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LES PROBLÈMES FONDAMENTAUX
DU DROIT PÉNAL SPÉCIAL

Extrait du « COURS DE DROIT PÉNAL SPÉCIAL »
de Georges LEVASSEUR
( « Les Cours de droit », Paris 1967-1968, p.358 )

Le droit pénal spécial apparaît dans les faits
comme le parent pauvre des Facultés de droit.

Et pourtant, n’est-ce pas lui qui nous enseigne ce que sont
un meurtre, un viol, une diffamation, un vol ou un incendie,
la corruption d’agent public, la rébellion ou le faux en écritures ?
Ce pour ne prendre que quelques exemples marquants.

D’où l’importance des lignes reproduites ci-dessous,
qui sont consacrées aux deux principales difficultés
de la matière : la qualification des faits, l’interprétation des lois.

Il y a peu à dire sur la question de la qualification,
examinée avec le soin du détail qui caractérise son auteur.

On peut en revanche observer et regretter
que celui-ci, fervent partisan du droit positif,
fidèle à son attachement aux textes parlementaires,
ne se réfère jamais expressément au droit rationnel.
Ce dernier est pourtant le guide, le phare, qui permet
à la jurisprudence de conserver à un corps de lois hétérogène
une certaine harmonie et une fragile cohérence en dépit du fait
que nombre de textes, adoptés sans étude préalable sérieuse,
méconnaissent les principes fondamentaux des techniques législatives.

LE PROBLÈME DE LA QUALIFICATION

On a déjà souligné à propos de l’élément légal de l’infraction que le problème de la qualification était le problème le plus important et le problème liminaire du droit pénal spécial. I1 consiste à rechercher le texte applicable à la répression de certains agissements qui paraissent antisociaux.

Il est absolument nécessaire de s’assurer de 1’existence d’un tel texte.

La connaissance du droit pénal spécial doit permettre de résoudre ce problème et de guider le praticien ou le juge dans la recherche d’une qualification adéquate.

Trois hypothèses peuvent se présenter à l’issue de cette recherche : ou bien on ne découvre aucun texte applicable, ou bien on en découvre un que l’on peut être amené à remplacer ultérieurement par un autre (qualifications successives), ou bien enfin on découvre plusieurs textes qui semblent pouvoir s’appliquer aux faits en question (qualifications voisines) ou même s’avèrent indiscutablement applicables l’une et l’autre (qualifications concurrentes).

Première hypothèse :

On ne trouve pas de texte d’incrimination applicable aux faits reprochés à l’individu. Dans ce cas le principe de légalité est impératif : aucune poursuite n’est possible.

Si cette absence de texte d’incrimination apparaît avant que l’action publique n’ait été intentée, le procureur de la République procédera à un classement sans suite. Si au contraire l’action publique avait été mise en mouvement sur une qualification provisoire (voir infra 2ème hypothèse) qui s’effondre à un examen plus attentif, l’action publique devra s’arrêter immédiatement, soit par une ordonnance de non lieu si le juge d’instruction a été saisi, soit par une décision d’acquittement de la juridiction de jurement.

Étant donné qu’au moment où les poursuites ont été entreprises on ne connaissait pas encore, de façon complète et exacte, toutes les circonstances qui entouraient les faits, il est assez fréquent que la qualification provisoire que l’on avait adoptée au départ ne puisse pas être conservée.

Il est fréquent qu’un comportement malhonnête ou susceptible de troubler l’ordre social ne constitue pas cependant une infraction à la loi pénale. Il en est ainsi, par exemple de la réception de l’indu par un accipiens de mauvaise foi ; il en est également ainsi dans le fait de ne pas payer les sommes dont on est débiteur.

Quand l’impunité de tels agissements risque d’amener leur répétition, et que l’ordre public peut en être gravement perturbé, le législateur interviendra pour combler cette lacune dans les textes d’incrimination. C’est ce qu’il a fait en 1873 lorsqu’il a créé le délit, de grivèlerie ou filouterie d’aliments (art. 401 al. 4 C.pén. ancien - art. 313-5 al.1 Code pénal 1993) ; une loi du 16 juin 1966 (insérée dansl’art. 401 al. 7 C.pén. ancien, art. 313-5 al. Code pénal 1993) a de même incriminé la filouterie de carburant.

