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RÉFLEXIONS SUR LA COMPÉTENCE,
UN ASPECT NÉGLIGÉ DU PRINCIPE DE LA LÉGALITÉ

par Georges LEVASSEUR
Professeur à la Faculté de droit et des sciences économiques de Paris
Mélanges Hugueney p. 13 - Édition Sirey, Paris 1964
(article reproduit avec l’autorisation de l’auteur)

1. - Toute l’organisation de la justice répressive, et toute la mise en oeuvre du droit pénal lui-même sont orientées vers un moment capital : celui de la sentence,

Après le choc social qui se réalise au moment de l’infraction et en écho à celui-ci, le moment de la sentence est le seul qui fasse date, celui en vue duquel est organisée toute la procédure pénale et d’où elle tire son utilité. Aussi importe-t-il de bien choisir le juge auquel va être confiée la tâche redoutable de prendre une décision si importante pour l’ordre social et pour les intérêts individuels. Aussi loin que l’on remonte dans le passé, les pouvoirs publics ont apporté beaucoup de soin tant à l’élaboration des règles de compétence en matière criminelle qu’au respect de ces règles.

2. - Aujourd’hui encore les auteurs ne manquent pas de souligner l’importance théorique et la portée sociale des règles de compétence, que celles-ci soient établies ratione materiae, ratione personae ou ratione loci. Ces règles, qui correspondent à la structure des organes juridictionnels de l’État, sont d’ordre public au premier chef. Elles échappent donc aux conventions et aux acquiescements desparties comme à l’inattention ou à la négligence des juges. Leur respect est exigé à peine de nullité, leur violation peut être invoquée en tout état de cause, et même devant la Cour de cassation, aucune renonciation n’est valable, et le juge doit en assurer l’application, au besoin d’office (1). Ce caractère d’ordre public s’applique à la compétence territoriale comme à la compétence d’attribution, contrairement à ce qui se passe en procédure civile.

3. - A vrai dire les auteurs ne s’étendent pas en longues dissertations sur la justification de ces solutions ; elles leur paraissent s’imposer avec la netteté de l’évidence, et se dégager d’une jurisprudence ancienne et constante (2). Ils mettent surtout en relief l’intérêt fondamental de l’État et la nécessité de respecter l’ordre des juridictions. Certains d’entre eux ont cependant évoqué le lien qui unit les régies de compétence ratione materiae au système de garanties que doit offrir toute véritable juridiction : « on conçoit en effet que plus l’infraction est grave plus le législateur a dû, soit dans l’intérêt du prévenu, soit dans celui de la société, exiger de garanties et dans la composition des tribunaux et dans la procédure à suivre devant eux » (3). « Toutes les législations admettent que l’organisation et la solennité des juridictions, les pouvoirs plus ou moins contraignants que possèdent ces juridictions et les autorités qui en dépendent, la lenteur ou la rapidité de leur procédure, sont liés étroitement à l’importance des faits à juger et à leur qualification légale »(4).

C’est sur ce point que nous nous proposons d’insister. Il ne suffit pas en effet, pour une bonne et sereine justice, de mettre les règles de compétence à l’abri des conventions ou renonciations des parties comme de la complaisance ou la négligence des juges (5), il faut aussi les faire échapper au bon plaisir du gouvernement, et peut-être, dans une certaine mesure, à la précipitation du législateur.

II en est ainsi dans la mesure où les règles de compétence (qui s’accompagnent d’ailleurs de règles de procédure inhérentes à chaque juridiction) constituent pour la personne poursuivie des garanties sur lesquelles elle doit être en droit de compter et qui ne peuvent lui être ôtées arbitrairement, encore moins intentionnellement. L’idée des « juges naturels » est profondément ancrée dans la conscience publique, au point que plusieurs constitutions avaient expressément prévu cette garantie (6).

4. - C’est à tort que l’on énonce généralement le principe de la légalité sous la forme de « légalité des incriminations et des peines ». En réalité c’est de « légalité de la répression » qu’il conviendrait de parler, car la répression met en péril la liberté individuelle dès le premier moment où elle s’exerce et jusqu’à l’achèvement de l’exécution de la peine, et cette liberté ne peut trouver de protection que dans la loi. Le principe de la légalité est indispensable pour donner à la répression le caractère objectif fondamental sans lequel on ne peut parler de justice ; il est lié à la séparation des pouvoirs, et trouve son application à chacune des phases de l’œuvre répressive.

Il en est particulièrement ainsi en ce qui concerne la procédure. Ses règles ont une importance capitale pour la protection du citoyen contre une action intempestive du pouvoir exécutif, qu’il s’agisse de la garde à vue, de la perquisition, de la citation, de la juridiction compétente et de la conduite des débats devant celle-ci. La loi a réglementé les atteintes inévitables que les pouvoirs publics peuvent apporter à la liberté des citoyens pour assurer le cours nécessaire de la justice pénale ; c’est d’ailleurs pourquoi Émile Garçon avait pu dire du Code d’instruction criminelle qu’il était le « Code des honnêtes gens » et le plus sûr rempart contre l’arbitraire.

A vrai dire nul n’a jamais douté que le principe de la légalité dût s’appliquer à la procédure pénale. C’est même en ce domaine qu’il a été observé le plus tôt, du fait de l’ordonnance de 1670 (la grande ressource de la défense était alors de parcourir les nombreux degrés de juridiction pour se prévaloir des vices de la procédure). La déclaration des droits de l’homme (art. 8) subordonnait le prononcé d’une peine à l’existence d’un texte antérieur « légalement appliqué ». La constitution du 4 octobre 1958 ne s’est pas contentée de rappeler, dans son préambule, son attachement aux droits de l’homme définis par la Déclaration de 1789, elle a pris soin de mentionner expressément (art. 34) parmi les matières relevant du domaine législatif « la procédure pénale » et « la création de nouveaux ordres de juridiction ». Cette précision prend une particulière importance quand on sait que cette même constitution a fait du pouvoir exécutif l’autorité normative de droit commun.

5. – Les règles de compétence doivent être soumises au principe de la légalité de façon non moins stricte que le domaine des incriminations et que le taux des peines. Seul le législateur est habilité à les poser, en tant qu’interprète qualifié de la volonté générale ; seul il est habitué à les modifier, encore ne doit-il le faire qu’en observant certaines précautions.

Tout délinquant doit savoir devant quelle juridiction il sera appelé à comparaître, et cela dès le jour même où il commet son infraction. Tout honnête homme doit être assuré de la juridiction compétente et de la procédure applicable pour le jour où on lui demanderait compte éventuellement de son comportement actuel. On justifie l’adoption du principe de la légalité par des considérations d’équité élémentaire et de politique criminelle ; on fait valoir en effet que le délinquant a pu mesurer le risque qu’il prenait le jour où il a enfreint la loi pénale ; il ne peut se plaindre d’une répression dont les modalités ont été établies à l’avance, de façon objective et sans considération de personne. Mais il n’en est ainsi qu’autant que l’accusé d’aujourd’hui a pu savoir hier quels seraient ses juges, qu’autant que l’autorité qui établit la juridiction ignore quels accusés elle lui déférera demain.

6. - Or le droit positif français actuel n’assure pas l’observation de ces principes fondamentaux. Il admet en effet que les lois de forme, en matière pénale comme en matière civile, sont applicables immédiatement. Parmi ces lois de forme il range sans hésitation (mais un peu légèrement semble-t-il) les lois de compétence.

Il y a dans cette solution traditionnelle un grave danger pour la liberté individuelle. Ce danger est surtout apparu à l’occasion de la création des juridictions d’exception. Les gouvernements ont su exploiter la solution imprudemment implantée dans notre droit positif. Sans doute l’application des nouvelles règles de compétence découle apparemment d’une décision du pouvoir législatif; mais trop souvent il s’agira en fait d’une initiative gouvernementale qui se réalise soit indirectement par le truchement d’un parlement docile, soit même directement à la faveur d’une délégation de pouvoir à l’exécutif.

