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L’OUTRAGE PUBLIC À LA PUDEUR

Extrait du « Traité de droit pénal »
de R. GARRAUD ( 3e éd. T.V, Paris 1924 )

Le délit d’outrage public à la pudeur,
incriminé par le Code pénal de 1810,
établissait un heureux équilibre
entre le respect de la liberté individuelle
et la protection de la décence ; décence nécessaire
d’une part aux rapports sociaux de la population
d’autre part à l’harmonieux développement des mineurs.

Ce délit a disparu du Code pénal de 1993
et a été remplacé par le délit d’exhibitionnisme.
Il n’en reste par moins une référence essentielle
du point de vue de la prévention de la délinquance,
dont l’une des causes est la dépravation des mœurs.

Il demeure au reste un délit civil,
pouvant donner lieu à des réparations civiles,
quand il a causé un préjudice à une personne précise.

2075 - Le délit d’outrage à la pudeur est un concept moderne. Alors que la luxure était punie sous toutes les formes dans notre ancien droit, on n’avait pas senti le besoin de protéger, par une sanction pénale spéciale, ce sentiment de pudeur qui rattache une représentation immorale à la vue de certaines nudités ou de certaines manifestations sexuelles. C’est seulement à la fin du XVIIIe siècle que se produisit une double évolution : la mise hors du droit pénal des actes immoraux pris en eux-mêmes : la punition de tout acte impudique accompli en public, offensant ou pouvant offenser le sentiment de pudeur des particuliers qui en sont involontairement témoins. C’est dans la loi de police correctionnelle du 18 juillet 1794 (art. 8, T. 2) que se trouve l’origine du délit d’outrage public à la pudeur. Cette loi punissait d’une amende et d’un emprisonnement « ceux qui seraient prévenus d’avoir attenté publiquement aux mœurs, par outrage à la pudeur des femmes, par actions déshonnêtes, par exposition en vente d’images obscènes ».

Le Code pénal de 1810 a recueilli partie de cette disposition. L’article 330, qui punit l’outrage public à la pudeur, a été modifié, dans sa pénalité, par la loi du 13 mai 1863. En élevant à deux ans le maximum de la peine de l’emprisonnement, on n’a pas eu seulement pour but, à cette époque, de punir plus sévèrement ce délit ; on a surtout voulu fournir au juge les moyens de marquer le coupable pour la récidive. Aujourd’hui, le texte de l’article 330 est ainsi conçu : Toute personne qui aura commis un outrage public à la pudeur sera punie d’un emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de seize francs à deux cent francs.

2076 - Les éléments constitutifs de l’outrage public à la pudeur sont au nombre de trois. Il faut qu’un fait matériel, contraire à la pudeur, ait été publiquement commis, sans nécessité et volontairement.

Cette forme d’incrimination est essentiellement liée à la publicité d’actes impudiques ou obscènes, de nature à offenser la pudeur, abstraction faite de leur rôle dans satisfaction de l’instinct sexuel.

2077 - I. L’outrage à la pudeur résulte d’un fait physique, acte, attitude ou geste, de nature à offenser la pudeur d’autrui. Cette notion implique trois idées, essentielles.

a) Il est d’abord certain que des paroles, quelques grossières ou licencieuses qu’elles soient, des peintures, gravures, dessins, écrits obscènes ne constitueraient pas l’élément matériel de l’outrage à la pudeur puni par l’article 330 du Code pénal. Mais ces faits pourraient être incriminés sous la qualification d’outrages aux bonnes mœurs.

