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LA PROHIBITION DE LA BIGAMIE
EN DROIT OCCIDENTAL

Extrait des travaux préparatoires
de la Commission de réforme du droit du Canada
Document n° 42 « La bigamie » (1985)

Le droit occidental de la famille repose sur le principe
du mariage monogamique, conforme au principe
de l’égale dignité de l’homme et de la femme
et au souci d’une bonne éducation des enfants ;
c’est pourquoi il incrimine la bigamie
et prohibe à plus forte raison la polygamie.

N.B. : Le document ci-dessous, centré sur le délit de bigamie,
aborde en outre différentes incriminations
assurant la protection du mariage.
Nous n’avons retenu que les développements
qui intéressent directement la bigamie
au regard de la science criminelle.

CHAPITRE 1 - LA PROBLÉMATIQUE DES INCRIMINATIONS

I - L’institution du mariage

Pour qu’une république soit bien ordonnée, les principales lois doivent être celles qui règlent le mariage. (Platon, De legibus)

Il ne saurait être question de reprendre dans ce document tous les éléments d’une démonstration de l’importance sociale de la famille et du mariage. Le noyau de l’organisation de la plupart des sociétés demeure la famille. Dans le préambule de la Déclaration canadienne des droits par exemple, le Parlement du Canada affirme expressément l’attachement de la Nation à la place de la famille dans notre société.

La stabilité et la cohésion sociales exigent que la cellule familiale soit elle-même stable et cohérente. Or, stabilité et permanence de la famille se concrétisent dans le mariage. Aussi la recherche de ces qualités fondamentales constitue-t-elle l’objectif des législations sur le mariage qui délimitent impérativement les effets de ce dernier ainsi que les causes et les modes de sa dissolution. Dans cette perspective, le mariage est élevé au rang d’une véritable institution. Cette caractéristique se reflète également sur la formation de l’union conjugale. Le mariage n’est pas un simple contrat ; l’engagement contractuel ne peut être défini ou limité par les époux. Ceux-ci expriment par la célébration du mariage leur adhésion à un nouveau statut social et légal qui va régir leur état.

En conséquence, le mariage doit satisfaire, pour sa réalisation, à certaines conditions de fond et de forme imposées par la loi. Ainsi, l’importance sociale de l’institution du mariage explique la solennité qui l’entoure et l’attention juridique dont il fait l’objet. Nous reconnaissons, toutefois, qu’une partie de la population n’attache plus cette importance à l’institution du mariage. Certains préfèrent une union qui ne satisfait pas aux conditions de fond et de forme imposées par la loi. Toutefois, le droit pénal doit accorder une protection à ceux qui adhèrent aux valeurs du mariage.

II – Les caractéristiques du mariage

La société fait sentir le poids de sa contrainte, en matière matrimoniale, par les interdits et les rites qu’elle impose. (J. Carbonnier, « Droit civil »)

L’institution du mariage revêt certaines caractéristiques essentielles, et diverses atteintes qui seront, selon le cas, sanctionnées ou non par la loi se définissent en fonction de ces caractéristiques.

Le mariage au Canada, comme dans la plupart des pays occidentaux, a sa source dans le droit romain tel que l’a façonné depuis les débuts de la chrétienté le droit canonique. Cette communauté d’origines se reflète dans l’identité des propriétés essentielles du mariage moderne dans les systèmes de droit civil comme dans les systèmes de tradition de common law.

Les propriétés essentielles du mariage découlent directement de la nature même de l’institution. À celles-ci s’ajoutent en droit moderne les caractéristiques se rattachant à la forme et à la célébration du mariage.

A. Les propriétés essentielles du mariage

Dans son acception la plus large qui embrasse les diverses traditions juridiques occidentales, le mariage est défini comme l’union volontaire d’un homme et d’une femme à l’exclusion de toute autre personne pendant la durée de cette union.

Cette définition présente les caractéristiques fondamentales du mariage dans nos sociétés : la différence de sexe des époux, leur consentement à une union conjugale durable et l’exclusivité de cette union. Ces mêmes éléments ont été repris dans le concept de « mariage chrétien » développé par la jurisprudence anglaise du dix-neuvième siècle afin de le distinguer clairement des pratiques conjugales étrangères aux traditions européennes.

Les deux premières caractéristiques du mariage sont relativement explicites. L’union de personnes de même sexe n’est pas un mariage et les vices du consentement des époux peuvent compromettre la validité de l’union conjugale.

Le caractère exclusif du mariage présente cependant plus de difficultés. Tout d’abord sur le plan moral et religieux, cette caractéristique est érigée en principe par le droit canon moderne:

Les propriétés essentielles du mariage sont l’unité et l’indissolubilité qui obtiennent une force particulière dans le mariage chrétien en raison du sacrement. (Canon 1056)

Sur le plan juridique, cette caractéristique essentielle du mariage est source de devoirs conjugaux précis, dont l’obligation de fidélité entre les époux. Enfin, l’exclusivité de l’union conjugale fonde le principe monogamique.

