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LA CORRUPTION DES LOIS
PAR LA POLITIQUE

Extrait de « La criminalité politique »,
de Louis PROAL
( Paris 1895, p. 239 et s. )

La légistique, dont on parle tant de nos jours,
s’attache à la seule forme des lois.

Le texte reproduit ci-dessous nous rappelle
que la question de l’élaboration des lois
va bien au-delà et concerne également
la compétence juridique des parlementaires :
trop d’entre eux, en effet, n’ont pas les connaissances
nécessaires pour élaborer des lois dignes de ce nom.

Nous ne reviendrons pas sur le problème de fond
relatif aux rapports entre loi naturelle et loi positive.

En revanche il importe d’ajouter aux observations
faites par l’auteur, à la fois magistrat et philosophe,
combien est nuisible la pratique contemporaine
de la « discipline de vote » dans un groupe parlementaire :
elle interdit en effet aux élus de voter selon leur conscience
et les oblige à suivre les diktats de groupes de pression.

La politique a transformé les lois en instruments de proscription et de spoliation. Pour tuer et voler, les peuples barbares se servent des armes ; les peuples qui se croient civilisés se servent des lois. On assassine par les lois, comme à coups de fusil, on démolit par les lois comme à coups de hache ; on vole par les lois comme au coin d’un bois. L’assassinat et le vol ont été convertis en lois ; la proscription et la spoliation ont revêtu des formes légales.

La persécution légale est plus odieuse que la violence brutale, parce qu’elle ajoute l’hypocrisie à l’iniquité. Les légistes qui donnent à la persécution le caractère légal sont plus pervers que les bourreaux.

La politique a rempli la législation d’absurdités et de cruautés hypocrites. Quoi de plus monstrueux, par exemple, que les lois anglaises qui ont voulu supprimer le catholicisme en Irlande ! Les légistes anglais avaient imaginé un système de lois, dont Burke a dit « que c’était le plus habile et le plus puissant instrument d’oppression qui ait jamais été inventé par le génie pervers de l’homme, pour ruiner, avilir, dépraver une nation, et corrompre en elle jusqu’aux sources les plus inaltérables de la nature humaine ». Ces lois atroces, a dit aussi Canning, semblaient être le résultat de toutes les recherches les plus cruelles contre la nature humaine, de toutes les combinaisons les plus atroces contre les hommes. Afin de tenir les catholiques dans la misère et l’ignorance, elles leur avaient interdit l’acquisition des propriétés immobilières et l’exercice des professions libérales. Elles n’imposaient pas l’enseignement protestant, mais elles bannissaient les instituteurs catholiques ; elles n’interdisaient pas le culte catholique, mais elles expulsaient les évêques catholiques et les punissaient de mort en cas de retour, etc., etc.

Ces lois ne se contentaient pas de persécuter le catholicisme ; elles avaient aussi pour but de dépouiller les catholiques. « Le parlement d’Angleterre, dit Walter Scott, s’était arrogé le pouvoir de faire des lois pour l’Irlande, et il l’exerçait de manière à enchaîner autant que possible le commerce de royaume, à le subordonner au commerce de l’Angleterre et à le tenir dans sa dépendance ». La législation anglaise ruina les manufactures de laine irlandaises. Lorsque l’Irlande protesta contre la loi qui prohibait l’exportation des marchandises de laine, la Chambre des communes présenta à la reine une adresse, pour se plaindre, « que quoique le commerce de la laine fût un article de manufacture anglaise, sur lequel la législature veillait avec la plus stricte vigilance, cependant l’Irlande, dépendante de l’Angleterre et protégée par elle, non contente de la liberté, qui lui était accordée d’avoir des manufactures de toile, prétendait encore appliquer ses capitaux et son crédit à tisser les laines et à fabriquer des draps, au détriment de l’Angleterre ». Swift, indigné de la cupidité de l’Angleterre, ayant alors dans une brochure engagé les irlandais à ne faire usage que des produits irlandais et à renonce aux étoffes venant d’Angleterre, des poursuites criminelles furent intentées contre l’imprimeur de sa brochure.