Deuxième hypothèse :

On découvre une qualification qui apparaît valable et on l’adopte provisoirement.

Il est nécessaire en effet d’adopter, au moins provisoirement, une qualification dès le début de l’activité répressive, car il n’est pas possible de commencer les opérations, et surtout d’engager l’action publique en l’absence de toute qualification.

Mais il va falloir vérifier à mesure que les faits deviennent plus clairement et plus certainement connus, si la qualification adoptée s’adapte bien réellement aux faits poursuivis. Étant donné que des lumières nouvelles peuvent apparaître depuis la constatation de l’infraction jusqu’à la décision définitive, il peut être nécessaire d’abandonner la qualification provisoire, et de lui substituer une qualification nouvelle (à supposer que l’effondrement de la qualification retenue jusque là laisse place à une qualification différente, sinon on en revient à la première hypothèse). C’est ainsi que les autorités judiciaires pourront être amenées à utiliser au cours de la poursuite des qualifications successives, s’il apparaît que la qualification initiale doit être rectifiée.

a)  - Avant que l’action publique ne soit déclenchée, avant même que le réquisitoire à fin d’informer ou la citation directe ait mis en mouvement l’action publique, dès, par, conséquent, la phase policière, il est déjà nécessaire de qualifier. C est en effet dans cette phase policière que l’on va constater l’infraction ; il faut donc que, dès ce moment, on s’assure que l’infraction que 1’on croit avoir décelée présente bien vraiment toutes les caractéristiques légales qui y sont attachées, que précisément tous les éléments qu’elle implique vont bien être réunis et, pour s’en assurer, il faut déjà subodorer en quelque sorte quelle est l’infraction que l’individu a commise.

Tels agissementsressemblent à un vol, à une escroquerie, à un abus de confiance, à un attentat aux mœurs, à un outrage public à la pudeur, et, selon les constatations liminaires que l’on a faites, on va être amené à rechercher les constatations complémentaires indispensables qui permettront de dire avec certitude que c’est bien d’une escroquerie ou d’un abus de confiance qu’il s’agit. Si déjà à l’avance on n’a pas subodoré la qualification qu’il faut employer, on risque de laisser de côté des éléments dont la constatation pourrait être d’une importance capitale ; par la suite, au moment où l’on s’apercevra qu’il aurait fallu faire ces constatations, qu’il aurait fallu rechercher si tel ou tel élément existait, i1 sera peut être trop tard, les traces auront disparu.

Il est donc indispensable que dès le début de la répression, dès la phase de l’enquête policière, on ait déjà adopté une qualification au moins provisoire, qui permettra d’orienter les recherches, de commencer celles-ci et de faire démarrer la répression, sauf ensuite, par des aiguillages successifs, à mesure des constatations nouvelles que l’on a faites, à envoyer le convoi de le répression sur la voie qui doit l’amener à destination.

Il faut donc, dès le premier stade, et par exemple, dès l’envoi d’une plainte que l’on souhaite être prise en considération, ne pas se contenter d’énumérer les faits, mais déjà faire ressortir que ces faits tombent sous le coup de la loi, de façon à faciliter le travail du procureur de la République, des autorités du parquet, qui vont avoir à prendre parti sur le point de savoir s’il y a lieu ou non d’engager des poursuites.

b)  - Peut-être qu’à la suite de constatations nouvelles, de l’audition de témoins, des explications données, des perquisitions, de la découverte d’éléments nouveaux, on s’apercevra que, de certaines des charges retenues au début, il est impossible de rapporter véritablement la preuve de façon convaincante. Alors, aux stades ultérieurs de la marche de la répression, on opérera certains aiguillages nouveaux. Si même on ne découvre rien de nouveau et si l’on en reste au stade des éléments avec lesquels on a débuté, il faudra, à chacun des stades ultérieurs de la répression vérifier que la qualification précédemment donnée en fonction des éléments que l’on possède est bien juridiquement exacte.

- Le ministère public, avant de déclencher une action, examinera donc si la qualification que la police a donnée est bien la bonne.

