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L’OBJET DE LA PROCÉDURE PÉNALE

Extrait du
« TRAITÉ DE L’INSTRUCTION CRIMINELLE »
de R. GARRAUD ( Paris 1907, T.I, p. 3 et s. )

Cette introduction à un important
Traité de procédure pénale et d’instruction criminelle
mérite que tout juriste, et le législateur en particulier,
s’y arrête quelques instants et médite sur quelques mots clés
que l’auteur a souvent pris soin de mettre en italique.

« Les qualités idéales d’une loi de procédure sont :
la simplicité, la rapidité, l’équité… la célérité ».

« Il ne faut pas que la loi sème la marche du procès
de chausse-trapes et d’embûches
et permette ainsi, à tout inculpé,
de se réfugier dans le maquis de la procédure
pour éviter ou tout au moins retarder
le châtiment qui doit le frapper ».

1 - Le droit social de punir ne s’exerce régulièrement qu’après un jugement déclarant la culpabilité et prononçant la peine.

D’où la nécessité, pour tout groupe social autonome : 1°/ de créer des organismes, auxquels seront confiées les diverses missions que supposent le prononcé du jugement et son exécution ; 2°/ de leur tracer, à l’avance, la marche à suivre pour atteindre ces résultats. Par suite, le double objet des lois de procédure consiste à organiser les autorités pénales et à réglementer leur fonctionnement.

Dans le domaine de la pénalité, les lois de forme sont inséparables des lois de fond, car toute répression, c’est-à-dire toute mise en œuvre des lois pénales, implique un procès et un jugement préalables.

Le droit civil, au contraire, a une vie et une force indépendantes du procès destiné à le faire reconnaître et à le faire respecter lorsqu’il est violé. Le procès civil est un accident, heureusement rare, dans la vie juridique d’un propriétaire, d’un créancier, d’un époux, etc. Dans le domaine de la pénalité, au contraire, il est vrai de dire que le droit est la substance, la procédure est la forme, et on ne saurait pas plus concevoir une substance sans forme, qu’une forme sans substance.

Le droit pénal, c’est le droit de punir à l’état statique ; la procédure, c’est le droit de punir à l’état dynamique, et c’est toujours sous ce second aspect; que se présente la répression et qu’elle se légitime.

La procédure a donc ici une importance égale à celle du droit ; elle a même, à certains points de vue, plus d’importance, car si on a vu des peuples, avec un bon système d’organisation judiciaire et de procédure, corriger les inconvénients d’un système d’incrimination défectueux, le phénomène inverse ne s’est jamais rencontré. L’idéal que tout Code de procédure tend à réaliser, c’est la conciliation de deux intérêts, en apparence contraires : celui de la collectivité, exigeant qu’aucun coupable ne puisse échapper à un jugement rapide et presque immédiat (impunitumnon relinqui facinus) ; celui de l’individu, exigeant un examen impartial et approfondi de la culpabilité (innocentem non condemnari).

La conciliation de l’intérêt individuel et de l’intérêt social est, ici comme partout, l’éternel problème que toute civilisation juridique s’efforce de résoudre. S’il est vrai, comme l’a dit Montesquieu, que les règles à suivre, dans les jugements criminels, «  intéressent le genre humain plus qu’aucune chose qu’il y ait au monde », un pays, dont la procédure pénale est défectueuse, doit être profondément troublé dans sa vie quotidienne ; car si nous pouvons, pour la plupart, être certains de ne pas violer la loi pénale, aucun de nous ne peut avoir l’assurance qu’il ne sera pas injustement poursuivi.

On sait que Montesquieu a dit de la procédure pénale : « Dans un pays qui aurait là-dessus les meilleures lois possibles, un homme à qui on ferait son procès. et qui devrait être pendu le lendemain, serait plus libre qu’un pacha ne l’est en Turquie » (Esprit des lois, liv. XII, chap. II).

L’idéal qu’il faut poursuivre, sans espérer pouvoir l’atteindre, mais en s`en rapprochant davantage à chaque étape de la civilisation juridique, c’est de tendre toutes les règles de la procédure vers un but unique, la recherche de la vérité dans le droit et par le droit.

Ferri (Sociologie criminelle) : « Le Code pénal a été appelé quelquefois le Code des malfaiteurs, tandis que le Code de procédure pénale a été appelé le Code des honnêtes gens. L’un est un instrument de défense sociale contre les criminels ; l’autre doit être un moyen de garantie individuelle pour les autres ».

2 - Les lois de la procédure ont pour caractère essentiel de régulariser les réactions individuelles et sociales que provoque toute action criminelle.

