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LE LÉGALISME DU DROIT PÉNAL

par W. Jeandidier
«  Droit pénal général » (2° éd., 1991)

LE PRINCIPE DE LA LÉGALITÉ CRIMINELLE

76 — Un droit fait pour la loi — Le mythe de la loi est un héritage de la Révolution et son culte est particulièrement vivace en droit pénal. A cela rien d’étonnant : c’est en droit pénal que les enjeux sont les plus graves, et c’est en droit pénal que les garanties les plus strictes doivent être érigées. La loi, expression de la volonté générale, revêt ici une importance inégalée qui prend le visage du célèbre principe de la légalité criminelle …

77 — Quelques précisions — Ce principe est généralement connu sous l’appellation de principe de la légalité des délits et des peines ; quoique courante, cette expression n’est pas pleinement satisfaisante car elle laisse croire que le principe de la légalité ne concerne que le droit pénal au sens strict et non les autres branches du droit criminel, ce qui est inexact. L’explication de cette formulation imparfaite tient sans doute à la lettre de l’article 4 du Code pénal (de 1810) aux termes duquel « nulle contravention, nul délit, nul crime, ne peuvent être punis de peines qui n’étaient pas prononcées par la loi avant qu’ils fussent commis ». L’adage latin qui résume la règle est de même nature « Nullum crimen, nulla poena sine lege ».

En réalité, comme le souligne une partie de la doctrine, le principe de légalité doit dominer le droit criminel tout entier et notamment la procédure pénale, ce que n’exprime pas l’article 4 C.P. Sans doute la remarque est-elle d’une absolue rectitude, mais pour revenir au Code pénal il est difficile de lui reprocher de n’envisager l’application du principe qu’aux lois de fond puisque tel est son seul domaine. D’ailleurs les Avants-projets et le Projet de Code pénal reprennent une formulation limitée de la règle. A titre d’exemple l’article 111-2 alinéa 1 du Projet de Code pénal de 1986 énonce que « la loi détermine les crimes et les délits et fixe les peines applicables à leurs auteurs » et l’article 111-3 énonce que « nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi... nul ne peut être frappé d’une peine qui n’est pas prévue par la loi ».

Afin de mieux prendre conscience du caractère fondamental du principe de légalité il convient de l’analyser sous son aspect le plus complet, englobant ainsi droit pénal et procédure pénale. Seront successivement abordés constitution (Section 1), signification (Section 2) et évolution du principe (Section 3).

Section I - La constitution du principe

§ 1 - Histoire du principe

78 — Une irrésistible ascension — Contrairement à ce que l’on serait tenté de croire, le principe n’était pas complètement ignoré avant 1789. Ainsi le droit romain le prévoyait pour les crimes et au Moyen-Age certaines chartes devaient faire de même. L’Ancien Régime a laissé en la matière une impression défavorable avec le fameux adage aux termes duquel « les peines sont arbitraires en ce Royaume » ; et le souhait le plus cher exprimé par la voix populaire à la fin de la royauté a été que « Dieu nous garde de l’équité des Parlements » !

Il serait cependant excessif de penser que l’Ancien Régime a vécu sous la règle du bon plaisir du juge. « L’arbitraire n’est pas la fantaisie, ni la voie ouverte à l’imagination plus ou moins morbide des juges » (Laingui et Lebigre, Histoire du droit pénal, t. I, 130). Édits et ordonnances du roi avaient en effet prévu de nombreuses infractions avec des peines précises que les juges ne pouvaient ignorer. De surcroît l’usage constant d’une solution par les tribunaux avait créé sur maintes questions une coutume scrupuleusement respectée. Le recours à l’arbitraire des juges n’avait lieu que si aucune peine n’était édictée : la sanction dépendant alors de l’arbitraire, c’est-à-dire de la prudence des magistrats. Le Parlement de Paris ainsi infirma en 1456 une sentence du Châtelet ayant condamné un individu à être noyé ; la peine de mort par noyade était à cette époque tombée en désuétude, et le Parlement décida de lui substituer un emprisonnement à durée indéterminée. On le voit, l’arbitraire était loin de ressembler à la caricature qu’en ont dressée ses détracteurs et il en allait de même naturellement dans le domaine procédural. Toutefois les abus n’étaient malheureusement pas inconnus. Utilisant la technique de la peine par analogie, les juges pouvaient par ce procédé tourner la règle pourtant établie aux XVIIl° et XVIII° siècles interdisant de prononcer la peine capitale sans texte exprès. Un prêtre ayant entretenu des rapports coupables avec certaines de ses pénitentes fut par exemple condamné pour inceste spirituel à être pendu et brûlé par arrêt du Parlement de Paris du 22 juin 1673.

