Page d'accueil  >  Table des rubriques > La science criminelle > Pénalistes > La loi pénale > L'infraction > Code Annamite de Gia Long, La préméditation individuelle ou collective en matière de meurtre (Trad. Philastre)

LA PRÉMÉDITATION COLLECTIVE OU INDIVIDUELLE
EN MATIÈRE DE MEURTRE

dans le Code annamite de Gia Long ( 1812 )
selon la traduction de P.L.F. Philastre
( Paris 1876, Leroux éditeur )

Le Code annamite, précise le traducteur
(auquel on ne saurait trop rendre hommage),
n’est autre chose que le Code chinois de la dynastie mandchoue,
dont un très petit nombre d’articles a été supprimé,
et dont quelques uns ont reçu quelques très légères modifications.

ART. CCLI. — Du complot de meurtre *

*Dans le texte, il n’y a qu’une expression, qui littéralement est : « complot de meurtre » ;
elle est traduite, selon le cas, par les mots : complot de meurtre, ou meurtre prémédité
.

Texte même de l’article

Celui qui sera l’auteur de l’idée d’un meurtre prémédité (soit prémédité dans son esprit, soit comploté avec quelqu’un), sera puni de la décapitation (avec sursis) ; ceux qui l’auront suivi et qui y auront contribué seront punis de la strangulation (avec sursis) ; ceux qui n’y auront pas contribué seront punis de cent coups de truong et de l’exil à trois mille lis ; il faudra que le meurtre soit accompli pour que les coupables soient passibles de ces peines. (Si le meurtre n’a pas été accompli et que la victime vienne à mourir accidentellement, la peine sera graduée selon les dispositions relatives au complot arrêté en commun pour frapper ensemble quelqu’un : art. 259).

Si la victime a été blessée et n’est pas morte, l’auteur de l’idée sera puni de la strangulation (avec sursis), ceux qui l’auront suivi et qui auront contribué à l’action seront punis de cent coups de truong et de l’exil à trois mille lis ; ceux qui n’y auront pas contribué seront punis de cent coups de truong et de trois ans de travail pénible.

S’il y a eu complot déjà suivi d’actes d’exécution, mais que la personne n’ait pas encore été blessée, la peine (de l’auteur de l’idée, considéré comme principal coupable), sera de cent coups de truong et de trois ans de travail pénible, et les co-auteurs (qui ont comploté et agi avec lui) ; seront, chacun, punis de cent coups de truong. Ceux qui auront seulement participé au complot (bien qu’ils n’aient pas pris part aux actes d’exécution avec les autres), seront tous passibles de cette peine.

L’auteur de l’idée (cela se rapporte aux trois cas où le meurtre a eu lieu, où la victime a été blessée, où le complot a été suivi d’actes d’exécution), bien qu’il ne soit pas allé de sa personne prendre part aux actes d’exécution, sera cependant considéré comme principal coupable. Pour les co-auteurs qui ne seront pas allés prendre part aux actes d’exécution la peine sera celle des co-auteurs qui seront allés y prendre part (et qui n’y auront pas contribué), diminuée d’un degré.

Si, à cause de l’acte, il y a eu des valeurs obtenues, on prononcera comme pour les coupables de vol à force ouverte sans distinguer entre le principal coupable et les co-auteurs, et tous seront punis de la décapitation. (Ceux qui auront pris part aux actes d’exécution sans participation au produit illicite, ainsi que ceux qui n’auront pas pris part aux actes d’exécution et qui, de plus, n’auront pas participé au produit illicite, seront d’ailleurs tous, jugés selon les dispositions relatives au complot de meurtre.)

