RAPPORT D'UN CONSEILLER
DEVANT LA COUR DE CASSATION :
UN EXEMPLE
Procès du duel : Arrêt Pesson
rendu par la Cour de cassation statuant toutes Chambres réunies
le 15 décembre 1837 (Sirey 1938, pages 5 et suivantes)
Le Code pénal de 1810 n’a pas visé le fait du duel.
Aussi s’est-on alors posé la question de savoir
si cet acte n’était plus punissable, contrairement
à ce qui se passait sous l’Ancien droit,
ou s’il tombait désormais sous le coup des textes de droit commun.
Au-delà de la question technique,
se posait une question de fond essentielle :
la vie humaine est-elle une valeur disponible ou indisponible ?
La réponse est claire : au-delà de toute considération religieuse,
la vie constitue un intérêt juridique majeur, qui concerne
la société dans son ensemble, la famille de l’intéressé,
et bien sûr ce dernier lui-même.
N’étant pas seul en cause, un homme ne saurait valablement consentir
à méconnaître ses devoirs envers autrui.
Plan :
1° Arrêt de la Cour d’appel de Bourges
refusant de condamner un duelliste faute de texte incriminant le duel.
2° Audience devant la Cour de cassation :
- Rapport du Conseiller Béranger -
- Conclusions du Procureur général Dupin -
- Arrêt de la Cour de cassation -
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ARRÊT DE LA COUR D’APPEL DE BOURGES
DU 31 JUILLET 1837
Sur renvoi prononcé par un arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 1837,
conformément aux conclusions de M. E. Corbin, avocat général,
la Cour royale de Bourges a rendu, le 31 juillet 1837, un arrêt ainsi conçu :
Attendu, en fait, qu’il est suffisamment établi par l’information que, le 29 janv.1837, dans un duel dont une convention préalable avait réglé l’époque, le lieu et les armes du combat, en présence et sous l’assistance de quatre témoins choisis par nombre égal par chacun des combattants, Charles-Henri-Joseph Pesson a porté à Narcisse Baron un coup d’épée qui a occasionné la mort de celui-ci; — Que, de ladite information, il ne résulte aucun indice suffisant que, soit dans les faits qui ont provoqué ou déterminé le duel, soit dans ceux qui l’ont accompagné, Pesson se soit conduit avec déloyauté et perfidie, ou que les chances du combat n’aient pas été égales;
Attendu, en droit, qu’aucun acte, aucune omission, ne peuvent être réputés délits, s’il n’y a contravention à une loi promulguée antérieurement (art. 3 du Code des délits et des peines);—Que nulle contravention, nul délit, nul crime ne peuvent être punis de peines qui n’étaient pas prononcées par la loi avant qu’ils fussent commis (art. 4. C.pén.);
Attendu que le déplorable résultat du duel dont il s’agit, à savoir la mort de Buron, quelques douleurs qu’il soulève, quelque insensé et criminel qu’il se montre aux yeux de la religion, de la morale, de l’ordre public et de la sécurité des familles, quelques vœux ardents qu’il provoque et presse de réitérer vers le pouvoir législatif, cependant, inséparable qu’il est du caractère tout spécial que lui donnent et le préjugé général et invétéré dont il émane, et les circonstances dont il est entouré, ne se trouve aujourd’hui explicitement et nominativement compris dans aucune loi pénale en vigueur ; qu’il est évident qu’on ne peut le rattacher à aucune des catégories d’homicide punissable, ayant chacune dans le Code pénal. de 1810 leur expresse et exclusive qualification, qualification logiquement incompatible avec la notion du duel ;
Que cette lacune, qu’il serait aussi important que difficile peut-être de combler, ne se remarque pas seulement dans le Code de 1810, mais aussi dans celui de l’an 4 et dans la loi d’octobre 1791 ; qu’elle a été hautement signalée depuis 1801 jusqu’à ce jour, et par la Convention nationale, dans la deuxième partie de son décret du 29 messidor an 2, et par la chambre des pairs, en 1817, et par plusieurs arrêts solennels de la Cour régulatrice, chambres réunies, et par la présentation géminée de projets de loi spéciaux sur la matière, et par l’opinion et l’enseignement des jurisconsultes les plus éminents dans la science des lois criminelles, et par le silence du ministère public dans des cas analogues à celui-ci, mais où le nom et la haute position des personnages eussent rendu les poursuites plus éclatantes et contribué plus efficacement à détruire ce qu’il serait impossible au moins de ne pas appeler l’erreur commune ; que, sous l’influence de la jurisprudence qui consacrait l’existence de la lacune. le duelliste a pu se croire, non certes irréprochable dans le for intérieur, mais à l’abri des poursuites le la loi ;
