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L’ACTE PÉNAL

Extrait du « Manuel de droit pénal général complémentaire »
de Roger MERLE
( P.U.F. Paris 1957 - p. 129 )

Le droit criminel doit impérativement reposer sur des faits.

C’est pourquoi un sage législateur prend la précaution d’ouvrir
la définition d’une incrimination par ces termes : « Le fait de ... ».

C’est pourquoi les tribunaux répressifs, qui sont saisis de faits,
doivent commencer l’instruction par l’examen de ces faits,
avant de pouvoir s’interroger sur la responsabilité du prévenu.

Comme le fait central soumis à un tribunal répressif humain
consiste nécessairement un acte matériel humain,
on conçoit tout de suite l’importance de l’étude ci-dessous.

L’exigence traditionnelle en droit pénal classique, d’une manifestation matérielle de la volonté délictueuse, procède … du respect de la liberté individuelle et de la personne humaine. Elle s’oppose à la répression ante delictum des délinquants en puissance dont les symptômes de nocuité sont simplement d’ordre biologique ou d’ordre intellectuel : la délinquance latente, caractérisée par la notion d’état dangereux, est une réalité criminologique ; elle n’est pas, du moins en principe, une cause de responsabilité pénale.

Les systèmes criminels dits de défense sociale, qu’il s’agisse des systèmes positivistes ou des tendances extrémistes de l’École de la défense sociale nouvelle (tendance italienne de M. Gramatica, par ex.), sont au contraire favorables à la « resocialisation» ante delictum. Déjà le droit français connaît des mesures de sûreté ante delictum : internement des aliénés, désintoxication des alcooliques dangereux pour autrui (loi du 15 avril 1954) et des toxicomanes (loi du 24 décembre 1953). L’éclipse progressive de l’élément matériel de l’infraction pénale et son remplacement par la notion d’état dangereux est peut-être l’une des données du droit criminel de demain ?

L’ACTE PÉNAL

SECTION I
NOTION MATÉRIELLE DE L’ACTE PÉNAL

Ce que la loi pénale incrimine c’est un comportement extérieur de l’homme, une conduite, une attitude au cours d’une situation déterminée. C’est donc très largement qu’il faut entendre ici la notion d’activité, car le comportement pénal peut être aussi bien passif qu’actif.

§ 1 - LE COMPORTEMENT PÉNAL ACTIF

L’acte pénal classique, celui que la loi punit le plus souvent, est un fait positif : le meurtre, qui consiste dans l’accomplissement d’un acte homicide (art. 295 C.pén.), le vol qui s’analyse en une soustraction de la chose d’autrui (art. 379 C.pén.), etc. Et ce fait positif s’accompagne toujours d’une activité physique du délinquant : gestes, paroles, dessins ou écrits...

Il n’y aurait rien de particulier à dire sur ces infractions, dites de commission, si la tentation n’était pas venue à certaines époques de leur assimiler en tous points de simples abstentions : l’époux, excédé du mariage, qui voyant sa femme en train de se noyer, ne lui porte pas secours dans l’espoir qu’elle mourra, n’est-il pas assimilable à un meurtrier ? L’anarchiste qui, par haine de la société, ne fait pas un geste pour éviter l’incendie provoqué par la cigarette d’un fumeur imprudent, n’est-il pas un incendiaire ? Le passant à qui un tiers remet par erreur le portefeuille égaré par son propriétaire, ne se comporte-t-il pas comme un voleur s’il ne fait rien pour détromper ce tiers ?

C’est le problème de l’infraction de commission par omission : « qui peut et n’empêche, pèche », disait Loysel (« Institutes », n° 779), et notre ancien droit punissait, semble-t-il, de telles abstentions comme si leur auteur avait accompli une action positive (cf. Garraud, « Traité de droit pénal », T.I, n°207).

