Page d'accueil > Table des rubriques > La science criminelle > Pénalistes > La loi pénale > L'infraction > René GARRAUD, Les éléments constitutifs du délit de rébellion

LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS
DU DÉLIT DE RÉBELLION

Extrait du « Traité du droit pénal français »
de René GARRAUD
( 3e éd. par Pierre GARRAUD, T. IV, p. 503 n°1604, Paris 1922 )

L’incrimination de rébellion
se rencontre dans toutes les législations ;
du fait qu’elle tend à assurer l’exécution
des ordres, injonctions et mandements
qui émanent, soit du pouvoir judiciaire,
soit, le plus souvent, du pouvoir exécutif.

Elle protège non seulement les institutions,
mais encore et surtout les hommes de terrain
dans l’exercice parfois périlleux de leur mission.

1604. La rébellion, c’est l’opposition violente faite par un particulier à un dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice légitime de ses fonctions, opposition ayant pour objet d’empêcher ou de troubler l’exécution de son ministère. L’article 209 du Code pénal [de 1810], qui en contient la définition, est ainsi conçu : « Toute attaque, toute résistance avec violence et voies de fait envers les officiers ministériels, les gardes champêtres ou forestiers, la force publique, les préposés à la perception des taxes et contributions, les porteurs de contrainte, les préposés des douanes, les séquestres, les officiers ou agents de la police administrative ou judiciaire, agissant pour l’exécution des lois, des ordres ou ordonnances de l’autorité publique, des mandats de justice ou jugements, est qualifiée, selon les circonstances, crime ou délit de rébellion. »

[ À titre de comparaison, l’article 433-6 du Code pénal de 1993 dispose : Constitue une rébellion le fait d'opposer une résistance violente à une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public agissant, dans l'exercice de ses fonctions, pour l'exécution des lois, des ordres de l'autorité publique, des décisions ou mandats de justice. ]

Reprenons chaque terme de cette disposition, en recherchant quels sont les éléments, soit matériels, soit intentionnels, du crime ou du délit de rébellion.

1605. Les éléments constitutifs matériels, tels qu’ils résultent de la définition légale, sont au nombre de trois. Il faut : 1° une opposition violente, 2° que cette opposition soit l’œuvre d’un particulier et dirigée contre un dépositaire de l’autorité publique, 3° que celui-ci agisse dans l’exercice de ses fonctions.

1606. La condition substantielle du délit de rébellion résulte d’une opposition violente pratiquée contre un représentant de l’autorité publique. C’est par ce fait même, quel qu’en ait été le résultat, que le délit est consommé.

a) D’abord, il doit y avoir une opposition , et, ainsi que s’exprime un criminaliste italien (Carrara), une lutte entre les particuliers et les agents de la force publique. En effet, résister , se rebeller, implique le concept d’un conflit de deux forces qui tendent réciproquement à l’emporter l’une sur l’autre. Conformément à cette idée essentielle, le Code pénal français parle d’une attaque ou d’une résistance avec violences et voies de fait ; le Code pénal allemand et le Code pénal italien, d’une résistance avec violences ou menaces .

Ainsi, la rébellion peut se manifester d’après l’article 209, soit par une attaque, soit par une résistance, mais, dans un cas comme dans l’autre, son élément primordial et caractéristique consiste toujours dans des violences ou voies de fait. Il suit de là que ni la simple désobéissance aux ordres de l’autorité, érigée par certaines législations, en délit spécial, ni même la résistance passive et inerte ne constituent le délit ou le crime de rébellion. Ce qui est nécessaire, c’est que le particulier agisse dans l’intention d’opposer la force à la force, soit en prenant l’offensive (attaque), soit en restant sur la défensive (résistance).

Et voici quelles sont les principales conséquences pratiques de cette idée : ne constitue pas le délit de rébellion : 1° le fait de celui qui, par ruse, par adresse, ou même par la fuite, se soustrait à une arrestation imminente ; 2° de celui qui, sans user de violences ou sans employer de voies de fait, empêche les agents de la force publique de pénétrer chez lui, en fermant sa porte ou en se barricadant ; 3° de celui qui, sans menaces, déclare ne pas vouloir obéir à un ordre de l’autorité ; 4° de celui qui, par des mensonges, des ruses, en un mot, des manœuvres quelconques, mais sans employer la violence, fait obstacle à l’exécution d’une procédure administrative ou judiciaire.