Que l’existence réelle de cette lacune ressort parfaitement d’ailleurs de l’historique exact de la législation précédente sur les duels; —Qu’il ne semble guère contestable que, soumis, avant 1789, à une législation entièrement spéciale (et c’est peut-être la condition du duel de ne pouvoir être réprimé par la loi commune), ce n’était pas seulement le duel comme cause, mais bien avec tous ses résultats éventuels, qui se trouvait si sévèrement défendu, poursuivi et puni, et que les édits royaux s’adressaient, sans exception, à tous les sujets du roi, et notamment ceux de I679 et de 1723; —Qu’ainsi, l’Assemblée constituante, en abolissant la législation spéciale sur les duels, sans y rien substituer, a aboli nécessairement et simultanément pour tous la pénalité attachée à leurs résultats si manifeste ment exceptionnels par leur nature, et qu’elle n’a pas voulu, avec une haute intention sans doute, comprendre le duel dans la liste des faits qualifiés crimes et délits dans le Code pénal qu’elle décréta ;
Que l’art. 7 du titre 3, 2° partie. de la loi du 6 octobre 1791, prouve en effet que le législateur n’a entendu comprendre dans les homicides punissables que ceux qui allaient être qualifiés ainsi qu’il suit, selon le caractère et les circonstances du crime. Or, le duel et ses résultats ne se trouvent qualifiés dans les articles suivants ni nominativement, ni d’après son caractère et ses circonstances ; le silence sur celle matière équivalait donc, selon l’expression de Merlin. à une prohibition expresse de punir les duellistes qui avaient légalement observé dans le combat, quelle qu’en fût l’issue, les règles qu’ils s’étaient réciproquement imposées par leur convention préalable ; et l’art. 4 du titre. 3 de la même partie dispose formellement : « pour tout fait antérieur à la publication du présent Code, si le fait est qualifié crime par les lois existantes, et qu’il ne le soit pas par le présent décret, l’accusé sera acquitté » ;
Que les lois pénales subséquentes se trouvant également muettes à cet égard, et dans les modifications dernièrement apportées au Code pénal de 1810, aucune, voix ne s’étant élevée pour proposer quelques dispositions sur une matière si palpitante, et lorsque semblait prévaloir l’opinion que le duel et ses résultats n’étaient réprimés par aucune loi en vigueur, il serait contraire à la vérité de la justice, à sa simplicité, à sa loyauté, de supposer qu’en réalité il y eût en réserve, soit dans un exposé de motifs généralement ignoré, sans sanction et sans autre portée que son émission même, soit dans des textes de loi, sinon littéralement contraires, du moins étrangers à l’espèce, des inductions mystérieuses, un sens jusqu’ici inaperçu, au moyen de quoi pourrait s’incriminer un fait qui, bien qu’odieux et digne de toute réprobation, se trouve pourtant, et si on scrute surtout dans les méfaits l’intention de l’auteur, à une distance infinie des intentions épouvantables qui caractérisent le meurtre et l’assassinat, et que définitivement la loi pénale ne nomme ni ne spécifie ;
Que la Cour, au reste, n’a point à examiner si le fait et le résultat du duel qui lui est soumis est ou non dans la catégorie, des crimes excusables, ou de ceux que quelque disposition de la lui pourrait légitimer, non plus que si la convention d’après laquelle il a eu lieu est, oui ou non, contraire aux bonnes mœurs et à l’ordre public ; mais qu’ayant simplement à se prononcer sur la question de savoir si l’homicide commis en duel par Pesson, tel qu’il a été caractérisé, constitue crime ou délit, et se fondant, en dernière analyse, sur les considérations qui viennent d’être par elle développées ;
Par ces motifs, la Cour, statuant sur l’opposition du procureur du roi près le tribunal de première instance de Tours à l’ordonnance de la Chambre du conseil de ce même tribunal, en date du 13 avril 1837, la déclare mal fondée er dit qu’il n’y a lien à suivre contre Charles-Henri-Joseph Pessen.
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AUDIENCE DEVANT LA COUR DE CASSATION
Sur le pourvoi formé contre cette décision, qui avait refusé de suivre un précédent arrêt de la Cour de cassation, cette dernière a statué toutes Chambres réunies.
Rapport du Conseiller Béranger
M. le Conseiller Béranger, avec toute l’autorité de doctrine qui lui appartient dans ces matières, a présenté un rapport lumineux sur le pourvoi. Ce savant magistrat a commencé par retracer l’historique de la législation sur le duel ; il a rappelé ensuite les raisons sur les-quelles se fondent les partisans des deux systèmes opposés, et a terminé cette exposition par les considérations suivantes :
On se demande, a-t-il dit, comment deux personnes pourraient être affranchies de l’affliction de nos lois pénales, lorsque volontairement elles se tuent ou se font des blessures, à l’aide d’armes anoblies par l’opinion, telles que le pistolet et l’épée, tandis que, lorsque des hommes obscurs, cédant à des passions semblables, s’attaquent mutuellement, par suite du même contrat de meurtre, avec des armes moins honorées, telle que le bâton, ou même se portent des coups et se font des blessures avec l’emploi de leurs seules forces physiques, ils sont soumis à l’application de ces mêmes lois dont les premiers n’ont rien à redouter; de telle sorte qu’il y ait impunité complète dans un cas, et sévère répression dans l’autre ?