Ce point n’a jamais fait difficulté. Les deux délits, l’outrage public à la pudeur et l’outrage aux bonnes mœurs ont ceci de commun que le fait incriminé ne blesse pas la pudeur d’une personne déterminée, comme le viol et l’attentat à la pudeur, mais constitue une atteinte à la décence publique, une atteinte aux mœurs de toute une catégorie de personnes, d’où la conséquence que la loi ne le réprime qu’autant qu’il revêt une certaine publicité. Il y a cependant entre ces deux délits une différence essentielle qui a partout motivé la création des deux types d’incrimination. L’outrage à la pudeur suppose qu’un individu accomplit des actes, exhibitions ou gestes obscènes, qui peuvent être aperçus de plusieurs personnes, et blessent ainsi ouvertement leur pudeur. Dans l’outrage aux bonnes mœurs, l’auteur du délit n’apparaît pas de prime abord ; ce qui outrage les mœurs du public, ce sont les imprimés, dessins ou gravures que l’on met sous ses yeux : c’est ici la publication et la propagation qui font le délit. C’est donc avec raison que la Chambre des députés, lors de la discussion de la loi du 5 août 1882, a repoussé le projet du Gouvernement qui proposa d’assimiler purement et simplement les deux délits au point de vue de la poursuite et de la répression, et cela par une simple addition à l’article 330 du Code pénal. La distinction, qui n’était pas faite par la loi de 1791, qui l’a été par le Code pénal de 1810, est passée dans le droit pénal de presque tous les peuples.

L’outrage aux bonnes mœurs, par voie de publications obscènes, était puni, à l’origine, par l’article 287 du Code pénal, qui frappait d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 16 à 500 francs, toute exposition ou distribution de chansons, pamphlets, figures ou images contraires aux bonnes mœurs. Cette disposition ne prévoyait que quelques-unes des formes sous lesquelles le délit pouvait se produire ; ce fut l’article 8 de la loi du 17 mai 1819 qui réprima l’outrage aux bonnes mœurs, commis à l’aide de l’un quelconque des moyens de publication énumérés dans l’article 1er de cette loi (paroles, écrits, imprimés, dessins, emblèmes, placards). Depuis cette époque, cette forme d’outrage à la morale publique est restée comprise dans le domaine des lois sur la presse [mais elle a depuis été dépénalisée]…

b) Les actes impudiques ou obscènes, éléments matériels du délit d’outrage à. la pudeur, sont tous les actes de nature à offenser le sens moral, la pudeur des citoyens. Et comme la notion de pudeur est mobile et variable suivant le milieu social et le degré de civilisation des peuples, il importe de laisser aux juges le soin de déterminer quels actes peuvent être considérés comme impudiques ou obscènes, c’est-à-dire quels actes sont de nature à blesser la moralité et la pudeur publiques. Du reste, il n’est pas nécessaire que l’acte incriminé soit intrinsèquement immoral, il suffit que, considéré objectivement, il soit impudique ou obscène. Par exemple, les rapports charnels entre époux, qui, par eux-mêmes, sont, non seulement permis, mais imposés par le mariage, pourront, sans aucun doute, constituer l’élément matériel d’un outrage à la pudeur, quand ils auront été tentés ou consommés publiquement, au mépris de toute pudeur (La répression dans le délit d’outrage à la pudeur, ainsi que le remarque Montesquieu, étant bien moins fondée sur la méchanceté que sur l’oubli ou le mépris de soi-même).

Si l’on essaie d’établir une classification entre les mille formes différentes que revêt le délit qui nous occupe, on remarquera qu’il peut consister dans un outrage à la pudeur ou dans un outrage aux bonnes mœurs.

Dans la première classe rentrent les actes impudiques ou obscènes dirigés contre une personne déterminée, avec ou sans son consentement, et commis en public. Ce seront, par exemple, les actes sexuels, normaux on anormaux, qui auraient lieu, soit dans un lieu public, soit enfin dans un endroit insuffisamment caché aux regards de tous.

Dans la seconde, les actes, de nature à faire rougir la pudeur, l’honnêteté publique, et tendant, par cela même, à exciter, favoriser, faciliter la corruption des personnes de l’un ou de l’autre sexe. C’est ainsi qu’on a vu un outrage à la pudeur dans le fait de ne pas se cacher pour satisfaire un besoin naturel, dans l’acte de celui qui, par hasard, ou en matière d’injure, exhibe ses nudités en public. L’outrage public à la pudeur ne vise, en effet, ni les actes immoraux en eux-mêmes, ni l’atteinte portée à la pudeur d’une personne déterminée, mais bien et uniquement l’atteinte à la pudeur publique et le scandale qui en peut résulter.