J’ai cité, à titre d’exemple, les lois anglaises contre l’Irlande, pour montrer comment la persécution et la spoliation se cachent hypocritement sous les formes légales. Dans la législation de tous les peuples on trouve des exemples analogues.

La politique, ennemie du droit commun, a une tendance à créer des privilèges ; elle a fait des classes privilégiées, des ordres, des castes, qui ne payaient pas l’impôt et obtenaient les charges les plus importantes. Défaisant l’œuvre de Dieu qui donne à tous les hommes les mêmes droits, elle a créé l’inégalité des droits civils et des droits politiques, elle a changé les vrais rapports des hommes entre eux, elle a établi l’inégalité, même en matière judiciaire (sous l’ancien régime, le privilège n’abandonnait pas le noble qui commettait un crime ; il y avait des peines différentes pour le noble et pour le roturier).

Le but de la loi devrait être la protection de la liberté et de la propriété de tous les citoyens. Mais la politique a toujours fait édicter des lois, dans l’intérêt de ceux qui avaient le pouvoir. Quand le pouvoir appartient à une aristocratie, les lois sont faites dans l’intérêt de cette aristocratie ; quand il est exercé par la démocratie, les lois sont faîtes dans son intérêt. Sous l’ancien régime, les roturiers étaient exclus, en général, des fonctions publiques ; dans plusieurs républiques italiennes, au contraire, cette exclusion frappait les nobles.

Les lois devraient être générales, impartiales ; la politique les rend partiales, elle fait des lois d’exception.

La législation a été tellement, corrompue par la politique, que Thomas More, qui, en sa qualité de chancelier, était très versé dans la connaissance des lois, ne pouvait s’empêcher de s’écrier : « Quand je réfléchis sur les lois et sur les gouvernements de notre monde, que je meure, si j’y trouve seulement la moindre ombre de justice et d’équité ! Bon Dieu ! quelle équité ! quelle justice que la nôtre ! »

Si, dans la législation de tous les peuples, on trouve tant de lois contraires à la justice, c’est à des considérations politiques qu’il faut les attribuer. Les lois d’exception sont toujours des lois politiques ; ce sont des armes, dont les partis se servent pour détruire leurs adversaires. En 1816, un député disait cyniquement à la Chambre : « J’ai voté l’année dernière des mesures de sûreté générale, parce qu’on les employait contre le parti opposé ; maintenant qu’on peut les employer contre nous, je n’en veux plus ».

Lorsque la loi contre les émigrés fut votée (elle punissait de mort le délit d’émigration), un orateur éleva la voix en faveur des domestiques, qui avaient suivi leurs maitres à l’étranger, mais le rapporteur du comité de législation répondit : « La loi que nous faisons est une loi de circonstance, une loi de guerre ; pourquoi nous occuper des quelques injustices qu’elle peut entraîner ? ».

Lorsque les passions politiques ont fait voter des lois iniques, on peut trouver, non pas une justification de ces lois, mais une explication et quelquefois une circonstance atténuante dans les passions des législateurs. Mais ce qui est plus affligeant que le vote des lois iniques, c’est leur justification par des jurisconsultes, qui, venus longtemps après, ne partagent plus les passions politiques des législateurs. Il n’y a pas une loi injuste, qui n’ait été commentée avec approbation par des légistes, Ils n’osent pas se permettre la moindre critique. Grotius admit l’esclavage, Blackstone justifia l’assimilation du « papisme » au crime de haute trahison.

Merlin, qui a été procureur général à la Cour de cassation, « prêta sa grande science du droit et sa merveilleuse habileté de légiste a la confection de ce chef d’œuvre de la tyrannie insidieuse : la loi des suspects » a écrit Albert Sorel. Le chancelier Pasquier a dit de lui « Je n’ai jamais connu un homme, qui eût moins le sentiment du juste et de l’injuste. Tout lui semblait bon et bien, pourvu que ce fût une conséquence d’un texte ». Au 18 Fructidor, celui que Toullier appelait le prince des jurisconsultes prépara avec les Directeurs, qui firent ce coup d’État, le projet de loi qui prononça la déportation d’un grand nombre de membres du Conseil des Cinq-cents, du Conseil des anciens et de deux directeurs modérés, Carnot et Barthélemy. Ayant été consulté par une commission militaire sur le point de savoir si elle devait accorder un défenseur à un émigré qui le demandait, Merlin, alors ministre de la justice sous le Directoire, répondit que la loi avait voulu interdire aux émigrés toute défense ; c’était la reproduction de la phrase de Robespierre : « On ne donne de défenseurs qu’aux patriotes ».