Et cependant, des deux parts, même mobile, même accord de volontés pour s’entredétruire, même danger de mort ! La seule différence est dans les moyens d’attaque, différence toute de privilège pour les classes élevées de la société, qui rougiraient de recourir à des armes réputées grossières, ou au seul emploi de la force brutale.—Or, dans un pays où l’égalité est le fondement de toute législation civile et politique, pourrait-on supposer que la loi pénale renfermât une dérogation à ce principe ? Qu’elle se montrât clémente à l’égard des uns, et inexorable pour les autres, et qu’elle réservât précisément toutes ses rigueurs à ceux que le défaut d’éducation et de lumières, joint à l’irritation qui naît d’une vie de privations, de gêne et de souffrances, expose le plus à les encourir ?
Abordant l’objection qui consiste à dire que le duel est précédé d’une convention, que chaque partie s’expose au même danger, que les chances sont égales, M. Bérenger continue ainsi :
Mais cette convention, ce danger commun, rendent-ils moins grand l’attentat contre l’ordre légal ? Cette convention, au contraire, où chaque partie, de sang-froid, stipule ce défi armé contre la société tout entière, n’est-elle pas une aggravation de plus au crime public dont elle va se rendre coupable ? Ensuite, puisqu’on parle de convention, a-t-on soin d’appeler au contrat toutes les parties intéressées ? L’homme qui, bravant les lois divines et humaines, s’engage à donner la mort et consent à la recevoir, s’oblige seul ; il oublie que d’autres existences sont liées à la sienne, et qu’il a contracté envers la société et sa famille des devoirs qui lui ont ôté le droit de disposer de lui-même. Dans l’égarement de ses principes religieux, il se dit peut-être que si le sort lui est contraire, tout est fini pour lui; mais tout sera-t-il également fini pour ceux des siens qui lui survivent ? —Qu’on ne parle donc pas de convention : elle ne saurait exister là où elle a pour objet un attentat à l’ordre social, là, où tous ceux qui avaient droit et intérêt à intervenir au contrat y sont demeurés étrangers.
On objecte que chez une nation vaillante, guerrière et tout à la fois polie, où les égards mutuels ont pour base une réciprocité parfaite; où conséquemment l’honneur, et même le point d’honneur qui est l’exagération de ce noble sentiment, forment entre les hommes une sorte de lien qui entretient parmi eux l’urbanité et les bons rapports; chez cette nation, abolir le duel, le censurer même, ce serait renverser la barrière devant laquelle s’arrêtent les passions énergiques et fougueuses dont elle est animée ; ce serait affaiblir le principe qui fait la beauté, la loyauté, la générosité de son caractère.
A cet argument, qui a été développé, nous le savons, au sein d’un corps illustre, par une des plus vastes intelligences que notre époque ait produites (Cuvier, au conseil d’État), que répondent les partisans de l’opinion opposée ?
Que si une semblable thèse a pu être soutenue avec succès, la voix de la raison est plus forte encore que l’autorité du génie. Serait-il donc vrai, pourraient-ils dire, que les liens sociaux seraient prêts à se rompre; que l’honneur de nos femmes, que le nôtre seraient mis en péril, si le duel ne les protégeait ? Ah ! reconnaissons qu’une fausse philosophie, trompée par les souvenirs, les préventions d’un autre âge, d’une époque, disons-le, qui n’est plus la nôtre, tant la véritable philosophie a fait de progrès, a pu seule venir en aide à une doctrine qui, si elle prévalait parmi nous, nous ramènerait, sous le prétexte d’une sorte de raffinement de civilisation, à la barbarie des temps anciens....
L’absence de toute disposition spéciale contre le duel, dans les trois Codes pénaux qui ont régi la France, à diverses époques, s’explique facilement : on avait sous les yeux les rigueurs de l’ancienne législation ; on avait remarqué que, loin d’atteindre son but, elle n’avait fait qu’irriter le préjugé qui mettait un faux point d’honneur à la braver. Alors on crut devoir suivre une autre marche : on ne nomma pas le duel dans nos lois, on ne lui fit pas (pour nous servir des expressions d’un grand jurisconsulte : de Treilhard) l’honneur de le nommer. Mais si on ne le punit pas à titre de duel, en fût-il de même de ses suites cruelles ? et peut-on raisonnablement se dispenser de reconnaître que ces suites, rentrant dans les dispositions générales de la loi, et n’étant comprises dans aucun des cas d’excuses précisés par elle, on ne saurait les soustraire à son application, sans distinguer là où elle ne distingue pas, et sans étendre arbitrairement l’exception qu’elle a voulu limiter...