L’outrage à la pudeur forme donc, en quelque sorte, un titre de délit subsidiaire, un délit à côté, en ce sens que le fait qui le constitue n’est pas, en lui-même, nécessairement punissable, mais le devient en raison uniquement du lieu dans lequel il est commis ou des circonstances qui l’accompagnent. [À mon sens, il s’agit d’une incrimination de police sociale]

c) L’outrage, étant constitué, par un élément matériel, acte, attitude, geste, le jugement qui condamne une personne sous cette qualification doit spécifier les actes obscènes que le juge a considéré comme constitutifs du délit prévu par l’article 330. Cette condition est nécessaire pour que le contrôle de la Cour de cassation puisse s’exercer. Tout jugement de condamnation qui n’en tiendrait pas compte serait irrégulièrement motivé.

2078 - II. La publicité est, en effet, l’élément essentiel du délit prévu par l’article 330. Aussi les juges doivent-ils, à peine de nullité de la condamnation qu’ils prononcent : 1° constater, d’une manière claire et précise, que l’acte incriminé a été accompli publiquement ; et préciser, dans les motifs de leurs décisions, les circonstances d’où résulte, à leurs yeux, cet élément du délit (Cass.crim. 22 août 1879, S. 1879 I 485 : Est nul l’arrêt qui se borne à qualifier d’obscène le fait imputé au prévenu, sans constater ni spécifier les actes qui, de la part de celui-ci, auraient constitué soit un outrage à la pudeur, soit un fait obscène).

Le Code pénal italien est caractéristique à cet égard. Après avoir énuméré les attentats contre les mœurs, il ajoute, dans l’article 338 : Quiconque, en dehors des cas indiqués aux articles précédents, offense la pudeur ou les bonnes mœurs, par des actes commis dans un lieu public, ou accessible an public, est puni de la réclusion de trois à trente mois.

Mais quel doit être le caractère de la publicité requise ? La disposition de l’article 330 est générale : elle se réfère conséquemment à tous les genres de publicité que l’outrage à la pudeur est susceptible d’avoir, soit par le lieu où il a été commis, soit par les autres circonstances dont il est accompagné (Cass.crim. 7 avril 1859, D. 1859 I 239).

En un mot, il faut mais il suffit, qu’il y ait eu possibilité que le public fût offensé par le spectacle de l’acte immoral ou obscène, sans qu’il soit nécessaire de rechercher si, en fait, il y a eu ou non des témoins de cet acte, et si cette publicité a été ou non voulue par te délinquant. Pour que l’outrage publie à la pudeur ou, pour mieux dire, l’outrage à la pudeur publique existe, il faut s’attacher, en effet, à l’éventualité d’un scandale, d’une offense à la pudeur de tous, et non à la publicité effective de l’acte. Il suffit que le coupable se soit exposé, dans un lieu public ou privé, aux regards d’autrui, par sa volonté ou sa négligence, en accomplissant une action immorale ou obscène. Ainsi, il importe peu que le délit ait été commis, la nuit, sur une voie publique écartée, par des individus qui cherchaient à se cacher, puisqu’à raison du lieu, quelqu’un du public pouvait passer ; qu’il ait été commis dans un lieu privé, si, dans, ce lieu, à raison de la situation et de l’absence de précautions prises par le délinquant, l’acte immoral ou obscène a pu être aperçu de quelqu’un. D’où nous pouvons conclure, en résumant l’état de la doctrine et de la jurisprudence sur ce point, que la publicité existe : toutes les fois que l’outrage est commis dans un lieu public ; ou bien que, commis dans un lieu privé, il a pu être aperçu du public. C’est entre ces deux limites que se renferme la répression de l’outrage à la pudeur. Il importe donc de distinguer « l’outrage commis dans un lieu public », de « l’outrage commis publiquement dans un lieu privé ».