Commentaire officiel

- Le complot ou, autrement, la préméditation est un plan ; dresser d’abord un plan pour commettre un meurtre, ensuite exécuter le fait et commettre un meurtre, c’est ce qu’on appelle complot de meurtre ou meurtre prémédité. Les indices du complot sont très divers et cachés ; les causes de meurtre sont, de même, très nombreuses ; ainsi, il y a la haine, la jalousie, l’envie, les contestations pour posséder quelque chose et autres circonstances analogues, qui peuvent conduire à la pensée de commettre un meurtre, soit qu’on calcule soi-même le plan et qu’on prémédite seul le crime dans son propre esprit, soit qu’on prenne les mesures nécessaires et qu’on les discute avec d’autres personnes et que le complot soit fait par plusieurs personnes ensemble. Les règles de définitions disent que lorsque la loi emploie l’expression : « complot », il s’agit de deux personnes et plus, et la note explicative entre parenthèses, relative à cette définition, dit que si les indices de la préméditation sont évidents, si les motifs en sont clairs, bien que ce soit un seul homme qui l’a conçue, la règle est la même que lorsqu’il y a deux ou plus de deux personnes [art. 40]. Ici, dans le cas de complot de meurtre il y a entre les coupables la distinction de celui qui est l’auteur de l’idée et de ceux qui ont contribué à l’exécution de l’acte ; c’est donc qu’il s’agit en règle primordiale de deux ou de plus de deux personnes. Si le fait est le résultat de la volonté d’un seul homme et l’acte d’un seul homme, alors, il est à la fois, l’auteur de l’idée et l’auteur du fait, et on lui applique directement la disposition qui punit le meurtre prémédité de la décapitation ; c’est là ce qu’on appelle la règle d’une seule personne considérée comme deux personnes. L’auteur de l’idée est la personne qui décide, trace et détermine le plan ; ceux qui contribuent à l’exécution de l’acte sont les personnes qui y prêtent le concours de leurs forces et agissent de leurs mains ; ceux qui suivent sont les personnes qui accompagnent l’auteur de l’idée et qui obéissent à ses ordres et à ses indications.

- L’auteur de l’idée est puni de la décapitation, et par là, la loi déploie la plus grande sévérité contre celui de qui naît le crime. Ceux qui ont contribué à l’exécution de l’acte sont punis de la strangulation, et, par là, la loi sévit contre l’association pour faire le mal. Il n’est pas nécessaire que l’auteur de l’idée ait commis lui-même le meurtre ; en réalité, la mort résulte du fait de tous ceux qui ont contribué à l’exécution de l’acte. Bien que plusieurs vies humaines soient sacrifiées en expiation de la perte d’une seule vie humaine, cependant les sentiments naturels et la règle indiquent qu’il doit en être ainsi.

- Si, bien qu’une personne ait participé au complot et soit allée avec les autres pour commettre le crime, elle n’a cependant pas, au moment même de son accomplissement, contribué à l’exécution de ce crime, c’est que son cœur éprouvait encore un sentiment de crainte et d’indécision : elle est seulement punie de cent coups de truong et de l’exil à trois mille lis. Mais, pour que les coupables soient passibles de ces peines de la décapitation, de la strangulation ou de l’exil, il faut que le meurtre ait eu lieu ; si, en fait, le meurtre n’a pas encore été commis, bien que le complot ait été exécuté ou suivi d’actes d’exécution, le meurtre n’est cependant pas consommé et le fait tombe sous le coup de la règle du paragraphe suivant qui prévoit les cas où la victime a été blessée sans être tuée et où elle n’a pas encore été blessée.

S’il y a eu complot de meurtre, que la personne ait déjà été blessée mais pas jusqu’à en mourir, l’auteur de l’idée est puni de la strangulation : le crime n’est pas allé jusqu’à devenir un meurtre et il est néanmoins puni de mort, parce qu’en réalité il a comploté un meurtre et que le fait a été jusqu’à blesser quelqu’un. Ceux qui l’ont suivi et qui ont contribué à l’exécution de l’acte sont punis de cette peine diminuée d’un degré, c’est-à-dire, de cent coups de truong et de l’exil à trois mille lis, à cause de ce fait qu’ils ont personnellement pris part à un acte dont le but était un meurtre et parce qu’ils ont blessé quelqu’un. Ceux qui sont allés avec les précédents pour agir, mais qui n’ont pas contribué au fait commis, sont punis d’une peine encore diminuée d’un degré, c’est-à-dire, de cent coups de truong et de trois ans de travail pénible, parce qu’ils ont fait partie d’un complot de meurtre et que, de plus, ils sont allés avec les autres pour agir.