- Le juge d’instruction, saisi par le réquisitoire à fin d’informer du procureur de la République, vérifiera si c’est bien sous cette inculpation qu’il convient d’ouvrir l’information. Il n’est d’ailleurs pas lié par la qualification du procureur,d’autant que son instruction va lui permettre, peut-être, de découvrir des éléments nouveaux ou de s’apercevoir que certaines charges que l’on croyait exister, en réalité, s’avèrent inconsistantes. Au cours de son instruction le juge d’instruction pourra donc modifier la qualification et, s’il se décide finalement à renvoyer l’individu inculpé devant la juridiction de jugement, il pourra adopter alors, dans son ordonnance de renvoi, une qualification différente de celle sous laquelle il avait ouvert son information.

- La juridiction de jugement, le tribunal correctionnel par exemple, n’est pas, elle non plus, liée par la qualification que le juge d’instruction a donnée. Elle pourra modifier cette qualification dans n’importe quel sens. Elle le fera en fonction des éléments nouveaux qui sont apparus à l’audience et au cours des débats, mais aussi sans qu’il en soit apparu de nouveaux, simplement parce qu’elle estime que le juge d’instruction a commis une erreur de droit dans la qualification qu’il a donnée. Il y a des matières comme celle des atteintes à la propriété, comme celle du droit des affaires, comme celle du droit des sociétés, dans lesquelles il est extrêmement difficile de trouver la qualification exacte et on ne le fait souvent qu’après un examen minutieux.

- La juridiction qui statue en appel a les mêmes pouvoirs en ce qui concerne la qualification et finalement c’est la Cour de cassation, Chambre criminelle, qui éventuellement aura le dernier mot quant à la qualification qu’il convient de donner, car la qualification est une question de droit. Le juge du fait a constaté qu’il s’était passé telle ou telle chose sur le plan de l’élément matériel et même sur le plan de l’élément moral ; il l’a constaté souverainement, mais il a pu ne pas tirer de ces constatations souveraines les déductions juridiques qui s’imposaient et donner à l’infraction une qualification inexacte.

Très fréquemment la Cour de cassation est amenée à rectifier la qualification que les juges du fond ont donnée ; si fréquemment même que la Cour de cassation a instauré d’une façon presque entièrement prétorienne, une théorie dite de « la peine justifiée » dont elle fait très souvent application. Lorsqu’une erreur de- qualification a été commise par le juge du fond, qu’il a par exemple qualifié abus de confiance ce qui pour la Cour de cassation est une escroquerie, la Chambre criminelle rectifie cette qualification, sans pour autant casser la décision bien qu’il y ait eu une erreur de droit considérable, puisque l’on a appliqué un article de loi alors qu’il ne devait pas l’être, et privé un autre de son domaine d’application normal. La Cour de cassation ne casse pas la décision si la peine prononcée aurait pu l’être aussi bien avec l’adoption de la qualification exacte, ce qui est le cas dans notre exemple, puisque les peines de l’abus de confiance sont inférieures à celles prévues, pour l’escroquerie. La Cour de cassation rectifiera donc dans ses motifs l’erreur de qualification commise, mais ne cassera pas la décision si le maximum prévu par le texte réellement applicable n’a pas été dépassé. La peine étant justifiée, il est inutile de procéder à une cassation.

Troisième hypothèse :

Plusieurs qualifications paraissent simultanément applicables.

a)  - Le cas des infractions voisines.

Il est possible que l’application simultanée des diverses qualifications envisagées ne soit qu’une apparence. Pour s’en persuader, il faut les examiner les unes après les autres avec le plus grand soin, et les confronter avec les faits tels que l’instruction et les débats ont pu permettre de les établir, pour voir si elles s’adaptent parfaitement à ces faits et si ceux-ci réalisent bien tous les éléments constitutifs de la qualification considérée.

Il est possible qu’à la suite de cet examen on constate que certaines des qualifications voisines que l’on avait retenues doivent être éliminées, et qu’il n’en reste qu’une seule qui s’adapte parfaitement aux faits de la cause. C’est évidemment cette qualification-là qui doit être retenue, et sous laquelle l’auteur des agissements doit être poursuivi et condamné.