7. - Dans d’autres cas la désignation de la juridiction compétente ne dépend plus de la nature juridique de l’infraction, mais des circonstances particulières de l’espèce ; c’est alors au gouvernement de choisir à son gré le tribunal qui jugera tel prétendu délinquant. Tantôt il se réserve de revendiquer au profit d’un ordre de juridiction, la connaissance d’affaires qui appartiennent normalement à un autre ordre, tantôt il désigne individuellement et impérativement les affaires qui seront portées devant telle juridiction.

8. - Les uns et les autres de ces procédés nous paraissent condamnables et contraires aux principes fondamentaux sainement entendus. Or leurs applications deviennent à l’heure actuelle de plus en plus nombreuses ; proliférant d’abord dans le domaine de la répression exceptionnelle à caractère quelque peu politique, elles s’infiltrent maintenant dans la procédure de droit commun.

Il importe de restaurer le principe de la légalité dans son application intégrale aux lois de compétence, et de réagir à la fois contre l’application immédiate des lois nouvelles en la matière, et contre la possibilité laissée au pouvoir exécutif d’attribuer la connaissance d’une affaire déterminée à tel ordre de juridiction plutôt qu’à tel autre.

I. - Critique de l’application immédiate des lois de compétence

9. - Une doctrine quasi unanime affirme que les lois de compétence, et d’une façon plusgénérale les lois de forme, échappent à la règle de la non rétroactivité et sont d’application immédiate.

La principale raison qu’on en donne est que de telles lois sont établies dans l’intérêt d’une bonne justice ; elles ne cherchent à favoriser ni l’une ni l’autre des parties (à la différence des lois qui élèvent les peines ou élargissent les incriminations) ; elles doivent s’appliquer dès leur promulgation, même aux procès ouverts à la suite d’infractions antérieurement commises (7).

Au surplus les lois de compétence touchent à l’organisation des services publics, et le législateur ne doit subir dans ce domaine aucune entrave (8). L’Assemblée Nationale constituée en Haute Cour de Justice, décidait le 22 janvier 1849 : « Attendu, en ce qui concerne spécialement la juridiction, qu’elle n’est qu’un mode d’exercice de la puissance publique ; que le législateur étant toujours maître de modifier cet exercice suivant le besoin des temps, restreindre aux procès non encore existants l’effet des changements qu’il y apporte, ce serait entraver dans sa sphère d’action la souveraineté nationale qu’il représente » (9).

Dans ces conditions la personne poursuivie ne saurait se prévaloir d’aucun droit acquis pour écarter l’application de la loi nouvelle. On ne saurait « reconnaître des droits acquis contre les juridictions qui sont d’ordre public » (10), et l’on fait honte au prévenu d’oser alléguer un tel droit, c’est à dire de demander l’application d’une loi qui assure moins bien l’intervention de la justice et lui permettrait d’échapper au châtiment qu’il mérite (11).

Enfin on fait valoir les obstacles juridiques (12) ou matériels (13) qui s’opposent à ce que l’on continue à faire fonctionner des juridictions à qui une loi nouvelle a retiré compétence.

10. -La plupart des auteurs admettent cependant un tempérament à l’application immédiate et consentent à reconnaître alors un « droit acquis » (pour employer la terminologie de l’époque). Les uns écartent l’application immédiate de la loi nouvelle lorsque la juridiction compétente sous le régime ancien avait déjà été régulièrement saisie (14). Les autres, plus nombreux, n’écartent la modification apportée par la loi nouvelle que si la juridiction précédemment compétente avait déjà rendu une décision sur le fond (15).

Il est intéressant de noter que ce tempérament est justifié par le souci d’éviter certaines situations choquantes. « Ce tempérament est nécessaire si l’on ne veut pas que l’application immédiate des lois de compétence entraîne dans certaines hypothèses des inconvénients certains et des injustices incontestables » (16).

11. – La jurisprudence n’a guère marqué d’hésitation.

Lorsque le jugement des délits de presse a été confié au gré des fluctuations politiques, tantôt à la Cour d’Assises, tantôt au tribunal correctionnel (17), la jurisprudence a appliqué immédiatement le changement intervenu sans trop se soucier du sens dans lequel il s’était produit (18).

Les mesures de correctionnalisation légale, aboutissant indirectement à un changement de compétence ont en un effet identique (19) ; les coupables ont été jugés par les tribunaux correctionnels, desquels on attendait d’ailleurs un renforcement pratique de la répression.

Il en a été de même lorsque la compétence a été transférée d’un ordre de juridiction à un autre, par exemple des tribunaux de droit commun aux juridictions de mineurs (20), ou aux juridictions militaires. Dans tous ces cas les tribunaux ne se sont jamais demandés si la réforme intervenue apparaissait on non favorable aux intérêts du prévenu ou à la défense de la liberté individuelle.

Aussi n’est-il pas étonnant que la jurisprudence n’ait pas hésité davantage lorsqu’il s’est agi d’appliquer les textes instituant des juridictions d’exception. Qu’il se soit agi des juridictions du régime de Vichy (Cour suprême, Cours martiales, Tribunal d’État, Tribunal spécial, sections spéciales des Cours d’appel ou des Tribunaux militaires) (21), de celles de la Libération (Cours de Justice), ou de celles de la Ve République (Haut Tribunal Militaire, Tribunal militaire spécial, Cour Militaire de Justice), les textes les instituant ont reçu application immédiate, et ces juridictions ont jugé, de manière générale, des faits antérieurs à leur création.

12. -Cependant les tribunaux ont consacré le tempérament proposé par la majorité de la doctrine : la loi nouvelle ne s’applique pas si une décision sur le fond a déjà été rendue. La Cour de cassation, qui ne s’était d’abord pas arrêtée à cette considération (22), et qui avait rejeté d’autre part le tempérament tiré de la saisine de la juridiction (23), a fini par se ranger à cette opinion (24). Encore n’en est-il ainsi qu’à la condition que le législateur n’ait pas imposé expressément la solution contraire (25).

13. - Il est arrivé en effet mais de façon exceptionnelle que le législateur prenne expressément position. Certains textes ont affirmé leur application immédiate (26); d’autres ont limité leur application au cas où la juridiction précédemment compétente n’était pas encore saisie (27). Il est rare que le législateur se donne la peine de préciser, car l’état du droit positif est si net que l’application immédiate ne fait pas de doute. Pour écarter celle-ci, il faut au contraire souligner que les infractions commises antérieurement resteront soumises aux règles de compétence précédentes.

C’est précisément ce qu’avait fait la loi du 24 février 1934 qui supprimait le privilège de juridiction des officiers de police judiciaire et des Grands Officiers de la Légion d’Honneur ; la loi n’était applicable qu’aux faits commis après sa promulgation. L’article 11 de l’ordonnance du 4 juin 1960 avait de même prévu que « les crimes et délits contre la sûreté extérieure de l’État commis avant l’entrée en vigueur de la présente ordonnance continuent à être poursuivis, instruits et jugés selon les règles alors en vigueur », mais sa portée a été, depuis lors, sensiblement restreinte (28).

14. - C’est pourtant cette voie qui nous semble la seule correcte ; la juridiction compétente doit être fixée au jour de l’infraction et les modifications apportées ultérieurement ne doivent avoir d’effet que pour l’avenir. Les arguments donnés en sens contraire nous semblent de faible portée.

Il faut souligner tout d’abord que la règle de non rétroactivité des lois pénales n’est que le corollaire du principe de la légalité de la répression. On reconnaît unanimement que ce principe s’étend aux lois de procédure, il est donc étonnant que l’on rejette son corollaire. Les raisons de décider sont à peu près les mêmes en matière de compétence qu’en matière d’incrimination ou de pénalité, surtout lorsque les modifications apportées aux règles de compétence l’ont été pour saisir des juridictions d’exception.