a) La publicité existe tout d’abord dans le cas où l’acte obscène a été commis dans un lieu public. Par cela même qu’il est accompli dans un tel lieu, l’outrage à la pudeur tombe sous le coup de la loi, alors même qu’il n’aurait été vu par personne. Il importe donc de déterminer ce qu’on doit entendre par lieux publics. Chassan, qui nous a laissé, sur la presse, un traité magistral, définit les lieux publics ceux qui sont ouverts on accessibles à tout le monde, soit gratuitement, soit moyennant rétribution ou certaines conditions d’admissibilité ; il les divise en trois classes, distinguant : 1° les lieux publics par leur nature ; 2° les lieux publics par destination ; 3° les lieux publics par accident. Cette distinction est devenue classique, et nous hésitons d’autant moins à la reproduire qu’on la retrouve dans certaines décisions de la jurisprudence.

Les lieux publics par leur nature sont ceux qui, d’une façon permanente et absolue, sont accessibles au public : tels sont les chemins publics, les rues, les places, les promenades publiques. L’outrage à la pudeur commis en un lieu de cette espèce, même la nuit, même à un moment où ce lieu est désert, tombe, sans difficulté, sous le coup de l’article 330. Il faut qu’on puisse circuler ou stationner en tout temps dans un lien public sans être exposé à voir une scène d’obscénité.

Les lieux publics par destination sont ceux-là seulement où toute personne peut être appelée ou au moins admise à pénétrer et à séjourner librement, soit d’une manière absolue, soit en remplissant certaines conditions générales d’admissibilité : tels sont les théâtres, églises, écoles, cafés, auberges, salles d’audience des tribunaux, bureaux d’enregistrement, de préfecture, de mairie, etc. A la différence des lieux publics par leur nature, dont la publicité est absolue et de tous les instants, les lieux publics par destination cessent nécessairement d’avoir ce caractère dans les moments où ils ne sont pas ouverts au public. L’outrage à la pudeur qui s’y commet a ou n’a pas de publicité suivant que ce lieu était ouvert ou fermé, suivant que l’acte obscène a été ou a pu être vu.

À la différence des lieux publics par leur nature ou leur destination, dont le caractère public résulte du lieu même, les lieux publics par accident sont des lieux privés qui ne prennent leur caractère de publicité qu’à raison de la présence plus ou moins accidentelle d’un public. Il en est ainsi des boutiques et magasins, des hôpitaux, des prisons, des cercles, des voitures publiques, des voitures privées, circulant sur la voie publique, des wagons de chemin de fer, circulant sur une ligne. Au point de vue de l’outrage à la pudeur, on doit les assimiler â des lieux privés proprement dits, et s’attacher, pour déterminer si l’acte obscène a été oui ou non commis publiquement, aux circonstances particulières qui l’ont accompagné. Toutefois, la différence entre les lieux publics par accident et les lieux privés, entre un hôpital et une maison particulière, par exemple, c’est que l’accès du public étant plus facile dans les premiers que dans les seconds, la négligence du prévenu qui ne prend pas de précautions pour se soustraire au regard sera plus immédiatement établie.

Tel paraît bien être le sentiment de la jurisprudence. Ainsi un hôpital n’est pas au lieu public dans le sens absolu du mot, puisque toute personne ne peut y pénétrer librement ; on doit cependant le considérer comme tel à l’égard des malades et des employés qui s’y trouvent (Alger, 25 avril 1879).

b) Car, ainsi que nous l’avons déjà dit, la publicité du lieu où l’outrage aux mœurs est commis n’est pas une condition essentielle à l’existence du délit. La publicité du délit même se rencontre, en effet, tontes les fois que l’acte, bien que commis dans un lieu privé, un appartement, une propriété, a pu être aperçu du public. Deux situations peuvent encore se présenter : ou bien l’outrage, commis dans un lieu privé, l’a été devant des témoins; ou bien il a été simplement aperçu on pu être aperçu et, dans ce dernier cas, n’a été révélé que par le hasard ou les indiscrétions de l’auteur ou des auteurs.