Le mariage monogamique vient en droite ligne du droit romain le plus ancien tel que l’a fortifié la théorie canonique. Ce concept romano-chrétien est le substrat historique des systèmes matrimoniaux des pays de tradition chrétienne. Comme l’écrit Jean Carbonnier « l’institution du mariage monogamique est une clef de voûte de la civilisation juridique européenne ». Cette tradition est donc la source du droit matrimonial canadien, tant dans les provinces de commonlaw qu’au Québec dont le système juridique est d’inspiration de droit civil.

Le mariage monogamique ne résulte pas seulement d’une tradition juridique. C’est aussi un phénomène profond de société et de civilisation. D’ailleurs, le principe monogamique n’est pas un concept exclusivement romano-chrétien. La monogamie et son corollaire, l’interdiction de la polygamie, existent dans d’autres civilisations. Dans l’Antiquité, les tribus germaniques, selon Tacite, n’admettaient généralement que mariage monogamique. Blackstone cherchant à établir la pérennité de l’institution explique que, dans l’ancien droit scandinave, la polygamie était un crime punissable de mort. Au Siècle des lumières, la constance de la pratique de la monogamie en Europe trouvait une explication dans le climat des pays nordiques et les conditions démographiques des pays orientaux.

Ces raisons peuvent aujourd’hui faire sourire, mais quelles que soient les causes premières de la pratique de la monogamie, cette dernière correspond toujours à une réalité sociologique inéluctable. La structure monogamique de l’union conjugale, qu’il s’agisse de l’union conjugale, qu’il s’agisse de l’institution formelle du mariage ou du concubinage, est enracinée profondément dans les mœurs et dans les traditions culturelles d’une société.

Au Canada, au-delà de la valeur morale qu’il représente, le mariage monogamique constitue la fibre même du tissu social. Le recensement de la population canadienne de 1981 indique que la très grande majorité de la population pratique la monogamie :

- 11.949.165 personnes ont déclaré être mariées, être séparées ou vivre en concubinage ;

- 500.135 personnes ont déclaré être divorcées ;

-  1.157.670 personnes sont veufs ou veuves d’un ancien couple monogamique ;

- 10.736.215 personnes ont déclaré être célibataires (ce chiffre comprend les enfants).

Ainsi, le principe monogamique représente non seulement une caractéristique essentielle de l’institution du mariage, mais il constitue également un principe organique de la société canadienne.

B. Les rites du mariage

Contrairement aux caractéristiques fondamentales, les exigences de forme du mariage ont considérablement évolué au cours des siècles. Dans le droit moderne, deux conditions essentielles de forme se dégagent : la nécessité d’un rite et la publicité du mariage.

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III - Les atteintes au mariage

Nous sommes maintenant d’avis qu’il n’y a pas lieu de criminaliser un acte à moins que sa perpétration n’entraîne des conséquences sociales nuisibles. ( G. Williams, « Language and the Law », 1945),

Les atteintes les plus sérieuses au mariage sont évidemment celles qui heurtent les caractéristiques essentielles de l’institution. Cependant, toutes ne justifient pas pour cet unique motif la répression pénale. L’atteinte doit comporter un degré de gravité et de répréhension sociale qui rende à la fois plausible et nécessaire l’intervention du droit pénal.

La gravité d’un comportement déviant s’apprécie en fonction de plusieurs facteurs qui doivent normalement constituer les fondements rationnels de sa criminalisation. En ce qui concerne les atteintes au mariage, un faisceau de justifications ont été avancées et discutées pour justifier leur répression sans toutefois offrir une réponse satisfaisante. Ainsi, selon Lord Devlin et Dean Rostow, la défense de la moralité publique fonde essentiellement l’interdiction et la répression de la bigamie et de la polygamie.

Il est indéniable que des fondements moraux soient à l’origine de la criminalisation de certaines atteintes au mariage. Toutefois, comme l’ont critiqué Hart et Packer, les justifications d’ordre moral n’expliquent pas tout, d’autant que la défense de la moralité publique est difficilement compatible avec le silence du droit criminel quant à certaines conduites immorales en rapport avec le mariage.

L’illustration classique de cette faiblesse de la justification morale est l’adultère. Historiquement en common law, l’adultère n’a jamais été considéré comme un crime. Blackstone nous dit qu’une loi statutaire en avait fait une infraction pénale pendant une très courte période de temps au milieu du dix-huitième siècle. Son abrogation fut saluée comme mettant un terme à une « rigueur démodée ».

Il existe par ailleurs d’autres atteintes au mariage qui, malgré leur gravité sur le plan moral, ne constituent pas pour autant des infractions. Ainsi, l’abandon du conjoint, le mariage endogame (consanguin) ou celui entre homosexuels sont des atteintes au droit matrimonial sanctionnées par les règles civiles des lois sur le mariage et de la loi sur le divorce. Cependant, ce ne sont pas des crimes. En fait, la justification morale de la répression des atteintes au mariage est difficile et incertaine parce que sujette aux fluctuations constantes de la moralité publique. Selon les époques et les pays, la morale en matière conjugale et sexuelle change ou du moins son seuil de tolérance se modifie. Un système moral peut tantôt accepter un compromis ou, au contraire, faire preuve en d’autres circonstances d’une rigueur extrême. Ainsi l’adultère, qui n’est pas un crime dans la tradition de common law, a néanmoins été criminalisé dans d’autres pays et même déjà dans certaines parties du Canada par des lois préconfédératives.

