs du membre du ministère public mis en cause, est appelée à donner un avis sur les poursuites disciplinaires, mais c’est au Garde des Sceaux qu’est réservée la possibilité de prendre la sanction. Toutefois lorsqu’il veut prendre une sanction plus forte que celle que la Commission a proposée, il doit au préalable saisir à nouveau la Commission de son projet de décision et le motiver (art. 66 de l’Ord. précitée) : les sanctions peuvent aller jusqu’à la révocation pure et simple du magistrat.

Ainsi, les membres du Ministère public ne bénéficient pas des mêmes garanties que les magistrats du Siège et notamment de l’inamovibilité, parce qu’ils sont tenus à une obéissance hiérarchique qui doit avoir sa sanction.

d) Autre caractère du statut des magistrats du Ministère public : l’irresponsabilité

Tous ceux qui représentent le Ministère public devant les juridictions, même lorsqu’ils ne sont pas des magistrats professionnels - ce qui peut arriver devant certaines juridictions d’exception ou même exceptionnellement devant les juridictions de droit commun - sont irresponsables à l’égard de la personne pour­suivie et aussi de la victime ; ni l’une, ni l’autre ne peuvent se plaindre du comportement du Ministère public à leur égard dans l’exercice de ses fonctions ; ni l’une, ni l’autre, ne peuvent récuser le Ministère public sous prétexte qu’il aurait un sentiment de partialité à leur égard.

Alors que les magistrats de jugement peuvent faire l’objet d’une récusation, le Ministère public ne peut pas être récusé pour cette raison qu’il est, non pas juge mais une partie au procès et qu’un plaideur ne peut pas récuser son adversaire. Par exemple, si le Ministère public a poursuivi sans avoir reçu de plainte, ou après que la victime a retiré sa plainte, personne ne peut s’en plaindre et la personne poursuivie ne saurait élever de réclamation.

Inversement, si le Ministère public ne donne aucune suite à la plainte que lui a adressée la victime, il est irresponsable vis-à-vis de celle-ci. Ni la victime, ni aucune des personnes en cause dans le procès ne peuvent lui demander des dommages-intérêts, lui reprocher une faute qui leur aurait causé un préjudice. Le seul moyen de mettre en jeu la responsabilité des membres du Ministère public, c’est de recourir à la procédure très difficile et exceptionnelle de la prise à partie

Le Ministère public est donc parfaitement indépendant à l’égard des parties en cause, mais il l’est également à 1’égard des juridictions, d’instruction ou de jugement. Celles-ci peuvent rendre des décisions contraires aux réquisitions du Ministère public, puisque, dans le procès pénal, il n’est qu’une partie. Mais si les magistrats statuent en leur conscience sur les faits qui leur sont soumis, ils ne pourraient pas censurer l’action du Ministère public comme parfois il leur arrive de censurer le plaideur qui a engagé une action intempestive.

Les magistrats de jugement ne peuvent pas davantage adresser au Ministère public des injonctions. les décisions qui contiendraient de telles atteintes à l’indépendance du Ministère public seraient susceptibles d’être attaquées par la voie du recours en cassation dans les conditions prévues par l’article 620 C.proc.pén. et la Cour de cassation serait amenée à les annuler de façon à faire respecter le principe.

e) Le dernier principe qui domine le statut du Ministère public et le fonctionnement de cette institution, est celui de l’indivisibilité du corps du Ministère public

Tous les membres d’un même Parquet (qu’il s’agisse du procureur de la République ou de l’un quelconque de ses substituts) sont censés représenter indistinctement le Ministère public de la juridiction à laquelle ils appartiennent. Il en résulte qu’ils peuvent se remplacer les uns les autres au cours d’une même affaire ; que l’affaire ait été ouverte sur un réquisitoire à fin d’informer, signé par le Procureur de la République, qu’ensuite le réquisitoire définitif ait été l’œuvre du substitut, que ce soit un troisième qui soit présent à l’audience, le jour où l’affaire est jugée, peu importe : c’est toujours le Ministère public qui a agi.

Il n’en est pas de même, on le verra, en ce qui concerne les juges de jugement, qui, eux, doivent être les mêmes depuis le début de l’examen de l’affaire jusqu’à la fin. Seuls ceux qui ont assisté à tous les débats depuis le début peuvent prendre part à la délibération finale ; et si l’un d’eux n’a pas pu assister à toutes les audiences où l’affaire a fait l’objet de débats, ou s’il ne se trouve pas en mesure d’assister au délibéré, il faut recommencer tout devant des juges nouveaux, car il est impossible qu’au cours d’une affaire un juge en remplace un autre.

II -  la fonction d’instruction

A)  En quoi consiste-t-elle ?

La fonction d’instruction consiste d’abord à rassembler des éléments de preuve sur l’affaire, c’est-à-dire que le magistrat chargé de l’instruction va rechercher s’il y a eu effectivement infraction, et pour cela, s’efforcer d’établir les circonstances exactes des faits pour permettre de savoir si les conditions de telle ou telle infraction sont bien réunies. Il va,. au besoin, rechercher l’identité des participants, car il est possible que l’infraction ne soit pas douteuse, mais que la personnalité de ceux qui l’ont commise ne soit pas parfaitement connue. S’il y en a plusieurs, il faudra rechercher la mesure de leur participation respective.

On peut donc dire que la tâche de l’instruction est de rechercher et de mettre en lumière tout ce qui peut contribuer à la manifestation de la vérité.

Par quels moyens ? Ces moyens sont très variés.

D’abord des constatations sur place pourront être faites sur les lieux de l’infraction, sur la personne de la victime ou sur la personne de l’auteur. Des renseignements seront recueillis de façon orale auprès des intéressés, auprès de ceux qui ont vu ou entendu quelque chose, auprès de la victime, des témoins, du suspect lui-même à qui on va demander des explications. On s’efforcera aussi de réunir des pièces (documents, objets, etc.) dites "pièces à conviction », (c’est-à-dire des pièces susceptibles d’entraîner la conviction du juge, de l’éclairer sur ce qui s’est réellement passé). Ces pièces, le magistrat chargé de l’instruction les recherchera au besoin au moyen d’investigations systématiques, telles que visites domiciliaires, perquisitions qui lui permettront de découvrir certains éléments intéressants. Ces éléments de preuve seront placés alors sous main de justice au moyen de saisies. Parfois même des procédés encore plus coercitifs pourront être employés : la garde à vue de la personne soupçonnée et même son arrestation, sa mise en détention préventive.