La seconde situation est la plus simple. La jurisprudence, dont l’évolution semble définitivement accomplie, fait une distinction entre le cas où il y a eu, de la part du prévenu, absence de précaution contre la publicité de l’outrage à la pudeur, et le cas, bien différent, où le prévenu s’est entouré de toutes les précautions possibles pour qu’on ne pût l’apercevoir dans la perpétration de l’acte qui lui est reproché.

La première hypothèse est, en quelque sorte, la situation normale. De l’ensemble des décisions rendues en matière d’outrage public à la pudeur, il résulte, en effet, que la publicité existe toutes les fois que l’acte immoral ou obscène, bien que commis dans un endroit privé, a été ou a pu, à raison de la disposition des lieux ou des circonstances, être aperçu du public. Il importerait peu d’ailleurs que l’auteur de cet acte eût pris certaines précautions pour le dissimuler au regard du public, si ces précautions se sont trouvées insuffisantes, sans que, l’état des lieux ait été, du reste, modifié par quelqu’un du public.

Ainsi, Cass.crim. 18 mars 1858 (S. 1858.1.561) : Attendu que l’arrêt attaqué constate. à ta vérité, que les prévenus avaient pris certaines précautions contre la publicité, mais qu’il constate en même temps que, relativement à des individus qui étaient sur la voie publique, ces précautions se sont trouvées illusoires, sans que le public ait, d’ailleurs, apporté aucun changement aux dispositions prises par les prévenus ; que s’il résulte de là que la publicité a été plus restreinte qu’elle n’aurait été autrement, elle n’en reste pas moins constante et imputable aux prévenus à raison de l’insuffisance des précautions par eux prises, et eu égard à la situation des lieux par rapport à la voie publique.

Mais lorsque le prévenu prend les précautions nécessaires pour que l’acte immoral ou obscène ne soit aperçu de personne, lorsque cet acte n’a de témoins que par des accidents ou des indiscrétions dont le prévenu ne saurait être rendu responsable, le délit manque de cet élément essentiel, qui est le seul motif de la répression, la publicité.

La première situation est plus complexe : elle se présente quand l’outrage à la pudeur est commis dans un lieu privé, placé à l’abri des regards, mais où se trouvent réunies une ou plusieurs personnes qui ont vu ou qui ont pu voir l’acte immoral ou obscène. Pour résoudre la question de savoir s’il y a publicité dans ce cas, des distinctions sont nécessaires. Il nous parait d’abord évident que l’assistance d’un certain nombre de personnes aux actes immoraux on obscènes ne suffirait pas pour caractériser la publicité, si ces personnes y avaient elles-mêmes volontairement participé. Comment soutenir, en effet, dans ce cas, que la pudeur des personnes, qui consentent non seulement à être témoins de ces actes mais encore à y participer, ait pu être outragée ? La loi ne réprime pas le vice, elle se borne à faire la police morale de la rue. Ce qui motive son intervention c’est exclusivement le scandale public, l’outrage à la pudeur publique.

Mais quand plusieurs personnes, se trouvant, volontairement ou par hasard, réunies dans un endroit privé, sans avoir pour but de se livrer ensemble à, des actes de débauche, ont pu voir ou même percevoir les actes d’immoralité accomplis en leur présence, l’outrage à la pudeur publique est certainement constitué. Le nombre des témoins est, d’ailleurs, en pareil cas, une circonstance indifférente, et l’acte contraire à la pudeur serait public, alors même qu’il aurait été accompli devant un seul témoin.