S’il y a eu complot de meurtre et que, soit que la victime désignée, elle-même ait résisté et repoussé l’attaque, soit qu’elle ait été protégée et secourue par d’autres personnes et qu’elle ait ainsi pu éviter la mort, soit qu’elle ait eu vent de ce qui la menace et qu’elle se soit mise à l’abri, soit qu’au moment même elle ait pu se soustraire au danger et qu’elle ait été préservée de toute blessure, l’auteur de l’idée est puni de cent coups de truong et de trois ans de travail pénible ; comme il est de la nature même du cas supposé que personne n’a été blessé, il ne peut y avoir, entre les coupables, la distinction de ceux qui ont et de ceux qui n’ont pas contribué à l’accomplissement de l’acte : tous ceux qui ont participé au complot sont co-auteurs et également punis de cent coups de truong. Il en est ainsi bien que l’acte ne soit pas allé jusqu’à blesser la victime, pour punir le complot suivi d’actes ayant pour but son exécution et c’est pour cela que les coupables ne sont pas punis de la peine complète édictée,ci-dessus, dans le cas de complot suivi d’actes d’exécution.

L’auteur de l’idée d’un complot de meurtre, bien qu’il ne soit pas, de sa personne, allé prendre part aux actes d’exécution, est d’ailleurs considéré comme principal coupable ; si le meurtre est consommé, il est puni de la décapitation ; si la victime a été blessée, il est puni de la strangulation ; si elle n’a pas été blessée, il est puni de la peine du travail pénible. En effet, le complot de meurtre est le résultat de ses instructions et de ses indications ; c’est lui qui a désigné la victime, et ce n’est pas parce qu’il n’a pas agi lui-même qu’il pourrait être traité avec indulgence. Quant à ceux qui ont participé au complot et qui sont co-auteurs, ceux qui n’ont fait que participer au complot et qui n’ont pas pris part aux actes d’exécution sont punis de la peine de ceux qui ont pris part aux actes d’exécution sans contribuer à l’accomplissement de l’acte, diminuée d’un degré : si le meurtre a été commis, ils sont punis de cent coups de truong et de trois ans de travail pénible ; si la victime a été blessée, de quatre-vingt-dix coups de truong et deux ans et demi de travail pénible ; si la victime n’a pas été blessée, de quatre-vingt-dix coups de truong. Du moment où ils ont participé au complot, mais où, d’ailleurs, ils n’ont pas pris part aux actes d’exécution, ils ne sont pas des « aides » des coupables et ils ont eu un sentiment de remords et de crainte ; c’est pourquoi ils bénéficient d’une diminution de peine. Telle est la règle pour prononcer relativement à ceux qui ont fait un complot, sans aller prendre part à son exécution.

Mais, dans le complot de meurtre, les coupables ne se sont pas emparés des valeurs de la victime, c’est seulement l’accomplissement d’une vengeance ou l’assouvissement d’une haine ; les coupables n’ont pas en vue un bénéfice à tirer des valeurs de la victime. C’est pour cela que ceux qui sont co-auteurs peuvent bénéficier de diminution de la peine. Si, à cause du meurtre prémédité, les coupables ont enlevé des valeurs appartenant à la personne tuée, c’est encore un cas de vol à force ouverte, et aussi, on assimile le fait au vol à force ouverte, on ne distingue ni principal coupable, ni co-auteurs, et tous les coupables sont punis de la décapitation. Mais dans le vol à force ouverte l’idée est, avant tout, l’obtention de valeurs, de sorte que si, de quelque façon que ce soit, il y a obtention de valeurs, tous sont punis de la décapitation ; dans le complot de meurtre, l’idée est, avant tout, de tuer quelqu’un, de sorte que si, à cause de cet acte, il y a eu obtention de valeurs, il faut que le coupable ait participé au produit de l’action illicite pour qu’il puisse être considéré comme coupable de vol ; ceux qui ont participé au complot, qui ont pris part à l’exécution, mais qui n’ont pas participé au produit illicite, et ceux qui n’ont pas pris part aux actes d’exécution et qui, de plus, n’ont pas participé au produit de l’acte illicite sont d’ailleurs punis en graduant leur peine selon la loi particulière relative au complot de meurtre, parce que l’origine du complot auquel ils ont participé était le désir de commettre un meurtre et n’était pas d’obtenir des valeurs ; qu’on voie l’article relatif à ceux qui participent à un complot de vol et on pourra en déduire la même appréciation.