15. - II n’est pas exact en effet, de dire que la nouvelle loi de compétence est fatalement inspirée par le souci d’une meilleure justice, qu’elle ne peut donc être défavorable au prévenu. Dans la quasi-totalité des cas pratiques il en est autrement, et le législateur ne cherche même pas à dissimuler son dessein ; c’est le souci impérieux de renforcer la répression qui, ouvertement, l’inspire.

Créer des juridictions de circonstance correspond toujours à un désir de répression impitoyable. Certes les pénalités applicables restent les mêmes mais c’est pour obtenir une répression plus ferme qu’on confie à d’autres juridictions le soin de les appliquer en veillant parfois à composer ces juridictions de personnes présumées hostiles aux accusés. Au besoin une première juridiction de circonstance est dissoute au lendemain d’une décision qui déplait au pouvoir, et une autre est instituée à sa place (29). Les créations opérées par le régime de Vichy, par le gouvernement de la Libération et par celui de la Ve République ne laissent aucun doute à cet égard.

Confier le jugement de certaines affaires aux tribunaux militaires a toujours correspondu à un souci répressif non dissimulé. Et même les simples lois de correctionnalisation légale ont eu pour objet, on le sait parfaitement, de remédier à la fréquence des acquittements (30). Qu’on ne dise donc pas que les modifications apportées à la compétence ne cherchent que l’établissement d’une meilleure, plus sereine et plus objective justice.

16. - Les tenants de l’application immédiate raisonnent d’ailleurs comme si tous les accusés plaidaient « non coupables », que la seule question à résoudre fût celle de la participation au fait, et que les peines fussent fixes (31). Comme il n’en est nullement ainsi et qu’au contraire la considération de la personne de l’accusé prend une place de plus en plus grande et que le législateur donne aux juges des pouvoirs d’indulgence de plus en plus larges, la composition de la juridiction devant laquelle l’accusé comparaîtra prend pour lui une importance capitale (parfois au sens étymologique du mot). Qui osera soutenir qu’il est indifférent, la peine encourue restant la même, de comparaître devant un tribunal correctionnel, une Cour d’assises, un tribunal militaire, une juridiction de circonstance, et, demain peut-être, un tribunal populaire? Blanqui n’avait pas tort de s’écrier devant ses juges : « Comme si ce n’était pas la constitution du tribunal qui fait le fond des garanties des accusés ! » (32).

Les membres des juridictions de jugement n’ont pas automatiquement, par grâce d’état, cette indépendance à l’égard du gouvernement qui est considéré traditionnellement comme indispensable à la fonction, ou ils ne l’ont pas tous de façon aussi nette ou aussi complète.

17. - Aussi est-il indiscutable que l’application immédiate des lois de compétence risque d’ouvrir la porte à l’arbitraire. Elle manquera fatalement, au début de son application, de cette objectivité que réclame et qu’impose le principe de la légalité ; en effet, lorsque le législateur établit une nouvelle juridiction et en choisit les juges, il peut connaître nommément les auteurs de l’infraction qu’il défère à ces juridictions. Les exemples ne manquent pas, des commissions du Second Empire ou des tribunaux de la Commune jusqu’à l’époque la plus récente.

18. - Nier, dans ces conditions, l’intérêt (et même le « droit acquis » selon certains) de la personne poursuivie à être jugée par la juridiction compétente au jour de son infraction, parait incompréhensible. Le prévenu trouvait dans cette compétence des garanties sur lesquelles il pouvait légitimement compter, et qu’on ne peut lui ôter sans arbitraire. Tout justiciable, qu’il soit coupable ou qu’il soit innocent (et encore plus dans cette hypothèse) doit être assuré que ces garanties ne lui feront pas défaut si l’on doit juger demain sa conduite d’aujourd’hui.

Dira-t-on qu’on ne conçoit pas le jugement simultané d’affaires de même nature par des juridictions différentes ? Nous ferons remarquer que l’on a vu pendant quelque temps les affaires d’infanticide être jugées simultanément par des Cours d’assises ou par les tribunaux correctionnels selon que l’infraction était postérieure ou antérieure à la loi d’avril 1954.

Quant aux difficultés matérielles nous n’en voyons point d’insurmontables. Les juridictions dessaisies sont souvent les juridictions de droit commun, qui continuent d’exister. Quant à la suppression d’une juridiction d’exception, on peut remarquer que le retour au droit commun apparaîtra généralement comme favorable à la liberté individuelle, et l’application immédiate pourra être considérée ici, exceptionnellement, comme conforme au principe de la légalité, ainsi qu’on l’admet traditionnellement pour les lois dites plus douces (33).

19. -L’opinion soutenue ici avait déjà été présentée il y a plus d’un siècle par Chauveau et Faustin-Hélie (34). Il paraît que ces auteurs ne l’ont pas maintenue lors de la 5e édition de leur ouvrage. Les tenants de la doctrine traditionnelle ont eu parfois, eux aussi, certaines hésitations. Bertauld fondant l’application immédiate sur le fait que « la loi nouvelle doit être présumée offrir à l’innocence toutes les garanties dont elle peut avoir besoin pour triompher », ajoute aussitôt « car sans cette présomption la loi nouvelle serait illégitime » (35). Glasson admet la survie de la loi ancienne quand la nouvelle édicte des nullités de procédure ou des déchéances qui n’existaient pas auparavant ; ou réduit les délais d’appel (36). Garraud admet que le souci d’éviter parfois des « inconvénients certains » et des « injustices incontestables » impose certains tempéraments (37). Ils ont donc bien senti que la diminution des garanties était choquante. Roux souligne que c’est au jour de l’infraction qu’il faut se placer pour connaître la juridiction compétente pour juger un mineur (38).

Nous sommes d’accord avec Roux pour dire que « la détermination de la compétence en matière répressive n’appartient qu’au législateur » (39), et nous prenons à la lettre son affirmation que « nul ne peut être distrait de ses juges naturels qui sont ceux que la loi lui a désignés » (40) ; nous entendons par là ceux que la loi a désignés le jour de l’infraction, et non pas ceux qu’elle désignera ultérieurement.

20. -D’autant plus que les modifications directes de compétence sont rarement le fait du législateur véritable. Dans l’immense majorité des cas c’est le gouvernement, exceptionnellement investi du pouvoir législatif, qui procède à des bouleversements. Le recul du principe de la légalité en devient encore plus sensible.

C’est par décret-loi que la connaissance des atteintes à la sûreté extérieure de l’État a été confiée aux tribunaux militaires ; c’est par actes dits lois qu’ont créées toutes les juridictions d’exception du gouvernement de Vichy ; c’est par ordonnance que furent instituées les Cours de Justice ; c’est par décret que fut modifiée la compétence des tribunaux des forces armées en Algérie ; c’est par ordonnances que les juridictions militaires ont reçu compétence pour juger les infractions en rapport avec les événements d’Algérie ; c’est par décision présidentielle que furent établis le Haut Tribunal militaire et le Tribunal militaire spécial ; c’est par ordonnance qu’a été instituée la Cour militaire de Justice. Ajoutons que les transformations successivement apportées à la composition de la Cour d’assises en 1941, 1945 et 1958 l’ont toutes été dans les mêmes conditions.

Mais le pouvoir exécutif ne se contente pas de modifier au gré des circonstances la juridiction compétente lorsqu’il dispose des pleins pouvoirs (et depuis 1934 la France a vécu plus longtemps sous un tel régime que sous un régime parlementaire normal) ; il lui arrive de faire inscrire dans la loi la possibilité qu’il se réserve, à propos de telle ou telle infraction, de faire juger celle-ci, selon les circonstances de chaque espèce, par tel ordre de juridiction plutôt que par tel autre. Ici la compétence était peut-être inscrite dans la loi le jour de l’infraction, mais elle l’était de façon imprécise, et le prévenu n’a pu être assuré, là encore, des garanties sur lesquelles il était en droit de compter.