Cependant, il arrive que les autorités compétentes adoptent volontairement une qualification dont elles n’ignorent pas qu’elle est erronée. C’est ce qui se passe dans l’hypothèse bien connue de la « correctionnalisation judiciaire ». Lorsqu’une telle correctionnalisation se produit, les parties et les juges ferment les yeux sur l’existence de certains faits qui réalisent tous les éléments constitutifs d’une infraction différente, ou une circonstance aggravante de la même infraction, mais qui élèveraient la peine au niveau criminel. On sait que cette correctionnalisation exige le consentement unanime de toutes les parties et des juges eux-mêmes. Il est d’ailleurs nécessaire que ceux-ci prennent soin de ne pas laisser apparaître dans leurs décisions l’existence de circonstances qui montreraient que la qualification qu’ils adoptent est erronée.

La Cour de cassation a souvent favorisé cette manœuvre des juges fond, et confirmé le choix, parmi les qualifications voisines, d’une qualification correctionnelle en réalité contestable. C’est ainsi qu’à l’époque où le faux en écritures de commerce et en écritures privées était puni de peines criminelles, la Cour de cassation estimait que l’usage d’un tel document pour réaliser une escroquerie devait être poursuivi sous la qualification d’escroquerie ; au contraire depuis que le législateur a abaissé les peines applicables à ce genre de faux, elle décide que la qualification à employer est celle de faux ou usage de faux (Cass.crim. 25 janvier 1961, Bull.crim. n° 46 p.85).

Sur les difficultés à trouver une qualification et à choisir entre des qualifications voisines à propos de certains agissements précis, on pourra examiner les hésitations jurisprudentielles concernant la répression du monnayage de lingots d’or (l’or monnayé valant plus cher que l’or en 1ingots, certains aigrefins fabriquent irrégulièrement de la monnaie d’or). La Cour de cassation a adopté la qualification de contrefaçon de la marque d’une autorité (en l’espèce le « différent » du directeur de la Monnaie), délit prive par l’art. 142 2° du Code de 1810 (Cass.crim. 4 mars 1954, Dalloz 1954 p.242 ; 18 juillet 1963, Dalloz 1963 p.604) ; voir la qualification différente qui avait été proposée par la Cour d’appel de Rouen le 16 juin 1952 (Dalloz 1953 p. 720, note Carbonnier).

b)  - Le cas des qualifications concurrentes.

Il est possible que les diverses qualifications découvertes puissent s’adapter parfaitement, aussi bien les unes que les autres, aux faits dont on est saisi. Il y a alors concours de qualifications ; cette hypothèse est le plus souvent étudiée par les auteurs sous la dénomination de « concours idéal d’infractions », ou de « cumul idéal infractions ».

Les faits ne constituant qu’une infraction ne peuvent pas être poursuivis sous plusieurs qualifications. Comment choisir celle qu’il convient d’adopter ?

En principe, la Cour de cassation ordonne de choisir en ce cas la qualification la plus élevée, celle qui entraîne la peine la plus forte.

Cependant si, parmi les deux textes qui s’adaptent aussi bien l’un que l’autre aux agissements déférés à la justice, l’un d’entre eux vise, plus spécialement l’hypothèse même dont les juges sont saisis, c’est celle-là qu’il convient d’adopter de -préférence, comme convenant le mieux à l’intention du législateur. On applique alors la règle speciala generalibus derogant.

Certains auteurs ont pu dire que le concours n’était dans certains cas qu’apparent, en sorte que la solution n’est pas douteuse, Ainsi l’art. 300 du Code pénal [de 1810] qualifie infanticide le meurtre ou l’assassinat d’un enfant nouveau-né ; cette qualification doit prévaloir sur celle de meurtre prévue par l’art, 295, quoique tous les éléments constitutifs du meurtre soient réalisés par hypothèse même, dans le cas de l’infanticide.

LE PROBLÈME DE L’INTERPRÉTATION

La solution du problème de la qualification doit avoir permis de découvrir le texte répressif applicable à la poursuite des agissements en cause. Cependant tout n’est pas terminé lorsque l’on a découvert quel était le texte applicable. Il convient encore de déterminer quelle est la portée de ce texte et si celle-ci comprend bien les agissements qu’on veut lui soumettre. Pour le savoir, il s’agit d’interpréter le texte qui contient la qualification.

Le droit pénal enseigne que cette qualification doit se faire de façon stricte.

a)  - Le droit pénal spécial est du droit positif. Il doit donc s’inspirer, non seulement de la loi, mais également de l’interprétation que la jurisprudence donne du texte de cette loi.