- D’après la loi sur le meurtre par erreur, celui qui a prémédité le meurtre d’une personne et qui, par erreur, tue une autre personne est jugé d’après les dispositions relatives au meurtre volontaire et la note explicative entre parenthèses dit qu’il n’est pas parlé du cas de blessure qui, d’ailleurs, serait jugé d’après les dispositions relatives aux rixes (art. 261-271). Ainsi, s’il y a meurtre on prononce selon les dispositions relatives au meurtre volontaire et, s’il y a blessure, selon les dispositions relatives aux rixes ; donc, ceux qui, de leurs propres mains, ont commis le meurtre ou fait des blessures, sont seuls passibles de la peine. Comment l’auteur de l’idée et les personnes qui ont participé au complot, qu’ils soient allés ou qu’ils ne soient pas allés prendre part aux actes d’exécution, seront-ils punis ? Si on suivait simplement la loi fondamentale en prononçant les peines du cas où le meurtre a été commis ou du cas où la blessure a été faite, alors les peines seraient trop sévères et la règle, d’après les dispositions sur le meurtre volontaire, ne s’applique et ne s’adapte pas. Ainsi, par exemple, si la personne dont le meurtre a été prémédité est Triêu Giap et si ceux qui ont porté les coups de leurs propres mains ont tué Tien At, ce ne sont pas ceux qui ont fait le complot qui ont manqué et dénaturé le but de ce complot ; comment donc infliger à l’auteur de l’idée et à ceux qui ont participé au complot les peines du cas où le meurtre a eu lieu et du cas où la victime du complot a été blessée ? la tierce personne qui a été victime du meurtre ou qui a été blessée est vengée par la peine infligée à ceux qui ont commis le meurtre où fait les blessures de leurs propres mains et la personne que l’auteur de l’idée et ceux qui ont participé au complot voulaient tuer n’a pas reçu de blessures ; donc, on doit seulement graduer la peine de ces coupables selon la disposition relative au cas où le complot a été suivi d’actes d’exécution sans que la victime ait été blessée. Cela semble mettre d’accord le sentiment naturel et la règle ; qu’on voie clairement et attentivement l’article relatif au meurtre commis par erreur.

- Les Notes explicatives disent : Si, par exemple, les coupables convoitent les valeurs d’une personne et luifont avaler une préparation arsénieuse et s’ils obtiennent les valeurs convoitées sans que la victime succombe, comme les composés arsénieux sont des matières susceptibles de donner la mort et que l’intention et la volonté arrêtées étaient d’aller jusqu’à donner la mort, ceux qui ont obtenu les valeurs sont punis de la peine des voleurs à force ouverte, d’après la disposition relative au cas où les valeurs ont été enlevées à cause d’un meurtre prémédité ; s’ils n’ont pas obtenu les valeurs, ils sont punis de la peine fixée lorsqu’il y a eu blessure sans que la mort en soit résultée, d’après la règle selon laquelle si l’idée est née du désir d’obtenir des valeurs, on doit suivre la loi relative au vol à force ouverte. S’il y a uniquement vol, les coupables ont seulement en vue de s’emparer de valeurs ; ici, il y a de plus complot de meurtre ; bien que la victime qui a supporté le mal ait eu la chance de ne pas être frappée jusqu’à en mourir, cependant l’intention de s’emparer des valeur est, en réalité, principalement basée sur le meurtre ; si on examine le fait au double point de vue des deux articles de loi relatifs au vol à force ouverte et au meurtre prémédité, s’il y a eu obtention de valeurs on doit prononcer comme pour des voleurs à force ouverte et, s’il n’y a pas eu obtention de valeurs, on doit d’ailleurs appliquer complètement les règles relatives au complot de meurtre. Cette solution parait être la bonne et toutes les fois que le complot de meurtre est commis à cause du désir de s’emparer de valeurs, on devra prononcer en procédant par analogie.

- Les Notes explicatives disent encore : Si on voit une personne qui possède des valeurs et que, voulant s’en emparer et n’en trouvant pas l’opportunité, on prenne une préparation de graine de chanvre (?) et qu’on la fasse avaler à cette personne afin qu’elle ne puisse parler, et qu’ainsi on obtienne les valeurs convoitées, comme la graine de chanvre peut seulement priver momentanément de la parole, les coupables n’ont essentiellement pas l’intention de tuer la victime et on doit seulement leur appliquer les dispositions relatives au fait d’employer des drogues stupéfiantes pour s’emparer des valeurs d’autrui [art. 235 § 2), fait assimilé au vol à force ouverte, et selon les règles relatives au cas où il y a eu, ou non, des valeurs obtenues.

Signe de fin