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Conclusions du Procureur général Dupin
Après ce rapport, M. le procureur général Dupin a pris la parole dans son réquisitoire :
L’arrêt qui vous est déféré reproduit les arguments, il résume tout le système favorable à l’impunité des duellistes. Tous ses raisonnements peuvent se résumer à leur tour en trois objections principales :
1° II y a lacune dans la législation sur les duels. Avant 1789, ils étaient soumis à une législation spéciale ; l’Assemblée nationale ayant aboli cette législation sans y rien substituer, a aboli nécessairement et simultanément pour tous la pénalité attachée à leurs résultats, si exceptionnels de leur nature.
2° Cette lacune a été hautement signalée de 1791 jusqu’à ce jour : elle l’a été par la Convention nationale, dans la deuxième partie de son décret du 29 messidor an 2 ; par la Chambre des pairs, en 1817 ; par plusieurs arrêts de la Cour suprême ; par la présentation géminée de projets de loi sur la matière ; par l’opinion de jurisconsultes éminents ; par le silence du ministère public ; d’où est résultée l’erreur commune qui a pu faire croire au duelliste qu’il était à l’abri des poursuites de la loi.
3° II est évident qu’on ne peut rattacher le duel à aucune des catégories d’homicide punissable, ayant chacune dans le Code pénal de 1810 leur expresse et exclusive qualification, qualification logiquement incompatible avec la notion du duel, c’est-à-dire d’un fait qui, bien qu’odieux et digne de toute réprobation, se trouve pourtant, et si l’on scrute surtout dans les méfaits les intentions de l’auteur, à une distance infinie des intentions qui caractérisent le meurtre et l’assassinat.
Reprenons successivement ces trois objections.
Il est vrai qu’autrefois la législation sur le duel était exceptionnelle : cela tenait à la manière dont le duel s’était introduit dans notre histoire et dans nos mœurs ; car il a fait partie de la législation dans des temps d’ignorance, de notre histoire dans les temps de féodalité, et de nos préjugés, même après qu’il eût été proscrit. La législation des duels était exceptionnelle par la qualité du délit ; c’était un fait d’insubordination au premier chef, un crime de lèse-majesté. Elle était exceptionnelle par la qualité des personnes, car elle atteignait surtout les gens que, par privilège, on appelait gentilshommes, et les querelles dont on leur réservait pour ainsi dire le monopole en les qualifiant de point d’honneur, à la différence des vilains, qui n’étaient pas censés faire profession de l’honneur. Partant de cette distinction, les édits prononçaient des peines diverses, à raison de la qualité des personnes, quoiqu’il n’y eût pas de différence dans le délit. Enfin, cette législation était encore exceptionnelle en ce point qu’elle ne faisait pas juger les duellistes par les tribunaux ordinaires, mais bien par le tribunal des maréchaux. Mais remarquez de suite (et je recommande cette observation à vos méditations), que si la législation des duels était exceptionnelle autrefois, c’était par aggravation et non par faveur. Le droit commun avait paru trop faible : on voulut une législation plus ferme, plus sévère ; on fit une législation draconienne contre les duels. Je n’ai pas à examiner si l’on a réussi. Peu importe l’effet qui a été produit ; mais telle avait été la pensée du législateur ; tandis qu’aujourd’hui vous n’entendez que doléances sur ce qu’on prétend appliquer au duel le droit commun, qu’on trouve trop sévère. On accumule les arguments, pour exciter la sensibilité du juge chargé d’appliquer la loi pénale, à ce point qu’il se trouve des gens qui se font scrupule, de croire que le Code pénal ait voulu atteindre des hommes aussi estimable aussi recommandables que les duellistes. Voilà la direction des sentiments que j’ai à combattre.
Cette législation exceptionnelle n’a pas été abolie par une loi spéciale. Si l’on eût procédé ainsi par une loi séparée, sans rien mettre à la place, on pourrait croire en effet que cette abolition pure et simple aurait créé une lacune. Non, Messieurs, on n’a point procédé ainsi. L’abolition de la législation spéciale est résultée de ce qu’on a refait la législation pénale tout entière, et de ce qu’en tête de cette législation, et pour poser d’abord le principe, non pas seulement un principe de droit criminel, mais un principe de droit constitutionnel et de moralité, le législateur a proclamé que les mêmes crimes seraient punis des mêmes peines, sans distinction de personnes. Ainsi, on a retranché l’exception en ce qu’elle avait de contraire à la différence des juridictions, basée sur la qualité privilégiée des personnes. C’est parce qu’il n’y a plus eu qu’un seul Code pénal, un code unique, uniforme, applicable à toutes les personnes, que le duel a disparu de la législation. C’est le Code pénal de 1791 qui a produit cette abrogation, en proclamant l’égalité de tous devant la loi. Cela ne veut pas dire qu’on n’ait rien mis à la place. Cela veut dire seulement que, dans la refonte générale de la législation, au lieu de faire du duel l’objet de dispositions spéciales, on a voulu le comprendre dans les dispositions générales relatives à l’homicide.