Cambacérès rédigea les décrets qui organisèrent le Tribunal révolutionnaire. Le futur ministre de la justice de l’Empire demanda à la Convention la nomination d’un ministère révolutionnaire et la réunion de tous les pouvoirs entre les mêmes mains.

Un grand nombre d’autres jurisconsultes ont accepté la mission de donner une apparence de légalité à des mesures d’exception et de justifier la violation des règles judiciaires dans les procès politiques. Les jurisconsultes qui siégeaient au Sénat du second empire ont vote la loi de sûreté générale, tandis qu’un soldat, le maréchal de Mac-Mahon, a refusé de la voter.

La science des lois doit être accompagnée d’une haute raison, d’un esprit philosophique. Portalis, Troplong, Renouard, Faustin Hélie ont, de nos jours, possédé cet esprit philosophique ; mais, trop souvent les jurisconsultes, esclaves des textes, les commentent sans esprit critique. Aussi, ce sont les philosophes, et non les jurisconsultes, qui ont fait faire les plus grands progrès à la législation. Au XVIIIème siècle, Voltaire et Beccaria ont plus contribué à la réformation du droit criminel que tous les jurisconsultes de la même époque.

Les lois les plus injustes ont été votées par les assemblées politiques avec la plus grande docilité. Tous les despotes, les empereurs romains, Henri VIII d’Angleterre, Robespierre, le Directoire, Napoléon Ier, trouvèrent dans les corps politiques un appui sans réserves pour toutes les lois qu’ils proposèrent. Quand Henri VIII d’Angleterre « désirait se délivrer de ses femmes, le Parlement lui prêtait son concours ; quand il avait envie de faire mourir ses ministres, le Parlement les condamnait sans jugement ; lorsque enfin il lui prit fantaisie de rendre des lois de sa seule volonté, le Parlement l’autorisa à le faire », écrivit John Russel.

Lorsque le premier décret contre les émigrés fut présenté, aucune voix ne s’éleva contre l’injustice des mesures proposées. La Convention, qui tremblait devant Robespierre, vota sans délibérer les 22 articles de la loi du 29 Prairial, qui accélérait les assassinats judiciaires, puis essaya d’annuler ce qu’elle avait voté. Quand le 18 Fructidor, le Directoire présenta aux Cinq-Cents et aux Anciens les lois de proscription, aucune voix ne s’éleva contre leur adoption. Plus tard, après l’explosion de la machine infernale, le Sénat vota avec la même docilité la proscription de 130 démocrates faussement accusés par Fouché de cette conspiration et déclara « que la résolution du Premier consul était une mesure conservatoire de la Constitution » (Fouché livra ces 130 démocrates, en sachant qu’ils étaient innocents, pour sauver sa situation. Le Premier consul connut plus tard la vérité mais ne témoigna aucun regret. Thiers observe « qu’il trouva que ce qu’on avait fait était bien fait de tous points ; qu’il était débarrassé de ce qu’il appelait l’état-major des Jacobins »).

En 1814, le même Sénat, qui avait été si docile, vota la déchéance de l’empereur et fit précéder son vote d’un acte d’accusation contre lui. Le projet de Constitution qu’il adopta fut voté à l’unanimité ; parmi ceux qui le votèrent se trouvaient des régicides.

Les passions qui agitent les assemblées ne leur permettent pas d’écouter la raison dans le vote des lois qui leur sont soumises. Pour rendre la justice, comme pour faire les lois, il faut le calme, le sang-froid, l’impartialité. Or, les assemblées sont passionnées ; la peur, la vanité, la colère, la haine, prennent dans une réunion d’hommes une intensité extraordinaire.