II. - Critique de la désignation par le pouvoir exécutif de la juridiction compétente,
en fonction des circonstances de l’espèce

21. - L’autorité de la décision de justice, tant à l’égard de ceux qui ont comparu devant elle que du public, viendra à la fois de son objectivité et des garanties qu’assure la procédure qu’elle applique. L’objectivité sera assurée par une attribution de compétence antérieure aux faits que la juridiction aura à juger et par la composition de celle-ci, elle aussi établie à l’avance. Tels sont les juges qui peuvent être considérés comme les « juges naturels ».

Seul le législateur au sens strict, et non le pouvoir exécutif ou ses agents, peut déterminer le juge naturel de chaque infraction. Le principe de la légalité sainement entendu impose cette solution. Mais ce même principe n’est parfaitement respecté et ne remplit pleinement l’objet pour lequel il a été établi, que si la loi désigne un juge et un seul. Le texte qui désignerait plusieurs juges éventuels dont le choix serait laissé au seul gouvernement ne permettrait évidemment pas d’être assuré d’une justice sereine. Du moins en est-il ainsi lorsqu’il s’agit de la compétence ratione materiae (41).

Or le droit positif actuel laisse sur ce point beaucoup à désirer. Sans cesse plus nombreux sont les textes qui permettent au pouvoir exécutif de choisir par un moyen ou par un autre le juge devant lequel il fera comparaître le prétendu délinquant. Encore convient-il de remarquer que, bien souvent, un des termes de l’option a été créé artificiellement par une de ces lois de compétence rétroactives dont nous venons de parler, « lois » qui sont d’ailleurs souvent en fait, l’œuvre d’un gouvernement investi des pleins pouvoirs.

22. - Il existe dans notre législation un cas de dualité de compétence qui paraît échapper à tout reproche. C’est celui qui permet de faire juger le mineur délinquant, soit par le Juge des Enfants, soit par le Tribunal pour Enfants. La compétence normale est celle du Tribunal pour Enfants (42) ; cependant le Juge des Enfants, après avoir fait l’instruction de l’affaire, peut lui-même prononcer la sanction qu’il estime opportune, du moment qu’il ne s’agit ni d’une peine ni d’une mesure de rééducation exécutée en collectivité. Il est évident que si le Juge des Enfants adopte ce parti (remarquons au surplus qu’il s’agit d’un magistrat du siège, inamovible, et dont la décision est soumise à appel), la liberté individuelle ne peut aucunement en souffrir.

23. - Nous laisserons également de côté la dualité de compétence qui résulte de la convention judiciaire intervenue entre les États signataires de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (43). Cette convention établit, à côté de certaines règles de compétence exclusive, un système de compétence concurrente entre les tribunaux (et les lois) de l’État de séjour et ceux de l’État d’origine (art. VII). Cette compétence concurrente comporte cependant un droit de priorité au profit de l’une ou de l’autre de ces juridictions, selon la matière dont il s’agit, mais il est précisé (§ 3-c) que l’État bénéficiaire de la priorité peut y renoncer, et que les autorités de cet État « examinent avec bienveillance les demandes de renonciation à ce droit présentées par les autorités de l’autre État, lorsque celles-ci estiment que des considérations particulièrement importantes le justifient ». Ainsi la compétence est loin d’être connue à l’avance par l’auteur de l’infraction (et ceci est d’autant plus grave que la compétence juridictionnelle entraîne automatiquement la compétence législative), elle dépendra du résultat des négociations engagées entre les fonctionnaires des gouvernements intéressés (44).

Ce système extrêmement critiquable est cantonné dans un secteur relativement réduit (45) ; les nécessités de la coopération militaire entre alliés ont pu imposer l’adoption de ce régime complexe qui ne répond guère aux conceptions traditionnelles du droit pénal continental.

24. - Un autre cas de dualité de compétence, restreint lui aussi à un secteur très particulier, existe depuis longtemps dans le domaine de la juridiction politique (46), il s’agit de la Haute Cour. Tous les régimes ont connu une juridiction de ce genre, juridiction exceptionnelle parfois concurrente des juridictions de droit commun. Si le chef de l’État ne peut être traditionnellement mis en accusation pour haute trahison que devant la Haute Cour, cette attribution de compétence exclusive reste théorique, car elle n’a jamais eu l’occasion de s’appliquer et on discute fort sur ce qu’il faut entendre par « haute trahison » (47).

Les autres cas de compétence de la Haute Cour ont généralement été établis en concurrence avec la compétence d’autres juridictions ; il appartient alors à certaines autorités de provoquer la saisine de la Haute Cour. Sous le régime de la constitution de 1875 il en était ainsi non seulement pour les crimes commis par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions, mais également pour les attentats à la sûreté de l’état (48).

La constitution de 1946 avait adopté, tant à l’égard du Président de la République que des ministres, le système de la compétence concurrente ; les uns et les autres, s’ils pouvaient être déférés à la Haute Cour pour crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions, pouvaient également être poursuivis devant les juridictions normalement compétentes (49). En fait, le conflit ne s’est jamais présenté.

La constitution du 4 octobre 1958 pose en principe (art. 68, al. 1) que le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison ; les infractions commises en dehors des fonctions relèvent tes tribunaux de droit commun ; dans un cas et dans l’autre la compétence est exclusive. Pour les ministres, la situation est moins claire ; l’article 68, al. 2 déclare qu’ils sont « pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis » ; en ajoutant « la procédure définie ci-dessus leur est applicable », il semble indiquer que la Haute Cour a compétence exclusive pour ce genre d’infractions. Quoique cette solution ne soit pas sans inconvénients (50), elle a l’avantage sur celle admise par les constitutions intérieures de ne pas laisser de place à l’arbitraire.

25. - Il n’en est pas de même du bouleversement apporté aux règles de compétence par l’état de siège ou l’état d’urgence. C’est dans la loi du 9 août 1849 sur l’état de siège que se trouve sans doute l’origine du système que nous critiquons. Aux termes de l’article 8 de cette loi (modifié par la loi du 27 avril 1916) : « dans territoires déclarés en état de siège, au cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère, les juridictions militaires peuvent être saisies, quelle que soit la qualité des auteurs principaux ou complices, de la connaissance des crimes prévus et réprimés par... » de très nombreuses dispositions du Code pénal. Elles « peuvent en outre connaître » de nombreux délits (51).

Il résulte des termes employés par la loi que la connaissance de ces infractions n’est pas transférée automatiquement aux juridictions militaires (52). Il appartient, semble-t-il, à l’autorité militaire d’organiser les poursuites lorsqu’elle l’estime opportun. Cependant les circulaires adressées aux parquets militaires leur recommandent de n’utiliser cette faculté qu’avec discernement (53), et la Cour de cassation a introduit un tempérament important : les juridictions militaires ne peuvent connaître, à la faveur de l’état de siège, des infractions commises par des civils qu’autant que celles-ci sont de nature à nuire à la défense nationale (54). Il faut louer la Cour suprême d’avoir essayé, par là, de réduire l’incertitude résultant de cette superposition de compétences.

26. - La loi sur l’état d’urgence, du 3 avril 1955, ne connaît pas un tel tempérament et consacre un empiétement plus arbitraire sur les juridictions normalement compétentes. Aux termes de son article 12, dans les départements où l’état d’urgence est institué, un décret pris sur le rapport du garde des sceaux et du ministre de la défense nationale, « peut autoriser la juridiction militaire à se saisir de crimes ainsi que des délits qui leur sont connexes, relevant de la Cour d’assises de ce département ». II appartient à l’autorité militaire de « revendiquer la poursuite », ce qu’elle peut faire à tout moment de la procédure engagée selon les règles du droit commun, même après l’arrêt de renvoi de la Chambre d’accusation ; la procédure d’instruction du droit commun se poursuit cependant jusqu’à l’ordonnance de communication du dossier au procureur général.