Il existe à cet égard des preuves qui sont sans réplique. M. Lanjuinais avait eu l’idée de reconstruire une législation spéciale pour les duels : dans ce dessein, il présenta un projet de loi en sept articles, qu’il voulait faire voter séparément. Mais ce projet fut renvoyé à la commission du Code pénal ; et, après une conférence entre les comités, on renonça à faire une législation spéciale pour les duels ; on préféra établir un droit commun, mais dans des termes si généraux, qu’ils ne comportassent aucune exception favorable aux duels.
Autre preuve de la volonté du législateur : Le décret du 17 septembre 1792 est remarquable en ce qu’il est postérieur à la promulgation du Code de 1791; et rependant il renferme une amnistie pour les provocations en duel ; or, cette amnistie eût été superflue s’il eût été vrai que, depuis la promulgation de ce Code, les duels eussent cessé d’être des délits.
L’arrêt de la Cour de Bourges essaie encore de se prévaloir du décret du 29 messidor an 2. Cela porte à une réflexion douloureuse sur la manière dont s’introduisent certaines jurisprudences. Si un argument a été donné par un premier arrêt, on le retrouve successivement dans tous ceux qui adoptent le même système ; et l’erreur se propage sans qu’on prenne désormais la peine de l’examiner. Rien, en effet, dans l’espèce actuelle, ne porte plus à faux que les considérants tirés du décret du 29 messidor an 2. Il a eu lieu à l’occasion d’un article du Code pénal militaire de 1793, ainsi conçu : « Tout militaire convaincu d’avoir menacé son supérieur de paroles ou de gestes, sera puni de deux ans de prison, destitué et déclaré incapable de servir dans les armées de la république ; et s’il y a voie de fait, il sera puni de mort. » C’est sur cet article que la Convention fut consultée pour savoir s’il pouvait s’appliquer aux inférieurs qui appelaient leurs supérieurs en duel. Vous voyez qu’il s’agit ici d’une question de pure discipline militaire ; or, la discipline des camps et des casernes est tellement étrangère à la question, que l’on voit de suite la faiblesse de l’argument. La Convention décide la question négativement; elle pense que l’article ne s’étend pas au fait de provocation au duel ; mais comme ce fait tient à la discipline militaire, la Convention renvoie la question au comité de recensement des lois, pour l’examiner et proposer ce qu’elle avisera sur les duels.
Eh bien! de ce renvoi il résultera au moins ceci : c’est que, dans la nouvelle rédaction d’un Code pénal qui se prépare, on aura à examiner s’il faut rester dans les termes de la loi de 1791, ou bien parler des duels nominativement. Or, quand on a fait le Code de brumaire an 4, on s’est renfermé dans les mêmes termes de généralité que le Code de 1791, et l’on a pensé encore que ces termes suffisaient. Je dois même signaler un fait plus décisif. Un doute s’éleva en l’an 9 :on se demanda si la simple provocation au duel, sans qu’il s’en fût suivi mort ou blessures, pouvait être poursuivie en vertu du nouveau Code pénal. Le ministre de la justice, consulté sur ce point, répondit en ces termes, le 13 prairial an 9 : « Dans l’état actuel de la législation, le duel qui n’a été suivi d’aucune blessure, contusion ou meurtre, ne peut donner lieu à des poursuites judiciaires; mais il est hors de doute que les blessures, contusions ou meurtres effectués, étant par eux-mêmes des atteintes portées à la sûreté ou à la vie du citoyen qui en a été victime, ces voies de fait rentrent dans la classe de toutes celles de la même nature qu’ont prévues les lois pénales, et que doivent poursuivre les tribunaux, d’après la nature des circonstances et la gravité du fait matériel.
Ainsi, à mesure qu’on marche, les faits s’expliquent. En 1789, en 1791, il ne peut plus y avoir de législation exceptionnelle et privilégiée. Le droit commun est proclamé par le Code de 1791 : on aurait pu insérer dans la loi des articles particuliers au duel ; mais on ne le veut pas. Le droit commun régira le duel comme les autres homicides, on en est bien averti par le rejet du projet spécial présenté en sept articles et destiné à y être inséré. En messidor an 2, on soulève la question de savoir s’il n’y a pas lieu de renvoyer au comité de recensement général des lois, pour s’occuper de la question de provocation au duel, et à dix-huit mois de distance, on décide encore qu’on restera dans les termes du droit commun. On se refuse à faire une loi d’exception pour la provocation ; mais s’il y a mort, s’il y a attentat à la vie du citoyen, même de son consentement, ce fait, ce crime, comme tous les autres crimes, sera atteint et puni par la disposition générale du Code. Telle est la réponse du ministre de la justice. En 1810, lorsque, pour la troisième fois, on va refaire le Code pénal, on agit en pleine connaissance de cause, puisque la question avait été déjà soulevée plusieurs fois. L’imagination en a été suffisamment frappée. On ne pouvait prendre que trois partis : ou de punir le duel, comme autrefois, par aggravation de peine ; ou de le laisser dans l’impunité, comme le prétend l’arrêt attaqué, et comme le voudraient les partisans de ce système ; ou enfin de le comprendre dans les dispositions générales de la loi. On se décide pour ce dernier parti : le duel restera dans le droit commun; le duel n’est qu’un crime vulgaire qui ne mérite pas plus de colère et pas plus d’indulgence que les autres crimes, et qui, par conséquent, doit être puni par les peines du droit commun. Le Code de 1810 est conçu dans cet esprit ; il punit l’homicide volontaire, il consacre quelques exceptions qui ne s’appliquent pas au duel. Donc, le duel est compris dans ses dispositions répressives…
Maintenant les objections tirées du second motif de la cour de Bourges deviennent bien futiles et bien faciles réfuter. On s’appuie dans l’arrêt de Bourges sur l’arrêt rendu en 1817 par la Cour des pairs dans l’affaire Saint-Morys on rappelle que des arrêts rendus par la Cour de cassation ont décidé la question dans le sens du silence de la loi pénale en matière de duel. II n’y a qu’une chose à répondre à ces rapprochements, à ces citations ; c’est que ce sont là des erreurs de la jurisprudence ; c’est que, comme toutes les choses humaines, la jurisprudence est sujette à erreur. II n’y a en pareil cas qu’une vertu, c’est de revenir à la vérité quand on s’est trompé; et la Cour n’a jamais manqué a ce devoir.