Le droit moderne est beaucoup plus réticent car l’assimilation de l’omission à la commission se heurte à deux obstacles : la règle de la nécessité d’un rapport causal entre l’acte et le dommage pénal (infra , p.167) et la règle de l’interprétation restrictive de la loi pénale.

a) Il s’agit d’abord de déterminer si l’omission a joué un rôle causal dans la production du dommage pénal. Cet aspect de la question a fait l’objet de nombreuses discussions dans la doctrine allemande du XIXe siècle (on en trouvera un excellent résumé dans la thèse de Gand (Paris, 1900), et une suggestive évocation dans l’article de P. Lerebours-Pigeonnière à la RDPC, (1901, p. 716 et s.).

Certains auteurs, tout en niant le rôle causal de l’omission proprement dite (« rien ne peut sortir de rien » ...), ont cru pouvoir imputer le résultat dommageable à un acte positif antérieur ou concomitant accompli par l’abstentionniste : par exemple au fait que au lieu d’empêcher la production du résultat, l’abstentionniste « regardait » la scène ou « s’éloignait » (tel était le système, fantaisiste, de Luden, Abhandlungen, p. 414), ou bien à la mise en mouvement par l’agent de la force qui a causé le dommage et qu’il aurait dû arrêter (lancement d’un attelage au galop, Glaser, Abhandiungen, 1858, p.289); mais cela ne résout pas le problème de l’omission car de deux choses l’une : ou bien l’acte positif initial peut être assimilé à une infraction intentionnelle ou à une infraction d’imprudence, et la question de l’omission ne se pose même pas ; ou bien l’acte positif initial est pénalement indifférent et alors il faut démontrer directement le rôle causal de l’omission.

D’autres auteurs, plus nombreux, affirment que « l’omission est en soi cause du résultat simplement parce que celui-ci ne se serait pas produit sans elle » ou « parce que la série causale qui a produit le résultat était en la puissance de l’agent (et) pouvait être déviée on contrariée par lui (Gand, p.52). Cette dernière théorie déplace la question de causalité du terrain matériel sur le terrain subjectif : le dommage est imputé à l’abstentionniste parce qu’il aurait pu l’éviter et qu’en ne voulant pas l’empêcher il en a assumé la responsabilité (P. Lerebours-Pigeonnière a beaucoup insisté sur cette conception que Bergson n’aurait pas reniée : voir « Les données immédiates de ta conscience » p. 1495, 43e éd.). Mais si l’on allait jusqu’au bout de cette analyse il faudrait en déduire que l’omission est toujours punissable, en n’importe quelle circonstance. Ce serait aller trop loin, aussi la doctrine introduit-elle une condition supplémentaire : l’infraction de commission par omission ne peut être punie que dans les cas où l’abstentionniste avait le devoir d’agir (cette analyse est celle du droit civil : voir Henri et Léon Mazeaud « Traité de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, T.I, n°576 et s.).

b) Quoi qu’il en soit de la pertinence de ces théories sur la question de causalité il existe, en droit français tout au moins, un obstacle plus radical encore à la reconnaissance officielle des infractions de commission par omission. Cet obstacle c’est l’interprétation restrictive de la loi pénale. Lorsque la loi pénale en décrivant l’élément matériel d’une infraction pénale incrimine des faits positifs, gestes, paroles ou écrits, on ne peut sans violer la règle nullum crimen sine lege étendre l’incrimination à de simples abstentions. Et cet argument prend plus de force encore depuis que la loi française punit les abstentions au titre d’infractions autonomes (infra).

La jurisprudence française, pour ces diverses raisons, a toujours refusé de condamner pour commission l’auteur d’une simple abstention. L’arrêt le plus célèbre, est Poitiers, 20 nov. 1901, S., 1902 2 305, note J. Hémard, qui refusa de condamner pour violence le sieur Monier qui avait laissé vivre pendant des années sa sœur majeure, atteinte d’aliénation mentale, sur un grabat assiégé de vermine dans une chambre sans air et sans lumière. Mais il y a d’autres arrêts : Poitiers, 17 oct. 1913, S. 1914 2 25, note Salle de La Marnière (défaut d’avertissement à la victime d’un homicide par imprudence sur les dangers que lui occasionna la contamination par un animal malade). Il faut rapprocher ces décisions de celles citées par Vouin et Léauté (p.185), qui proclament que la complicité punissable ne peut résulter d’une abstention.