Telle est la face traditionnelle des fonctions du juge d’ instruction. Son rôle traditionnel est en effet de s’éclairer pour éclairer ultérieurement les magistrats de jugement sur les faits qui se sont réellement produits, de s’efforcer de dégager la vérité sur ces faits. Mais, aujourd’hui, le rôle du juge d’instruction ne s’arrête pas la. Ces investigations, il va en effet les conduire non seulement sur les faits mais également sur la personnalité de la personne soupçonnée. Cette instruction sur la personnalité vient maintenant doubler l’instruction sur les faits, du moins dans certains cas. Elle est obligatoire en ce qui concerne les mineurs, par exemple, mais le nouveau Code de procédure pénale a permis également de l’utiliser parfois, à l’égard de certains délinquants majeurs (art. 81) et la circulaire d’application recommande au juge de faire assez largement application de cette possibilité. Certaines parties de cette enquête de personnalité sont parfois obligatoires (notamment l’enquête sociale en cas de crime) ; en tout cas, dès que les examens médicaux ou médico-psychologiques prévus par la loi sont demandés, notamment par la défense, le juge d’instruction est pratiquement obligé d’y procéder puisqu’il ne peut s’y refuser que par une ordonnance motivée.

Pour réunir cette documentation sur les faits, d’une part, sur la personnalité, d’autre part, le magistrat à qui est confiée l’instruction dispose évidemment d’auxiliaires et ceux-ci ne sont pas les mêmes en ce qui concerne les deux faces de l’enquête qui est confiée au juge ; l’enquête sur les faits a lieu avec l’aide de la Police judiciaire ; pour l’enquête sur la personnalité, il est plutôt fait appel à un service spécialisé, notamment à. un service social.

Telle est la tache essentielle du magistrat à qui est confiée l’instruction, c’est-à-dire en principe au juge d’instruction. Celui-ci a cependant, comme nous le verrons en examinant la fonction de jugement, d’autres attributions ; il a depuis la loi de I856 des attributions contentieuses, ce qui constitue un pouvoir de jugement que le Code d’instruction criminelle avait confié à un organisme différent.

B)  À qui est confiée la fonction d’instruction ?

a)  Attribution normale de la fonction d’instruction

Normalement l’instruction est confiée au juge d’instruction. Le juge d’instruction est un magistrat du siège, un personnage objectif dont l’indépendance est assurée par le fait qu’il bénéficie du statut des magistrats du siège, y compris l’inamovibilité. C’est un magistrat du tribunal de grande instance.

Sa nomination et son statut sont prévus par l’article 50 C.proc.pén. Le juge d’instruction est un juge du siège nommé spécialement aux fonctions de juge d’instruction par un décret pour une période déterminée mais assez longue, trois ans. Au. bout de cette, période, il est possible qu’il soit renouvelé dans ses fonctions d’instruction. Il y a là une des manifestations timides d’une certains spécialisation au sein de la fonction judiciaire répressive. Il peut cependant être mis fin à ses fonctions avant la durée prévue et dans les mêmes formes, c’est-à-dire par un simple décret : le juge d’instruction retrouve alors simplement son statut et ses fonctions de magistrat du siège du tribunal de grande instance ; par conséquent, si le Garde des Sceaux a pu lui retirer l’instruction, sa carrière de magistrat assis ne doit pas en souffrir.

Le Code de procédure pénale s’est d’ailleurs efforcé d’augmenter les garanties d’indépendance du juge d’instruction ; cette indépendance était jugée autrefois plus théorique que pratique, et laissait place à certaines pressions. Pour remédier à cet état de choses, le Code de procédure pénale a voulu que le juge d’instruction ne soit jamais subordonné ni au procureur de la République ni au procureur général. C’est ainsi que le juge d’instruction ne doit être appelé à répondre de son activité que devant des magistrats du siège, devant le Président du tribunal de grande instance, par exemple, ou devant la Chambre d’accusation [devenue Chambre de l’instruction].

Dans les tribunaux de grande instance où il n’y a qu’un seul juge d’instruction, ce qui est un cas assez fréquent, c’est lui qui est saisi chaque fois qu’il y a lieu de recourir à la procédure dite de l’information, qui consiste à déclencher les poursuites en procédant d’abord à une instruction avant de saisir la juridiction de jugement. Si cet unique juge d’instruction est indisponible parce qu’il est malade ou empêché, le président du tribunal de grande instance désigne un autre juge du même tribunal pour le remplacer provisoirement dans les conditions prévues par les articles50, al. 5, et 83, al. 3, C.proc.pén. Il est à noter que le magistrat ainsi désigné ne pourra ensuite siéger dans la juridiction de jugement pour l’affaire dont il s’agit car il aura fait acte d’instruction dans cette affaire.

Si le tribunal n’est pas très important et si le juge d’instruction n’est pas très occupé, il peut ne pas être affecté uniquement à cette tache ; il peut parfaitement continuer à participer au jugement des affaires civiles ,devant le tribunal de grande instance, ou même au jugement des affaires pénales qu’il n’a pas instruites, ce qui sera le cas de toutes les affaires venant par voie de citation directe devant le tribunal correctionnel.

S’il y a auprès d’un même tribunal de grande instance plusieurs juges d’ins­truction, ce qui est le cas dans les grands centres, le problème se pose de savoir auquel de ces juges sera confiée telle nouvelle affaire qui se présente. Autrefois, ce choix était fait par le procureur de la République mais on a pensé qu’il y avait là pour lui un moyen de pression ou tout au moins un risque d’arbitraire et une immixtion fâcheuse du pouvoir de poursuite dans le fonctionnement de l’instruc­tion. C’est pourquoi, depuis le Code de procédure pénale, c’est le président du tribunal de grande instance qui est appelé à désigner celui des différents juges d’instruction auprès du tribunal qui sera chargé de telle ou telle affaire. A vrai dire, il procède à cette désignation, lui ou le magistrat du siège qu’il a délégué à cette fonction, sur la proposition du procureur de la République. Certes, il, n’est pas obligé de suivre cette proposition, mais pratiquement il le fera, en particulier s’il s’agit d’un simple délégué du Président qui appartient par conséquent à un niveau hiérarchique inférieur à celui du procureur de la République lorsque c’est le Procureur en personne qui présente cette requête. La réforme n’a donc pas changé grand chose en pratique.