Tarde (Philosophie pénale, p. 420) : « La vie sociale n’est qu’un entrelacement et un tissu de ces deux ordres de faits : la production ou l’échange de services, la production ou l’échange de préjudices. L’homme est né reconnaissant et vindicatif, porté à rendre don pour don, coup pour coup, comme fait l’enfant, et les progrès de la civilisation ont consisté non à dénaturer, mais à régulariser, à généraliser, à faciliter les manifestations de ces deux penchants ».

Elles supposent déjà un état de civilisation dans lequel l’individu et la collectivité ont renoncé à faire directement et immédiatement justice. Le lynchage du criminel est un procédé des sociétés primitives, un retour à la barbarie des sociétés civilisées : les groupes sociaux régressent, en effet, comme ils progressent suivant des lois nécessaires, les mêmes conditions déterminant les mêmes phénomènes. Un Code de procédure est donc un fait de civilisation : il marque une étape dans la voie du progrès.

La procédure sommaire, telle que notre procédure en cas de flagrant délit, est une régularisation, en même temps qu’une image, de ces sociétés primitives.

3 - Si le droit pénal reflète les idées qui donnent à un état social sa physionomie et son caractère, s’il évolue d’après une courbe parallèle à cet état social, d’une part, l’organisation des juridictions se constitue et se modèle sur l’organisation du pouvoir politique, et, d’autre part, les procédés qui ont pour objet de rechercher l’auteur d’un crime et de démontrer sa culpabilité, empruntent leur caractère aux croyantes de chaque groupe social et à la foi fondamentale qui l’anime.

Ainsi que le remarque Ortolan (Éléments de droit pénal, T. II, n° 1936) : « La juridiction n’est autre chose qu’une partie de la puissance sociale organisée, liée par conséquent au droit politique, tournant dans l’orbite des constitutions, tandis que la procédure tourne à son tour dans l’orbite des juridictions ». Mais il est un élément dont Ortolan ne tient pas compte, c’est que la procédure criminelle a pour objet de résoudre une double énigme : la recherche de l’auteur d’un crime et la démonstration de sa culpabilité. Or, dans son rapport avec la preuve, la procédure reflète la foi fondamentale qui anime le groupe social, sa croyance la plus universelle et la plus indiscutée (voyez, sur ce point : Tarde, Philosophie pénale p. 425).

Comme on l’a dit très exactement, en effet : « Les mœurs et la culture d’un peuple se lisent dans sa procédure » (Paul Viollet, « Les Établissements de Saint Louis », T. I p.179).

4 - Bien que, à certains points de vue, les formes de la procédure civile paraissent être semblables à celles de la procédure pénale, bien que, à l’origine des civilisations juridiques, la procédure pénale et la procédure civile n’aient pas été plus distinctes que ne l’étaient le droit pénal et le droit civil, les analogies entre ces deux procédures ne sont qu’apparentes et les différences substantielles.

a)  La procédure civile est instituée et organisée dans un intérêt principalement privé ; la procédure pénale, dans un intérêt principalement public.

b)  Le procès civil ne peut être page de la même manière que le procès pénal. Le premier porte sur une question de droit et de fait, sur une espèce, comme on dit au Palais, qui peut être résolue et qui doit même l’être, presque toujours, en faisant abstraction de l’individualité des plaideurs. Le procès pénal impliquant essentiellement l’examen de la culpabilité, la procédure est dirigée constamment et exclusivement contre un individu déterminé, l’inculpé. Ce côté subjectif du procès pénal, par opposition au côté objectif du procès civil, nous paraît être la différence la plus caractéristique entre les deux procédures,celle qui motiverait l’emploi de deux personnels judiciaires distincts, et la séparation absolue de la justice civile et de la justice pénale (l’école positiviste a mis particulièrement en relief ce point de vue. Nous verrons quelles conséquences doivent en résulter, particulièrement lorsque nous critiquerons l’unité de la justice pénale et de la justice civile sur laquelle repose notre organisation judiciaire).

Le juge répressif doit être un psychologue et un sociologue ; il suffit, 1a plupart du temps, au juge civil, d’être un légiste.

c)  L’exécution du jugement civil appartient à la partie qui l’a obtenu : elle se fait spécialement sur le patrimoine, sans coercition directe, vis-à-vis de la personne. L’exécution du jugement pénal appartient à l’État : elle suppose toujours une astreinte personnelle.