Cette revendication est laissée à la seule initiative de l’autorité militaire (55). Son exercice dessaisit immédiatement la justice civile, à moins que celle-ci n’ait déjà entamé les débats devant la Cour d’assises. Si l’affaire est en cours d’information, le juge d’instruction doit rendre une ordonnance de dessaisissement. La liste des crimes pour lesquels la revendication est possible doit figurer dans le décret visé à l’article 12. Lorsque l’état d’urgence a été proclamé en Algérie (56), le décret du 23 avril 1955 a comporté une liste de crimes ; elle est sensiblement plus large que celle de la loi sur l’état de siège, car elle mentionne tous les crimes contre l’intégrité corporelle des particuliers ou celle des dépositaires de l’autorité publique, les vols ou recels qualifiés, les crimes contre les mœurs, les entraves à la circulation routière ou ferroviaire, etc...

27. - La dissolution de l’Assemblée Nationale le 1er décembre 1955 ayant rendu caduque la proclamation de l’état d’urgence en Algérie, le gouvernement fit voter la loi du 16 mars 1956 qui l’autorisait « à prendre toutes mesures exceptionnelles en vue du rétablissement de l’ordre, de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire » dans les départements algériens (57).

Un décret 56-268 du 17 mars 1956 (modifié le 10 mai 1957) élargit encore le droit de revendication accordé à la justice militaire (58) ; celui-ci s’étend en effet à certains délits (notamment les délits portant atteinte à la défense nationale).

28. - Avec l’ordonnance du 8 octobre 1958, le droit de revendication apparaît dans la procédure métropolitaine, mais deux atténuations sont apportées. D’une part il ne peut s’exercer, toujours à l’égard des mêmes infractions, qu’autant qu’elles ont été commises « en vue d’apporter une aide directe ou indirecte aux rebelles des départements algériens », ce mobile est nécessaire pour justifier la compétence des tribunaux militaires, mais ne forme pas un élément constitutif supplémentaire de l’infraction (59).

D’autre part la revendication n’est plus une prérogative unilatérale et discrétionnaire de l’autorité militaire ; elle ne peut avoir effet que sur avis conforme du procureur de la République ou du procureur général compétent (art. 2).

La revendication prend par contre une nouvelle forme ; elle peut porter non seulement sur le jugement mais aussi sur l’instruction, c’est la « revendication accompagnée d’une demande de dessaisissement immédiat » (art. 3) qui saisit aussitôt le juge d’instruction militaire en l’état et sans délivrance d’un ordre d’informer (60).

29. - Cette dualité de formes de la revendication a été introduite en Algérie par le décret du 7 avril 1959 (art. 29. et 30) qui reprit d’autre part les dispositions essentielles du décret du 17 mars 1956 et la liste des incriminations qu’il contenait (61). Par contre ce décret n’étendit pas outre Méditerranée les deux tempéraments ci-dessus (considération du mobile, consentement nécessaire du parquet civil).

30. - Mais tandis que le décret du 12 février 1961 dotait la justice répressive militaire en Algérie d’une organisation et d’une procédure nouvelles, caractérisées par la création des procureurs militaires (62), le système de revendication faisait son entrée dans le droit commun métropolitain avec l’ordonnance du 4 juin 1960.

Un des principaux objets de cette ordonnance a été de refondre les textes du Code pénal relatifs aux infractions contre la sûreté de l’Etat, unifiant à ce propos les infractions à la sûreté extérieure et celles à la sûreté intérieure (63). Corrélativement cette même ordonnance a modifié les articles 697 à 706 du Code de procédure pénale, où se trouvent insérées désormais les règles de compétence concernant toutes ces infractions. L’article 6-98 attribue compétence pour les instruire et les juger en temps de paix aux juridictions de droit commun ; seul le procureur de la République peut mettre l’action publique en mouvement. Mais l’article 699 prévoit une faculté de revendication pour un certain nombre de crimes ou délits (64) « lorsque l’instruction ou le jugement de l’affaire est de nature à entraîner des révélations nuisibles à la défense nationales ».

Cette revendication n’est pas laissée à la discrétion de l’autorité militaire ; comme dans l’ordonnance du 8 octobre 1958, l’avis conforme du procureur de la République ou du procureur général compétent est nécessaire (art. 699, al. 2 in fine) ; par contre il n’y a plus de revendication à terme, ses effets sont toujours immédiats :si elle a lieu au cours de l’information, le juge d’instruction civil doit constater son dessaisissement, et le juge d’instruction militaire est saisi automatiquement sans ordre d’informer.

31. - Que les infractions mettant en jeu le secret de la défense nationale puissent êtres mieux jugées par les tribunaux militaires, c’est possible, mais alors il convient que le « législateur » leur attribue automatiquement la connaissance de toutes les affaires de ce genre comme il l’a fait pour certaines autres. Il est inconcevable, sur le plan du principe de la légalité, qu’il réserve un droit d’option qui sera exercé selon les circonstances de chaque espèce, alors que, par hypothèse même, les auteurs de cette infraction seront connus.

Quelles garanties offre à la personne poursuivie un arrangement négocié entre le général commandant la région militaire et le procureur de la République, c’est-à-dire deux représentants du pouvoir exécutif hiérarchiquement subordonnés à leur ministre respectif et quelles garanties à l’intérêt général ? En cas de résistance du procureur de la République, voire du procureur général, c’est à l’échelon gouvernemental que le différend devra se régler. Aucune juridiction n’est appelée à donner son avis ou à contrôler l’appréciation émise (on aurait pu songer à faire intervenir la Chambre d’accusation, au besoin dans sa formation applicable à la justice militaire). On peut supposer en effet que la revendication présentée tende, selon la personnalité en cause, à exposer celle-ci à plus de sévérité ou à lui procurer au contraire des juges plus compréhensifs.

L’exercice de la revendication ne peut pas échapper au reproche d’arbitraire. Quand bien même les personnalités qui interviennent seraient animées de l’esprit le plus objectif, on ne pourra empêcher l’opinion publique de penser le contraire. Il est dangereux de compromettre l’autorité des décisions de justice, la femme de César ne doit pas être soupçonnée.

Le droit de revendication, si critiquable en lui-même, n’a d’ailleurs pas donné de résultats pratiques qui justifient sa généralisation et son introduction dans la législation permanente du droit commun (65), et les problèmes juridiques multiples que soulève son application ne sont pas encore tous apparus. Certes ce procédé n’est encore implanté que dans le domaine spécial des infractions à la sûreté de l’Etat, mais sa facilité, qui lui a ouvert les portes du droit commun, risque de provoquer une contamination rapide dans d’autres domaines où les juridictions ordinaires se verront dessaisir au profit d’autres juridictions d’exception (66).

32. –« En 1962, quand quelqu’un a commis une infraction contre la « paix publique », il est impossible de savoir quelle sera la juridiction de jugement, et dans certains cas, si la juridiction d’instruction restera la même pendant l’instruction ; juridiction de droit commun, c’est-à-dire Cour d’assises ou tribunal correctionnel, Tribunal permanent des Forces Armées, c’est-à-dire juridiction militaire traditionnelle, ou bien une des juridictions d’exception : Haut Tribunal militaire, Tribunal militaire spécial, Cour militaire de Justice, Tribunal de l’Ordre Public en Algérie pour un temps, cours martiales même pendant quelques semaines » (67).