Aristote me parait se tromper, quand il dit que les hommes réunis sont plus sages que les hommes pris isolément et que leur sagesse augmente avec le nombre. « Quand l’individu, écrit-il est subjugué par la colère ou toute autre passion, il laisse de toute nécessité fausser son jugement. Mais il serait prodigieusement difficile que, dans le même cas, la majorité tout entière se mit en fureur ou se trompât... On peut admettre que la majorité, dont chaque membre, pris à part, n’est pas un homme remarquable, est cependant au-dessus des hommes supérieurs, sinon individuellement, du moins en masse, comme un repas à frais communs est plus splendide que le repas dont une personne seule fait la dépense ». Si les lumières d’une assemblée augmentaient avec le nombre, comme la splendeur d’un dîner à frais communs avec le nombre des convives, les assemblées nombreuses seraient plus sages, plus éclairées et voteraient de meilleures lois. Or, en fait, c’est le contraire qui a lieu ; la valeur d’une assemblée n’augmente pas avec le nombre des membres qui la composent ; au contraire, plus une assemblée est nombreuse, moins elle fait une besogne utiles.

Devançant les observations faites par les psychologues contemporains sur le caractère des assemblées politiques, Aristophane, contrairement à l’avis d’Aristote, pense que les hommes réunis valent moins que pris isolément, que leurs passions s’exaltent avec le nombre et que leur raison diminue quand ils font partie d’une foule (Caton comparaît les Romains, réunis en une assemblée, à un troupeau de moutons).

Dans les assemblées nombreuses, les violents intimident les modérés et se servent d’eux pour faire voter des lois de proscription et de spoliation. N’a-t-on pas vu les Girondins, par faiblesse, par crainte de l’impopularité, voter la mort de Louis XVI, qu’ils voulaient sauver, et, malgré leur amour de la liberté, voter la création du Tribunal révolutionnaire et du comité de Salut public, ces deux instruments de la plus odieuse tyrannie ? Les membres de la Plaine et du Marais devinrent par peur régicides et révolutionnaires ; ils furent les instruments dociles de Robespierre, qui les protégeait. Les violents ne parviendraient pas à faire voter des lois de proscription et de spoliation, s’ils n’avaient pas pour auxiliaires des modérés sans caractère, votant des lois, que dans leur for intérieur ils désapprouvent.

Les discussions d’affaires, dans une assemblée nombreuse, sont toujours décousues et incohérentes. Les questions sont plus utilement étudiées dans les bureaux qu’à la tribune. Le véritable travail se fait dans les commissions par des hommes rompus aux affaires, ayant des connaissances spéciales. Les beaux parleurs prennent trop d’influence dans une réunion nombreuse, tandis que les hommes de science et de conscience n’y occupent pas la place qu’ils méritent, parce qu’ils parlent sans passion, sans autre souci que la recherche de la vérité et de la justice. Lorsque les chefs du parti catholique et du parti protestant se réunirent à Poissy, le chancelier de L’Hospital pria la reine de dissoudre cette assemblée, parce qu’elle était trop nombreuse, trop passionnée, et de la remplacer par cinq députés de chaque parti.

Une assemblée nombreuse est soumise aux entraînements de la foule ; elle aime les discours abondants et sonores, elle écoute volontiers les orateurs qui flattent ses passions ; à l’homme qui sait, elle préfère souvent l’homme qui plait. « Les orateurs, dit Rivarol, sont les passions des grandes assemblées ». Le talent de la parole n’est pas toujours accompagné de jugement, les beaux parleurs sont quelquefois plus préoccupés de l’effet à produire que du fond de la question débattu. Napoléon Ier disait qu’ « ils n’ont pas de logique et discutent pitoyablement ». De même que l’homme de guerre aime la bataille a cause des émotions qu’il y trouve, l’orateur éprouve un grand plaisir à parler et cherche dans les luttes oratoires des émotions agréables : le plaisir de vaincre un rival, de renverser un ministère et de prendre sa place, mais il se préoccupe peu de la vérité.