b) L’opposition doit être violente, et consister, suivant les expressions de l’article 309, en violences et voies de fait. Il est vrai que cette disposition, en n’incriminant la résistance que lorsqu’elle est accompagnée de ces circonstances, semble admettre que toute attaque, quelle qu’elle soit, pourra devenir l’un des faits constitutifs de la rébellion. Mais il ne faut pas conclure de cette rédaction qu’un acte, dépourvu de violence. soit suffisant pour servir de base au délit, car il est de l’essence de la rébellion de se manifester par une opposition violente. Si la loi n’a pas dit de l’attaque ce qu’elle a dit de la résistance, c’est à raison de la nature différente de ces deux modes de rébellion. L’attaque procède toujours par violences ou voies de fait : il était donc inutile d’exiger expressément qu’elle fût accompagnée de circonstances qui entrent dans sa notion même, puisqu’elles sont de l’essence de cette forme d’opposition. La résistance, au contraire, prend des aspects divers ; elle peut être passive et consister dans une inertie volontaire et calculée, comme elle peut être active et résulter de violences ou voies de fait. La loi, qui ne voulait prendre pour base du délit que les actes de violence, devait donc exiger, expressément, que la résistance se manifestât par des violences et voies de fait, tandis qu’elle n’avait pas à exprimer la même condition en parlant de l’attaque, puisque toute attaque se manifeste, d’une manière uniforme, par des violences et voies de fait.

Mais la jurisprudence a tiré de cette différence de rédaction, au point de vue des règles de la qualification, une distinction qui nous paraît exacte. En effet, le juge doit soigneusement reconnaître et déclarer, lorsqu’il s’agit d’une rébellion exécutée sous forme de résistance aux agents de la force publique, qu’il y a eu violences ou voies de fait, tandis qu’il n’est pas astreint à la même obligation quand il constate que la rébellion a eu lieu sous forme d’ attaque . Dans son arrêt du 2 juillet 1835 qui a servi de règle, sur ce point, à sa jurisprudence, la Cour de cassation dit, en termes excellents : « qu’en fait de crime ou délit de rébellion, si l’attaque seule, sans les circonstances caractéristiques des violences ou voies de fait qui en sont inséparables, constitue la rébellion, il n’en est pas de même de la résistance, qui ne peut être qualifiée crime ou délit, qu’autant qu’elle est accompagnée de ces circonstances ».

L’expression « violences » comprend, comme nous l’avons déjà dis, dans sa signification la plus étendue, tout emploi illégitime de la force, soit dirigé contre des objets ou obstacles matériels, soit dirigé contre des personnes : dans ce dernier cas, les actes de violences prennent, ordinairement, la qualification de «  voies de fait ». C’est dire que violences et voies de faitsont, en matière de rébellion, des expressions synonymes, car les unes et les autres s’entendent d’excès envers la personne d’un représentant de l’autorité publique. D’où il suit qu’il n’est pas nécessaire, pour caractériser la rébellion, de dire qu’elle a été commise avec violences et voies de fait, une seule de ces expressions étant suffisante. J’ajoute que ni l’une ni l’autre n’a de caractère sacramentel. Par conséquent, ces expressions pourraient être remplacées par des équipollents, par exemple, par ceux-ci : l’accusé a fait opposition avec force et violence.

Dans l’acception la plus étendue du terme, la voie de fait personnelle comprend tout acte de violence exercé contre les personnes. Mais dans le sens du droit pénal, on entend, par cette expression, les violences légères ou les mauvais traitements qui n’ont eu pour conséquence ni effusion de sang, ni blessures, ni maladie. Si l’acte de violence revêtait cette gravité, il dépasserait la qualification de rébellion et deviendrait le crime réprimé par l’article 231 du Code pénal. Nous aurons à examiner plus loin si, dans ce cas, le crime absorbe le délit, ou si, au contraire, il y a tout à la fois crime et délit.

Les violences et voies de fait sont employées, en matière de rébellion, comme moyens de contrainte, c’est-à-dire dans le but de faire obstacle à l’exercice de l’autorité publique. Or, les violences, comme les moyens de contrainte, sont de deux natures, elles sont physiques ou morales. Les unes et les autres peuvent-elles servir de point de départ à une rébellion ?

