DICTIONNAIRE DE DROIT CRIMINEL
- Professeur Jean-Paul DOUCET -
Lettre E
(Neuvième partie)
ERGA OMNES
Erga omnes est une locution latine signifiant : à l’égard de tous. On dit ainsi qu’une décision pénale a autorité de chose jugée erga omnes, quant à l’existence ou à l’absence d’un acte délictueux, et quant à l'imputabilité ou la non-imputabilité de cet acte à celui qui a été jugé.
Villey (Cours de droit criminel) : L’interruption de la prescription est réelle, elle agit erga omnes, même à l’égard de ceux qui ne seraient pas impliqués dans les actes d’instruction ou de poursuite.
Code d'instruction criminelle du Luxembourg. Note sous l'art. 3 : Le principe de l'autorité erga omnes d'un jugement de condamnation en matière répressive interdit au juge social de méconnaître ce qui a été nécessairement décidé au pénal (Cass. 2 février 1978, 24, 67).
Cass.crim. 14 août 1940 (Gaz.Pal. 1940 II 127) : Les décisions de la justice pénale ont au civil l’autorité de la chose jugée erga omnes en ce qui concerne l’existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l’innocence de ceux à qui ce fait est imputé.
Limoges 28 février 1995 (D. 1995 IR 116) : La décision d’une juridiction administrative déclarant illégal un texte réglementaire a effet erga omnes, et tout administré peut donc s’en prévaloir.
ERGASTULE
Cf. Cachot*, Geôle*, Prison*.
L’ergastule était, à Rome, le local privé où les esclaves punis étaient détenus. Par extension on donnait aussi parfois ce nom au lieu où étaient enfermés certains condamnés ; mais la prison d’État était plutôt désignée par le mot carcer (d’où incarcération).
Bourg Saint-Edme (Dictionnaire de la pénalité) : Ergastule. Lieu souterrain, ou cachot qui ne recevait le jour que par des soupiraux étroits, où les Romains renfermaient à leurs campagnes les esclaves condamnés pour quelques forfaits aux travaux les plus pénibles. Un ergastule pouvait contenir jusqu'à quinze hommes. On y précipita par la suite d'honnêtes gens, qu'on enlevait et qui disparaissaient de la société sans qu'on sût ce qu'ils étaient devenus. Ce désordre détermina Hadrien à faire détruire ces lieux.
Mommsen (Droit pénal romain) : L’incarcération exige, en cas d’application permanente, un local qui lui soit affecté. Tandis que, dans la vie de la domus, l’enceinte des esclaves, l’ergastulum, a servi de tout temps dans ce but ; il est vraisemblable qu’une prison publique n’a été établie à Rome que relativement tard (carcer).
Taine (Les origines de la France contemporaine) : La religion avait prêché la résignation, inspiré la patience, la douceur, l'humilité, l'abnégation, la charité, ouvert les seules issues par lesquelles l'homme étouffé dans l'ergastule romain pouvait encore respirer et apercevoir le jour.
ÉROTISME - Voir : Pornographie*.
ÉROTOMANIE (Érotomane) - Voir : Démence*, Manie*.
ERRATUM (Errata)
Cf. Application de la loi dans le temps*, Loi*.
Les errata sont les rectifications que l'administration apporte au texte d'une loi qu'elle a publiée, pour corriger les fautes qui se sont glissées dans le document diffusé. S'ils tendent effectivement à restituer le texte officiel dans son intégrité, les rectificatifs produisent immédiatement effet. En revanche, s'ils modifient la portée de la loi promulguée, ils doivent être tenus pour inopérants.
Marty et Raynaud (Droit civil) : La jurisprudence judiciaire s'est fixée en ce sens qu'un rectificatif est sans valeur légale lorsqu'il apparaît non pas comme destiné à réparer une simple erreur matérielle ou une erreur évidente, mais comme une disposition nouvelle ayant pour but de modifier la portée du texte primitivement publié.