Les mêmes fluctuations se produisent sur le plan religieux. Le nouveau code de droit canonique de l’Église catholique a ainsi substantiellement modifié son droit pénal. Depuis 1983, il ne considère plus la bigamie comme un délit pouvant être puni d’une peine ecclésiastique.

De même, sur le plan moral, il est malaisé de condamner purement et simplement la polygamie. Certaines écoles ne considèrent la polygamie comme contraire ni au droit naturel ni au droit divin historique. Son interdiction résulterait plutôt du message évangélique et de la législation ecclésiastique.

En réalité, la polygamie est une institution sociale au même titre que le mariage monogamique. Pour des raisons démographiques, économiques, religieuses ou culturelles, certaines sociétés ont incorporé la polygamie à leurs structures sociales. Au Canada, et généralement en Occident, des raisons du même ordre ont conduit à privilégier le mariage monogamique.

L’interdiction de la bigamie, comme de la polygamie, et a fortiori leur incrimination, ne procède donc pas d’un pur choix moral. Certes on peut dire, de concert avec Lord Devlin, que l’institution du mariage monogamique est l’expression d’une morale sociale, mais alors l’incrimination des atteintes au principe monogamique se fonde peut-être plus sur la défense d’une institution sociale que sur la défense de la moralité publique. Dans cette perspective, les atteintes les plus graves et les plus menaçantes sont celles qui compromettent l’institution même du mariage. Ce facteur sociologique permet d’identifier clairement un degré de gravité qui dépasse les simples atteintes aux caractéristiques essentielles du mariage.

C’est ainsi que la répression de la bigamie apparaît justifiée puisqu’en empruntant toutes les caractéristiques rituelles et officielles du mariage, cette conduite anéantit la signification même de l’institution. Abstraction faite de sa duplicité, le mariage « bigamique » serait en tout point un mariage valide : c’est là que réside la menace réelle pour l’institution. Lors des consultations, certains intervenants nous ont proposé l’adoption d’une forme de bigamie où la fraude serait l’élément déterminant. Bien qu’attrayante, cette solution ne nous paraît pas acceptable, car le concept de fraude n’englobe pas toutes les situations où il y a atteinte au mariage. Nous croyons que la proposition retenue par la Commission tient déjà compte des situations où il y a une victime.

Ce n’est pas le cas des autres atteintes au mariage qui constituent peut-être des contraventions à l’institution, mais n’en sont pas la négation. Ainsi l’adultère, le concubinage, le mariage clandestin ou le mariage irrégulier n’ébranlent pas, au plan des structures sociales, l’institution du mariage. Bien au contraire, c’est par rapport à cette norme institutionnelle que ces conduites se définissent. Dès lors, le droit matrimonial suffit, sans l’apport du droit criminel, à les assumer et à les contrôler.

Il en va ainsi de la polygamie qui apparaît comme une pratique à ce point étrangère à nos mœurs qu’elle ne menace pas directement l’institution du mariage. Dépourvue de tout caractère officiel, la polygamie peut être assimilée à une pratique marginale au même titre que l’adultère et n’appelle pas de ce fait la répression pénale. C’est d’ailleurs l’opinion empreinte de modération exprimée par Glanville Williams :

Si l’on juge opportun de les décourager par la loi, il suffirait pour cela d’omettre toute mesure à leur égard dans le droit civil, plutôt que d’adopter la voie de dissuasion plus sévère des sanctions pénales.

Les incriminations actuelles de mariage feint et de mariage célébré sans autorisation ou en contravention de la loi correspondent sans doute à des manquements aux conditions de forme du mariage. Cependant, ces atteintes n’ont plus la gravité morale et sociale qui ont justifié historiquement leur répression pénale. Aujourd’hui le mariage clandestin et le mariage irrégulier ne possèdent pas de statut juridique qui compromet l’institution du mariage. Le droit matrimonial moderne permet de prévoir et de résoudre les problèmes soulevés par ces atteintes.

Outre la défense de l’institution sociale, la protection des époux contre la fraude peut constituer une autre justification de la criminalisation de certaines atteintes au mariage. Packer et Hughes considèrent d’ailleurs que la fonction utilitaire essentielle du crime de bigamie est d’empêcher l’obtention d’une relation sexuelle par fraude. Il est évident que le mariage feint ou le second mariage qui constitue un cas de bigamie peut dans certaines circonstances amener un conjoint de bonne foi à épouser le « fraudeur » grâce à un subterfuge qui implique l’utilisation délibérée de l’institution du mariage. Cependant le caractère frauduleux que revêtent à l’occasion les infractions matrimoniales n’en constitue pas l’essence et n’embrasse pas toutes les situations visées par les incriminations.

Dans leur formulation actuelle, la bigamie ou le mariage feint peuvent impliquer la collusion des époux. Quant aux autres atteintes au mariage, l’élément frauduleux est à peu près inexistant. La polygamie dans son acception la plus courante suppose une union conjugale avec des participants volontaires.