Le régime parlementaire, qui a de beaux côtés, a l’inconvénient de trop favoriser les orateurs, les avocats et les professeurs (à l’Assemblée législative, sur 715 députés, il y avait 400 avocats, qui n’occupaient pas les premiers rangs du barreau). Les hommes d’action et de pensée sont éclipsés par les hommes de parole ; les grandes renommées se font par des discours. La tribune est une garantie de la liberté politique ; lorsqu’elle est occupée par des orateurs tels que Royer-Collard, Martignac, de Serre, Guizot, Thiers, J . Simon, elle fait l’éducation du pays, elle éclaire l’opinion. Mais à côté de ces grands orateurs, qui joignent la solidité de la pensée, la connaissance des affaires au talent de la parole, que de moulins à paroles, que de cymbales retentissantes ont occupé la tribune ! Que de discours dont on peut dire Verba et voces praetereaque nihil ! (Des mots et des paroles, au-delà rien !) Que d’orateurs vaniteux et maladroits, dans les moments critiques, demandent au gouvernement des explications qui peuvent créer de grosses difficultés ! Que de députés, atteints d’une incontinence de paroles, font des phrases et cherchent l’esprit dans les circonstances les plus graves ! Depuis que j’ai l’honneur d’entrer au Sénat, dit un personnage de « Sir Politick » (une comédie de Saint-Évremont), j’ai observé que l’envie de faire voir notre esprit et la vanité de bien parler nous tirent souvent hors du sujet, dont il est question, pour nous jeter en des choses générales, dont il ne s’agit pas. Mme de Staël a observé, à l’occasion du procès de Louis XVI, que cc qu’on avait le plus de peine à concevoir était l’abondance de paroles que les députés prodiguaient dans une discussion aussi solennelle : « Quelle persistance de vanité dans une telle scène ! ».

Quelles lois peuvent être faites par des assemblées nombreuses, dont les membres ne sont pas préparés à leur rôle de législateurs et sont principalement occupés de leurs intérêts électoraux ! Ils entassent les lois sur les lois, les défont et refont sans cesse, suivant l’intérêt du moment. Les lois ne sont plus gravées sur le marbre, ni sur le bronze, mais écrites sur de la cire et sur du sable tant elles durent peu. Cette mobilité affaiblit leur autorité.

Les lois sont votées, sans être étudiées, sans être coordonnées avec les lois antérieures. C’est pitié de voir des législateurs inexpérimentés, quelquefois imberbes, et même peu familiarisés avec l’orthographe, bouleverser la législation, abroger des lois utiles, voter des lois inutiles ou funestes, après des discussions désordonnées, où ils s’injurient et soutiennent ou combattent les projets de lois pour des motifs purement politiques. Pourquoi ne pas renvoyer au conseil d’État les propositions de loi, qui sont dues à l’initiative parlementaire ? Pourquoi ne pas les faire examiner par des hommes qui ont fait une étude spéciale de la législation ? Pour faire une paire de chaussures, il faut un apprentissage ; il en faut un pour rédiger un texte législatif. Si les cordonniers faisaient les habits et les tailleurs les souliers, on serait mal chaussé et mal habillé.

L’instabilité législative est un des écueils de la démocratie ; elle a été, depuis longtemps, signalée aux États-Unis par Hamilton, Jefferson et Madisson, qui en gémissaient. Mais ce qu’il y a de plus triste encore, c’est l’emploi de manœuvres frauduleuses, pour obtenir le vote des lois. Des voix, nécessaires pour former la majorité, sont quelquefois obtenues par la corruption, par la fraude et par le faux.

Pendant que la législation est bouleversée par les lois inutiles ou mauvaises, les réformes nécessaires sont ajournées. Pourquoi, disent les politiciens, modifier la loi sur les débits de boissons ? Les débitants de boissons sont de si bons agents électoraux ! Pourquoi réformer la loi électorale, de manière à permettre la représentation des minorités? Il est si agréable d’opprimer nos adversaires ! Pourquoi supprimer les abus, dont nous profitons ? À la veille de la Révolution, lorsqu’il était question de réformes, un fermier général disait de même : « Pourquoi changer nous sommes si bien ».

Signe de fin