Cass.crim. 28 mai 1968 (Bull.crim. n° 177 p.428) : Un rectificatif a valeur légale lorsqu'il apparaît comme destiné à réparer une simple erreur matérielle ou une omission évidente, et non comme une disposition nouvelle destinée à modifier la portée du texte primitivement publié au Journal officiel.
Cass.crim. 7 février 1961 (Gaz.Pal. 1961 I 260) : Est régulière la modification apportée à l'art. 498 C.pr.pén. par le rectificatif publié au Journal officiel du 25 février 1959, car loin d'altérer la substance de cet article, elle ne fait qu'exprimer clairement une solution qui, à défaut de ce modificatif, eût été la même comme résultant nécessairement de la lettre et de l'esprit de la loi, et restituer ainsi à la disposition qu'elle concerne sa portée véritable.
Poitiers 18 octobre 1940 (Gaz.Pal. 1940 II 162) : La rectification par voie d'erratum d'une disposition législative régulièrement promulguée ne peut intervenir que s'il s'agit de réparer une simple erreur matérielle, et les juges ont à apprécier si l'existence d'une telle erreur est assez apparente dans le texte initial pour qu'il convienne de faire prévaloir sur ce dernier le texte corrigé.
ERREUR DE DROIT
Cf. Autorité légitime*, Bonne foi*, Conscience*, Dol général*, Éléments constitutifs de l’infraction*, Erreur de fait*, Ignorance*, Nul n'est censé ignorer la loi*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n° I-I-I-321, p.85
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Personne humaine » (4e éd.), n° II-236, p.342
- Principe. Celui qui, se trompant sur l’état du droit applicable, a commis un acte qui enfreint la loi, ne saurait normalement invoquer une telle erreur pour échapper aux poursuites pénales. Il est en effet de principe que "nul n’est sensé ignorer la loi".
Franck (Philosophie du droit pénal) : Toute loi est supposée connue ; c’est un axiome de droit que nul ne peut se justifier par l’ignorance de la loi.
Donnedieu de Vabres (Traité de droit criminel) : La règle en cette matière est que l’erreur de droit est inopérante ; elle ne fait pas disparaître la responsabilité. C’est l’application du vieil adage : nemo legem ignorare censetur. L’application de la loi ne saurait être subordonnée au zèle plus ou moins grand que les justiciables mettraient à la connaître.
- Règle morale. L'ensemble des moralistes s'entend toutefois pour distinguer entre l'erreur vincible et l'erreur invincible : la seconde, qui n'est pas entachée par une faute, est seule tenue pour exonératrice de la responsabilité morale.
Vittrant (Théologie morale) : L’ignorance invincible d’une obligation morale excuse de toute culpabilité et constitue ce que l’on appelle la bonne foi.
Baudin (Cours de philosophie morale) : L'ignorance et l'erreur invincibles sont les seules qui excusent de toute faute formelle.
- Science criminelle. Les jurisconsultes ont longtemps considéré que l'adage " nul n'est censé ignorer la loi " posait une présomption absolue, qu'un prévenu ne pouvait utilement combattre. Mais, admet-on généralement de nos jours, quand elle a été rendue inévitable par un cas de force majeure l'erreur de droit fait obstacle à l'existence de l'élément moral de l'infraction.
Denisart (Collection de jurisprudence, 1768) : L’erreur de droit n’est d’aucune considération ; étant publique, la loi doit être connue.
Carrara (Cours de droit criminel) : L'erreur de droit n'est jamais une excuse... À cette règle, on peut apporter une limitation modérée dans le cas de l'étranger arrivé depuis peu sur le territoire où règne la loi qu'il a violée ; il faut du reste que dans l'acte qu'il a commis se rencontrent deux conditions : 1°/ qu'il ne soit pas réprouvé par la morale ; 2°/ qu'il ne soit pas prohibé dans la patrie de cet étranger. C'est pourquoi cette exception est particulière aux dispositions de police, et difficilement applicable aux vrais délits.