Ce qui est plus important, c’est que le procureur de la République ne peut plus, comme autrefois, retirer l’affaire à un juge d’instruction pour la confier à un autre sans avoir à rendre compte de son comportement ; aux termes des articles 83 et 84 C.proc.pén., le juge d’instruction qui a été saisi d’un dossier ne peut en être dessaisi que par le Président du tribunal et sur demande présentée par le Procureur de la République, demande qui est présentée par lui, soit de sa propre initiative, soit à la suite de certaines observations adressées par les parties. Autrefois, il s’agissait d’un acte discrétionnaire du Procureur de la République, et cela pouvait donner lieu à abus.

Dans les affaires très importantes, il est possible qu’un second magistrat, investi des mêmes pouvoirs, soit adjoint au juge d’ instruction (art. 50, al. 3).

Au-dessus du juge d’instruction, la fonction d’instruction est confiée normalement à la Chambre d’accusation (devenue Chambre de l’instruction] Cette juridiction est investie, elle aussi, de fonctions d’instruction, puisqu’elle vérifie et contrôles les actes du juge d’instruction, non pas seulement au point de vue de leur légalité, ce qui fait l’objet d’un contentieux faisant partie du pouvoir de juridiction de cet organisme, mais au point de vue de leur opportunité. C’est ainsi qu’elle peut suggérer des actes d’instruction et même en ordonner (art. 201 et 202 C.proc.pén.). On peut donc dire qu’à elle aussi est confié le pouvoir d’instruction.

b)  Attribution exceptionnelle de la fonction d’instruction

D’une façon "exceptionnelle - mais à vrai dire courante - le pouvoir d’instruction est confié à d’autres personnes. La plupart des affaires viennent en effet devant les juridictions répressives, sans que le juge d’instruction ait été utilisé.

Pour mettre en mouvement l’action publique, le Ministère public peut, au lieu d’utiliser le procédé de l’information, recourir à un autre procédé - qui est le plus courant, - celui de la citation directe devant le Tribunal correctionnel. L’instruction par le juge d’instruction n’est obligatoire qu’au cas de crime ; s’il s’agit d’un délit, l’information est seulement facultative et le Ministère public n’y recourt que pour les affaires qui paraissent compliquées. Mais pour juger de la complexité de l’affaire, il faut bien qu’il y ait déjà des éléments, un dossier, que des renseignements aient déjà été recueillis par des procédés voisins de ceux qu’emploie le juge d’instruction.

Ces renseignements sont recueillis par les services de la Police judiciaire, qui, ayant constaté l’infraction, font spontanément certaines constatations. Il y a en effet intérêt à procéder à celles-ci aussi rapidement que possible pour éviter le dépéris­sement des preuves. le procureur de la République peut d’ailleurs demander à ces services de recueillir certains renseignements (art. 14, al. 2, C.proc.pén.) ; c’est ce qu’on appelait autrefois l’instruction officieuse, ce qui marquait bien qu’il ne s’agissait pas d’une instruction prévue par les textes et que cependant l’activité que déployait la Police judiciaire en la circonstance s’apparentait par nature à l’activité d’instruction. Cette pratique est maintenant prévue et légalisée par les articles 75 et suivants sous le nom d’enquête préliminaire.

Il s’agit là d’actes très voisins de ce qu’accomplit le juge d’instruction au cours de l’instruction officielle : constatations sur place, audition de personnes, recherche des pièces à conviction. Cependant, en dépit de cette similitude matérielle frap­pante, il y a une différence juridique considérable entre ces actes accomplis par la police judiciaire et les actes d’instruction, car la police judiciaire ne dispose pas de pouvoirs coercitifs de telle sorte que les témoins interrogés peuvent refuser de répondre, que la personne chez qui on veut perquisitionner peut refuser de s’y prêter. La police peut toutefois, depuis le Code de procédure pénale, utiliser la garde à vue à l’encontre du récalcitrant, et il y a là un moyen de pression, car cette simple perspective peut inciter l’individu à se soumettre aux opérations de la police.

Bien que le Code de procédure pénale ne considère pas que ces actes soient des actes d’instruction, ils ont néanmoins avec ceux-ci une parenté très proche, à tel peint qu’on peut se demander si l’on n’a pas confié ici quelque peu à la police des pouvoirs qui, sans être aussi étendus et aussi forts que ceux du juge d’instruction, sont cependant déjà des pouvoirs d’instruction.

Le Code de procédure pénale qualifie également d’actes de police d’autres actes encore plus proches des actes d’instruction, ceux qu’accomplissent, soit le procu­reur de la République, soit les officiers de police judiciaire en cas d’infraction flagrante. Dans ce cas la police judiciaire et le procureur de 1a République possèdent en effet un pouvoir d’enquête qui, cette fois, va comporter des moyens coercitifs. Le caractère flagrant de l’infraction fait que, sans attendre que le juge d’instruction soit saisi, il est nécessaire de procéder à des actes dont le caractère d’actes d’instruction ne fait vraiment aucun doute car ce sont exactement tous les actes que le juge d’instruction va pouvoir faire, jusques et y compris l’arrestation de l’individu.

Les articles 68, al. 2, et 72, al. 2, C.proc.pén. affectent de ne voir là que des "actes de police judiciaire", mais ceci nous paraît fort contestable car il s’agit d’actes d’instruction, de pouvoirs d’instruction caractérisés. La seule différence c’est que les services en question n’ont pas le pouvoir de juridiction que possède le juge d’instruction, pouvoir qui n’est d’ailleurs jamais confié à d’autres autorités qu’au juge d’instruction ou à la Chambre d’accusation.

Dans quelques autres circonstances certains magistrats reçoivent des pouvoirs officiels d’instruction. Il en est ainsi tout d’abord du juge des enfants dans les affaires qui intéressent les mineurs. Il procède aux enquêtes avec des pouvoirs d’instruction à effet coercitif (art. 5, al. 2, Ord. du 2 février 1945).