La jurisprudence a pu varier, c’est un malheur; mais au milieu de ces variations, la loi est toujours restée immuable. La jurisprudence a pu pivoter autour d’elle ; mais ces variations ont cessé par votre arrêt du 22 juin dernier. On conçoit qu’à la vue des arrêts de la Cour suprême, qui menaçaient de nullité toutes les poursuites, le ministère public a dû cesser d’agir contre les duellistes ; on conçoit également qu’on a dû recourir aux Chambres pour essayer d’en obtenir une loi nouvelle, puisque l’action des tribunaux était arrêtée par la déclaration de la Cour de cassation qu’il y avait une lacune à combler ; mais ces perturbations ont dû cesser du moment qu’on est revenu a une meilleure interprétation du Code.
On a parlé de l’opinion des auteurs, et l’arrêt de la cour de Bourges va jusqu’à citer nominativement M. Merlin. C’est sans doute une autorité fort respectable que celle de ce docte jurisconsulte ; mais le savoir, même le plus étendu, s’éclaire par l’expérience des faits et par la réflexion. Le plus grand Jurisconsulte de Rome, Papinien , s’était trompé sur une question, et il n’hésita point à dire : « J’étais autrefois de cet avis, mais Sabinus m’a ramené à son opinion ».
Eh bien Messieurs, tel a été le langage de M. Merlin. Après votre arrêt, ce savant magistrat, mon prédécesseur, modèle que je ne puis certainement atteindre dans le genre qu’il a si fort illustré, m’écrivit une lettre trop flatteuse pour que j’en donne ici lecture; il me dit : « Votre réquisitoire m’a convaincu ; j’adhère à la doctrine de l’arrêt ». Qu’on ne vienne donc plus parler, sous l’autorité de ce grand nom, de l’erreur commune. Cette erreur est loin d’avoir été aussi générale qu’on le prétend. En effet, dix Cours royales n’avaient-elles pas jugé en sens inverse de la Cour de cassation ? et, d’ailleurs, ce qui répond à tout, la Cour de cassation elle-même est revenue à une interprétation plus exacte de la loi.
Ajoutez à cela les arrêts rendus dans un pays voisin, régi par le même Code que nous. Toutes les cours de Belgique ont jugé que le Code de 1810 comprenait le, duel, et que, dans tous les cas de mort ou blessures survenues par suite d’un duel, il y avait lieu à l’application de ses dispositions C’est, en effet une erreur capitale de la Cour de Bourges et de ceux qui partagent son opinion, de dire que, si la loi n’a pas prononcé le mot de duel, c’est qu’elle entendait le laisser impuni ; il semble que le duel soit quelque chose de tellement particulier, qu’il ne puisse rentrer dans aucune définition générale, et qu’il ne puisse être puni qu’autant qu’il aura été appelé par son nom. C’est comme si on disait que certains crimes qui avaient attiré la colère céleste sur deux villes de l’Ancien-testament et qui se trouvaient puni; par l’ancienne législation sous des dénominations que la naïveté gauloise de nos pères ne se faisait pas faute d’employer, ne peuvent plus être réprimés, aujourd’hui, parce que le Code de 1810 ne rappelle pas leur ancienne qualification, et se contente de punir d’une manière générale les attentats aux mœurs.