Code pénal du Luxembourg, art. 71-2 : 8° L’ignorance de la loi pénale, si elle ne résulte pas de circonstances de force majeure, n’est pas une cause de justification… 9° L’erreur de droit constitue une cause de justification en matière répressive, lorsqu’en raison de circonstances spéciales à l’espèce elle apparaît comme invincible.
Code pénal suisse. Art. 20 : La peine pourra être atténuée librement par le juge à l’égard de celui qui a commis un crime ou un délit alors qu’il avait des raisons suffisantes de se croire en droit d’agir. Le juge pourra aussi exempter le prévenu de toute peine.
Code pénal de l'Uruguay. Art. 24 : L'erreur de droit est présumée volontaire sans que puisse être admise la preuve contraire, sauf s'il s'agit d'un manquement qui en raison de sa nature peut être considéré comme admissible.
- Droit positif français. Conforme à la doctrine moderne, l’art. 122-3 du nouveau Code pénal autorise un prévenu à invoquer pour sa défense une erreur de droit, quand il n’a pas été en mesure de l’éviter. Encore faut-il qu’il se soit heurté à un obstacle insurmontable.
Robert (Droit pénal général) : La lettre de l’art. 122-3 marque le caractère exceptionnel de la cause de non-imputabilité engendrée par l’erreur sur le droit. La preuve en incombe au prévenu, car ce n’est pas au ministère public de démontrer la clarté des lois, dont nul n’est censé ignorer la signification.
Cass.crim. 11 mai 2004 (Bull.crim. n° 113 p.437) : Pour bénéficier de la cause d’irresponsabilité prévue par l’art. 122-3 C.pén., la personne poursuivie doit justifier avoir cru, par une erreur de droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir le fait reproché.
Cass.crim. 24 novembre 1998 (Gaz.Pal. 1999 I Chr. crim. p. 52) : Pour faire bénéficier, à bon droit, de l'art. 122-3 C. pén. B..., gérant d'une entreprise de déménagements, poursuivi pour avoir, en violation de l'art. L.212-7 C. trav., toléré, à douze reprises en un mois, une prolongation excessive de la durée de travail effectif de ses salariés, le jugement attaqué relève que l'intéressé n'a fait qu'appliquer les clauses d'un accord professionnel élaboré sous l'égide d'un médiateur désigné par le Gouvernement et faisant référence au Code du travail.
ERREUR DE FAIT
Cf. Aberratio ictus*, Âge de la victime*, Bonne foi*, Conscience*,.Dol général*, Éléments constitutifs de l’infraction*, Erreur de droit*, Erreur sur la personne*, Ignorance*, Intention criminelle*, Putatif*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n° I-I-I-323, p.88
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Personne humaine » (4e éd.), n° II-110, p.268
Pour un exemple, voir le Cas pratique n° 40.
- Notion. Commet une erreur de fait celui qui, en agissant, ignore un élément essentiel de la situation dans laquelle il se trouve, ou se méprend sur un aspect du cas d’espèce.
Merle et Vitu (Traité de droit criminel) : L'erreur de fait, qui s'analyse en une méprise sur la matérialité de l'acte accompli, supprime le dol général.
Bertaut (Le directeur des confesseurs, Lyon 1674) : Tirer un coup d'arquebuse sur un homme, et le tuer, croyant raisonnablement que c'était une bête, ce n'est point péché.
Exemple (Ouest-France 4 novembre 2011) : Emportée par son élan, une femme de ménage du musée de Dortmund a détruit une œuvre d'art. Elle s'est mise en tête de récurer une baignoire en caoutchouc, placée sous des planches de bois empilées, et en a retiré la patine. Baptisée « Quand des gouttes d'eau commencent à tomber du plafond », l'œuvre était assurée pour 800.000 €. [on peut admettre ici l'erreur de fait, car seul un Docteur en Art moderne pouvait avoir conscience de se trouver en présence d'une œuvre d'art]
- Règle morale Lorsqu'elle ne résulte pas d'une faute de prudence ou d'attention, cette méconnaissance fait obstacle à la responsabilité morale.