L’utilisation frauduleuse de l’institution demeure néanmoins un facteur à considérer dans la détermination de la gravité de certaines atteintes au mariage. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que l’aspect frauduleux de certains comportements peut être déjà implicitement visé par d’autres incriminations ou d’autres législations. Enfin une dernière justification bien pragmatique de l’intervention du droit pénal se rattache à l’infraction de la célébration du mariage en contravention de la loi.

L’objectif de la sanction pénale vise à assurer le respect des lois relatives à la célébration du mariage. Cet objectif est certainement compatible avec une législation d’ordre réglementaire, mais ne saurait justifier le maintien d’une infraction criminelle.

CHAPITRE 2 - LES RÉPONSES DU DROIT ACTUEL

Comme nous le savons, les comportements réprimés par le droit pénal n’englobent pas toutes les atteintes aux droits conjugaux. Aussi, l’examen de l’état du droit actuel se limite-t-il aux seules atteintes sanctionnées pénalement. Ces dernières se répartissent en deux catégories : les atteintes au principe monogamique et les atteintes à la célébration du mariage.

I - Les atteintes au principe monogamique

Je ne suis pas sans connaître la très grande importance sociale de la célébration du mariage. C’est cette célébration qui, grâce à la force de la tradition, soutient I’institution de la monogamie et contribue à la stabilité des familles. Il se peut que l’imposition d’une peine soit justifiée si cette mesure est nécessaire au maintien d’une importante institution ; mais il faut au préalable nous assurer que cette mesure est nécessaire, et que la monogamie ne peut être maintenue par d’autres moyens. (GlanvilleWilliams, «Language and the Law p. 78)

La bigamie et la polygamie sont les atteintes principales au mariage monogamique. À plusieurs égards, ces deux notions se confondent. Ainsi, la bigamie est souvent considérée comme une forme particulière de polygamie.

Dans son acception la plus générale, la polygamie consiste dans le maintien d’un lien conjugal de plus de deux personnes. Lorsque ce lien réunit les époux en une seule entité matrimoniale ou familiale, on parle plus volontiers de polygamie. C’est l’institution acceptée par le droit islamique ou l’ancien droit matrimonial chinois. La polygamie peut aussi prendre la forme du maintien simultané de plusieurs unions conjugales indépendantes. Le cumul d’unions monogamiques par la même personne correspond alors à la conception populaire de la bigamie. Sur le plan des réalités sociales, la pratique de la polygamie, comme de la bigamie, n’exige pas la formalité du mariage. Ainsi l’union libre de plus de deux personnes constitue de la polygamie. Cependant, sur le plan juridique, ces notions revêtent une signification plus spécifique. En particulier, la bigamie qui se définit par rapport à l’institution du mariage, se distingue de la polygamie par l’existence de liens conjugaux formels.

Si, sur le plan du droit matrimonial, l’interdiction de la bigamie remonte à l’origine du droit canon, sa répression pénale est beaucoup plus récente. En Angleterre, la prohibition criminelle de la bigamie coïncide avec les efforts entrepris au début du dix-septième siècle pour réglementer le mariage. Une loi de 1603 qualifiait ce comportement de felony. La peine capitale était la sanction de ce nouveau crime. Les structures de l’infraction actuelle tirent leur origine de cette législation.

A. La bigamie

1) La duplication des mariages

Dans son acception juridique, la bigamie se caractérise essentiellement par le fait de passer par la formalité du mariage alors que l’un des conjoints est déjà engagé par les liens d’un mariage antérieur. C’est l’infraction décrite aux sous-alinéas (i) et (ii) de l’alinéa 254 (1) a) du Code criminel canadien [alors en vigueur].

Commet la bigamie, quiconque,

a) au Canada,

(i) étant marié, passe par une formalité de mariage avec une autre personne, [ou]

(ii) sachant qu’une autre personne est mariée, passe par une formalité de mariage avec cette personne, ...

La bigamie est définie en termes d’infraction de commission, ce qui est conforme avec la logique du droit matrimonial puisque le second mariage est de toute façon frappé de nullité du fait de la bigamie. L’expression « formalité de mariage » désigne la façon générale de contracter le mariage. Il s’agit donc d’une référence aux conditions générales de forme du mariage. L’expression est d’ailleurs définie à l’article 196 du Code :

«formalité de mariage» comprend une cérémonie de mariage qui est reconnue valide

a) par la loi du lieu où le mariage a été célébré, ou

b) par la loi du lieu où un accusé subit son procès, même si le mariage n’est pas reconnu valide par la loi du lieu où il a été célébré; ...

Cette définition ne pèche pas par excès de clarté. En fait, elle confond plus qu’elle ne précise la « formalité de mariage » visée par l’infraction de bigamie. La jurisprudence a clairement établi qu’il doit s’agir d’une cérémonie qui est reconnue par la loi comme produisant un mariage valide. Au Canada, il doit s’agir d’une célébration autorisée par les lois en vigueur dans une des provinces. En droit matrimonial, sans entrer dans les questions fort complexes de conflit de lois, disons simplement que le mariage célébré dans une province est généralement reconnu dans une autre province, lorsque les conditions de forme exigées par la loi de la province où il a été célébré, ont été respectées.