Il existe cependant une hypothèse dans laquelle l’omission équivaut à une commission : c’est celle du délit d’imprudence car par nature la faute d’imprudence est protéiforme, elle peut consister aussi bien dans une abstention (négligence) que dans un fait positif : Pau 2 décembre 1943, J.C.P. 1944 II 2724, note Seignolle (abandon par des guides de montagne d’un homme qu’ils avaient pris en charge et qui est mort d’épuisement) ; Cass.crim. 19 févr. 1957, J.C.P. 1957 IV.50 (propriétaire d’une ruche, valablement condamné pour blessures par imprudence, comme n’ayant pas pris toutes les précautions nécessaires pour protéger ses voisins contre les piqûres des abeilles dont il levait le miel).

§ 2 - LE COMPORTEMENT PÉNAL PASSIF

Si d’ordinaire la règle pénale se borne à édicter des interdictions d’agir elle prescrit aussi parfois de véritables obligations de faire : ce qui est alors incriminé c’est l’abstention, l’inertie de l’agent. Ces obligations pénales d’agir, rares sous l’empire d’une conception vétilleuse de la liberté individuelle, sont de plus en plus fréquentes dans le droit moderne.

Certaines d’entre elles traduisent un devoir de solidarité sociale (art. 62 et 63 C.pén.). Mais beaucoup procèdent simplement d’un appesantissement de l’empire étatique sur les individus (obligation pour les parents de faire vacciner leurs enfants contre certaines maladies ; obligation pour les alcooliques dangereux pour autrui de se soumettre à l’examen médical prescrit par la loi du 15 avril 1954), obligation pour les commerçants ou artisans de tenir certains livres ou journaux, etc. Enfin d’autres obligations pénales d’agir ont été rendues nécessaires par l’insuffisance des sanctions civiles : non représentation d’enfants, abandon de famille, etc.

L’infraction d’omission pose de délicats problèmes tant en droit pénal qu’en droit civil.

A) Abstention et responsabilité pénale

L’étude détaillée des éléments constitutifs des diverses infractions d’omission relève du droit pénal spécial. On ne reteindra donc ici que quelques traits caractéristiques des délits les plus importants prévus aux art. 62 et 63 du Code pénal de 1810 [remanié].

a) L’omission de dénoncer ou d’empêcher certains crimes ou délits

L’art. 62 C.pén. punit de peines correctionnelles « celui qui, ayant connaissance d’un crime déjà tenté ou consommé, n’aura pas, alors qu’il était encore possible d’en prévenir ou limiter les effets ou que l’on pouvait penser que les coupables ou l’un d’eux commettraient de nouveaux crimes qu’une dénonciation pourrait prévenir, averti aussitôt les autorités administratives ou judiciaires ». Les parents et alliés des auteurs jusqu’au quatrième degré sont toutefois dispensés de cette obligation.

La portée de ce texte est élargie par l’article 63, al.1, qui incrimine « quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un fait qualifié crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne, s’abstient volontairement de le faire ».

Cette disposition est d’une application relativement fréquente à des personnes qui, selon l’expression de M. L. Hugueney «  étaient, pour ainsi dire, de cœur avec l’auteur du crime qu’il s’agissait d’empêcher » à l’épouse dont l’amant a manifesté l’intention de tuer le mari gênant (Cass.crim. 4 mai 1951, D. 1951 452), au père de famille qui, par haine de son voisin, n’a rien fait pour dissuader son fils simple d’esprit d’incendier le hangar de ce voisin (Trib.corr. Auch. 26 juillet 1949, Rev.Dr.Pén, 1949. 43), à des chasseurs qui pour des raisons identiques ont laissé leur camarade tuer le garde-chasse (Cass.crim. 18 janvier 1951, Rev.Dr.Pén. 1951, III).

b) L’omission de porter secours a une personne en péril

«  Quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ni pour les tiers, il pouvait lui prêter, soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours » est également passible de peines correctionnelles (art. 63, al. 2).