St Thomas d'Aquin (Somme théologique) : Celui qui s'enivre est excusé du péché s'il ignore la force du vin .
Gousset (Théologie morale) : L'erreur de fait invincible constitue la bonne foi.
Héribert Jone (Théologie morale n° 17) : Celui qui, le vendredi, mais croyant être le jeudi, mange de la viande, ne pèche pas.
Burlamaqui (Principes de droit naturel) : Erreur de fait... l'erreur contractée par négligence, et dont on se serait garanti si l'on eût pris tous les soins et apporté toute l'attention dont on était capable, est une ignorance vincible et surmontable.
Baudin (Philosophie morale) : L'erreur vincible... p.ex. celle du médecin qui, plus ou moins conscient de son insuffisance, continue à expédier des malades : cette ignorance et cette erreur engagent la culpabilité en la déplaçant. Le médecin est directement coupable de son ignorance, à laquelle il a le devoir de remédier, et indirectement coupable des erreurs qu'elle entraîne et qu'il peut prévoir et prévenir.
- Science criminelle. Les juristes partent de la même idée, et considèrent que l'élément moral de l'infraction n'est pas constitué si toute personne raisonnablement attentive, placée dans les mêmes conditions, aurait pu commettre la même erreur.
Digeste de Justinien 47, II, 85 pr. Neratius : Si, croyant mort un homme qui est vivant, quelqu'un s'empare en qualité d'héritier de certains de ses effets, il ne commet pas un vol.
Merle et Vitu (Traité de droit criminel) : L'erreur de fait supprime de dol général. L'agent ne se rend pas compte qu'il est en train de réaliser les opérations dont la description figure dans la loi pénale, car il se représente faussement, ou il ignore, certains aspects pourtant réels de son activité.
Carrara (Cours de droit criminel - éd. française) : L'erreur de fait exempte de toute imputation quand elle a été essentielle et invincible. Il n'y a rien à reprocher à celui qui ne croyait pas mal faire, quand il ne lui était pas possible de s'éclairer sur la criminalité de son action.
Code pénal suisse (état en 2002), art. 19 :
1°/ Celui qui aura agi sous l’influence d’une appréciation erronée des faits sera jugé d’après cette appréciation si elle lui est favorable.
2°/ Le délinquant qui pouvait éviter l’erreur en usant des précautions voulues est punissable pour négligence, si la loi réprime son acte comme délit
de négligence.
Code pénal de l'Uruguay. Art. 22 : L'erreur de fait, qui a trait aux circonstances constitutives de l'infraction, exempte de peine ; à moins qu'en incriminant ce délit, la loi ne puisse la simple faute.
- Droit positif. Le législateur français a sagement laissé ce point à l’appréciation souveraine des juges du fond, sous le contrôle de la Cour de cassation. D'après la jurisprudence, semble-t-il, si l'erreur de fait est excusable, elle couvre l’infraction subjective reprochée ; si l'erreur de fait est invincible, elle couvre même les infractions de police.
Puech (Droit pénal général) : L'erreur de fait essentielle est celle qui porte sur un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'infraction. Elle est de nature à entraîner l'irresponsabilité pénale de l'agent.
Cass.crim. 6 novembre 1963 (Bull.crim. n° 311 p.659) : Il résulte de l’arrêt attaqué, qui a prononcé la relaxe de M..., prévenu d’enlèvement sans fraude ni violence d’une mineure de 18 ans, qu’un doute sérieux existe sur le point de savoir si le prévenu avait eu connaissance de la minorité de 18 ans de Jeanne X..., dont l’aspect physique, la mentalité, le comportement étaient de nature à lui permettre de tenir pour exact l’âge de 19 ans que sa maîtresse lui avait indiqué être le sien et alors qu’elle jouissait notoirement à Perpignan, de la part de ses parents, d’une liberté de conduite sans rapport avec le jeune âge qu’elle avait en réalité ; l’arrêt ajoute qu’il n’apparaît pas que M… ait agi en connaissance de cause et qu’il n’ait pas été induit en erreur sur l’âge de Jeanne X... au moment de la perpétration de l’enlèvement ; dès lors, l’élément intentionnel de l’infraction n’est pas caractérisé.