On comprend dès lors que plusieurs penseurs du XVIII° siècle se soient émus et aient vu dans le principe de la légalité le rempart des droits de l’homme, et les écrits de Montesquieu et de Beccaria sont notamment demeurés célèbres. C’est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 27 août 1789 qui proclame pour la première fois le principe. Son article 5 édicte que « tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint de faire ce qu’elle n’ordonne pas ». L’article 8 de la Déclaration dispose que « la loi ne peut établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légale-ment appliquée ». En matière procédurale l’article 7 déclare que « nul homme ne peut être arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et dans les formes qu’elle a prescrites ». Par la suite le principe a été réaffirmé par les Constitutions de 1791 (art. 8 et 10), de 1793 (art. 14) et de l’an III (art. 14), puis par le Code pénal de 1810 dans son article 4. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 consacre elle aussi la règle dans ses articles 9, 10 et 11 ; tout comme la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950 dans ses articles 5 et 7 et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 en son article 15. Ces derniers textes montrent le retentissement immense du principe au niveau international. D’ailleurs de nombreux pays devaient l’adopter dès le XIX° siècle ; et si le Royaume-Uni et les Etats-Unis ne l’ont pas expressément formulé, cela ne signifie pas pour autant que ces deux pays sont régis par l’arbitraire, car le système du précédent judiciaire qui leur est propre est une barrière efficace contre les risques d’abus.

§ 2 - Justification du principe

79 — Un solide trio — On avance traditionnellement en faveur du principe trois arguments essentiels.

Le premier, d’ordre psychologique, est plus particulièrement propre au droit pénal. Il faut que la loi avertisse avant de frapper afin que le citoyen sache avant d’agir ce qui est interdit et ce qui est permis. La préexistence de la norme exerce sur les individus une sorte de contrainte psychologique pouvant contrecarrer leurs penchants délictuels. Elle indique également à chaque citoyen la mauvaise ligne de conduite et par voie de conséquence le droit chemin. Bref la loi éduque le citoyen en cherchant à l’intimider.

Le deuxième argument est d’ordre politique : vivant en société, les individus ne doivent cependant pas être trop brimés par la collectivité sous peine de perdre toute liberté et toute indépendance, et ce conflit ne peut qu’être réglé par la loi, expression de la volonté générale. On retrouve là la construction classique du contrat social : fixées par la loi, les incriminations, leurs sanctions ainsi que les formes du procès devant conduire au prononcé de celles-ci sont présumées acceptées, voulues par chaque citoyen.

Enfin en vertu du troisième argument le principe de la légalité criminelle doit être éclairé par la théorie de la séparation des pouvoirs. Il revient au seul législateur de limiter les libertés des individus. Le pouvoir exécutif ne saurait y prétendre car il n’est pas l’émanation directe de la volonté populaire ; en outre ses activités sont dominées par des impératifs de sûreté difficilement compatibles par essence avec le postulat de l’équilibre entre les droits du citoyen et ceux de la collectivité. Il faut pareillement écarter le pouvoir judiciaire à qui il incombe de trancher uniquement des litiges particuliers dans le strict respect de la loi. Le juge, qui est un rouage de l’État, ne saurait à l’occasion d’un procès poser des règles générales, c’est-à-dire légiférer par arrêt de règlement, imposant de la sorte aux citoyens un droit auquel par hypothèse ils n’auraient consenti d’aucune façon.

§ 3 - Force du principe

80 — La consécration — Devant tant de bonnes raisons on s’est depuis longtemps demandé si le principe de légalité ne devait pas avoir une force maximale en ayant valeur de règle constitutionnelle. D’anciens auteurs comme Garçon et Garraud le pensaient déjà. Les préambules des Constitutions de 1946 et 1958 ont depuis solennellement proclamé leur attachement aux principes posés par la Déclaration de 1789 et le Conseil constitutionnel a confirmé la force constitutionnelle du principe en s’appuyant sur l’article 8 de ce texte dans plusieurs décisions (voir par exemple : Cons. const. 19-20 janv. 1981, J.C.P. 1981, II 19701, note Franck ; Favoreu et Philip, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 4° éd., n° 34 ; Cons. const. 10-11 oct. 1984, Favoreu et Philip, op. cit., n° 40).