Ce texte, qui a donné lieu depuis sa promulgation à une jurisprudence presque quotidienne, est très souvent appliqué aux automobilistes et aux médecins. Il fait surgir des difficultés assez sérieuses d’interprétation tant en ce qui concerne ses conditions d’application générale qu’en ce qui concerne son application spéciale à la profession médicale.

D’un point de vue général, la jurisprudence et la doctrine s’interrogent sur la notion de « personne en péril » (un cadavre, avant même de devenir « ce je ne sais quoi » dont parle Bossuet après Tertullien, n’est plus considéré comme une personne au sens de l’art. 63 : Cass.crim. 1er février 1955 n° 384), sur la notion de « péril » (que le projet de Code pénal de 1934 et la 1oi de 1941 limitaient à la perte de la vie ou à la menace d’une grave lésion corporelle), sur la notion d’ « assistance » (que les tribunaux rendent obligatoire même lorsqu’elle est de toute évidence vouée à l’échec : Cass.crim. 23 mars 1953, D. 1953 372), et aussi sur la notion de « risque » (v. L. Hugueney, RDC. v° Abstention délictueuse, n° 39 et s.).

Du point de vue de son application aux médecins l’art. 63, al. 2, pose aussi de délicats problèmes (Toulemon, Gaz.Pal. 1953 1, D. 48 ; Guillon, J.C.P. 1956.1.1294 ; Vouin, Rev.sc.crim 1957 p. 353 et s.). Le médecin, de par sa profession, a une vocation naturelle à secourir les personnes en danger. Le Code de déontologie médicale lui rappelle d’ailleurs que « quelle que soit sa fonction ou sa spécialité, hors le seul cas de force majeure, tout médecin doit porter secours d’extrême urgence à un malade en danger immédiat si d’autres soins médicaux ne peuvent pas lui être assurés ». Il n’en existe pas moins un désaccord entre les décisions judiciaires, qui ont tendance à condamner fréquemment (et durement : voir par ex. Trib. corr. Béthune, 19 octobre 1950, J.C.P. 1951 II 5990, qui refuse de tenir compte de la maladie dont se prévalait le médecin pour expliquer son abstention) les médecins pour abstention délictueuse, et les décisions disciplinaires des conseils de l’ordre, qui relaxent parfois le praticien condamné par la justice (voir Guillon, article précité). Il est en effet indéniable que la qualité de médecin entraîne ici certaines particularités : n’importe quel particulier est obligé de porter secours même si son assistance est vouée à l’échec, mais le médecin qui après un examen a jugé le malade perdu est-il obligé de continuer à faire semblant de le soigner ? (voir sur toutes ces particularités Guillon précité). — On rapprochera cette sévérité envers les médecins de l’indulgence manifestée par certains tribunaux envers les guérisseurs ! L’art. 63, funeste aux médecins, est quelquefois la planche de salut des guérisseurs poursuivis pour exercice illégal de la médecine !

B) Abstention et responsabilité civile

La réparation civile du dommage postérieur à l’omission soulève de délicats problèmes tant au point de vue du principe même de l’indemnisation de la victime par l’abstentionniste qu’à celui de l’étendue de l’indemnisation.

Le droit civil reconnaît depuis longtemps, et de plus en plus largement (arrêt Branly, Cass.civ. 27 février 1951, D. 1951 329, note Desbois) la responsabilité de l’abstentionniste à condition que celui-ci ait eu le devoir d’agir (H. et L. Mazeaud, Traité précité, T.I, p. 576 s.). Pour parvenir à cette imputation du dommage à l’omettant, le droit civil assimile l’omission à la commission pure et simple grâce à une conception large de la causalité (supra , p.132).

Le jeu de ces principes n’offre aucune difficulté lorsque l’omission n’est pas une infraction pénale. On s’est demandé, en revanche, si le caractère infractionnel de l’omission n’était pas de nature à compliquer le problème de la réparation civile. En effet, la structure même de l’infraction d’omission exclut l’imputation pénale d’un résultat dommageable quelconque à l’abstentionniste : c’est la passivité de l’agent qui est incriminée, et non sa conséquence dommageable (cf. Cass.crim. 23 mars 1953, D. 1953 372), de sorte que l’infraction d’omission reste nettement distincte de l’infraction de commission (supra , p.132) et se rapproche même de l’infraction formelle (infra , p. 144).