Cass.crim. 15 mars 1990 (Gaz.Pal. 1990 II somm . 502) : Déclarent à bon droit le prévenu coupable de détention d’une machine ou d’un engin meurtrier ou incendiaire, agissant par explosif, les juges du second degré qui, après avoir énoncé que ce prévenu a, par plaisanterie, lancé dans la cage d’escalier des bureaux de la société une grenade qu’il pensait être une «grenade à plâtre» mais qui a été identifiée par la suite comme étant en réalité une «grenade offensive explosive», relèvent qu’au regard des énonciations de l’art. 3 de la loi du 19 juin 1871 «qui réprime une infraction matérielle contraventionnelle, l’erreur de fait commise par le prévenu sur le caractère inoffensif de l’engin, au motif que l’aspect de celui-ci était exactement celui d’une grenade à plâtre, ne peut être admise».
Exemple (Ouest-France 12 janvier 2007) : La Cour d'appel de Chambéry a confirmée hier la relaxe obtenue en première instance par un berger savoyard qui avait tué un loup, en juillet 2005. Cinq associations avaient fait appel du premier jugement. "J'étais persuadé avoir tué un chien errant" a plaidé le berger.
ERREUR JUDICIAIRE
Cf. Chose jugée*, Hors de cour*, Procédure pénale (in fine)*, Réhabilitation*, Révision*, Vérité (recherche de la vérité)*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° I-113, p.163 / n° III-16, p.380
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Personne humaine » (4e éd.), n° III-209, p.487
Voir : Un innocent condamné sur des indices et sa mémoire justifiée
- Notion. L’erreur judiciaire consiste, soit dans le fait d'acquitter l’auteur d’une infraction, soit dans le fait de condamner un innocent.
La Bruyère (Les caractères - De quelques usages) : Un coupable puni est un exemple pour la canaille ; un innocent condamné est l'affaire de tous les honnêtes gens.
Cadiet et Varaut (Dictionnaire de la Justice) v° Erreur judiciaire : Comment se garder autant que possible de l'erreur ? Descartes en a donné la méthode dans un « Discours » célèbre... Le premier précepte pour bien conduire sa raison et rechercher la vérité juridique , la vérité la plus probable, que Descartes propose est comme la définition de l'intime conviction du juge : « Ne recevoir jamais autre chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle, c'est-à-dire d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne rien comprendre dans mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que ne n'eusses aucune occasion de le mettre en doute ». Ce précepte est comme la prière quotidienne que le juge devrait réciter avant de délibérer et de décider.
Balzac (Splendeurs et misères des courtisanes) : Règle générale, les criminels parlent tous d’erreur. Allez dans les bagnes, questionnez-y les condamnés, ils sont presque tous victimes d’une erreur de la Justice.
Exemple (cité par Ortolan, dans ses Éléments de droit pénal) : Affaire Philippi, condamné comme coupable d'assassinat, par arrêt de la Cour d'assises de Corse, du 17 mars 1843 ; travaux forcés à perpétuité, par suite de l'admission de circonstances atténuantes. Cassation sur pourvoi en cassation et acquittement subséquent, les vrais coupables ayant été découverts et condamnés. Il a passé plus de deux ans au bagne de Toulon.
On observera que les erreurs judiciaires ne résultent pas toujours d'un mauvais fonctionnement des services de la Police ou de la Justice. Elles découlent le plus souvent d'un fâcheux concours de circonstances, d'indices trompeurs, de fausses déclarations émanant de témoins, sinon d'un coup monté, voire d'une faute préalable de celui-là même qui est victime de la présente erreur.
Brillon
(Dictionnaire des arrêts des Parlements, Paris 1727) : Un
jeune homme qui logeait à Paris chez un boulanger fut assassiné
par des voleurs qui jetèrent son corps dans un réduit, prirent
quelques meubles et une partie de son argent. L'hôte s'empara du
reste.