Il faut effectivement tenir compte des juridictions de circonstance créées au cours des dernières années car il faut souligner et critiquer le mode exceptionnel d’attribution de compétence dont elles bénéficient. Les divers textes établissant une dualité de compétence examinée jusqu’à présent le font d’une façon générale au profit d’un autre ordre de juridictions que celui des tribunaux de droit commun et concurremment avec lui ; le droit commun reste la règle, l’autre compétence n’est qu’une exception mise en œuvre, selon les espèces, par le procédé de la revendication. Avec les juridictions de circonstances, juridiction à caractère national, il en est différemment ; il y a bien compétence concurrente mais le choix est opéré dans d’autres conditions : ces juridictions ne peuvent être saisies que par un décret spécial pour chaque affaire que le gouvernement désire leur déférer. Il semble que ce décret n’intervienne que pour des affaires soigneusement choisies, que l’on désire faire échapper à certaines règles procédurales communes à la Cour d’assises et aux Tribunaux des Forces Armées, notamment celle de la minorité de faveur. On voit tout de suite les conséquences graves que comportent pour la liberté individuelle, et l’institution de telles juridictions à fonctionnement immédiat, et la façon purement gouvernementale dont elles sont saisies.

33. - Ce procédé fâcheux n’est pas sans précédents. Il a souvent été prévu pour la Haute Cour (68), le gouvernement de Vichy y avait recouru largement (69) ; on peut regretter que la Ve République ait suivi cet exemple.

C’est en effet un décret qui saisissait le Haut Tribunal militaire (constitué par la décision présidentielle du 27 avril 1961 et sup­primé par l’ordonnance du 26 mai 1962) et qui dessaisissait automatiquement toute autre juridiction (art. 1 et 9). Il en était de même pour la Cour militaire de Justice instituée par l’ordonnance du l" juin 1962 pour remplacer la précédente juridiction, ordonnance déclarée illégale par le Conseil d’État le 19 octobre 1962 (art. 1 et 11). Il en est toujours de même pour le Tribunal militaire spécial créé par la décision ministérielle du 3 mai 1961 (art. 1 et 14).

Qu’une juridiction nouvelle, créée pour juger une certaine catégorie d’infractions, commence à fonctionner immédiatement et juge des faits antérieurs à sa promulgation alors que sa composition ou sa procédure ne présentent pas autant de garanties pour la personne poursuivie que le régime antérieur, c’est déjà très redoutable et contraire aux conséquences logiques du principe de la légalité. Mais qu’en outre cette juridiction ne soit pas saisie automatiquement de toutes les infractions entrant dans sa compétence, mais seulement de certaines d’entre elles, triées préalablement par le gouvernement (ou le personnel à ses ordres) en fonction des faits de chaque cause et de la personnalité de leur auteur, paraît un défi aux notions éthiques les plus élémentaires du droit pénal.

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Sans doute, la rigueur des principes est une chose, les nécessités urgentes de l’ordre public en sont une autre, et il faut tenir compte des difficultés matérielles d’application technique (70). Il a toujours été admis que, dans les circonstances exceptionnelles, l’impératif majeur du salut général justifie des restrictions apportées à la liberté individuelle des citoyens ; encore faut-il que le sacrifice de ces libertés ne tourne pas au détriment de l’intérêt général. La tâche des pouvoirs publics (législatif, exécutif et judiciaire, travaillant si possible en collaboration pour atteindre le bien commun) est précisément de réaliser une harmonie difficile et un équilibre instable. L’expérience contemporaine devrait amener les juristes à apporter leur contribution en soumettant à une analyse plus profonde certaines notions trop couramment reçues, et à une critique pertinente certaines innovations dangereuses. Il est de l’intérêt général que le délinquant connaisse son juge dès le jour de son infraction, et qu’il n’ait pour cela qu’à consulter la loi. Cette vérité ne doit jamais être perdue de vue même lorsque les circonstances obligent à procéder à certains aménagements.

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NOTES

(1) Faustin-Hélie, Traité de l’instruction criminelle, V, § 333, V, § 456 et 461 ; Garraud, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, II, n° 527 et s. ; Le Poittevin, Code d’instruction criminelle annoté, art. 179, n° 6 ; Roux, Cours de droit criminel français, II, p. 117 ; Faustin-Hélie et Brouchot Pratique criminelle des Cours et Tribunaux-Code d’instruction criminelle, 4e éd., II, n° 928 ; Vidal et Magnol Cours de droit criminel, 9’ éd., n° 799 bis ; Garraud, Manuel de droit criminel 15e éd., n° 367 et s. ; Donnedieu de Vabres, Traité élémentaire de droit criminel et de législation pénale comparée, 3e éd., n°1184 ; Bouzat, Traité théorique et pratique de droit pénal, n° 1042 et s., p. 101 et s. ; Vouin, Manuel de droit criminel, n°388 et s. ; Stéfani et Levasseur, Procédure pénale, 2e éd., n°450.

(2) «  Les juridictions sont d’ordre public, et il n’est pas au pouvoir des parties de se choisir des juges et de leur conférer une compétence et des attributions qu’ils ne tiendraient pas de la loi ». (Crim. 13 mai 1826, cité par Faustin-Hélie, V, p. 289, note 1 ; voir également : Crim. 25 janvier 1810, Journal Palais VIII, p. 61 ; Crim. 24 oct. 1896, B. 301 ; Crim. 20 juin 1924, B. 259 ; Crim. 30 juill. 1927, D. H. 1929. I. 84 ; Crim. 22 novembre 1934, B. 201 ; Crim. 27 novembre 1936, D. H. 1937. 38 ; Crim. 14 novembre 1946, B. 200 ; Crim. 8 mai 1947, B. 125 ; Crim. 15 avril 1948, B. 104 ; Crim. 8 mars 1961, B. 145 ; Crim. 25 juill. 1961, B. 357.

(3) Garraud, Manuel, 15e éd., n• 369, p. 775.

(4) Vitu, op. cit., p, 104.

(5) La pratique de la correctionnalisation judiciaire, telle qu’elle est pratiquée en France, se heurte aux plus vives critiques de la part des théoriciens : Voir Garraud, op. cit., II, n° 528 ; B. Perreau, Rev. Crit. 1930, p. 441 et s. ; Vitu, op. cit., p. 132 et s., note 137 ; J. Ch. Laurent, J. C. P. 1950. I. 852 et 877 ; M. Patin, Rev. Sc. Crim. 1950, p. 151 et s.; .Tournées franco-belge-luxembourgeoises de 1955 (Rev. dr. pén. et criminologie, 1956, p. 26 et s., rapports Caleb et Chavanne ; Donnedieu de Vabres, op. cit., n• 155 ; Bouzat, op. cit., n• 117; Vouin, op. cit., n° 399-1•; Stéfani et Levasseur, op. cit., n• 479.

(6) Constitution de 1791, chap. V art.4 ; charte de 1830, art. 52 ; constitution de 1848, art. 4 ; constitution de 1852, art. 1 et 56.

(7) « Ce changement est présumé devoir amener une application plus exacte et plus équitable des lois pénales » (R. Garraud, Traité théorique et pratique de droit pénal, 3e éd., n° 160).«  La prétention du particulier qui voudrait être jugé par l’ancienne loi reviendrait à dire qu’il a le droit d’être soumis à une loi qui assure moins bien la découverte de la vérité ou la bonne administration de la justice. Cela est inadmissible  » (Glasson, note D. 1887. 2. 97). En ce sens: VIDAL et MAGNOL, Op. cit., no 901 ; Donnedieu de Vabres, Op. cit., no 1597 ; Bouzat, op. cit., no 1534.

(8) « En contestant au pouvoir social la faculté de modifier l’organisation des juridictions et les formes de procédure par des lois obligatoires du jour de leur promulgation, on entraverait dans sa sphère, l’exercice de la souveraineté  » (R. Garraud, loc. cit., et Manuel, 15e éd., n°54, p. 138).

(9) D. 1849. 1. 53.

(10) Haute Cour 22 janvier 1849, D. 1849. 1. 53.