Allant jusqu’au bout de cette analyse certaines décisions répressives ont rejeté l’action civile de la victime sous prétexte que le résultat de l’omission n’étant pas prévu parmi les éléments constitutifs du délit, la partie civile n’est pas en mesure d’invoquer un « dommage pénal » au sens de l’art. 3 du Code d’instruction criminelle (Trib. corr. Béthune 19 octobre 1950, J.C.P. 1951 II 5990, note Pageaud). Cette jurisprudence, qui n’est pourtant pas indéfendable, a été critiquée car elle est en désaccord avec celle qui reçoit l’action civile de la victime d’un empoisonnement, infraction formelle par excellence (Hugueney, Rev.sc.crim. 1951 272).

Certains auteurs vont plus loin encore, et soutiennent que la responsabilité de l’omettant doit être écartée tant devant la juridiction pénale statuant sur l’action civile que devant la juridiction civile statuant après la condamnation pénale. Le devoir de secours ou l’obligation de dénoncer, disent-ils, sont édictés dans l’intérêt unique de la société et ne lient les assujettis qu’à l’égard de la société ; par conséquent la victime du dommage ne peut pas demander réparation à l’abstentionniste parce que celui-ci n’avait aucune obligation vis-à-vis d’elle (Rousselet, Patin et Ancel, « Code pénal annoté de Garçon », art. 63, n° 26).

Cette opinion est en fait motivée par la méditation de certaines conséquences excessives de l’indemnisation des victimes : par exemple ne serait-il pas choquant de faire supporter au passant, qui a négligé d’empêcher un homme de se suicider, la charge du préjudice subi par la veuve et les enfants du défunt ? Le bon sens y répugne, en effet. Mais la solution proposée par les auteurs précités n’en est pas moins inacceptable : c’est en effet sur l’art 1382 C.civ., et non pas sur l’art. 62 ou 63 C.pén. qu’est fondée la demande en dommages-intérêts devant la juridiction civile ; il importe peu dès lors que les art. 62 et 63 C.pén. ne protègent pas directement les victimes ; la seule chose importante c’est la relation de causalité entre la faute et le dommage qui domine en définitive le problème par quelque bout qu’on le prenne.

Or de ce point de vue la position de certains civilistes est, elle aussi, par trop systématique. On a soutenu que le dommage est imputable à l’abstentionniste parce qu’il « se trouvait dans la chaîne des événements par sa seule possibilité d’intervention : il en a pris dès lors la responsabilité lorsqu’il a décidé de la laisser s’accomplir » (Tunc, Le particulier au service de l’ordre public). En réalité, c’est une question d’analyse de chaque espèce  : on ne peut par exemple attribuer un rôle causal à un refus d’assistance lorsqu’il est avéré que l’assistance aurait été vouée à l’échec (cf. Cass.crim. 23 mars 1953 D. 1953 372) ; mais l’on peut, même dans cette hypothèse, imputer à l’omission, sinon la production du dommage lui-même, du moins « l’état de détresse » morale qu’elle a provoquée chez ceux qui avaient sollicité l’abstentionniste (voir Bordeaux 28 octobre 1953, J.C.P. 1953 II 7857). Et lorsque l’omission figure dans la série causale du dommage (Trib. corr. Nice 2 novembre 1949, D. 1950.53 ; Trib. corr. Le Mans 22 octobre 1951, J.C.P. 1951 II 5657 ; Bourges 16 février 1950, D. 1951 452), il reste à déterminer son degré de causalité personnelle par rapport aux autres causes équivalentes.

SECTION II
LES MODALITÉS MATÉRIELLES DE L’ACTE PÉNAL

Classiquement l’acte pénal obéit à la règle des trois unités d’action, de temps et de lieu... Autrement dit, il s’accomplit généralement sous la forme d’une seule action ou omission, commise en un seul trait de temps, dans un lieu unique quelconque.