Pour les violences physiques, aucun doute ne s’élève : ce sont ces violences que la loi a particulièrement en vue, ce sont celles dont nous avons parlé jusqu’ici. Mais nous croyons fermement que les violences peuvent exister sans que des coups aient été portés, sans qu’il y ait eu directement mainmise sur la personne de l’agent de l’autorité publique. En un mot, nous comprenons les violences morales, comme les violences physiques, sous l’expression générique deviolences qu’emploie l’article 209 du Code pénal.

Bien entendu, en parlant de violences morales, nous entendons seulement celles qui se manifestent extérieurement par des actes sensibles, matériels, produisant un effet égal à la violence physique elle-même. Il ne faut pas, en effet, tomber dans une confusion, facile à éviter cependant, entre la crainte ou la panique injustifiées que peuvent éprouver les agents de la force publique devant certaines menaces, et la coaction morale, exercée sur leur esprit, au moyen d’actes matériels, propres à leur inspirer une crainte grave et sérieuse par la menace d’un mal matériel imminent. Par exemple, nous ne verrions pas de rébellion dans le fait d’un individu qui, sommé par un agent de la force publique de circuler, le menacerait de le dénoncer aux journaux ou à son député, qui prendrait par écrit le numéro de son képi ou le menacerait de le faire révoquer, qui lui répondrait insolemment, en y joignant même quelques gestes dé mépris ou d’invectives : il n’y a pas là, en effet, cette violence, qui fait obstacle, physiquement ou moralement, à l’exercice de l’autorité publique et qui caractérise la rébellion.

Les outrages, les simples menaces pourront constituer, dans ce cas, des délits particuliers, mais ils n’entreront pas comme éléments, dans le crime ou le délit de rébellion. Il en serait autrement si, à la menace, s’ajoutait un acte matériel et violent, dans le but d’empêcher le préposé de l’autorité publique d’accomplir la mission dont il est chargé, par exemple, si ce préposé avait été couché en joue par un rebelle armé d’un fusil, s’il avait été poursuivi par un individu brandissant une fourche ou une faux et menaçant de le frapper. Ces exemples, que j’emprunte à la jurisprudence, sont caractéristiques. Dans d’autres circonstances, la question de savoir si la rébellion est constituée sera plus douteuse. Nous croyons qu’il est difficile d’établir un critère absolument exact, au moyen de formules théoriques. Sans doute, des paroles ne peuvent équivaloir à des voies de fait, et la loi exige certainement, pour qu’il y ait rébellion, une attaque ou une résistance avec violences et voies de fait. Mais des menaces graves, dans des circonstances telles que leur exécution immédiate soit à craindre, nous paraissent suffisantes, même en l’état de la loi française, s’il s’y joint un acte sensible et extérieur, distinct toutefois des menaces mêmes.

La plupart des législations étrangères prévoient, comme moyens de coercition, les menaces à côté de la violence. Nous avons cité le § 113 du Code pénal allemand. Les articles 179 et 180 du Code pénal des Pays-Bas incriminent également « celui qui, par la violence ou par des menaces, s’oppose à un fonctionnaire dans l’exercice légitime de ses fonctions... ».

1607. Il faut, comme second élément matériel constitutif de la rébellion, que l’opposition violente ait été pratiquée par un particulier contre un dépositaire quelconque de la force publique.

a) C’est-à-dire d’abord que l’attaque ou la résistance envers un agent de l’autorité doit émaner d’un particulier. Une lutte, même violente, entre agents de la force publique, à l’occasion de l’exécution d’une loi ou d’un mandement de justice, peut bien constituer un délit spécial, mais non le délit de rébellion, qui implique, comme caractère fondamental, un acte de violence contre l’autorité, violence devant naturellement émaner de celui qui, n’étant pas revêtu de cette autorité, a, pour premier devoir, de se soumettre à ses dépositaires.