Mais la question de savoir si des actes lubriques, commis sur une personne qui en est à la fois la victime et le témoin unique involontaire, peuvent constituer, à défaut d’autre élément de publicité, le délit d’outrage public à la pudeur, a donné lieu à des décisions contradictoires. La Cour de cassation semble écarter, dans ce cas, la possibilité du délit. Attendu, lit-on dans un arrêt du l6 juin 1906 (S. 1909 I 419/420 et la note), que si la publicité, dans un lieu même non accessible aux regards, peut se constituer, en cas de pluralité de victimes d’actes obscènes, lorsque, involontairement celles-ci en sont tour à tour les objets et les témoins, il n’en saurait être ainsi, lorsque, dans les mêmes conditions, une seule et unique personne, dont la pudeur a pu être offensée sans que celle du public l’ait été également, a été à la fois la victime et, par là-même, le témoin de ces actes ; qu’à la différence de l’accusation d’attentat à la pudeur, la prévention d’outrage à la pudeur n’a pas élémentairement pour objet la répression d’actes impudiques en tant que commis à l’égard d’une personne déterminée ; qu’elle a pour but, d’une manière spéciale, la réparation du scandale causé par de tels actes et la protection due aux tiers qui en peuvent être témoins ; que c’est ce scandale même qui fait la criminalité de l’acte et non pas essentiellement l’attentat individuel à la pudeur de la personne qui an a été l’objet.

2079 - III. L’élément intentionnel, nécessaire pour qu’il y ait outrage, consiste dans la conscience d’offenser la pudeur publique, abstraction faite de toute intention de rendre public cet outrage. En un mot, cette condition résulte suffisamment de ce que le prévenu s’est, volontairement et sans nécessité, exposé à être vu dans une situation immorale ou obscène, sans qu’il se soit proposé, d’ailleurs, de braver directement le sentiment public.

Dans l’examen de cet élément du délit, y a-t-il lieu de tenir compte d’une distinction entre les actes qui, à raison de leur nature, emporteraient, par le seul fait de leur existence matérielle, la preuve de l’intention impudique de leur auteur, et ceux qui ne blessant pas, par eux-mêmes, l’honnêteté et la décence publiques, ne deviendraient répréhensibles que lorsque l’agent, par le mode et les circonstances de leur perpétration et surtout par l’intention qui le dirige (Chauveau- Hélie, Théorie du Code pénal T. IV) en aurait fait un sujet de scandale ? Nous ne le croyons pas, car ce serait introduire, dans la répression de l’outrage à la pudeur publique, une distinction absolument étrangère à la loi française. Ce qui caractérise le délit, c’est ce seul fait qu’un outrage à ta pudeur a été volontairement commis en public. Le mobile qui a déterminé le coupable importe peu ; le but qu’il a poursuivi est également indifférent, car, la plupart du temps, pour ne pas dire toujours, ce n’est certes pas pour offenser la pudeur publique que le délinquant s’est livré aux actes qui lui sont reprochés, c’est pour satisfaire ses passions, exciter sa propre lubricité ou celle des autres. Probablement aussi, n’a-t-il pas voulu la publicité qui est l’élément essentiel de la prévention ? Bien au contraire, il se sera caché, il aura recherché l’ombre et le mystère. De sorte que si l’on subordonnait la répression des actes immoraux ou obscènes à la preuve qu’ils ont été commis dans l’intention même de blesser la pudeur publique, on effacerait, en quelque sorte, l’outrage public à la pudeur du catalogue des délits.

Il faut conclure de ces observations que la faute infractionnelle, punissable dans cette forme d’incrimination, résulte suffisamment de ce mépris de la pudeur publique que manifeste l’accomplissement ostensible d’un acte, d’un geste, d’une attitude, en un mot d’un fait matériel immoral ou obscène. Mais il n’est pas nécessaire, que le prévenu ait cherché à être vu du public, il suffit qu’il se soit seulement exposé à être vu, en ne prenant pas toutes les précautions possibles pour éviter aux autres un spectacle choquant. Cette absence de verecundia constitue précisément l’élément intentionnel du délit.

La prévention tomberait, par conséquent, en supposant un état de choses tel que la sauvegarde d’un bien nécessitât l’accomplissement d’un acte qui constituerait un outrage public à la pudeur s’il était commis dans d’autres circonstances. Ainsi, par exemple, il ne viendrait à l’esprit de personne de poursuivre, sous la qualification d’outrage à la pudeur, le fait d’un individu qui, pour fuir un incendie, se montrerait en public dans un état de nudité complète. Il y a là une cause de justification objective, tirée de la nécessité, qui efface la criminalité de l’acte. C’est en langage juridique la traduction de l’adage populaire : Nécessité n’a pas de loi.

Signe de fin