Mais il n’en est pas toujours ainsi. La fréquence ou la quantité des actions ou des omissions, leur durée, le lieu et l’époque de leur commission interviennent souvent, en fait ou en droit, comme des facteurs de complication de l’acte pénal ordinaire.

§ 1 - LE NOMBRE DES ACTIONS OU OMISSIONS
A) La réunion de plusieurs faits différents

Elle entraîne tantôt l’unité, tantôt le concours d’infractions.

a) Pluralité d’actes et unité d’infractions

On peut distinguer à cet égard l’infraction complexe et l’infraction composée.

L’infraction complexe est celle dont les éléments constitutifs décrits par la loi comportent « l’accomplissement de plusieurs actes matériels de natures différentes » (Roux, Cours de droit criminel français, T.I, p.121). L’escroquerie en est le type puisque, selon l’art. 405 C.pén., elle se décompose en deux séries de faits : l’usage d’un faux nom, d’une fausse qualité ou de manœuvres frauduleuses d’une part, et d’autre part la remise consécutive par la dupe d’une somme d’argent ou de valeurs, billets, etc.

Beaucoup d’auteurs présentent, il est vrai, une conception beaucoup plus large de la complexité pénale : Garraud (Traité de droit pénal, T.I, p.248), qui la définit comme un délit unique se composant de faits ou actes réitérés et réunis en un ensemble par l’identité du but et de la conception ; Vidal et Magnol (Cours de droit criminel, T.I, p.128), dont la description est plus large encore.

Le régime pénal de l’infraction complexe, au sens étroit de ce terme, comporte deux caractéristiques tout d’abord la prescription de l’action publique ne court qu’à partir du dernier acte constitutif de l’infraction (Cass.crim. 7 janvier 1944, DA 1944 47 ; Cass.crim. 4 juin 1955, D. 1955 656) ; d’autre part le tribunal compétent pour juger l’infraction est celui dans le ressort duquel a été commis l’un des actes qui entrent dans la composition de cette infraction (Cass.crim. 12 décembre 1935, Gaz.Pal. 1936 I 116).

L’infraction composée est constituée de deux (ou plusieurs) actes dont l’un est la circonstance aggravante de l’autre et modifie sa qualification normale : par ex. le guet-apens aggrave le meurtre et le transforme en assassinat (art. 296 C.pén.). On se trouve alors en présence d’un délit qualifié. Mais en réalité, en l’état actuel de la jurisprudence et des études doctrinales, il n’est pas permis d’affirmer que le délit qualifié est une infraction autonome.

b) Pluralité d’actes et concours réel d’infractions.

L’accomplissement de plusieurs actes délictueux, non apparentés les uns aux autres par une communauté d’intention et non séparés les uns des autres par une condamnation, constitue un concours réel d’infractions. Cette situation pénale originale, qui sera étudiée plus loin (infra, p.342), comporte deux caractéristiques : toutes les infractions commises restent distinctement imputables à leur auteur mais celui-ci n’exécutera que la peine la plus forte, attachée à l’infraction la plus grave.

B) La répétition du même fait

Elle aboutit soit à l’aggravation de la peine (habitude), soit à la constitution d’une infraction unique caractérisée par l’habitude (prêt sur gage, exercice illégal de la médecine, etc.), soit à l’infraction collective par unité de but (accomplissement de plusieurs faits tendant à la réalisation d’un but unique).

§ 2 - LA DURÉE DES ACTIONS OU DES OMISSIONS

Sur ce problème de l’infraction continue, on consultera avec profit : Ortolan, Les délits continus, RCLJ 1854 IV 336 ; E. Garçon, Étude sur les délits continus ou successifs, Journal du ministère public, 1944 ; B. Perreau, De la notion du délit continu en doctrine et en jurisprudence ; P. Esmein, Y a-t-il des infractions continues ? RIDP 1924 p.111; Magnol, Rev.sc.crim. 1939, 284.

Les intérêts pratiques de la distinction entre les infractions continues successives (qui se perpétuent par le renouvellement de la volonté de l’agent: par ex., exploitation illégale d’un délit de boissons) et les infractions continues permanentes (qui durent par la seule force des choses ; par ex. : barrage d’un cours d’eau construit sans autorisation administrative) sont multiples. L’infraction permanente est traitée comme une infraction instantanée, tandis que l’infraction successive présente un régime pénal particulier.