De même, lorsque la juridiction de jugement constate que l’instruction n’a pas été suffisante ou qu’on a eu tort de ne pas faire une instruction véritable, et qu’elle n’a pas les éléments nécessaires pour prendre sa décision, elle ordonne alors un supplément d’information et désigne en son sein un magistrat qu’elle charge de procéder à ce supplément d’information dans les mêmes conditions et avec les mêmes pouvoirs que le juge d’instruction ; elle ne pourrait pas en effet renvoyer l’affaire au juge d’instruction, s’il n’est pas intervenu dans cette affaire et à plus forte raison s’il est déjà intervenu. Ici, il s’agit d’actes d’instruction caractérisés ; leur régime juridique est le même et à leur occasion la défense peut exercer les droits qui sont les siens au cours de l’instruction.

De même, les articles 283 et suivants C.pr.pén. confient au Président de la Cour d’assises le.soin d’effectuer, avant le ouverture de l’audience, certains actes d’instruction. C’est la survivance historique de la procédure employée au cours de la Révolution. Le Code de procédure pénale a d’ailleurs décidé, contrairement à l’opinion courante auparavant, que les droits de la défense devraient s’appliquer à l’exercice de ces pouvoirs d’instruction du Président de la Cour d’assises.

Des pouvoirs d’instruction plus limités sont attribués par l’article 534 C.pr.pén. au président (et unique membre) du Tribunal de police.

………

III -  La fonction de jugement

A)  En quoi consiste-t-elle ?

Elle consiste à prendre des décisions ayant un caractère contentieux, à arbitrer les positions antagonistes de la partie poursuivante – Ministère public ou partie civile - et des parties poursuivies - prévenus ou civilement responsables -. Chaque fois qu’une difficulté oppose des parties adverses de part et d’autre de la barre, c’est à un magistrat indépendant qu’il appartient de les départager. Telle est la fonction de jugement.

a) Ainsi, rentrent dans les fonctions de jugement, d’abord les décisions à prendre au. cours de la procédure d’instruction ; il est en effet possible qu’il y ait alors à prendre certaines décisions, qu’il soit nécessaire d’arbitrer entre les positions anta­gonistes, par exemple à propos de la détention préventive de l’individu poursuivi. Ou bien il s’agira de savoir si la personne qui prétend se porter partie civile remplit bien toutes les conditions de recevabilité prévues par la loi. De même, à la fin de l’instruction, il faut clore l’information en décidant s’il y a ou non des charges suffisantes pour mettre l’individu en jugement.

Il est certain que ces décisions qu’il y a lieu de prendre au cours ou à la fin de la phase de l’instruction doivent être prises par des organisme impartiaux et objectifs, d’autant que certaines peuvent mettre fin à la poursuite, telle 1’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction. Cette dernière peut être fondée sur des raisons de fait (insuffisances des charges) ou sur des raisons de droit (prescription, amnistie, défaut de qualification adéquate).

Le législateur révolutionnaire avait confié le soin de prendre ces décisions, et surtout celle relative à la suffisance des charges, à un jury d’accusation, tant en matière correctionnelle qu’en matière criminelle. le Code d’instruction criminelle en confia le soin, non plus à des jurys, mais à des magistrats professionnels, à la Chambre du conseil du tribunal correctionnel d’une part, et, au-dessus d’elle, à la Chambre des mises en accusation. Depuis 1856 c’est le juge d’instruction lui-même qui prend les décisions à caractère juridictionnel pendant la phase de l’instruction et, au-dessus de lui, c’est la juridiction que l’on appelait autrefois Chambre des mises en accusation et qui désormais s’appelle Chambre d’accusation [puis Chambre de l’instruction], qui est égaleront chargée de ces fonctions.

Malgré leur nom de "juridictions d’instruction", la tâche à laquelle ces juridic­tions se livrent fait partie de la fonction de jugement et c’est pourquoi nous verrons qu’elles sont composées de magistrats du siège et non pas de magistrats debout.

b) Une autre forme d’activité de la juridiction de jugement consiste dans l’instruction définitive. Il se produit donc ici certains chevauchements d’une fonction sur l’autre. De même que pendant la phase de l’instruction il y a des décisions à caractère juridictionnel à prendre, ce qui fait que le juge d’instruction du premier degré à qui sont remises ces décisions, empiète sur la fonction de jugement ; de même, et à l’inverse, il va se produire ici un certain débordement de la fonction d’instruction dans la fonction de jugement. Les magistrats chargés de la fonction de jugement vont en effet procéder à des actes qui s’apparentent étroitement à l’instruction.

À l’audience de la juridiction chargée de prendre la décision sur le fond de l’affaire, il va être procédé, devant les magistrats de jugement et sous la direction du Président de la juridiction, à l’instruction définitive de l’affaire : on va entendre, selon les modes de la procédure accusatoire, des témoins, des experts, parties, etc. Ceci ressemble un peu à ce récolement des témoins auquel, sous l’Ancien Droit, procédait un magistrat de la juridiction, sauf qu’il va y être procédé publiquement, au cours de l’audience et de façon orale. Il est possible, d’ailleurs, qu’au cours de cette instruction définitive il apparaisse utile d’entendre des personnes qui ne l’avaient pas été, que de nouveaux faits se révèlent, ce qui peut conduire la juridiction de jugement à ordonner un supplément d’information dont elle confiera le soin à l’un de ses membres.

c) Enfin, l’activité fondamentale entrant dans la fonction de jugement, c’est la décision. L’activité fondamentale des magistrats de jugement tend en effet à résou­dre le conflit. Il peut s’agir tout d’abord de décisions avant dire droit, décisions par lesquelles sont ordonnées certaines mesures préliminaires pour parvenir à la solution finale, mais les décisions les plus importantes sont évidemment celles qui vont constituer la solution finale, décisions sur le fond du procès pénal qui vont donner une solution complète à celui-ci, et qui dessaisiront la juridiction qui les aura rendues.