Lui, sa femme, son fils et sa servante sont emprisonnés ; le
fils reconnaît le vol, la servante de même, le mari et la femme
varient dans leurs propos. Par sentence du Châtelet, ils sont
condamnés à mort... Sur appel, alors qu'ils sont reçus en procès
ordinaire, deux voleurs sont pris ; l'un d'eux, à la potence, se
reconnaît coupable de l'assassinat. Alors le boulanger et sa
femme demandèrent des dommages et intérêts.
Cette cause fut plaidée au mois de janvier 1600 devant Henri
IV et le duc de Savoie. Par arrêt du 17 janvier, la Cour absout
les accusés et ordonne le hors de Cour pour les dommages et
intérêts... Ils n'en auront aucun à cause du larcin.
Garnot (Histoire de la justice) : Il est impossible de quantifier avec certitude ce phénomène : de même qu'il existe un chiffre noir de la criminalité, il y a aussi un chiffre noir des erreurs judiciaires.
- L’acquittement de l’auteur d’une infraction, faute de preuve ayant pu emporter l’intime conviction du tribunal, ou comme conséquence d’un vice majeur de procédure, s’impose de nos jours d’un point de vue technique (voir cependant l'observation in fine). Mais il n’en constitue pas moins une erreur judiciaire, qui nuit gravement à la paix sociale lorsque l’opinion publique en prend connaissance. Bien plus, ce faux pas de la Justice laisse actuellement la Victime* sans recours, le malfaiteur étant de manière irréfragable réputé innocent (art. 368 C.pr.pén.).
Instruction générale. L’importance des dispositions de l’art. 368 C.pr.pén. mérite d’être soulignée. En affirmant qu’aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée des mêmes faits, même sous une qualification différente, le législateur consacre le principe de l’autorité de la chose jugée au criminel.
Exemple du trouble social (Ouest-France 31 janvier 2014) à la Une de ce quotidien : L'ADN désigne l'homme acquitté. En page 5 on peut lire : Vingt-sept ans après le meurtre de Nelly H., en janvier 1987, près de Nancy, des traces ADN de J.M., un ancien maçon, aujourd'hui âgé de 61 ans ont été trouvées sur le jean de la victime. C'est ce que conclut une récente expertise effectuée sur une trace de sang qui n'avait jamais été analysé.
- La condamnation d’un innocent pour une infraction qu’il n’a pas commise porte atteinte tout à la fois à la justice et à l’équité. C’est pourquoi le législateur a pris deux mesures. D’abord il a organisé une voie de procédure particulière : la demande en révision (art. 622 et s. C.pr.pén.). D’autre part il a prévu une possibilité d’indemnisation des innocents traités en coupables (art. 626 C.pr.pén.).
Desmaze (Les pénalités anciennes, 1866) : Une pierre de la
cathédrale de Rouen porte l'inscription suivante (1) : Par permission de Messieurs du chapitre, Ci gisent les corps de Jacques Turgis, Robert
Tallebot et Charles Lebrasseur, natifs de Rouen, exécutés à mort par jugement du présidial d'Andelys, le 25 octobre 1625, pour assassinat, dont ils
furent faussement accusés, et depuis déclarés innocents par arrêt du Grand Conseil, donné à Poitiers, le dernier décembre 1627, suivant lequel les corps,
déterrés dudit lieu, ont été apportés en ce lieu, proche la chapelle des martyrs innocents, le 3e jour d'avril 1728, en laquelle se dira tous les
samedis, à perpétuité, une messe pour le repos de leurs âmes. Priez Dieu pour leurs âmes.
(1) De même à Venise, sur la Piazzetta, brûle toujours la lampe suspendue à une colonnette de Saint-Marc, pour rappeler aux juges l'erreur qu'ils
commirent envers un boulanger, condamné à tort. Elle porte l'inscription " Ricordate del povere fornaro ".