Cette consécration n’a toutefois pas la portée totale à laquelle elle serait en droit de prétendre, car le juge se refuse à contrôler la constitutionnalité d’une loi. Les tribunaux judiciaires se voient ainsi contraints d’appliquer une loi qui pourrait être contraire au principe de la légalité et donc à la Constitution. Il y a là sans doute une fâcheuse inconséquence. Le contrôle du Conseil constitutionnel s’exerçant avant la promulgation, tout repose en définitive sur la vigilance des titulaires du droit de saisir cette haute instance. Celle-ci a d’ailleurs jugé que la conformité d’une loi à la Constitution peut être contestée lors de l’examen de dispositions législatives qui la modifient (Cons. const., 25 janv. 1985, D. 1985, 361, note Luchaire).

Section II - La signification du principe

§ 1 - Le principe s’impose au législateur.

81 — Un monopole — En premier lieu seul le législateur a le pouvoir d’instituer des règles pénales de fond ou de forme. La loi occupe donc en matière criminelle une place prééminente et elle doit surclasser les autres sources du droit : ni le pouvoir exécutif, ni le pouvoir judiciaire ne peuvent créer des incriminations ou fixer les règles du procès pénal. Dans sa décision précitée des 19-20 janvier 1981 relative à la loi Sécurité et liberté le Conseil constitutionnel a ainsi affirmé qu’il ne lui appartient pas de substituer sa propre appréciation à celle du législateur en ce qui concerne la nécessité des peines attachées aux infractions définies par celui-ci (dans le même sens, voir également Cons. const. 3 sept. 1986, J.O. 5 sept., p. 10789).

Tout au plus, pour des raisons matérielles compréhensibles, le pouvoir exécutif pourra-t-il intervenir en droit pénal en vue d’établir des incriminations mineures, sur délégation du législateur gardant au demeurant la haute main sur les pénalités. L’ancien article 471-15° C.P. illustre le phénomène, sanctionnant de peines contraventionnelles « ceux qui auront contrevenu aux décrets et arrêtés légalement faits par l’autorité administrative ou aux arrêtés publiés par l’autorité municipale ».

On précisera enfin que le principe de la légalité criminelle n’interdit pas au législateur d’ériger en infraction le manquement à des obligations qui ne résultent pas de la loi elle-même. Dans une décision du 10 novembre 1982, le Conseil constitutionnel en a ainsi jugé au sujet d’une loi prévoyant que la méconnaissance par une personne des obligations résultant d’une convention collective est pénalement sanctionnée. La détermination des infractions et des peines, monopole du législateur, n’avait pas été en l’occurrence méconnue (Cons. const., 10 nov. 1982, Droit social, 1983, 155, note Hamon). Il importe à cet égard de savoir que trois éléments sont à distinguer (v. Detragiache-Troper, Des prescriptions de nature réglementaire correctionnellement sanctionnées, A.J.D.A., 1978, 411 s.) : l’obligation — ce qui est prescrit —, l’incrimination — par laquelle la violation de l’obligation est punie d’une sanction — et la sanction. Ce sont les deux derniers éléments qui sont du ressort exclusif du législateur.

82 — Des textes clairs — En second lieu le principe de la légalité impose au législateur l’élaboration de textes clairs et précis. Il est évident qu’une incrimination vague ôte toute garantie aux citoyens et les laisse en particulier à la merci de l’arbitraire du juge. Récemment à diverses reprises le Conseil constitutionnel a été conduit à censurer certaines dispositions adoptées par le Parlement en violation de cet impératif.

Ainsi l’article 28 de la loi du 23 octobre 1984 — loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse — punissait d’assez lourdes amendes l’inobservation des dispositions de l’article 6 de la même loi ; or ce texte ne précisait pas à quelle personne — cédant ou cessionnaire — incombait l’obligation d’insertion qu’il posait. Le Conseil constitutionnel annula pour non-conformité à la Constitution l’article 28, l’infraction qu’il portait étant « édictée en méconnaissance du principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines puisque la détermination de son auteur est incertaine » (Cons. const. 10-11 oct. 1984, préc. supra, n° 80). Autre exemple : dans sa décision du 18 janvier 1985 (D. 1986, 426), le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme à la Constitution comme contraire au principe de précision des incriminations l’article 207 de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises. Cet article 207 punissait des peines de l’abus de confiance aggravé (art. 408, al. 2 C.P.) « tout administrateur, représentant des créanciers, liquidateur ou commissaire à l’exécution du plan qui se rend coupable de malversation dans l’exercice de sa mission ». Depuis lors le législateur, avec la loi n° 85-1407 du 30 décembre 1985 (art. 85), a rétabli l’article 207 de la loi du 25 janvier 1985 en abandonnant ce concept trop imprécis de malversation, pourtant adopté par l’ancienne loi du 14 juillet 1967 en son article 146, non attaqué en temps utile.