Ainsi, deux huissiers se présentent pour exécuter une décision de justice, au domicile du même individu ; ils sont bien l’un et l’autre dans l’exercice légitime de leurs fonctions : un conflit, qui dégénère en une rixe, s’élève entre ces officiers ministériels, à l’occasion de l’acte d’exécution qu’ils viennent pratiquer, et l’un d’eux est obligé, par la violence de l’autre, de suspendre ses opérations. Dirons-nous qu’il y a rébellion ? nullement. Le fait pourra être qualifié, suivant les cas, coups et blessures, ou violences légères, etc., mais il ne présentera certainement pas le titre de rébellion, puisque l’intention de celui qui l’a commis n’est pas d’empêcher l’exécution d’un acte de justice, mais de supprimer, par la violence, l’obstacle qui s’opposait à l’exercice de sa propre fonction.

b) Il faut que l’attaque ou la résistance violente ait eu lieu en la présence du fonctionnaire et ait été dirigée contre sa personne. Le Code pénal ne s’occupe pas de la rébellion contre les choses qui auraient été confiées à la surveillance de l’agent. L’ancien droit connaissait une double forme de rébellion à justice : la rébellion contre la personne et la rébellion contre les biens. C’est ainsi que Jousse qualifie de rébellion à justice : 1° le fait d’enlever par la violence des biens saisis ; 2° de déchirer des lettres de justice comportant condamnation ; 3° de favoriser l’évasion et le recel des criminels. Dans cette conception, la rébellion à justice ne consistait pas seulement dans les violences et voies de fait exercées contre les fonctionnaires pour s’opposer à l’exercice de leur autorité ; mais, d’une façon plus générale, dans toute voie de fait qui pouvait avoir pour objet et pour résultat de paralyser la marche du service judiciaire. La même idée devait être reprise au cours de la Révolution française. À cette époque, un paysan, nonobstant trois jugements du juge de paix, avait rétabli une barrière qu’il avait été condamné à abattre. La Convention fut saisie, « et violant à la fois le principe de la séparation des pouvoirs et celui de la non-rétroactivité des lois, elle décida que le coupable serait conduit dans une maison de détention pour y rester jusqu’à la paix. Puis, pour combler ce qu’elle pensait être une lacune du Code pénal de 1791, elle décida que les peines de la rébellion seraient, à l’avenir, applicables à quiconque emploierait, même après l’exécution des actes émanés de l’autorité publique, soit des violences soit des voies de fait, pour interrompre cette exécution ou en faire cesser l’effet » (Décret 22 floréal an II).

Cette conception de la rébellion ne fut pas reprise dans le Code pénal de 1810. Et le Conseil d’État, le 8 février 1812, décida que le décret du 22 floréal an II avait été abrogé. Ne tombent donc pas sous le coup de l’article 209, les violences qui, tout en ayant pour but de faire échec aux ordres de l’autorité judiciaire, n’ont pas été exercées contre la personne du fonctionnaire.

Ce point incontestable, puisqu’il résulte de la notion même de la rébellion dans le Code pénal, a été reconnu particulièrement dans une espèce intéressante. Des blés, mis en séquestre, avaient été enlevés, en enfonçant le grenier qui les renfermait. Les auteurs de cet acte de violence avaient été poursuivis pour rébellion ; mais, sur pourvoi, la Cour de cassation déclara la poursuite mal fondée, par ce motif « que les articles 209 et suivants supposent des voies de fait et des violences envers la personne des officiers ministériels, et que, dans l’espèce, il n’en avait été commis que sur la propriété du séquestre et non sur sa personne ».

Mais il arrivera souvent que la violence directe, exercée sur les choses, constituera, en analysant les circonstances dans lesquelles les voies de fait sont intervenues, une violence contre la personne même du dépositaire de l’autorité, une coercition exercée contre lui dans le but de troubler l’exercice légitime de sa fonction. Dans ce cas, l’élément primordial de violences et voies de fait existera sans aucun doute. Il en sera particulièrement ainsi du fait, par un rebelle, de s’emparer de l’arme d’un agent de la force publique, d’assiéger la maison ou la caserne dans laquelle il se trouve, de lui arracher des mains un objet dont il veut s’emparer ou dont il s’est emparé, etc. De sorte que la règle se ramène à cette autre proposition, plus exacte parce qu’elle est plus précise : les violences ou les voies de fait doivent, pour constituer une rébellion punissable, avoir eu lieu en présence du dépositaire de l’autorité publique, et dans le but de mettre obstacle à l’exercice de ses fonctions.