Servant (Discours sur l’administration de la justice criminelle, 1767). Un magistrat dit aux magistrats : Ayons le courage de nous rappeler le souvenir de ces lamentables histoires consignées dans toutes les archives de la magistrature, de ces fatales erreurs qui ont fait périr l’innocence sous les apparences du crime. Juges malheureux, mais excusables, vains jouets d’un hasard cruel qui se plaisait à marquer une tête innocente de tous les caractères du crime !
Voltaire (Commentaire sur le Traité de Beccaria) prend comme exemple l’affaire de La Pivardière : Mme de Chauvelin, mariée en secondes noces avec lui, est accusée de l’avoir fait assassiner dans son château. Deux servantes ont été témoins du meurtre. Sa propre fille a entendu les cris et les dernières paroles de son père : Mon Dieu, ayez pitié de moi ! L’une des servantes, malade, en danger de mort, atteste Dieu, en recevant les sacrements de son église, que sa maîtresse a vu tuer son maître. Plusieurs autres témoins ont entendu le coup de fusil par lequel on a commencé l’assassinat. Sa mort est avérée : cependant il n’y avait eu ni coup de fusil tiré, ni sang répandu, ni personne tuée. Le reste est bien plus extraordinaire. La Pivardière revient chez lui ; il se présente aux juges de la province qui poursuivaient la vengeance de sa mort. Les juges ne veulent pas perdre leur procédure ; il lui soutiennent qu’il est mort, qu’il est un imposteur de se dire encore en vie. Le procès dura dix-huit mois, avant que ce pauvre gentilhomme puisse obtenir un arrêt comme quoi il est en vie.
Carrara (Cours de droit criminel) : La condamnation d'un innocent est un renversement d'idées, car l'instrument de la justice se change en instrument d'iniquité : c'est une véritable calamité sociale, par l'épouvante qu'elle engendre chez les citoyens, bien supérieure à celle qui résulte de l'impunité de plusieurs délits.
Cass.crim. 25 novembre 1991 (Bull.crim. n° 434 p.1108) : Le sergent B. était envoyé en mission le 7 décembre 1951 à la base arrière de Haiduong… N’ayant pas réintégré la base à l’expiration du délai légal, le 13 décembre 1951, il était porté déserteur… En se fondant sur l’enquête effectuée par l’autorité militaire, qui faisait apparaître un déficit de caisse, le Tribunal militaire le condamna pour détournement de fonds et désertion en temps de guerre… Or, le 27 avril 1955, le ministère des Anciens combattants avisait la famille de B que celui-ci était mort en captivité le 30 août 1952… Sa sœur présenta alors une requête en révision de sa condamnation … Le rapprochement des éléments nouveaux, inconnus au jour du procès, de ceux recueillis à l’époque de la disparition de B. est de nature à faire naître un doute sur sa culpabilité… Il y a lieu de faire droit à la demande de révision et d’annuler le jugement susvisé du 1er août 1952… Attendu que de nouveaux débats contradictoires se révèlent impossibles, l’annulation doit être prononcée sans renvoi.
- La Convention européenne des droits de l'homme a aussi prévu l'indemnisation de la personne qui été condamnée à la suite d'une erreur judiciaire.
Conv. EDH, 7e protocole additionnel, art. 3 : Lorsqu’une condamnation pénale définitive est ultérieurement annulée… parce qu’un fait nouveau prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire, la personne qui a subi une peine en raison de cette condamnation est indemnisée, conformément à la loi ou à l’usage en vigueur dans l’État concerné.
Cour. EDH12 juin 2012, n° 22999/06 (Gaz.Pal. 27 octobre 2012 p.47) traduction de l'anglais : L'objet de l'art. 3 du Protocole n° 7 de la Conv.EDH n'est pas simplement de réparer un éventuel dommage matériel résultant d'une condamnation prononcée à tort, mais consiste aussi à permettre l'indemnisation des victimes d'une erreur judiciaire pour le préjudice moral qu'elles ont subi du fait de cette erreur (détresse, angoisse, désagréments divers et dégradation de la qualité de vie).