Le pouvoir de prendre ainsi des décisions sur le fond est confié aux magistrats qui composent les juridictions de jugement proprement dites : tribunal de police, tribunal correctionnel, chambre des appels correctionnels, Cour d’assises, juridictions de mineurs et autres juridictions d’exception, telles que les tribunaux des forces armées, etc.

d) À ces trois tâches s’en ajoute une quatrième qui prend à l’heure actuelle un certain développement et qui marque uns extension de la fonction de jugement c’est la surveillance de l’exécution de la décision et les adaptations que l’on peut éventuellement apporter à la décision rendue. Dans ce domaine aussi, des arbitrages sont parfois nécessaires quant aux intérêts en présence. Il s’agira de savoir par exemple si l’individu doit être admis à une nouvelle phase du régime progressif, ou s’il doit bénéficier de la semi-liberté, ou de la libération conditionnelle. Il est bon que ce soit un magistrat, un magistrat de jugement, ayant les qualités et le statut de ces magistrats de jugement, qui soit appelé à prendre de telles décisions. D’ailleurs ces adaptations éventuelles de la mesure initialement prononcée constituent la suite normale et logique de la fonction de jugement. Cette dernière tâche est confiée, depuis le Code de procédure pénale (art. 722 et s.) à un magistrat dénommé Juge de l’application des peines, et celui-ci est précisément un magistrat du Siège.

B)  À qui est-elle confiée ?

a)  Organisation des juridictions

Nous verrons plus tard quels sont la composition, le siège et la compétence de ces juridictions. Pour l’instant, nous nous bornerons ici à en donner l’énumération.

Il y a d’abord les juridictions d’instruction susceptibles de prendre des décisions, de faire œuvre juridictionnelle pendant la phase de l’instruction.

Il s’agit d’aborddu juge d’instruction lui-même. C’est une juridiction à juge unique ; nous verrons sen fonctionnement en étudiant la marche du procès pénal et son déroulement.

Dans les affaires de mineurs, le Juge des enfants exerce des pouvoirs juridic­tionnels d’instruction, dans des conditions analogues.

Au-dessus d’eux se trouvela Chambre d’accusation [Chambre de l’instruction] qui est une émanation de la Cour d’appel. C’est une juridiction collégiale appelée à prendre des décisions au second degré.

Les juridictions de jugement de droit commun sont le tribunal de police pour les contraventions ; le tribunal correctionnel lorsqu’il s’agit de juger des délits en premier ressort ; la Chambre des appels correctionnels pour le jugement en appel des délits et des contraventions, la Cour d’assises pour le jugement des crimes.

À côté de ces juridictions, et en mentionnant à part la Cour de cassation dont la Chantre criminelle connaît des affaires répressives, il existe un certain nombre de juridictions d’exception, notamment celles qui jugent les mineurs et qui sont : le juge des enfant et le tribunal pour enfants en premier ressort, la Chambre spéciale de la Cour d’appel, en appel, et, pour les crimes commis par les mineurs âgés de plus de 16 ans, la Cour d’assises des mineurs. Parmi les autres juridictions d’exception, les plus importantes sont les tribunaux des forces armées.

c)les juridictions d’exécution qui sont appelées à prendre certaines décisions d’adaptation peuvent, elles aussi, de ce fait, être considérées comme des juridic­tions de jugement. C’est le cas du juge de l’application des peines. Il arrive d’ail­leurs qu’il ne prenne pas seul et définitivement la décision ; en ce cas la juridiction d’exécution est exercée, soit par la juridiction de jugement qui avait rendu la décision finale, soit par le tribunal correctionnel du lieu de résidence de l’intéressé.

b)  Statut des magistrats de jugement

Tous les magistrats qui composent ces différentes juridictions d’instruction, de jugement ou d’exécution bénéficient du même statut parce qu’ils sont tous, précisément, investis de fonctions de jugement qui exigent les mêmes garanties. En effet, pour exercer ces fonctions de jugement qui sont particulièrement délicates, il faut des qualités d’esprit et de caractère ; il faut un esprit objectif, une grande impartialité, une parfaite indépendance Il est exact que la fonction de juger apparaît, comme disait Montesquieu, "si terrible parmi les hommes". Il faut aussi, pour lui permettre de remplir parfaitement sa tache, que le magistrat de jugement soit assuré d’un certain nombre de garanties.

Comment les assurer ? la Révolution avait pensé que le meilleur moyen était de faire élire les magistrats par le peuple, système qui est encore employé dans certains pays, parfois même dans certains grands pays (États-Unis). Telle n’est pas la conception française, la règle suivie chez nous est celle de la professionnalité. Les juges sont nommés par le Gouvernement. Ils sont recrutés d’ailleurs dans les mêmes conditions, qu’il s’agisse de magistrats du Siège ou de magistrats du Parquet, la voie normale étant l’entrée à la suite d’un concours au Centre National d’Études Judiciaires, comme "auditeurs de justice". Au cours de leur séjour au Centre, ils peuvent être associés au fonctionnement de la justice, par exemple assister à des instructions, assister à des délibérés, mais non pas y participer. Malgré cette communauté de recrutement les magistrats du Siège - les magistrats de jugement - sont, à la différence des magistrats du Parquet, inamovibles.

Le fait, par conséquent, qu’ils soient nommés par le Gouvernement ne constitue pas une menace à leur indépendance. C’est là une solution traditionnelle qui est répétée par l’article 4 de l’Ord. du 22 décembre 1958 sur l’organisation judiciaire : "En conséquence (de cette inamovibilité) le magistrat du Siège ne peut, dit ce texte, recevoir, sans son consentement, une affectation nouvelle, même en avancement". L’inamovibilité est la garantie fondamentale des magistrats du Siège.

De l’avancement, on avait coutume de dire autrefois qu’il permettait tout de même au gouvernement une certaine pression, une certaine action sur le magistrat, car l’inamovibilité constituait une garantie insuffisante si le magistrat ne bénéficiait pas de l’avancement qu’il pouvait souhaiter. Or, dans l’ancienne organisation, les différents grades de la magistrature étaient nombreux et cela, par conséquent, pouvait peser sur la liberté du magistrat. La réforme judiciaire a réduit le nombre des échelons de la magistrature. Celle-ci comporte deux grades : on passe du second au premier, puis éventuellement à la catégorie hors hiérarchie, Chacun de ces grades comporte un nombre d’échelons qui sont franchis à l’ancienneté. Mais, pour passer du deuxième au premier grade, et du premier grade à la catégorie hors hiérarchie, il faut être inscrit a un tableau d’avancement. La règle est d’ailleurs la même pour les magistrats de Parquet. (On ne veut pas que les magistrats du Parquet, qui sont tenus d’obtempérer aux ordres qu’ils reçoivent, puissent bénéficier d’un avancement surprenant à la suite d’un zèle contestable). Le soin de cette inscription au tableau d’avancement est confié à une commission spéciale, organisée par l’article 35 de l’Ordonnance.