Satisfait en revanche aux exigences constitutionnelles la loi qui édicte des règles particulières pour la poursuite, l’instruction, le jugement et les peines applicables concernant certains faits, du moment que cette loi renvoie à des infractions elles-mêmes définies par le Code pénal ou par des lois spéciales en termes suffisamment clairs et précis (Cons. const. 3 sept. 1986, décision n° 86-213, J.O. 5 sept., 10786).

83 — Une garantie d’équilibre — En matière procédurale, la loi doit assurer l’équilibre du procès pénal, c’est-à-dire, négativement, éviter l’écrasement de la partie poursuivie par la partie poursuivante. Un texte moderne comme la Convention européenne des droits de l’homme est significatif à cet égard, son article 6 exigeant ainsi un procès équitable.

Cela signifie notamment une procédure contradictoire, publique (au moins au stade du jugement). Le respect des droits de la défense est essentiel, nul ne pouvant être jugé sans avoir la possibilité d’être assisté par un défenseur. De surcroît, on ne saurait trop insister sur le dogme de la présomption d’innocence qui ne tombe qu’avec le jugement définitif reconnaissant la culpabilité de la personne poursuivie.

Au stade préparatoire de l’instruction, l’office majeur du législateur est de n’autoriser que les atteintes strictement indispensables à la liberté en réglementant le plus minutieusement possible la détention provisoire.

Enfin, un procès général équilibré est un procès qui organise des voies de recours. Au niveau de l’instruction préparatoire, la protection de la liberté est notamment à ce prix. Au niveau du jugement, il faut en particulier prévenir au mieux le risque d’erreur judiciaire.

§ 2 - Le principe s’impose au juge

84 — Appliquer le bon texte — S’agissant d’abord des incriminations, dans chaque affaire les autorités de poursuite, d’instruction et de jugement ont le devoir de rechercher la disposition légale qui est précisément applicable au fait poursuivi ; elles doivent ainsi opérer la qualification correcte de ce fait.

Il est donc de la plus haute importance que le juge prononçant une peine constate dans sa décision les éléments constitutifs exigés par la loi pour que le fait soit punissable (Crim. 23 juin 1964, D. 1964, 579). Si le fait considéré n’est pas prévu par la loi, il ne peut y avoir poursuite ni condamnation (Crim. 16 juin 1981, D. 1982, 190, note Sfez — censurant une cour d’appel qui avait mis à la charge d’une prévenue une obligation à laquelle elle n’était tenue par aucun texte légal — ; Crim. 24 nov. 1983, B. n° 315 — approuvant une décision de relaxe à raison de faits n’entrant dans les prévisions d’aucun texte répressif —).

Dans le même ordre d’idées les juges ne peuvent invoquer l’usage ni la coutume pour créer une incrimination ou la déclarer disparue sous le prétexte qu’elle n’est plus appliquée (Crim. 4 févr. 1898, S. 1899, 1, 249, note Roux, approuvant une cour d’appel d’avoir jugé toujours en vigueur des dispositions légales servant de fondement aux poursuites qui étaient demeurées sans application depuis près d’un demi-siècle) ou qu’elle n’est plus en harmonie avec les mœurs de l’époque présente (Trib. corr. Bobigny 22 nov. 1972, G.P. 1972, 2, 890: ce jugement, rendu en matière d’avortement, adopte une position non dénuée d’ambiguïté puisqu’il relaxe une adolescente s’étant fait avorter en raison des contraintes auxquelles elle n’avait pu résister et qu’il relaxe ou condamne à des peines de principe la mère avorteuse et ses complices ;; mais les apparences du moins sont sauves, la juridiction se gardant de déclarer abrogée la loi incriminant l’avortement).

De surcroît le principe de la légalité interdit au juge pénal d’interpréter les textes répressifs d’une façon extensive : il est par exemple impossible de déclarer punissable un individu dont le comportement, quoique marginal ou asocial, serait ignoré de la loi. Néanmoins cette interdiction est tempérée par certaines exceptions : l’interprétation large des textes favorables au prévenu est admise et le juge est par ailleurs tenu d’adapter un texte ancien aux nécessités de la vie actuelle sous peine d’entraver par trop une juste répression.