L’erreur de la cour de Bourges est de supposer toujours qu’il faut toujours que le législateur punisse le duel en tant que duel. Mais cette erreur est réfutée d’avance par les sentiments des publicistes et des moralistes les plus célèbres, Barbeyrac dans ses notes sur Puffendorf dit : « Il n’est pas nécessaire, à mon avis, que les lois défendent expressément les duels, pour qu’on puisse les regarder comme des combats illicites, où celui qui tue son homme est toujours un véritable homicide : cela suit de la constitution même des sociétés civiles ». Pascal, qui, par la seule puissance de sa logique, se rencontre si souvent avec les jurisconsultes, dit, dans sa quatorzième lettre, sur l’homicide : « Les édits du roi, si sévères sur ce sujet, n’ont pas fait que le duel fût un crime ; ils n’ont fait que punir le crime qui est inséparable du duel ».
Le Code ne procède pas par catégories d’homicides. Tout homicide volontaire, tout meurtre doit être puni, s’il ne se trouve pas dans les cas d’exception désignés par la loi, et, à cet égard, les deux Codes de 1791 et de 1810 procèdent par deux méthodes inverses, mais qui arrivent au même but. Le Code de 1791 consacre toutes les exceptions et il ajoute: « hors les cas déterminés par les précédentes exceptions l’homicide sera puni des peines portées par la loi. » Le Code de 1810, au contraire, commence par consacrer la disposition générale, et ensuite il pose les exceptions. Mais, comme il ne suffisait pas de ce principe que les exceptions soient de droit étroit, il contient de plus un article tout à fait spécial, l’art. 65, qui défend au juge d’introduire des distinctions, des excuses en matière pénale, autres que celles que la loi a expressément consacrées. Il est donc bien établi que, loin d’avoir voulu en faire la matière d’une exception, le Code de 1810 a, en pleine connaissance de cause, refoulé le duel sous l’application des règles générales applicables à l’homicide.
Sans doute, l’application de la loi devra subir des modifications suivant les circonstances accessoires, suivant l’âge et la position des personnes. S’il s’agit d’un duel d’écoliers, d’un duel d’enfant (et l’on en a vu le triste exemple), le coupable pourra être excusé par son défaut de discernement. Mais prenons une autre hypothèse bien autrement puissante : si un fils appelle son père en duel, s’il a le malheur de le tuer, quel est le tribunal qui, se fondant sur ce que le duel n’est pas explicitement désigné et puni par le Code pénal, refusera d’appliquer la peine du parricide ? Et cependant telle serait la conséquence forcée de l’arrêt de Bourges, que le parricide en ce cas devrait rester impoursuivi, et que le fils, coupable du meurtre de son père devrait être acquitté, si tout s’était passé d’ailleurs sans déloyauté ni perfidie, et à armes égales !!!
Dans mon opinion , la préméditation peut ne pas résulter toujours uniquement du fait de la provocation ; et si elle est restée sans effet, même par des circonstances indépendantes de la volonté des parties, je ne pense pas qu’on doive indistinctement appliquer l’article du Code pénal qui veut que l’on poursuive toujours. Mais supposons un de ces duels où l’on convient qu’il n’y aura qu’un pistolet chargé et qu’on tirera à bout portant ; il y aura là une volonté de mort bien préméditée : ce sera une circonstance aggravante, mais il pourra aussi y avoir des circonstances atténuantes, celle par exemple d’une provocation violente dans l’espèce de l’art. 321.
En un mot, notre législation est combinée de telle manière que le jury et les juges peuvent graduer les déclarations et les peines, depuis la peine de mort jusqu’à un acquittement complet ; qu’il peut y avoir, selon les cas, ou peine corporelle ou de simples dommages-intérêts. Ces dommages-intérêts eux-mêmes, quoiqu’ils ne soient qu’accessoires, seront le plus souvent un mode puissant de répression. Il faut qu’on puisse aller jusqu’à ruiner celui qui prive un père de ses enfants, une femme de son époux, une famille d’un de ses membres chéris. Il faut que nos mœurs sur ce point imitent celles des Anglais. Il faut qu’on sache demander des dommages-intérêts, sauf ensuite à en faire un emploi de générosité si l’on est riche, et à en profiter si l’on n’est pas fortuné. Il faut qu’on sache en demander ; il faut aussi que les tribunaux sachent en accorder : car souvent, par un manque de sévérité, les tribunaux encouragent le mal et se rendent en quelque sorte responsables de l’emportement avec lequel on demande aux armes une satisfaction qu’on craint de ne pas obtenir d’eux, quand il s’agit de calomnies ou d’injures. En Angleterre, on n’hésite pas ; la loi est mieux entendue; la vie privée est murée, et les dommages-intérêts accordés contre les libellistes sont considérables. Le condamné doit garder prison jusqu’à parfait paiement et satisfaction donnée à celui qui a été insulté dans son honneur ou attaqué dans sa personne.
En résumé, le Code n’admet pas d’autres distinctions que celles qu’il a dites lui-même ; il défend d’en admettre d’autres. Or, que fait l’arrêt ? précisément ce que le Code défend. Il retient la qualification de duel, dont le législateur n’a pas voulu se servir. Rappelez-vous, en effet, Messieurs, le mot de Treilhard, à qui l’on disait : - Mais vous n’avez pas parlé du duel. Il répondit : - Nous n’avons pas voulu lui faire l’honneur de le nommer.