Quant à la procédure d’abord : compétence territoriale de tous les tribunaux dans le ressort desquels la volonté criminelle a été renouvelée (Cass.crim. 21 août 1922, S. 1923 1 237) ; départ de la prescription de l’action publique du jour où l’infraction a pris fin (Trib. corr. Lille 27 février 1954, D. 1954 sommaire 57) ; possibilité de reprendre la poursuite pour les mêmes faits continués après une première condamnation définitive (Cass.crim. 31 mars 1926, Gaz.Pal. 1926 I 736 ; Cass.crim. 10 avril 1930, D.H. 1930 302) ; impossibilité d’appliquer l’amnistie à une infraction continue successive qui persiste après la loi d’amnistie (Cass.crim. 21 septembre 1922, S. 1922 somm. 196).

Quant au fond ensuite : application de la loi nouvelle à l’infraction continue qui ne prend fin qu’après la promulgation de celle-ci (Cass.crim. 23 décembre 1925, S. 1927 1.199).

Le critère de la distinction des infractions successives et des infractions permanentes est excellemment présenté à propos d’une hypothèse très didactique par Cass.crim. 31 mars 1926, Gaz.Pal. 1926 1 736.

§ 3 - L’ÉPOQUE ET LE LIEU DE RÉALISATION
DES ACTIONS OU OMISSIONS

Ortolan a fait preuve d’originalité en consacrant plusieurs pages de ses éléments à cet aspect de l’acte pénal (« Éléments de droit pénal », 4e éd., T.I, p. 346 et s. n° 792 et s.).

L’époque ou le lieu de réalisation des faits sont, ou bien des circonstances constitutives de l’infraction, ou bien simplement des circonstances aggravantes.

Le Code pénal attache souvent une grande importance à l’époque (saison, jour, heure). Certains faits ne sont punissables qu’en raison de l’époque de leur accomplissement. Ainsi les textes sur la police de la chasse ou de la pêche incriminent, en principe, ces activités lorsqu’elles sont commises à une époque antérieure ou postérieure à « l’ouverture », ou à la « fermeture » ou lorsqu’elles sont pratiquées à des heures prohibées.

Parmi les phénomènes naturels qui sont susceptibles d’influencer la répression d’une activité, il en est un qui joue un rôle particulièrement important, c’est celui du jour et de la nuit. Le Code pénal prévoit la circonstance de nuit à plusieurs reprises, et il en fait généralement une circonstance aggravante : la circonstance de nuit, par ex., aggrave le vol... Parfois, cette circonstance de nuit est même constitutive de l’infraction : ainsi l’art. 471-10° du Code pénal [de 1810] punit ceux qui auraient glané, râtelé, ou grappillé dans les champs entre le coucher et le lever du soleil.

En dehors des textes comme celui-ci qui situent formellement la nuit entre le coucher et le lever du soleil l’appréciation juridique du caractère nocturne ou diurne de l’infraction est une question de pur fait : il s’agit de savoir simplement s’il faisait déjà « noir » ! cf. RDC, -v° Chasse-louveterie, n° 310 ; voir cependant la jurisprudence sur le vol commis la nuit qui s’attache essentiellement aux heures légales du coucher et du lever du soleil (RDC, v° Vol, n° 77).

Il peut arriver aussi que la loi fasse dépendre l’incrimination d’une activité d’une question de lieu, et plus spécialement de la publicité du lieu : il en est ainsi des vols commis sur les chemins publics (art. 383 C.pén.), de l’ouverture de loterie dans les lieux publics (art. 47 C.pén.), etc., de l’outrage public à la pudeur (art. 330). Cf. P. Roger, La notion de publicité dans les infractions pénales, thèse Bordeaux, 1941.

Quelquefois, la publicité de l’infraction n’intervient que comme circonstance aggravante (outrage à magistrats à l’audience d’une cour ou d’un tribunal, art. 222 C.pén.).

Signe de fin