Le procès pénal n’est donc qu’un incident préalable dans l’exercice du droit de punir, et le jugement qui le termine n’a son importance et sa fonction que dans l’acte même d’exécution. La peine prononcée ne tire, en effet, sa valeur réelle que du système pénitentiaire, organisé pour la subir. La question d’exécution pénale domine donc, par son importance, toute autre question : elle est, au point de vue de la lutte contre le crime par les moyens répressifs, le problème vers lequel tout converge et auquel tout aboutit. Aussi l’exécution du jugement pénal n’est pas une question de procédure, comme l’exécution du jugement civil : elle fait partie intégrante du droit pénal, dont le droit pénitentiaire n’est qu’un des aspects.

Et comme « les tribunaux répressifs et l’administration pénitentiaire concourent au même but et que la condamnation ne vaut que par son mode d’exécution, la séparation consacrée par notre droit moderne entre la fonction répressive et la fonction pénitentiaire est irrationnelle et nuisible ».

C’est la formule même d’un article du premier programme de l’Union internationale du droit pénal, II, § 5. On sait que l’un des moyens préconisés dans ce but est le rattachement de l’Administration pénitentiaire au ministère de la justice.

5 - Les qualités idéales d’une loi de procédure sont : la simplicité, la rapidité, l’équité. L’organisation de la procédure doit être d’autant plus simple que sont simples les règles de la logique auxquelles elle correspond. La célérité est une qualité qui est la conséquence de la simplicité.

En cas de condamnation, plus la peine est voisine du délit, plus la répression est efficace et exemplaire.

En cas d’acquittement, plus la procédure est expéditive, moins le procès est dommageable pour l’innocent. D’ailleurs, les lenteurs, dans la marche du procès, sont une des causes principales des insuccès judiciaires. Les lenteurs dépendent, en partie, des lois, eu partie, des hommes : à ce point de vue même, les lois peuvent exercer une salutaire influence par leurs prescriptions et leurs exigences.

Mais la simplification et la célérité ne sauraient être recherchées ni acquises aux dépens de la justice, qui est ici réalisée par l’équilibre entre les deux intérêts fondamentaux de la procédure, équilibre sans lequel on ne peut atteindre les fins pour lesquelles la procédure est instituée.

6 - La marche naturelle du procès pénal implique l’étude de questions nombreuses qu’on peut grouper sous les idées ou conceptions suivantes :

a)  L’idée de l’action, c’est-à-dire de l’activité qui va mettre en mouvement la machine judiciaire et lui donner, jusqu’au jugement, l’impulsion-et la direction. En effet, le pouvoir de juger ne s’exerce pas d’office : pour être appelé à trancher une question, il faut d’abord qu’elle vous soit posée. Il est donc de règle, dans l’organisation judiciaire moderne, que le juge ne soit appelé à statuer que s’il est saisi et dans la mesure où il est saisi.

Cette nécessité de l’exercice d’une action, pour mettre en mouvement le mécanisme judiciaire, implique d’agents et de procédés de poursuite. Le premier objet de la procédure pénale est d’en régler l’organisation et le fonctionnement.

b)  L’idée de l’instruction et de la preuve, c’est-à-dire des procédés qui seront employés pour rechercher les délits et les délinquants et pour convaincre le juge de la culpabilité de l’accusé. C’est le fond même de la procédure pénale, dont toutes les règles sont dirigées vers ce but : obtenir, par des moyens légaux, la découverte des crimes et la punition des criminels. De la bonne ou de la mauvaise organisation de ces règles dépend, avant tout, la sécurité de la société comme colle de l'individu.

c)  L’idée de l’ordre judiciaire, c’est-à-dire de l’organisation et du fonctionnement des diverses autorités qui concourent à la répression, Cet ordre est partout en rapport avec l’organisation politique dont la justice est un élément.

d)  L’idée de la procédure ou du rite, c’est-à-dire de la marche à suivre et des formalités à remplir pour obtenir, ce qui est le dernier mot du procès pénal, un jugement définitif et irrévocable.

La forme, si critiquée ailleurs, est, ici, la garantie nécessaire de l’individu. Mais il ne faut pas que la loi sème la marche du procès de chausse-trapes et d’embûches et permette ainsi, à tout inculpé, de se réfugier dans le maquis de la procédure pour éviter ou tout au moins retarder le châtiment qui doit le frapper. C’est à ce point de vue qu’il appartient au législateur de garantir, dans les formes mêmes du procès, les principes de la libre et publique défense, sans oublier l’intérêt social qui exige la punition de tout délinquant.

e)  L’idée de l’exécution, c’est-à-dire de la manière dont le jugement doit sortir effet en cas d’acquittement comme en cas de condamnation. Mais il faut observer que les conséquences de la chose jugée sont plutôt du domaine du droit pénal que du domaine de la procédure pénale, soit qu’il s’agisse de déterminer quels sont les effets d’un acquittement, soit qu’il s’agisse de faire exécuter une condamnation.

Signe de fin