La crainte de l’erreur judiciaire n'avait pas effleuré les auteurs des Codes adoptés sous la Révolution, persuadés qu'ils étaient d'avoir mis sur pied une procédure infaillible. Mais il devint vite évident qu'une erreur humaine peut toujours fausser le cours de la justice, aussi le Code d'instruction criminelle restaura-t-il le Pourvoi en révision. Peut-être pourrait-on aller plus loin dans une recherche toujours plus fine de la Vérité*, et substituer à l’acquittement au bénéfice du doute le « Hors de cour* » de l'Ancien droit, qui invitait simplement l'accusation à mieux étayer son dossier.
ERREUR SUR LA PERSONNE
Cf. Aberratio ictus*, Erreur de fait*, Injure (science criminelle)*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n° I-I-I-313, p.77 et p.78
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Personne humaine » (4e éd.), n° I-316, p.170 / n° II-120, p.284 / n° III-211, p.490
Voir Cass. crim 18 février 1922.
- Notion. L'hypothèse est la suivante : un individu porte à quelqu'un d'autre un coup de nature à le blesser ou à le tuer. Mais il se trompe sur la personne de la victime : voulant atteindre A..., il atteint B... On admet que cette méprise ne saurait modifier la qualification des faits. On dit aussi error in personam ou aberratio ictus.
Exemple (Télétexte TF1 8 novembre 2007) : Le tueur à gages abat le mauvais malade. La victime se trouvait dans la chambre d'hôpital occupée, avant lui, par un gangster qui était, lui, la vraie cible du meurtrier.
- Règle morale. Celui qui a nourri une intention homicide et qui a accompli un acte de nature à produire l'effet recherché est psychologuement coupable (« J'ai péché en pensée », dit le confiteor).
Pontas (Dictionnaire de cas de conscience) : Cas.
Luc, dominé par un sentiment de haine contre Aurelius, a tiré un coup de fusil sur Marcellus et l’a tué, le prenant pour Aurelius. Est-il tenu à réparer
le dommage qu’il a causé ?
Réponse. Oui, très probablement, parce qu’il en a été la cause injuste et efficace, et ce quoique sa méprise vienne d’une erreur même invincible.
- Science criminelle. Tous les pays qui font s'appuient sur la notion de responsabilité subjective s'accordent à admettre la pleine culpabilité de l'agent. L'élément moral n'est pas affecté par cet impair.
Villey (Cours de droit criminel) : L’intention criminelle est indépendante de l’erreur sur la personne qui est victime de l’infraction. Un individu tue, par erreur, une personne, alors qu’il voulait ou croyait tuer une autre personne : il est évident qu’il n’en sera pas moins passible des peines du meurtre, car il a commis un homicide volontaire.
Constant (Précis de droit pénal) : L’erreur sur l’identité de la personne lésée par l’infraction est inopérante (Primus veut tuer Secundus mais, trompé par l’obscurité, il frappe Tertius ; la faute subsiste).
Code pénal du Brésil. Art. 20 § 3 - Erreur sur la personne. L’erreur quant à la personne contre laquelle le crime est pratiqué n’exempte pas de la peine.
Cass.crim. 31 janvier 1835 (S. 1835 I 564) : Le demandeur a été à bon droit déclaré coupable d’avoir tiré volontairement un coup de fusil avec intention de tuer ; peu importe qu’au lieu de donner la mort à celui qu’il voulait pour victime, il ait atteint la femme au lieu du mari, il n’en reste pas moins constant qu’il a donné la mort avec intention de tuer.
Cass.crim. 18 février 1922 (S. 1922. I. 329, note J.A. Roux) : L’homicide commis avec l’intention de donner la mort est qualifié meurtre par l’article 295 du Code pénal ; l’intention homicide est caractérisée, dès lors que le coupable a la volonté de donner la mort, et alors même qu’il a tué une personne autre que celle qu’il se proposait d’atteindre.