Blanche (Études pratiques sur le Code pénal, T. III, n° 33), rapporte une espèce assez curieuse, à laquelle il prit part comme avocat général prés la Cour de Rouen, et dans laquelle la violence exercée sur la chose fut, avec raison, considérée comme ayant atteint la personne elle-même. Un vérificateur de l’enregistrement était venu dans l’étude du notaire D.... ; il y faisait la vérification d’un acte, rédigé en contravention à la loi sur le timbre, lorsque le notaire lui retira violemment cet acte, le déchira et s’opposa à ce qu’il continuât la vérification qu’il avait commencée. Par arrêt du 25 janvier 1844, le notaire D... fut condamné par la Cour de Rouen comme coupable d’avoir résisté par violence et voies de fait envers un préposé de l’administration de l’enregistrement et des domaines.

C’est ainsi encore qu’il a été décidé que le fait par une femme, présente à une visite domiciliaire, de s’emparer d’objets saisis et de les cacher dans ses vêtements, et de rendre ainsi nécessaire une perquisition sur sa personne pour la reprise de ces objets, peut être considéré comme une voie de fait, de nature à mettre obstacle à l’exécution du mandat donné au fonctionnaire chargé de cette visite domiciliaire et constitue, dès lors, le délit de rébellion : Cass.crim. 16 janv. 1869 (D. 69.1.381).

c) Quels sont les officiers publics qui doivent être, dans la rébellion, l’objet de violences et voies fait ? Sur ce point, toutes les législations sont d’accord pour réserver leur protection aux agents secondaires, chargés d’exécuter les ordres de l’autorité. Mais tantôt, les Codes modernes procèdent par voie de formule générale ; tantôt, au contraire, par voie d’énumération. Le Code pénal de 1791 avait adopté le premier procédé : il comprenait tous les officiers, vis-à-vis desquels pouvait exister le délit de rébellion, sous l’expression générique de « dépositaires quelconques de la force publique ». À cette formule abstraite, le Code pénal de 1810 a substitué une énumération complète et détaillée. Il faut que l’attaque ou la résistance ait été dirigée contre « des officiers ministériels,des gardes-champêtres ou forestiers, la force publique, des préposés à la perception des taxes et des contributions, des porteurs de contraintes, des préposés des douanes, des séquestres, des officiers ou agents de la police administrative ou judiciaire »…

[ Le Code pénal de 1993 a sagement employé cette formule générale : « une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public … ». Les controverses sur les différents cas visés en 1810 sont donc devenues caduques. ]

La protection de la loi, qui entoure les agents de l’autorité publique, s’étend-elle aux particuliers, employés, comme auxiliaires de l’officier public, dans l’exécution de mesures de police ? Ainsi, pour pratiquer une perquisition domiciliaire, en vertu d’un mandat du juge d’instruction, un commissaire de police se fait assister d’un serrurier : une résistance, avec violences et voies de fait, est opposée à cet ouvrier, par le citoyen contre lequel la mesure est dirigée : la qualification de rébellion est-elle applicable à cette résistance ? Nous n’hésitons pas à l’admettre, car, au fond, la résistance est opposée au commissaire de police dont cet ouvrier n’est que l’instrument ; et de même que les violences sur les choses dont se sert l’officier public, peuvent constituer, si elles ont pour but de troubler l’exécution d’un acte de justice, l’élément matériel du crime ou du délit, de même la violence dont l’inculpé a usé contre ce serrurier est une voie de fait dirigée contre l’agent que la loi a en vue de protéger et de défendre dans l’exercice de sa mission.

La constatation de la qualité de dépositaire de l’autorité publique, prise en considération par l’article 209, constitue-t-elle une simple recherche de fait, rentrant dans la compétence du jury, en cour d’assises ? Implique-t-elle, au contraire, la solution d’un point de droit, réservé à la cour d’assises, sous le contrôle de la Cour de cassation ? Une distinction s’impose, S’il s’agit d’établir que l’agent, contre lequel ont été dirigées les violences et voies de fait, était, à ce moment même, dans l’exercice de ses fonctions, la question peut et doit être soumise au jury, car elle soulève principalement un point de fait que le jury seul a qualité pour résoudre Mais, quand il s’agit de déterminer si tel ou tel agent de l’autorité publique est compris parmi les personnes énumérées dans l’article 209, et a la qualité d’officier ministériel, de garde-champêtre ou forestier ; par exemple, la question est de pur droit, et la qualification qui doit être donnée par la cour d’assises peut être contrôlée par la Cour de cassation,

1608. Le troisième élément matériel du crime ou du délit de rébellion, c’est que l’officier public agisse dans l’exercice de ses fonctions, c’est- à -dire : pour l’exécution des lois, des ordres ou ordonnances de l’autorité publique, des mandats de justice ou jugements, au moment où la résistance avec violences et voies de fait lui est opposée.