(11) « On ne conçoit guère que le coupable puisse avoir un droit acquis contre la société à une loi vicieuse qui lui permettrait d’échapper à la répression ». (Bertauld, Cours de Code pénal, p. 179). « On ne peut pas soutenir que l’accusé ait un droit acquis à invoquer les garanties qui résultent pour lui des formes établies dans son intérêt par le législateur contemporain du temps de l’infraction : l’accusé a seulement le droit de manifester son innocence, et c’est à la loi qu’il appartient de déterminer les juridictions devant lesquelles il fera valoir ses moyens de défense et la marche à suivre dans ce but  » (R. Garraud, op. cit., I, n° 360). Adde : citation Glasson, p. 37, note l ; Donnedieu de Vabres, op. cit., n° 1597 et 1600.

(12) « Il faut considérer une juridiction qui a perdu sa compétence comme n’existant plus quant aux délits dont on lui a enlevé la connaissance. Les tribunaux n’exercent en effet le droit de juger qu’en vertu d’une délégation du pouvoir social. Dès que cette délégation cesse, ils sont sans droit pour le faire » (Garraud, loc. cit.).

(13) Voir réquisitoire Baroche devant la Haute Cour de 1849 ; Donnedieu de Vabres, op. cit., n°1600, note 1.

(14) Merlin (Répertoire, V° Compétence n°31) ; Bertauld, loc. cit. ;; Bazot, «  De la rétroactivité des lois de compétence et de leur influence sur le jugement des poursuites commencées », Rev. crit., 1872, p. 513 et s.

(15) R. Garraud, op. cit., I, ne 161, p. 336; Donnedieu de Vabres, op. cit., n° 1600 ; Bouzat, op. cit., n° 1535 ; Vidal et Magnol, op. cit., n° 902.

(16) R. Garraud, op. cit., I, n° 361.

(17) Il n’est pas contesté que la compétence attribuée à la Cour d’Assises implique l’octroi au prévenu d’une garantie supplémentaire de première importance.

(18) Crim. 25 novembre 1819, B. 124 ; Crim. 18 février 1882, S. 1882. 1. 135.

(19) Crim. 11 mai 1959, B. n° 251, Crim. 19 janvier 1960, B. n° 29. Par contre il n’en a pas été de même des mesures de « recriminalisation ». Lorsque la loi du 13 avril 1954 a replacé au rang des crimes l’infanticide, les infractions antérieures qui n’ont été découvertes qu’ensuite ont continué à être jugées par les tribunaux correctionnels (on aurait pu déférer les coupables à la Cour d’Assises, laquelle, par fidélité à l’art. 4 C. pén., n’aurait pu cependant prononcer que des peines correctionnelles).

(20) Paris 29 mars 1914, S. 1914. 2. 203 ; Crim. 20 juin 1946, D. 1946. 360.

(21) Voir Donnedieu de Vabres, 2e éd., 1943, n° 1172 et s.

(22) Crim. 12 sept. 1856, D. 1856. 1. 417, S. 1857. l. 76 ; l’arrêt avait invoqué les difficultés matérielles à faire fonctionner une juridiction abolie.

(23) Cette thèse fut rejetée le 18 février 1882 (S. 1882. 1. 185) malgré les réquisitions du procureur général Bertauld. Voir de même : Crim. 15 avril 1942, D. C. 1943. 34 ; Crim., 14 novembre 1946, S. 1947. 1. 42.

(24) Crim. 7 juillet 1871, S. 1871. 1. 85 ; Crim.18 février 1882 précité ; Crim.17 mars 1882, D. 1883. 1. 141 ; Crim. 21 mars 1930, Gaz. Pal. 1930 1 902 ; Crim. 14 novembre 1931, Gaz. Pal. 1932 1 314.

(25) Caen 11 sept. 1941, D. C. 1942. 40, note Donnedieu de Vabres, à propos de l’application de l’acte dit loi du 14 août 1941.

(26) Garraud (op. cit., 1, n°160) en a tiré argument en faveur de la généralisation de cette thèse ; l’argument est douteux, car il y a eu depuis lors des textes ordonnant l’application de lois de fond plus sévères (lois de Vichy), ce que Garraud croyait inconcevable.

(27) Ord. 58-1297 du 23 décembre 1958 (art. 32), «  contraventionnalisant » certains délits. C’est le critère utilisé généralement par les lois d’amnistie pour ménager les droits de la victime à l’emploi de la voie répressive.

(28) L’ordonnance du 6 oct. 1960, art. 7, a substitué à la formule citée : « les autorités chargées des poursuites, les juridictions chargées de l’instruction et du jugement sont celles qui étaient alors compétentes ».

(29) Dissolution du Haut Tribunal militaire par l’Ordonnance du 26 mai 1962, et institution de la Cour militaire de Justice par l’Ordonnance du 1 juin 1962 (cette dernière ordonnance a été annulée par le Conseil d’État le 19 octobre 1962, 62.687).

(30) A ce même souci correspond aussi le changement dans la composition de la juridiction, par exemple l’échevinage introduit dans la Cour d’Assises par la réforme de 1941. Au contraire la réforme de 1945 (ajoutant un 7e juré et portant ainsi la majorité requise à 6 voix contre 4, au lieu de 5 contre 4) et celles du Code de procédure pénale (9 jurés, minorité de faveur, application du même régime à l’octroi des circonstances atténuantes), étaient incontestablement favorables à l’accusé en sorte que leur application immédiate fut parfaitement logique.

(31) « Que peut légitimement demander l’accusé ? Que la loi lui donne les moyens de faire reconnaître son innocence » (Garraud op. cit., I, n°160).

(32) D. 1849. 1. 54. Comp. Faustin-Hélie (op. cit., VI, J 456, p. 619) : «  C’est dans l’autorité des juges ordinaires, c’est dans l’application du droit commun que la justice trouve ses plus solides garanties ».

(33) Sur ce point d’ailleurs une certaine prudence s’impose. Nous pensons (« Droit pénal général complémentaire », p. 45) que la loi plus douce ne s’applique immédiatement qu’autant que le législateur n’a pas estimé cette solution contraire à l’intérêt social et que dans certains cas il doit être présumé avoir eu ce sentiment (cas des « dispositions-moyens » ; voir Vienne, J. C. P. 1947. 1. 618).

(34) «  Théorie du Code pénal », 1, no 33. Cf. Garraud, Manuel, 15e éd., p. 138, note 25 ; Donnedieu de Vabres, op. cit., 2e éd., n° 1600, note 1.

(35) Op. cit.

(36) 13. 1887. 1. 97.

(37) Manuel, 15e éd., p. 139. Op. cit., 11, 136, p. 127.

(38) Op. cit. II, § 36, p. 127

(39) Op. cit. II, § 34, p. 116

(40) Op. cit. II, § 36, p. 118

(41) Quoique les règles de compétence territoriale soient également d’ordre public, les mêmes abus ne sont pas à redouter pour la liberté individuelle. Un des chefs de la compétence territoriale des tribunaux correctionnels (compétence du tribunal de la résidence du prévenu) dépend d’ailleurs indirectement de la volonté antérieure de la personne poursuivie (Comp. Faustin-Hélie, op. cit., V, f 333, p. 287). La précision qui résulte de la triple compétence peut être considérée comme suffisante pour la sauvegarde de la liberté individuelle tout en permettant des aménagements matériels nécessaires à l’obtention d’une meilleure justice.

(42) Mineurs de 16 ans ayant commis un crime, un délit ou une contravention de 5e classe et mineurs de 16 à 18 ans inculpés de délit (Ord. 2 février 1945. art. 9).

(43) Convention du 19 juin 1951, texte publié par décret du 11 octobre 1952.

(44) Pratiquement entre le procureur de la République et le représentant local de l’autorité militaire commandant les forces de l’état d’origine stationnées en France. Ces deux fonctionnaires en référeront au besoin à leurs supérieurs hiérarchiques respectifs.

(45) Il en est surtout ainsi du fait que l’article VII § 4 précise que les dispositions précédentes « ne comportent pour les autorités militaires de l’état d’origine aucun droit d’exercer une juridiction sur les nationaux de l’état de séjour ou sur les personnes qui y ont leur résidence habituelle ».

