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PRÉMÉDITATION ET GUET-APENS

par M. le professeur Georges Levasseur
(Observations sous Cass.crim. 22 février 1989 , Rev.sc.crim. 1989 737)

L’arrêt rendu le 22 février 1989 par la Chambre criminelle (Bull.crim. n°89, D. 1989. I.R. 191, Gaz.Pal. 1er août 1989, note J.-P. Doucet) a attiré l’attention mais n’a pas considérablement éclairci les rapports existant entre ces deux circonstances aggravantes.

Dans une affaire mettant en cause un acteur principal et son complice, ce dernier (auteur du pourvoi) avait été condamné pour complicité d’assassinat. En ce qui concerne l’auteur principal, la Cour d’assises avait répondu affirmativement sur le fait d’avoir volontairement donné la mort, de façon affirmative encore sur la circonstance aggravante de guet-apens, mais négativement sur celle de préméditation.

La Cour d’assises avait bien fait de poser une question distincte sur chacune de ces deux circonstances aggravantes, du moins s’il faut en croire les arrêts rendus les 19 octobre 1977 (Bull.crim. n°312), 1er mars 1978 (Bull.crim. n°81) et 9 octobre 1981 (Bull.crim. n°97 et nos obs. cette Revue, 1983.79) qui ont affirmé que ces deux circonstances sont distinctes l’une de l’autre, que leurs caractères propres sont déterminés par deux dispositions différentes du Code pénal et qu’en conséquence elles devaient faire l’objet de deux questions distinctes, comportant chacune une réponse. Le 4 août 1984 (Bull.crim. n°268 et nos obs. cette Revue 1985.807) la Chambre criminelle avait cependant admis que ces deux circonstances ayant le même effet avaient pu faire l’objet d’une question alternative («avec préméditation ou guet-apens»), laquelle n’était pas entachée de complexité. Le 3 octobre 1984 (Bull.crim. n°284 et nos obs. cette Revue 1985.808, n° 1-I), la Chambre criminelle avait approuvé le président d’avoir posé deux questions distinctes, même si l’arrêt de renvoi prévoyait les deux circonstances comme alternatives.

C’est dans ces conditions que l’arrêt du 22 février 1989 a cassé l’arrêt attaqué, lui reprochant d’être entaché de contradiction du fait que l’auteur principal était reconnu coupable d’avoir agi de guet-apens mais non pas avec préméditation.

La seule explication de cet ensemble déconcertant réside dans le fait que, pour la jurisprudence, le guet-apens implique nécessairement la préméditation. La Chambre criminelle l’a affirmé à maintes reprises (Crim. 4 juin 1812, S. 1813. 1. 50; Crim. 15 sept. 1853, Bull. crim. n° 460 ; Crim. 26 sept. 1867, Bull. crim. n° 212 ; Crim. 29 mars 1877, Bull. crim. n° 96). Si cette analyse était exacte, on ne s’expliquerait pas que les auteurs du Code pénal aient créé deux circonstances aggravantes alors qu’une seule (celle de préméditation) eut suffi.

La vérité est que si le guet-apens implique souvent la préméditation, il peut parfaitement y avoir guet-apens sans préméditation, car il suppose une traîtrise qui peut être commise sur le champ ou à peu près. Voir nos observations cette Revue, 1983.79 et surtout les excellents développements de J.-P. Doucet à la Gazette du Palais sous le présent arrêt, citant très à propos Muyart de Vouglans et Merlin de Douai, et faisant valoir que la loi du 28 avril 1832, ayant «consacré la notion subjective d’intention criminelle», a donné son autonomie à la notion de préméditation «puisque l’on peut définir celle-ci comme une intention criminelle réfléchie».J.-P. Doucet rappelle que Garçon (art. 298, 1ère éd. n° 28, 2e éd. par Rousselet, Patin et Ancel n° 30) avait affirmé que «le guet-apens n’exclut pas forcément l’exécution du crime sous l’empire d’une impulsion passionnée.

Nous sommes heureux que ce commentaire ait établi que l’opinion que nous soutenons depuis toujours (V. notre Droit pénal spécial Les Cours de droit, 1964, p. 73-74; adde Rép.pén. Dalloz v° Homicide, n° 42) était historiquement fondée et rationnellement défendue par d’excellents auteurs (V. aussi Vitu, Droit pénal spécial, n° 1722).

Nous ne pouvons donc que partager les regrets de ce commentateur que «la Cour de cassation s’en soit tenue à une doctrine manifestement dépassée» et qu’elle « n’ait pas saisi cette occasion de dégager la notion subjective de préméditation de sa gangue objective ».

Signe de fin