En un mot, le Code pénal, dans l’article 209, ne punit l’attaque ou la résistance avec violences ou voies de fait que lorsque cette attaque ou cette résistance s’adresse à celui qui agit dans l’exercice de ses fonctions.

L’article 209, pas plus du reste que l’article 222, n’accorde à l’agent de l’autorité une protection spéciale et personnelle. La loi entend seulement renforcer le pouvoir qu’il tient de sa fonction pour faire exécuter les ordres de la loi ou de l’autorité. Par suite la rébellion ne sera constituée, comme l’outrage du reste, que lorsqu’elle s’adressera à un fonctionnaire dans l’exercice de sa fonction. Il faut même une condition de plus pour la rébellion : que le fonctionnaire agisse, au moment où se produit l’attaque ou la résistance, pour l’exécution des lois et des ordres de l’autorité. La rébellion est constituée par une attaque ou une résistance se produisant durante officio , mais non post officium vel in contemplation officii.

Sur la nécessité de cette condition, toutes les législations sont d’accord. Elle est, en effet, de l’essence même de la rébellion. Dans ce cas seulement, l’attaque ou la résistance atteint la fonction publique dans son exercice. Elle en compromet la manifestation et l’autorité. Certains des agents énumérés par l’article 209, les gendarmes, par exemple, sont toujours dans l’exercice de leurs fonctions ; d’autres, au contraire, tels que les porteurs de contrainte, les séquestres, ne concourent qu’accidentellement à l’exécution des lois ou des ordres de l’autorité publique ; pour ces derniers, il faut que l’attaque ou la résistance se produise au moment même où ils font un acte nécessité par cette exécution. C’est à cette condition substantielle, qui doit être relevée par le jugement ou l’arrêt, qu’est subordonnée l’existence de la rébellion.

Cette distinction est très nettement dégagée par Blanche (ouvrage précité, T. IV, n°40 et 41). La distinction de Blanche, entre les agents qui ont pour devoir constant d’assurer l’exécution des lois et des ordres de l’autorité et ceux qui sont appelés à y concourir accidentellement, nous semble avoir une valeur générale qui nous conduit à l’adopter. Mais elle serait trop absolue, si on voulait y voir une distinction entre deux classes de fonctionnaires, les gendarmes et les autres. Nous admettons que les gendarmes sont toujours, lorsqu’ils font leurs tournées, dans l’exercice de leurs fonctions, mais d’autres agents ont le même caractère, tels que les douaniers, par exemple, en ce qui concerne la contrebande. Si des violences sont exercées contre des douaniers pour les empêcher de surveiller, d’atteindre des contrebandiers, ou de leur dresser procès-verbal, certainement la rébellion est constituée.

Deux conséquences résultent de cette règle générale.

a) La première est incontestable. Il faut, au moment où les violences et voies de fait se produisent, que l’officier public remplisse sa fonction : l’article 209 ne s’occupe pas des violences et voies de fait exercées postérieurement à l’exécution des lois ou des ordres de l’autorité, et qui ont pour but, soit d’interrompre cette exécution, soit d’en faire cesser l’effet.

Une loi du 22 floréal an II (art. 2), déclarait, il est vrai, applicables, à cette hypothèse, les peines portées par le Code pénal de 1791, alors en vigueur, contre la désobéissance à la loi. Il est vrai encore que, depuis la promulgation du Code pénal de 1810, il a été d’abord décidé que la loi dont il s’agit n’était point abrogée. Mais, sur le renvoi de la question, un avis du Conseil d’Etat du 8 février 1812 s’est prononcé, avec raison, dans le sens de l’abrogation, par l’article 484 du Code pénal, de l’article 2 de la loi du 22 floréal an II. Ainsi, ce n’est qu’au moment où se, produit l’exécution que l’opposition violente qui y est faite a le caractère de rébellion ; mais, postérieurement à cette exécution, les violences et voies de fait pourraient former seulement le titré de délits particuliers, tels que celui de bris de scellés, de détournements d’objets saisis„ de coups et blessures, etc. ".