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En somme, la bigamie est commise par l’emprunt des formes d’un mariage régulier. C’est uniquement dans cette mesure qu’il y a une atteinte véritable à l’institution du mariage. Dans la bigamie, la célébration du mariage est elle-même objet de l’infraction. Les conditions de fond du mariage n’ont pas en principe à être considérées dans l’appréciation de la validité de la formalité même de mariage.

Sur le plan social, la nullité possible du second mariage pour une cause autre que la bigamie, ne fait pas disparaître la situation réelle du double mariage. Si la formalité de mariage est valide, peu importe que les époux aient été inhabiles ou non à contracter le mariage, il y a déjà atteinte à l’institution du fait de la bigamie. En réalité, dans une telle situation l’inhabilité, en raison de l’âge ou du lien de parenté par exemple, est une cause de nullité du mariage qui s’ajoute à celle de l’existence d’un mariage antérieur. Néanmoins, le législateur a cru bon de prévoir spécifiquement au paragraphe 254 (3) l’exclusion d’une défense fondée sur la nullité du second mariage.

Lorsqu’il est allégué qu’une personne a commis la bigamie, le fait que les parties auraient, dans le cas de célibataires, été inhabiles à contracter mariage d’après la loi de l’endroit où il est allégué que l’infraction a été commise, ne constitue pas une défense.

Lorsque le second mariage est célébré au Canada, ce texte peut apparaître superflu puisque le seul fait de passer par la formalité de mariage suffit pour commettre la bigamie. Les implications de cette disposition pour le second mariage célébré à l’étranger sont discutées plus loin, dans le présent document, dans un développement consacré à l’extraterritorialité de l’infraction.

2) Le mariage antérieur

La bigamie suppose, bien entendu, l’existence d’un mariage antérieur. Ce premier mariage, contrairement à l’expression « formalité de mariage », n’est pas défini dans le Code. Il va cependant avec la logique de l’incrimination que ce premier mariage soit reconnu valide par la loi et non dissous par la mort d’un conjoint ou par le divorce. En droit matrimonial, la validité du mariage se présume. Le Code criminel reprend cette présomption au paragraphe 254 (4) : Aux fins du présent article, chaque mariage ou formalité de mariage est censée valide à moins que le prévenu n’en démontre l’invalidité.

Cette présomption de validité du premier mariage ne fut énoncée dans la loi que lors de la codification de 1953-1954. Une interprétation judiciaire excessive du fardeau de preuve de la poursuite est à l’origine de son adoption. En fait, sans même être énoncée, la validité du mariage doit se présumer.

Ce qui importe pour l’incrimination, c’est que ce premier mariage soit une union conjugale régulière reconnue par le droit matrimonial canadien. Ainsi, que cette union ait été célébrée au Canada ou à l’étranger, elle sera considérée comme valide si elle est conforme aux caractéristiques de fond et aux conditions minimales de forme de l’institution. Dans ce contexte, il n’est que normal de pouvoir démontrer l’invalidité du premier mariage afin de nier son existence. Cette solution est non seulement compatible avec l’esprit de l’incrimination, mais aussi avec celui du droit matrimonial.

En common law, le mariage, qui par suite d’un manquement à une condition essentielle est nul par opposition au mariage annulable, peut être considéré par les époux comme inexistant. Au point de vue pratique, ceci implique qu’il n’est pas nécessaire d’obtenir une déclaration judiciaire de la nullité du mariage. Par contre, en droit civil, la solution est différente puisque l’intervention judiciaire est exigée dans tous les cas. Néanmoins, sur le plan théorique, le mariage frappé de nullité est censé n’avoir jamais existé. Aussi, lorsque la bigamie est invoquée en droit civil, le tribunal doit-il trancher au préalable la question de la validité du premier mariage en l’absence d’un jugement en nullité.

On conçoit aisément que le fardeau de démontrer l’invalidité d’un mariage non dissous par les voies officielles puisse reposer sur l’accusé. Par contre, l’inexistence du mariage qui résulte du décès d’un conjoint, d’un jugement en divorce ou d’un prononcé judiciaire en nullité constitue une fin de non-recevoir complète à l’accusation de bigamie. En fait, dans ces situations, la poursuite est dans l’impossibilité de prouver l’existence d’un premier mariage...

En l’absence d’une preuve formelle de décès d’un premier conjoint, la croyance de bonne foi dans ce décès, même si elle est erronée, peut constituer une défense valable d’erreur de fait qui sera appréciée par les tribunaux à la lumière des règles générales sur cette défense. Les propositions de la Commission de réforme du droit, dans le document de travail n° 29 sur la partie général du Code criminel, offrent une solution adéquate qui rend superflues les précisions de l’article 254. De même l’erreur de droit équivalente à une erreur de fait est désormais admise par la jurisprudence. Aussi, l’accusé de bigamie qui croit erronément, mais pour des motifs raisonnables, que le premier mariage a été dissous par un jugement en divorce ou en nullité, peut efficacement présenter cette défense dans l’état actuel de notre droit.