Ce qui différencie le statut des magistrats du Siège de celui des magistrats du Parquet, c’est, précisément à cause de l’inamovibilité, leur régime disciplinaire. En effet, nous avons vu qu’il existait pour les magistrats du Parquet qui ne bénéficient pas de l’inamovibilité, une procédure disciplinaire particulière. S’agissant des magistrats du Siège, l’usage de la procédure disciplinaire est exceptionnel puisqu’ils n’ont pas, eux, à recevoir d’instructions ni à les exécuter ; ce n’est que si la conduite da magistrat a donné lieu à quelque remarque grave qu’il y aura lieu de prendre les mesures appropriées. Il ne faut pas évidement que l’inamovibilité dont bénéficie le magistrat du Siège soit exploitée par lui pour commettre des abus, le pouvoir disciplinaire à l’égard des magistrats du Siège (art. 43 et s. de l’Ord.) est exercé par le Conseil supérieur de la Magistrature constitué en Conseil de discipline. À cette occasion le Président de la République et le Garde des Sceaux n’assistent pas à la réunion, et la présidence est assurée par le Premier Président de la Cour de cassation. la composition du conseil supérieur comme conseil de discipline est réglée par l’article 13 de l’Ordonnance du 22 décembre 1958, portant loi organique du Conseil Supérieur de la Magistrature.

Uns autre différence avec le statut des magistrats du Parquet, c’est que la décision disciplinaire est prise librement par ce Conseil de discipline. C’est lui qui choisit la sanction, tandis que, pour les magistrats du Parquet, il y a bien une Commission spéciale qui propose une sanction, mais le ministre est libre d’en appliquer une autre, même plus sévère.

Tous les membres desjuridictions de jugement - juridictions d’instruction, juridictions de jugement proprement dites ou juridictions d’exécution bénéficiant de ce statut - sont des magistrats du Siège. Le juge d’instruction, par exemple, est un magistrat du Siège ; il conserve ce statut même si son affectation à l’instruction vient à être modifiée. De même, le juge à l’application des peines qui, lui aussi, est nommé pour une durée prolongée à ces fonctions, est un magistrat du Siège bénéficiant de toutes ses garanties.

Les magistrats du Siège ne sont pas tenus à une obéissance hiérarchique. Il y a cependant une hiérarchie parmi eux ; ceux du premier grade sont d’un rang supérieur à ceux du deuxième grade, et ceux qui sont hors hiérarchie ont également un rang préférable, mais cela n’implique aucunement la possibilité pour les magis­trats d’un rang supérieur de donner des ordres ou des instructions aux magistrats d’un rang inférieur. Par exemple le Premier Président de la Cour d’appel n’a pas, à l’égard des magistrats de son ressort, les pouvoirs que le Procureur général a sur les parquets du même ressort.

D’autre part, alors qu’il y a unité du Ministère public et que les membres d’un même parquet peuvent se remplacer indifféremment les uns les autres pour 1’examen d’une même affaire, les magistrats du Siège ne le peuvent pas ; chacun doit assister à toutes les audiences de l’affaire qu’il est amené à juger. Si, pour ure raison ou pour une autre, un magistrat ne peut pas assister à l’une des audiences où vont avoir lieu les débats d’une affaire qui a déjà fait l’objet d’audiences auxquelles il a assisté, il faut ou remettre cette affaire ou la recommencer complètement devant le tribunal comportant uns nouvelle composition.

§ 3 - les conséquences
de la séparation des fonctions

Les magistrats affectés aux diverses foret ions que nous avons examinées ne sont pas cantonnés définitivement dans une de ces fonctions, dans celle que présen­tement ils occupent. Certes, le juge d’instruction, le juge des enfants, le juge de l’application des peines sont nommés en principe de façon durable, pour une durée de 3 ans, mais ce n’est là qu’un principe, et il est toujours possible de mettre fin à cette affectation. Les divers magistrats qui composent le corps judiciaire passent en effet, au cours de leur carrière, d’une fonction à l’autre, et, au terme de leur carrière, la plupart d’entre eux ont occupé à un murent ou à l’autre, tantôt des fonctions de poursuite, tantôt des fonctions d’instruction ou de jugement. La séparation des fonctions n’implique donc pas qu’il y ait des cloisons étanches entre les diverses fonctions et qu’un magistrat qui appartient à l’une des catégories ne soit jamais appelé à exercer les fonctions relevant d’une autre catégorie.

Les principales conséquences de la séparation des fonctions sont les suivantes :

a) Tout d’abord, le principe signifie qu’un magistrat ne peut pas occuper simulta­nément plusieurs de ces fonctions dans la même juridiction : il ne peut être à la fois magistrat de jugement et magistrat de poursuite, magistrat debout et magistrat assis. Ces expressions qui différencient en quelque sorte matériellement les deux fonctions caractérisent aussi l’impossibilité juridique qu’il y a à les cumuler.

Cependant, il peut se faire qu’un magistrat du Siège, sans perdre sa qualité, ni le bénéfice de son statut, soit appelé à remplacer exceptionnellement, et de façon très temporaire, le Ministère public, à exercer ainsi des fonctions de poursuite. C’est le cas lorsque le Pro­cureur de la République est absent, qu’il n’a pas de substitut et que personne n’a été délégué par le Procu­reur général pour tenir à l’audience du tribunal correc­tionnel la place du Ministère public. Le tribunal ne peut valablement siéger que si le Ministère public est repré­senté. Alors le Code prévoit qu’un juge du Siège peut occuper la place du Ministère public. De même, le juge d’instruction peut, exceptionnellement et très temporai­rement, être remplacé pendant son absen­ce par un magis­trat du siège désigné par le Président du tribunal. Cet­te solution s’imposera lorsque, en l’absence du juge d’instruction, un individu faisant l’objet d’un mandat d’amener délivré par ce juge arrive dans la localité où siège le tribu­nal, cet individu devant être interrogé dans les 24 heures et une décision devant être prise sur la transformation possible du mandat d’amener en mandat de dépôt.