Il n’en est pas moins vrai que, dans certains cas où il serait utile de punir, la fonction elle-même restera sans protection. Il peut arriver, par exemple, qu’un débiteur, en s’abstenant d’actes délictueux, parvienne, avec une mauvaise foi évidente, à se soustraire indéfiniment à l’exécution d’un jugement de condamnation rendu en matière civile, sans que cette résistance puisse être considérée comme constituant une rébellion. À cet égard, la législation anglaise a un titre de délit qui manque dans la nôtre. Sous la dénomination générale de « Contempt of Court » ou « Mépris de la Cour » elle comprend toutes les infractions qui ont pour but de gêner ou d’entraver le fonctionnement de la justice. Le « Contempt of Court » est un délit contre la fonction publique et plus spécialement contre la fonction judiciaire.

b) La seconde conséquence est plus douteuse, car elle ne résulte pas des termes employés par l’article 209. C’est que la résistance avec violence ou voie de fait ne saurait constituer le crime ou le délit de rébellion, lorsqu’elle est opposée à des agents de l’autorité publique qui ne sont pas dans l’exercice légitime de leurs fonctions. Cette question, que j’ai complètement examinée à propos de celle de la légitime défense, à laquelle elle se lie, est plutôt une question d’application qu’une question de principe. Deux tendances opposées se partagent encore aujourd’hui la jurisprudence française : l’une voit dans l’article 209 la protection du fonctionnaire plutôt que celle de la fonction, et ne subordonne pas l’existence du délit de rébellion à la légalité de l’acte de l’officier public et au plus ou moins de régularité avec laquelle il a procédé ; l’autre proclame l’impunité de la résistance opposée par des particuliers à des actes illégaux, le fonctionnaire n’étant, pas plus qu’un particulier, couvert par l’autorité qu’il tient de sa fonction lorsqu’il procède régulièrement à un acte illégal ou irrégulièrement à un acte légal. La vérité est entre les deux tendances, comme nous avons essayé de le démontrer, en analysant les diverses situations de nature à se présenter (supra, T.II n° 447 p.34).

1609. L’élément moral du crime ou du délit de rébellion consiste, de la part de l’inculpé, à vouloir faire obstacle à l’exécution d’un acte de l’autorité publique, ou à l’empêcher. C’est par ce but tout spécial, que la rébellion se distingue d’autres infractions qui ont, avec elle, la plus grande analogie.

Par exemple, quand la résistance n’a pas seulement pour objet d’empêcher l’exécution d’un acte déterminé des représentants de l’autorité publique, mais tend surtout à exciter la guerre civile, à renverser ou à modifier le gouvernement établi, bien que le résultat voulu par l’agent n’ait pas été atteint, le délit n’est plus simplement une rébellion, il dégénère en un attentat contre la sûreté de l’État, puni de peines beaucoup plus graves (C.pén. de 1810, art. 87 et 91).

D’un autre côté, si l’inculpé, sans avoir la volonté d’empêcher l’exécution des lois ou des mandements de l’autorité judiciaire, commet des violences et voies de fait envers un fonctionnaire public, par un sentiment d’inimitié contre lui, ou simplement en haine de l’autorité dont il est revêtu, le délit ne prend plus la qualification de rébellion, et rentre dans les termes des articles 228 à 233 C.pén., qui prévoient et punissent les « violences envers les dépositaires de l’autorité et dela force publique ».

Enfin, si les violences ou voies de fait ont été pratiquées sur la personne d’un fonctionnaire dont l’agent ignorait la qualité, l’acte rentre dans le droit commun des coups et blessures ou violences légères.

On voit par là, quelle importance la recherche de l’intention du délinquant peut avoir sur la qualification de la rébellion. Mais il ne faut pas se laisser égarer, dans cette analyse psychologique par la préoccupation, soit du résultat qui a été atteint, soit de la possibilité même de l’atteindre. Il importe peu, en un mot, que la résistance ait été vaine ou quelle dût être vaine. Dans quel but l’inculpé a-t-il usé de violences et voies de fait ? Telle est l’unique question dont on doit se préoccuper. S’il a agi dans l’intention de résister à un acte de l’autorité publique, la qualification de rebelle lui est applicable.

Les violences et voies de fait ne seraient pas punissables sous le titre de rébellion, si elles avaient été dirigées contre des agents qui n’étaient porteurs ni de leurs costumes ni de leurs insignes officiels, à moins que la qualité de ces agents ne fût connue de l’inculpé. Le caractère intentionnel du crime ou du délit de rébellion conduit forcément à cette conséquence.

Signe de fin