Il est donc inutile dans la définition de l’infraction de définir des moyens de défense qui relèvent plutôt de la partie générale du Code criminel. Les propositions de la Commission sont d’ailleurs complètes sur ce sujet.

Le cas d’inexistence du premier mariage fondé sur l’absence du conjoint prévu à l’alinéa 254 (2) constitue une particularité qui appelle quelques précisions. En droit matrimonial, le conjoint d’un absent ne peut se remarier à moins de fournir la preuve certaine du décès de son époux absent. Si les circonstances l’autorisent, un jugement déclaratif de décès peut constituer une telle preuve. Un tel jugement permet ainsi un second mariage. Cependant, tant en droit civil qu’en common law, la réapparition de l’absent entraîne la nullité du second mariage qui avait été légalement contracté et fait renaître le premier mariage. En common law, l’absence continue d’une personne pendant sept années consécutives crée une présomption de décès. Il importe cependant qu’il s’agisse d’un absent au sens juridique du terme, c’est-à-dire une personne au sujet de laquelle on est sans nouvelle et dont on ne sait si elle est vivante ou morte. La défense proposée à l’alinéa 254 (2) b) du Code s’inspire de cette présomption.

Nulle personne ne commet la bigamie en passant par une formalité de mariage… b) si le conjoint de cette personne a été continûment absent pendant les sept années qui ont précédé le jour où elle passe par la formalité de mariage, à moins qu’elle n’ait su que son conjoint était vivant à un moment quelconque de ces sept années ...

L’accusé qui s’est délibérément abstenu de s’enquérir de l’existence de son conjoint peut cependant être considéré comme de mauvaise foi et ne pouvant pas bénéficier de cette présomption…

L’absence en tant que telle ne dissout pas le mariage. C’est essentiellement le décès du conjoint, établi ou présumé, qui peut être une cause de dissolution. La personne dont le conjoint absent réapparaît après l’obtention d’un jugement déclaratif de décès et son remariage, peut certainement présenter une défense générale d’erreur de fait. Il faut noter que le divorce dissout le mariage.

En droit matrimonial, le remariage n’est possible que selon les conditions et les formalités prescrites par les législations provinciales. La preuve que ces conditions ont été respectées et que ces formalités ont été remplies constitue une circonstance que le tribunal peut apprécier dans la détermination de la sincérité de la croyance erronée d’un accusé dans la dissolution de son premier mariage par le décès présumé ou déclaré de l’absent. Il n’est ni nécessaire ni souhaitable que le droit criminel s’éloigne à ce sujet du régime du droit matrimonial.

D’autre part, si la croyance d’un accusé repose sur une interprétation fautive mais sincère des effets juridiques de l’absence elle-même, le droit actuel ne nie pas à l’accusé la possibilité de se disculper. En effet, l’erreur sur une règle de droit civil constitue un moyen de défense lorsque la connaissance de cette règle est un élément essentiel du mens rea requis à l’égard de l’infraction reprochée. L’accusé de bigamie qui, sans pouvoir se prononcer sur la survivance de son conjoint absent, croit sincèrement que cette absence dissout à elle seule les liens de son premier mariage, pose un jugement fautif qui porte un élément essentiel du mens rea de bigamie. Si toutes les conditions de son application sont respectées, la défense d’erreur de droit demeure disponible pour cet accusé. La Commission de réforme du droit propose d’ailleurs dans le document de travail n° 29 (article 10) une codification de cette solution jurisprudentielle qui rend superfétatoire la précision du cas particulier de l’alinéa 254 (2) b).

3) La preuve des mariages

Les dispositions relatives à la preuve devraient être enlevées de la partie du Code criminel traitant des infractions. La Commission a déjà suggéré que ces dispositions soient regroupées et intégrées à un Code sur la preuve ou une partie spéciale du Code criminel…

4) Les situations visées au sous-alinéa 254 (1) a) (iii)

Le Code criminel prévoit une troisième façon de commettre la bigamie. Le sous- alinéa 254 (1) a) (iii) précise en effet que :

Commet la bigamie, quiconque, a) au Canada ... (iii) le même jour ou simultanément, passe par une formalité de mariage avec plus d’une personne  ; ...

Cette disposition vise en réalité deux situations distinctes. Tout d’abord, si une personne passe par la formalité du mariage avec plus d’une personne le même jour, il y a de fortes chances pour qu’elle passe en réalité par deux formalités de mariage. Dans un tel cas, le premier mariage est juridiquement valide, la seconde formalité de mariage constituant alors la bigamie. C’est la situation déjà visée au sous-alinéa 254 (1) a) (i). L’autre situation décrite par cet article correspond à la personne qui passerait par une seule formalité de mariage simultanément avec plus d’une personne. Une telle situation est juridiquement impossible sur le plan du droit matrimonial canadien. Il n’existe pas de « cérémonie de mariage reconnue valide au Canada » pour une union de plus de deux personnes.