Le juge d’instruction de son côté reste, malgré sa spécialisation dans les fonctions d’instruction, un magistrat du Siège ; il en conserve la statut et il est même possible qu’il en conserve les attributions. Il est fréquent que, dans un tribunal peu occupé, le juge d’instruction continue à siéger au tribunal dans les audiences civiles par exemple, ou même dans les audiences correctionnelles pour les affaires qu’il n’a pas instruites. Ce qui nous amère directement à la deuxième conséquence de la séparation des fonctions, à savoir :

b) Un magistrat ne peut pas occuper successivement deux fonctions dans la même affaire. Ainsi, le magistrat qui a fait un acte de poursuite dans une affaire, qui a par exemple signé le réquisitoire afin d’informer ou le réquisitoire définitif ou tel ou tel réquisitoire supplétif au cours de l’instruction, ou qui a requis à l’audience, ne peut plus ensuite faire un acte d’instruction dans cette affaire, ou un acte de jugement. Si par exemple le Procureur de la République vient à être nommé Président du même tribunal, il ne peut siéger à l’audience de jugement où viendrait une affaire dont il a connu en tant que Procureur de la République. Il en serait de même si, ayant été nommé Conseiller à la Cour d’appel, l’affaire dont il a connu vient ensuite devant la Chambre des appels correctionnels où siège ce magistrat : il ne peut pas siéger dans cette affaire car il ne peut exercer, même au second degré, des fonctions de jugement dans une affaire où il avait exercé précédemment des fonctions de poursuite.

De même, un magistrat qui a fait un acte d’instruction ne peut pas ensuite participer au jugement de l’affaire qu’il a instruite même s’il n’a pas fait toute l’instruction de l’affaire, s’il n’a fait à propos de cette affaire que quelques actes isolés, par exemple s’il a remplacé très exceptionnellement le juge d’instruction absent. La transgression de cette règle est sanctionnée par la nullité absolue de la décision, nullité qui peut être invoquée en tout état de cause (art. 49, al. 2, C.proc.pén. et art. 253 du même Code). C’est là une solution traditionnelle, dont on peut d’ailleurs se demander aujourd’hui si la rigueur est parfaitement justifiée.

Cette règle est du reste écartée lorsqu’une juridiction de jugement ayant ordonné un suppléent d’information a désigné l’un de ses membres pour y procéder. Le magistrat qui a procédé cette instruction supplémentaire continue en effet à siéger dam la juridiction de jugement devant laquelle l’affaire revient.

De même, cette règle ne s’applique pas aux actes d’instruction dite officieuse qui prennent place au cours de la phase de l’enquête préliminaire, c’est-à-dire avant que l’action que ne soit déclenchée. Par exemple, un magistrat du Parquet, sur le vu d’un procès-verbal, signe une demande de renseignements qu’il adresse à la gendarmerie ou à la police ; puis quelque tempe après il est nommé juge et l’affaire dont il s’agit vient devant la juridiction de jugement dont il fait partie. Il peut cependant y siéger parce que, au moment où il a exercé les fonctions de poursuite, l’action publique n’était pas encore déclenchée.

Rappelons aussi que le juge d’instruction n’est pas cantonné dans ses fonctions d’instruction et qu’il peut faire acte de juridiction sur le plan de l’instruction puisque c’est lui qui prend, au premier degré, les décisions contentieuses en matière d’instruction. Si par la suite ce juge d’instruction est nommé à la Cour d’appel et siège à la Chambre d’accusation, cela ne l’empêchera pas de pouvoir connaître des affaires qu’il était en train d’instruire au moment où sa nomination à eu lieu lorsque ces affaires sont portées en second degré ou en appel devant la Chambre d’accusation.

D’autre part et surtout, si un magistrat ne peut pas, sous réserve des tempéra­ments indiqués, occuper deux fonctions successivement dans la même affaire, cela ne l’empêche pas d’exercer des fonctions différentes, successivement, dans des affaires différentes, alors même que la personne poursuivie est la même. En effet, cette règle ne joue pas d’une affaire sur l’autre, même à l’égard du même délinquant, si bien que le prévenu peut très bien être jugé par un magistrat qui a précédemment instruit contre lui une autre affaire, ou qui, dans une affaire précédente, a requis contre lui. De même, un prévenu qui fait l’objet d’une nouvelle poursuite peut voir instruire cette affaire par un magistrat qui, alors qu’il était membre du ministère public, avait requis contre lui dans une affaire précé­dente. Pourtant les risques de préjugé défavorable que le principe de la séparation des fonctions cherche à éviter, peuvent se rencontrer dans ces hypothèses.

Enfin, cette conséquence de la séparation des fonctions ne joue que dans un certain sens, à sens unique en quelque sorte, dans le sens qui va de la poursuite vers l’instruction puis vers le jugement. Le magistrat qui a participé au jugement d’une infraction devant le tribunal correctionnel et qui est nommé au Parquet de la Cour d’appel, peut fort bien occuper le siège du ministère public à la Chambre des appels correctionnels si l’affaire vient en appel. Il n’est pas possible à un magistrat qui a exercé des fonctions de Ministère public d’abord, d’exercer ensuite des fonctions de jugement dans la même affaire, mais la réciproque n’est pas vraie.

De même, si le juge d’instruction, qui a instruit une affaire qui vient devant la Cour d’appel, est passé entre temps au Parquet général, ce magistrat pourra occuper le siège du ministère public devant la Chambre des appels correctionnels. On. considère, en effet, que la perméabilité dans le sens jugement-instruction-poursuite ne menace pas les droits de la défense comme ils le sont dans le sens inverse.

c) Exceptionnellement le principe de la séparation des fonctions, même entendu avec les restrictions que nous venons d’indiquer, peut être écarté dans certaines hypothèses spéciales.

Il y a tout d’abord, à ce sujet, le cas des infractions flagrantes. On considérait autrefois que l’infraction flagrante autorisait certaines confusions de pouvoir.

La notion d’infraction flagrante n’a guère changé avec le Code de procédure pénale qui n’a apporté que de très légères modifications aux définitions précé­dentes. Il ressort des ternes de l’article 53 C.proc.pén. que l’infraction flagrante c’est celle qui se commet actuellement ou qui vient de se  commettre (le coupable étant surpris par les services de police sur le fait). Le Code de procédure pénale considère également comme surpris en infraction flagrante l’individu qui, dans un temps très voisin de l’action, est poursuivi par la clameur publique ou est trouvé en possession d’objets, ou présente des traces ou indices, laissant penser qu’il a participé au crime ou au délit. Dans ces cas, l’infraction est dite flagrante et le fait que l’infraction soit flagrante va justifier certaines dérogations à la règle de la séparation des fonctions.