Or en sait que la jurisprudence prend souvent certaines libertés avec le texte de la loi, de sorte que, pour chaque infraction particulière, il s’agit de savoir avec précision comment les tribunaux interprètent le texte d’incrimination.

Tantôt il est nécessaire que les tribunaux précisent l’élément matériel. C’est ainsi que, pour l’art. 330 du Code pénal [de 1810], la jurisprudence a été amenée à déterminer quels étaient les agissements qui constituaient un outrage à la pudeur, de même qu’elle a dû déterminer dans quels cas on pouvait dire que cet outrage avait été public.

De même pour l’application de l’art. 405 réprimant l’escroquerie. La jurisprudence s’est efforcée de déterminer, dans d’innombrables décisions, si tels agissements pouvaient constituer ou non des « manœuvres frauduleuses » ou réalisaient la prise d’une « fausse qualité ».

Dans d’autres cas, c’est pour connaître l’élément moral de l’infraction qu’il faut consulter la jurisprudence relative à la répression de cette infraction. Il arrive que l’interprétation donnée par la jurisprudence s’écarte quelque peu de ce que la lecture du texte aurait fait présager. Ainsi, il ne fait pas de doute que l’art. 460 qui réprime le recel exige une faute intentionnelle de l’auteur de l’infraction. Cependant la façon dont la jurisprudence applique cet article aboutit pratiquement à condamner comme recéleurs des individus qui n’ont commis qu’une imprudence lors de leur acceptation des chosesqui provenaient d’une infraction.

Il semble qu’en cette matière, comme en bien d’autres, la jurisprudence fasse application de la théorie du dol éventuel et considère que la personne qui n’a pas prêté attention à des faits qu’elle aurait dû approfondir, parce qu’il lui était possible de le faire, est aussi coupable que si elle avait agi intentionnellement.

Il est donc indispensable de connaître, pour chaque infraction, quelle est, en droit positif et d’après l’interprétation de la jurisprudence, la portée du texte, tant en ce qui concerne l’élément matériel que l’élément moral.

b)  - La jurisprudence estime qu’elle reste fidèle au principe de légalité, même lorsque son interprétation paraît audacieuse, du moment que cette interprétation va dans le sens de la politique criminelle poursuivie par les pouvoirs publics.

Cette politique criminelle se manifeste par les interventions du législateur, et il semble qu’elle serve de guide à la jurisprudence dans le travail d’interprétation auquel elle doit se livrer.

Tout le monde est d’accord en France pour refuser à la jurisprudence le droit de raisonner par analogie et d’appliquer un texte à une hypothèse que le législateur n’a manifestement pas voulu réglementer, sous le prétexte qu’il a incriminé dans d’autres textes des agissements comparables à ceux-là et qui paraissent aussi graves.

Mais dans l’interprétation qu’elle donne pour déterminer la portée exacte d’un texte d’incrimination, la jurisprudence s’efforce d’adapter ces textes, et parfois d’en étendre le domaine d’application par rapport à la période précédente, en s’efforçant de rester dans la ligne de la politique criminelle suivie par les pouvoirs publics.

C’est ainsi que la jurisprudence s’est efforcée d’assurer l’application de textes souvent anciens à des agissements s’insérant dans le fonctionnement de la vie moderne, profondément différente souvent de la période à laquelle le texte a été formulé. Ces textes anciens ont été appliqués à des hypothèses que le législateur n’avait pas prévues et ne pouvait pas matériellement prévoir, du moment tout au moins que la formule employée par le législateur pouvait englober les agissements poursuivis et n’excluait pas littéralement leur application à de tels agissements.

Ainsi, les articles relatifs au vol, même restés dans leur rédaction de 1810, ont été appliqués au vol d’électricité, au vol dans les magasins à libre service, etc. De même la diffamation, punie par la loi sur la presse de 1881, a été appliquée en matière de diffamation par la voie de la radiodiffusion ou du cinématographe.

Néanmoins, il convient de souligner que la jurisprudence devrait faire preuve de la plus grande prudence lorsqu’elle s’engage dans cette voie. Aussi le rôle de la doctrine est-il d’observer attentivement l’évolution de cette jurisprudence relative au domaine d’application des textes qu’elle est amenée à utiliser, de noter avec soin cette jurisprudence, d’en souligner les manifestations, et au besoin de les critiquer.

Signe de fin