Cet article vise donc en fait la polygamie. Par une acrobatie juridique, on pourrait toujours prétendre que cette incrimination vise essentiellement les polygames qui, pour s’unir, utilisent les formes extérieures de la cérémonie de mariage à l’insu ou avec la collusion du célébrant. Mais dans le premier cas, on doit supposer qu’en apparence et officiellement il n’y a qu’un seul mariage monogamique qui est célébré. Dans le second cas, le mariage ne peut revêtir aucun caractère officiel et constitue au mieux une caricature de cérémonie.

En réalité, le sous-alinéa 254(1)a)(iii) n’a un sens que si l’on accorde un effet d’extraterritorialité à l’infraction de bigamie. Cette disposition aurait alors pour effet d’interdire à un Canadien de contracter un mariage qui le rendrait polygame dans une juridiction étrangère où une telle cérémonie de mariage serait reconnue valide. La pertinence d’une telle prohibition est discutée plus loin dans la partie consacrée à la polygamie.

5) L’extra-territorialité de la bigamie

La bigamie décrite aux sous-alinéas 254 (1) a) (i) et (ii) se concrétise par le fait de passer par la formalité de mariage. Cette formalité peut s’accomplir soit au Canada, soit même à l’étranger par l’effet de l’alinéa 254 (1) b) :

Commet la bigamie, quiconque… b) étant un citoyen canadien résidant au Canada, quitte ce pays avec l’intention d’accomplir une chose mentionnée aux sous-alinéas a) (i) à (iii) et, selon cette intention, accomplit hors du Canada une chose mentionnée auxdits sous-alinéas dans des circonstances y désignées.

Le mariage célébré à l’étranger produit, à certaines conditions, des effets juridiques au Canada et confère généralement aux époux un statut conjugal valide. Cet état de choses et la nature même du statut conjugal dans la société justifient l’extraterritorialité de l’infraction de bigamie.

En droit civil, le second mariage célébré à l’étranger sans la dissolution d’un mariage antérieur valide ne sera pas reconnu valide au Canada même si l’État où il est célébré reconnaît la pluralité des mariages. Sur le plan des valeurs, la seconde cérémonie de mariage célébrée à l’étranger porte atteinte à l’institution au même titre que la seconde cérémonie célébrée au Canada. Dans les cas de bigamie prévus aux sous-alinéas (i) et (ii), l’infraction sera consommée par l’accomplissement de la formalité de mariage à l’étranger. Pour qu’il s’agisse véritablement d’une atteinte à l’institution, il n’est que normal d’exiger que cette cérémonie en soit une reconnue selon la loi du lieu de célébration. La définition de « formalité de mariage » à l’alinéa b) de l’actuel article 196 va cependant au-delà et confère implicitement à une cérémonie invalide célébrée à l’étranger une portée exceptionnelle. Cette situation nous apparaît injustifiée à la lumière du droit matrimonial et des fondements de l’incrimination.

Certains problèmes ne peuvent manquer de surgir lorsque les conditions de forme de la lex loci celebrationis sont totalement étrangères aux conditions minimales de forme exigées en droit canadien, soit en particulier la célébration d’un rite et la publicité du mariage. Les lacunes du droit actuel doivent à cet égard être corrigées. Il importe que la formalité de mariage, au Canada comme à l’étranger, corresponde au moins aux conditions de forme capable de produire des effets juridiques.

L’alinéa 254 (1) b) spécifie que seul un citoyen canadien résidant au Canada peut commettre la bigamie à l’étranger. Cette précision du sujet de droit pour une infraction extra-territoriale est appropriée. Cependant, le résidant permanent en situation régulière au Canada se trouve exclu du champ d’application de la loi. Cette situation est sans doute un oubli car le résident permanent, dans l’attente de la citoyenneté canadienne, est, en principe, sujet de droit à toutes le lois du pays. Plus encore, l’octroi de cette citoyenneté est subordonné à l’adoption et au respect des institutions canadiennes. Il serait normal d’adapter cette disposition en conséquence.

La bigamie commise à l’étranger comporte un élément additionnel qui caractérise substantiellement l’infraction. En effet, le Code exige qu’antérieurement à la commission de la bigamie à l’étranger, le contrevenant ait déjà l’intention spécifique de commettre l’infraction lors de son départ du Canada. Cette exigence est exorbitante puisque, outre la difficulté de preuve, elle suppose un dessein continu qui ne concorde pas nécessairement avec la réalité psychologique de la commission de la bigamie. Les raisons qui ont présidé à la formulation de cette exigence se discernent difficilement. Dans le cas visé au sous-alinéa 254 (1) a) (i), la personne mariée au Canada a déjà des obligations matrimoniales claires qui lui interdisent de se remarier à l’étranger. L’exigence d’une intention spécifique lors de son départ du Canada lui confère à toutes fins pratiques une impunité qui enlève toute signification à l’alinéa 254 (1) b).