Avant le Code de procédure pénale, il y avait une dérogation qui était manifeste : c’est que le juge d’instruction, en cas de crime flagrant, pouvait se saisir d’office et se transporter sur les lieux. C’était un vestige de la vieille maxime que tout juge est procureur général (alors que normalement, nous le verrons, le juge d’instruction ne peut instruire que s’il a été saisi, soit par le Parquet, soit par la victime qui lui a adressé une plainte avec constitution de partie civile). Aujourd’hui, le juge d’instruction ne peut plus se saisir d’office même en cas d’infraction flagrante ; il peut toujours se transporter sur place, comme autrefois, car l’intérêt de la justice exige qu’il n’attende pas que le Procureur lui ait adressé un réquisitoire afin d’informer ; sur place il commencera immédiatement son enquête, et fera exactement tout ce qu’il faisait auparavant, mais, lorsque le Procureur de la République arrivera, le juge d’instruction lui communiquera le dossier, et le Procureur verra s’il y a lieu de formuler un réquisitoire afin d’informer.

Mais, si ce cas de confusion des pouvoirs a disparu, il n’en reste pas moins qu’en cas de crime ou de délit flagrant (tout au moins de délit passible d’une peine d’emprisonnement) le Procureur de la République, le juge d’instruction et même les officiers de police judiciaire disposent de pouvoirs coercitifs qui ne leur appartiennent pas en cas d’enquête préliminaire, c’est-à-dire d’enquête menée en dehors d’une infraction flagrante.

Ces pouvoirs coercitifs s’apparentent vraiment de très près aux pouvoirs d’ins­truction, puisqu’ils vont jusqu’à la possibilité de procéder à l’arrestation de la personne soupçonnée, prérogative qui, d’habitude, est réservée au juge d’instruc­tion qui l’exerce au moyen de mandats. Ici, au contraire, sans qu’il y ait besoin de mandat, la police judiciaire ou le Procureur de la République vont pouvoir procéder à ces actes coercitifs, notamment à des perquisitions et à des auditions.

L’article 72 du Code de procédure pénale qualifie ces actes d’actes de police judiciaire, mais il semble bien que, par nature, ce sont de véritables actes d’instruction, de sorte qu’une partie de la doctrine tout au moins pense qu’il y a encore, en cas de crime ou délit flagrant, confusion des pouvoirs d’instruction et des pouvoirs de poursuite.

D’autre part, le Code de procédure pénale a intégré, dans ses articles 71 et suivants, les dispositions de l’ancienne loi du 20 mai 1863 qui confèrent au Procureur de la République des pouvoirs particuliers en cas de délit flagrant. L’auteur d’un délit flagrant (si une peine d’emprisonnement est encourue) peut faire l’objet d’une arrestation sans mandat par les services de la police judiciaire et ceux-ci doivent alors le conduire le plus rapidement possible devant le Procureur de la République, qui (art. 71) va interroger l’individu et, si cela est possible, va le faire traduira directement devant le tribunal correctionnel ; si le tribunal correctionnel n’est pas en train de siéger, le Procureur peut faire détenir cet individu à la maison d’arrêt au moyen d’un mandat de dépôt, d’une durée limitée à 24 heures. Interroger un prévenu, décerner un mandat de dépôt, ce sont là des actes d’instruction. On peut donc dire qu’à raison du caractère flagrant du délit dont il s’agit, une certaine confusion entre les pouvoirs de poursuite et d’instruction se manifeste puisque le Procureur de la République, chargé da diligenter la poursuite, va ici procéder à des actes qui sont véritablement des actes d’instruction.

Ces confusions des fonctions sont justifiées par l’urgence, par l’émotion créée dans le public par l’infraction et surtout par la certitude que l’on a sur la culpabilité de l’individu. Autant il faut être prudent et éviter la confusion des fonctions lorsque la culpabilité de l’individu est contestable, autant au contraire on peut se dispenser de certaines des garanties qu’apporte la séparation des fonctions lorsque l’infraction est flagrante.

Autrefois, le principe de la séparation des fonctions pouvait être écarté dans certains cas exceptionnels où les juridictions de jugement pouvaient ordonner des poursuites. Le Code de procédure pénale a supprimé d’une façon générale cette possibilité, quoique son article 202 permette encore, semble-t-il, à la Chambre d’accusation de faire informer sur certains chefs d’infraction qui résultent du dossier quoiqu’ils n’aient pas été visés expressément par l’ordonnance du juge d’instruction. L’usage de ce pouvoir est d’ailleurs assez exceptionnel.

Enfin le principe de la séparation des fonctions peut être écarté lorsqu’il s’agit d’appliquer à un individu des mesures de sûreté. Ce qui alors va en effet avoir une importance primordiale dans ce genre d’affaire, c’est la personnalité de l’individu, le point de savoir s’il présente un état dangereux, s’il apparaît comme hautement probable que cet individu va commettre certaines infractions si on ne prend pas certaines mesures. Il est alors utile que la juridiction appelée à apprécier l’état dangereux comprenne en son sein le magistrat qui a dirigé l’observation, qui a dirigé l’information sur la personnalité, information qui, de plus en plus fréquemment, sera venue doubler l’information traditionnelle sur les faits.

C’est ainsi que le juge des enfants peut prononcer lui-même certaines mesures de sûreté ; s’agissant de mesures de sûreté plus graves, c’est encore lui qui les prononce, mais cette fois au sein du tribunal pour enfants dont la présidence lui est confiée (art. 5 de l’Ord. du 22 décembre 1958). Remarquons d’ailleurs que lorsque le tribunal pour enfants est saisi il peut prononcer non seulement des mesures de sûreté, nais également des peines ; le juge des enfants qui préside ce tribunal va donc avoir des fonctions d’instruction et des fonctions de jugement dans la même affaire. Il y a donc ici une dérogation flagrante à la règle dela séparation de l’instruction et du jugement, et l’on peut se demander dans ces conditions si la rigueur avec laquelle la loi et la jurisprudence sanctionnent le principe conserve encre la même utilité. Les divers projets de création de nouvelles mesures de sûreté, notamment en ce qui concerne les jeunes adultes ou les anormaux, prévoient que ces mesures seront prononcées par une juridiction au sein de laquelle le magistrat qui a dirigé l’observation et qui a fait l’information sur la personnalité pourra prendre place.

Signe de fin