85 — Prononcer la bonne sanction — Le principe de la légalité limite encore singulièrement les pouvoirs du juge au sujet des sanctions. Ainsi le juge ne saurait prononcer une peine dépassant le maximum légal (Crim. 19 déc. 1983, B. n° 168 ; 14 nov. 1988, B. n° 386 ; 18 oct. 1990, J.C.P. 1991, IV, 29) ou inférieure au minimum légal sans constater l’existence de circonstances atténuantes (Crim. 3 avr. 1973, B. n° 168 ; 25 nov. 1987, B. n° 432). De même le juge ne peut adjoindre une peine à une loi — dite imparfaite — qui aurait omis de prévoir elle-même les pénalités attachées à l’inobservation des normes qu’elle édicte (Crim. 22 mars 1955, D. 1955, 418) ni décider pour les peines qu’il prononce des modalités d’exécution ignorées de la loi (Crim. 8 févr. 1977, J.C.P. 1978, II, 18890, note Larguier ; 6 juin 1990, B. n° 228).

A plus forte raison le juge n’a pas le pouvoir d’inventer des peines : ainsi au début du siècle dernier certains tribunaux avaient voulu imposer à des condamnés l’obligation de faire amende honorable, solution censurée par la Cour de cassation (Crim. 23 août 1810 ; B. n° 103).

Pareillement il n’est pas possible de condamner un individu, en vue d’une confiscation par équivalent, au versement d’une somme représentative de fonds n’ayant pu être saisis lors de poursuites pour réception de paris clandestins (Crim. 19 janv. 1978, B. n° 21).

Récemment il a également été jugé que les tribunaux ne peuvent prononcer une peine complémentaire non prévue par la loi (Crim. 22 mai 1986, B. n° 167 ; 12 juin 1989, B. n° 252 ; 5 fév. 1990, B. n° 63) — quand bien même celle-ci serait-elle affectée d’une regrettable malfaçon (Crim. 12 mars 1990, B. n°115) — ou qu’ils ne peuvent ajouter à l’emprisonnement seul comminé par la loi une peine d’amende (Crim. 20 oct. 1986, B. n° 292). Il est surprenant, en tout cas, que des erreurs aussi grossières continuent d’être commises.

Enfin il est évident que le juge ne peut s’arroger le pouvoir de substituer à des peines anciennes devenues inapplicables des peines tirées de l’arsenal moderne même très proches par leur nature : les travaux forcés ne sauraient ainsi remplacer les galères (Crim., 30 avr. 1874, S. 1874, 1, 236, rapport Baudouin et conclusions Bedarrides).

Section III - L’évolution du principe

86 — Le vent de la contestation — Longtemps admis sans discussion, le principe de la légalité criminelle n’en a pas moins fait l’objet de vives critiques à partir de la fin du XIX° siècle dans le domaine du droit pénal de fond. L’École positiviste est à l’origine de ce mouvement de contestation qui n’a depuis cessé d’avoir des adeptes et, chose plus grave, qui a donné jour à des réalisations concrètes.

On a d’abord reproché au principe sa rigidité, cause de failles inacceptables dans l’œuvre répressive : puisqu’il est tenu de définir strictement les infractions, le législateur laisse inévitablement échapper parfois des actes inadmissibles perpétrés par des individus astucieux. On songe alors au cliché du délinquant qui profite d’un séjour en prison pour acquérir pleine connaissance des textes pénaux afin, une fois sa liberté retrouvée, de tirer parti des lacunes et insuffisances qu’il aurait découvertes. D’où des propositions, soit d’assouplir le principe notamment par le biais de l’interprétation analogique, soit carrément de l’abandonner.

Un autre grief adressé au principe de légalité a été l’indifférence, dans la détermination des peines, au caractère plus ou moins dangereux du délinquant. Or il y a des individus qui demeurent dangereux pour la société après avoir exécuté la peine qui les a frappés et il semble préférable d’avoir recours en pareille occurrence à des sanctions de durée extensible à loisir. Ces critiques ont eu des échos en plusieurs pays. L’Allemagne hitlérienne ou l’Union soviétique d’avant 1959 n’ont pas hésité à bannir le principe de légalité qui ne pouvait qu’entraver leur politique d’élimination de toute personne suspectée de ne pas adhérer à la doctrine officielle.

D’autres pays, sans aller aussi loin, ont apporté au principe des dérogations souvent importantes qui en démontrent l’irréversible déclin ; la France est de ceux-là …

Signe de fin