Pour les situations décrites aux sous-alinéas (ii) et (iii) de l’alinéa 254 (1)a) du Code, l’exigence d’une intention spécifique a pour effet de limiter également la répression de la bigamie. Contrairement au sous-alinéa (i), les situations visées par ces deux alinéas concernent plutôt une personne qui n’est pas déjà mariée au Canada. Il en résulte que l’exigence d’une intention spécifique réduit en pratique la répression de la bigamie aux seuls cas où un célibataire quitte le pays avec l’intention précise de contracter un mariage qui le rendrait polygame ou d’épouser à l’étranger une personne déjà mariée. La jurisprudence ne révèle aucune situation de ce genre. Il est vrai que dans ces derniers cas, il n’y a pas en pratique une menace ou un affront à une union conjugale contractée au Canada et l’institution atteinte, s’il y a atteinte, est plutôt l’institution du pays étranger.

La portée extra-territoriale de l’infraction de bigamie est, somme toute, extrêmement limitée. Sauf dans le cas d’existence d’un premier mariage au Canada, situation visée au sous-alinéa 254 (1) a) (i), l’on s’interroge vainement sur la nécessité, voire même l’utilité, de la dimension extra-territoriale de l’al. 254 (1).

B. La polygamie

Contrairement à la bigamie, l’infraction de polygamie de l’article 257 du Code criminel a été introduite dans notre droit beaucoup plus récemment. À dire vrai, c’est à l’époque de la codification à la fin du siècle dernier que le législateur estima nécessaire la répression de cette pratique particulière. Il est indéniable que la législation canadienne a subi à cette époque l’influence du droit américain qui tentait d’enrayer par le droit pénal une recrudescence de la pratique de la polygamie parmi les membres de la communauté mormone, particulièrement dans l’État de l’Utah.

La polygamie ne correspondant à aucune institution dans notre droit, le législateur a été contraint de la définir en des termes laborieux qui constituent un monument de lourdeur juridique :

257. (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement de cinq ans quiconque

a) pratique ou contracte, ou d’une façon quelconque accepte ou convient de pratique ou de contracter,

lapolygamie sous une forme quelconque, ou

unesorte d’union conjugale avec plus d’une personne à la fois,

qu’ellesoit ou non reconnue par la loi comme une formalité de mariage qui lie; ou

b) célèbre un rite, une cérémonie, un contrat ou un consentement tendant à sanctionner un lien dont fait mention le sous-alinéa a) (i) ou (ii), ou y aide ou participe.

(2) Lorsqu’un prévenu est inculpé d’une infraction visée au présent article, il n’es] pas nécessaire d’affirmer ou de prouver, dans l’acte d’accusation ou lors du procès du prévenu, le mode par lequel le lien allégué a été contracté, accepté ou convenu. Il n’est pas nécessaire non plus, au procès, de prouver que les personnes ayant, d’après l’allégation, contracté le lien ont eu ou avaient l’intention d’avoir, des rapports sexuels.

Malgré la généralité des termes utilisés, la jurisprudence a estimé que cette disposition ne visait pas l’adultère même lorsque ceux qui le commettent cohabitent. En fait, il n’y a eu que fort peu de condamnations pour polygamie dans l’histoire canadienne. Le cas classique a été celui d’un Amérindien qui, ne suivant que les coutumes de sa tribu, fut néanmoins puni pour avoir deux épouses.

La polygamie est une pratique marginale qui ne correspond à aucune réalité juridique ou sociologique au Canada. La polygamie de fait peut être pratiquée par un certain nombre de Canadiens. Les communautés hippies dans les années soixante ont parfois prôné l’union libre à plusieurs partenaires. Néanmoins tout ceci demeure marginal et n’affecte ni le tissu social canadien ni l’institution du mariage.

II - Les atteintes à la célébration du mariage

Les atteintes à la célébration du mariage concernent essentiellement les conditions de forme de l’institution.

A. Le mariage feint

Le paragraphe 256 (1) du Code criminel énonce l’incrimination de mariage feint, sans toutefois préciser le sens de cette expression…

Le mariage simulé quant à la forme n’a aucune signification juridique en droit matrimonial et, à supposer qu’une personne puisse se faire leurrer par un mariage feint, les recours civils offrent une réponse adéquate pour redresser le tort qui aurait pu être ainsi causé.

B. La célébration illicite du mariage

Sous cette appellation, le Code criminel décrit deux types d’infractions : la célébration du mariage sans autorisation et le mariage célébré en contravention de la loi …

CHAPITRE 3 - LA RÉFORME

L’infraction de bigamie demeure la seule atteinte au mariage qui justifie encore, selon nous, la sanction du droit pénal…

Le principe monogamique est une valeur largement partagée par tous les Canadiens. Ses racines sont profondes et teintent tout notre système juridique. Les atteintes qui peuvent réellement la compromettre apparaissent ainsi exceptionnelles. Dans cette perspective, la polygamie apparaît à ce point étrangère à nos valeurs et à nos structures juridiques qu’il devient à la fois inutile et excessif de la réprimer pénalement. L’abolition du crime de polygamie n’est pas sa reconnaissance. Nos institutions juridiques, et l’institution du mariage en tout premier lieu, préservent adéquatement le principe monogamique. Ainsi l’abrogation de l’infraction de polygamie s’avère-t-elle une preuve de modération et une marque de confiance dans nos institutions. Le droit matrimonial, en n’accordant aucune reconnaissance à la polygamie, rend le phénomène non viable au Canada. Ceci devrait se refléter dans le Code criminel…

Signe de fin