(46) Sur les juridictions politiques voir : P. Bastid, Les grands procès politiques de l’Histoire, Fayard, 1962.

(47) Esmein, Éléments de droit constitutionnel, II, p. 226 ; Duguit, Traité de droit constitutionnel, IV, p. 476 ; Barthélémyet Duez, Traité de droit constitutionnel, p. 619; Vedel, « La compétence de la Haute Cour » dans Mélanges Magnol, no 18, p. 412.

(48)Le Sénat pouvait d’ailleurs refuser de se constituer en Haute Cour (24 mai 1923, D. 1923.2.25, note Sarrut). M. Vedel (op. cit., n° 15, p. 405) paraît reconnaître à cette compétence concurrente certains avantages.

(49) Vitu, op. cit., p. 103 et s. ; Vedel, op. cit., n° 15, p. 408.

(50) Elle subordonne à un vote par scrutin public et à la majorité absolue dans chaque assemblée les poursuites concernant un crime de droit commun (faux par exemple) commis par un ministre dans l’exercice de ses fonctions.

(51) La liste des infractions ainsi offertes à la compétence des juridictions militaires ne comprend pas le vol, l’escroquerie, l’abus de confiance, etc …, non plus que le meurtre et autres homicides volontaires.

(52) Pierre Hugueney, Rep. Dalloz. Dr.Crim., V° État de siège.

(53)Circulaire G.Q.G. 19 août 1915

(54) Crim. 8 août 1945, D. 1948. 293 ; Crim. 3 août 1949, Bull. n° 268 ; il faut que ce caractère ressorte suffisamment des questions posées au tribunal militaire, afin que la Cour de Cassation puisse exercer son contrôle.

(55) Loi 3 avril 1955;décret 6 avril 1955.

(56) L’état d’urgence a été proclamé en France métropolitaine après le 13 mai 1958 mais n’a duré que quelques jours. Il a été proclamé à nouveau par le décret du 22 avril 1961 puis confirmé par décision présidentielle du 24 avril 1961, prorogé par nouvelle décision présidentielle du 29 sept. 1961 jusqu’au 15 juillet 1962, prorogé encore par Ord. 62-797 du 1er juillet 1962 jusqu’au 15 mai 1963. Cependant jusqu’à présent le décret prévu à l’art. 12 de la loi du 3 avril 1955 et permettant la revendication de certaines affaires par l’autorité militaire, n’est pas encore intervenu pour le territoire métropolitain.

(57) Cette loi a été reprise à chaque changement ministériel de la IVe République (lois du 26 juillet 1957, du 15 novembre 1957, du 22 mai 1958 et du 3 juin 1958).

(58) Boittiaux, La procédure de répression des infractions terroristes depuis le 80 octobre 1954, thèse Paris, 1962, p. 49 et s.

(59) Crim. 22 décembre 1958,,Bull. n° 766 ; Crim. 22 janvier 1959, Bull. n° 61.

(60) La justice civile est totalement dessaisie, même si un appel interjeté contre un refus de mise en liberté provisoire était en cours. Ici la modification dans l’attribution de compétence ne s’arrête même pas devant l’exercice des voies de recours. D’autre part, l’ordonnance périodique de maintien en détention préventive cesse d’être nécessaire, celle-ci n’existant pas dans la procédure militaire (Crim. 5 avril 1960, Bull. n°211).

(61) La légalité du décret de 1959 pris en vertu de la loi du 16 mars 1956 a été contestée à raison de la promulgation de la constitution de 1958 entre temps. La Cour de Cassation a admis sa validité (Crim. 25 juin 1959, Bull. n°322).

(62) Voir à ce sujet: Boittiaux, op. cit., p. 94 à 226.

(63) Voir, sur cette réforme : Vitu, J. C. P. 1961. 1. 1578.

(64) Art. 70-4-, 72, 73 (en tant qu’il se rapporte aux art. 70-40 et 72), 74 à 79 du Code pénal et infractions connexes. En outre il faut noter que l’art. 700 confie en fait aux tribunaux des forces armées le jugement de tous les attentats à la sûreté extérieure de l’État (art. 70 à 77, 79 à 81, 83 et 84 C. pén.).

(65) Boittiaux, op. cit., p. 89 et s.

(66) Les exemples d’une telle contamination sont nombreux depuis ces dernières années : déformation de la garde à vue, perquisitions de nuit, suppression des voies de recours dans l’instruction préparatoire, mise à l’écart de la Chambre d’accusation, etc... Restreintes d’abord au territoire algérien, ces atteintes graves aux libertés individuelles fondamentales ont gagné assez vite la métropole et ont été d’abord appliquées aux infractions en liaison avec le conflit algérien, puis ensuite (Ord. 1er sept. 1962) à l’immense majorité des crimes de droit commun (Ch. accusation Paris, le, oct. 1962, J. C. P. 1962. 11. 12912 bis, note Chambon).

(67) Boittiaux, op. cit., p. 251-252.

(68) Sous les constitutions de 1946 et de 1958, la Haute Cour ne peut être saisie qu’à la suite d’un ou plusieurs votes d’assemblées parlementaires.

(69) Acte dit loi du 30 juillet 1940 pour la Cour Suprême (dite Cour de Riom) ; Acte dit loi du 7 sept. 1941 pour le Tribunal d’État; Acte dit loi du 24 avril 1941 pour le Tribunal Spécial. Donnedieu de Vabres n’a pas hésité à critiquer en 1943, l’ « élasticité des formules » circonscrivant la compétence de ces juridictions, « incompatible avec le principe de la légalité sainement entendu » (2e éd. , p. 1174).

(70) II semble que la raison fondamentale du droit de revendication accordé à la justice militaire dans certaines affaires, au lieu d’une attribution légale totale de compétence pour les affaires de cet ordre, soit simplement la pénurie du personnel dans les services de la justice militaire ; le remède pourrait être trouvé ailleurs...

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Depuis la rédaction de cet article (novembre 1962), certaines modifications législatives ont fait disparaître plusieurs des abus qui s’y trouvent dénoncés. Les lois 63-22 et 66-23 du 15 février 1963 Ont institué une Cour de Sûreté de l’État qui remplace la Cour de Justice militaire et le Tribunal Militaire spécial.

La Cour de Sûreté de l’État a compétence exclusive pour juger, en temps de paix, toutes les atteintes à la sûreté de l’État (art. 70 à 103 C.pén.) ainsi que les délits prévus par la loi du 10 janvier 1936 (milices privées et groupes de combat).

Elle a également compétence pour juger certaines infractions limitativement énumérées « lorsque ces crimes et délits sont en relation avec une entreprise individuelle ou collective consistant ou tendant à substituer une autorité illégale à l’autorité de l’État ». Ces infractions sont constatées et poursuivies selon la procédure du droit commun tant que le ministre de la Justice n’a pas donné l’ordre écrit de les déférer à la Cour de Sûreté de l’État. A ce moment, le ministère public prés la Cour de Sûreté de l’État prend alors une décision de dessaisissement qu’il notifie au ministère public de la juridiction dessaisie (art. 698, al. 5 C. P. P.). Il y a donc encore, dans ce cas, compétence alternative laissée au choix du gouvernement.

Il appartient au gouvernement et à lui seul, après clôture de l’information, de porter ou non l’affaire à l’audience de la Cour de Sûreté de l’État. S’il n’a pas agi dans le délai d’un mois après la clôture de l’information, le juge d’instruction rendra une ordonnance d’incompétence sur les infractions qui n’étaient pas de la compétence exclusive de la Cour de Sûreté de l’État, et ceci entraînera le retour du dossier concernant ces infractions au ministère public près la juridiction normalement compétente pour les juger ; l’individu revient alors devant ses juges naturels.

Signe de fin