Autrefois, le duel était un privilégié ; de nos jours, on s’est contenté de le reléguer dans le droit commun. La loi ne s’attache qu’au fait matériel d’homicide volontaire ; l’arrêt, au contraire, allègue le préjugé; il a égard , pour excuser le duelliste, à une prétendue moralité d’intention qui ne permet pas, dit-il, de confondre le duelliste avec le meurtrier ! Le préjugé, grand Dieu ! et c’est dans un arrêt qu’on trouve une pareille excuse ! Mais à quelle fin sont clone institués les magistrats ? Est-ce pour céder aux préjugés, ou pour y résister ? Prêtons-nous serment de fidélité au préjugé ou à la loi ? Il est évident que c’est là la pire de toutes les allégations. A la vérité, on essaie de flétrir le duel. On dit bien « qu’il est contraire à la religion et à la morale, à l’ordre public et à la sécurité des familles.» Mais en résultat on ne flétrit que le législateur, en l’accusant d’avoir par trois fois oublié de punir le duel, en remaniant toute la législation criminelle en 1791, en l’an 4 et en 1810…
Mais, dit-on, la loi est trop sévère. Cela serait vrai que ce ne serait pas l’affaire du juge. Le juge doit appliquer la loi : si la loi est sévère, trop impérieuse, le législateur est là ; cela ne regarde pas le juge. Mais cela n’est pas vrai. Notre forme actuelle de législation comporte toutes les appréciations du fait. Je ne conseille ni indulgence excessive ni sévérité outrée pour le duel ; je laisse au magistrat le soin de modifier la peine selon les circonstances. Mais il ne faut pas déclarer la loi impuissante, alors qu’au contraire elle arme le pouvoir judiciaire du moyen de maintenir l’ordre dans la société. Il faut que le magistrat poursuive et que, comme en Angleterre, alors qu’il y a un homme mort par accident ou autrement, on fasse une instruction. Il faut qu’on sache, et qu’on sache bien, si cet homme mort a été assassiné, s’il s’est suicidé, ou si simplement il est mort par accident, auquel cas le magistrat anglais prononce, d’après sa formule, qu’il est mort par la visitation de Dieu. Il faut ample et légale satisfaction donnée à la société et à la morale publique. Il ne faut. plus que chez nous le duel reste en quelque sorte en honneur. Il ne faut pas que celui qui tue passe pour un héros, et se présente partout la tête haute, avec la prétention de se faire applaudir....
Magistrats ! la mission que vous avez à remplir aujourd’hui est sublime ! Vous êtes appelés à faire cesser le désordre introduit dans les esprits par les funestes vacillations de la jurisprudence. Hâtez-vous donc de les fixer par un arrêt solennel. Qu’une exécution ferme et mesurée s’ensuive ; et ce préjugé d’un autre âge, le dernier de ceux que nous a légués la brutalité féodale, aura disparu devant l’ordre légal et constitutionnel !
Dans ces circonstances et par ces considérations, nous estimons qu’il y a lieu de casser l’arrêt de la Cour royale de Bourges.
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Arrêt de la Cour de cassation ( rendu après délibération en la chambre du conseil )
LA COUR ;
Vu les art. 295, 296, 297, 302, 309 et 310 du Code Pénal ;
Attendu que, si la législation spéciale sur les duels a été abolie par les lois de l’Assemblée constituante, on ne saurait induire de cette abolition une exception tacite en faveur du meurtre commis et des blessures et coups volontaires portés par suite de duel ;—Que sous le Code des délits et des peines de 1791, ces meurtres, blessures et coups étaient restés sous l’empire du droit commun ; que le décret d’ordre du jour du 29 messidor an 2 ne se réfère qu’au Code militaire, et n’est relatif qu’à de simples provocations de militaires d’un grade inférieur envers leur supérieur ;—Que le Code de l’an 4 a été rédigé dans le même esprit que celui de 1791, et ne contient aucune disposition nouvelle sur cette matière ;
Attendu que les dispositions des art. 295 et 296 C.pén. sont absolues et ne comportent aucune exception ; que les prévenus des crimes prévus par ces articles doivent être dans tous les cas poursuivis;—Que si, dans les cas prévus par les art. 327, 328 et 329 du même Code, les chambres du conseil et les chambres d’accusation peuvent déclarer que l’homicide, les blessures et les coups ne constituent ni crime ni délit, parce qu’ils étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d’autrui, on ne saurait admettre que l’homicide commis, les blessures faites et les coups portés dans un combat singulier, résultat funeste d’un concert préalable entre deux individus, aient été autorisés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même, puisqu’en ce cas le danger a été entièrement volontaire, la défense sans nécessité, et que ce danger pouvait être évité sans combat ;
Attendu que, si aucune disposition législative n’incrimine le duel proprement dit et les circonstances qui préparent ou accompagnent cet acte homicide, aucune disposition de loi ne range ces circonstances au nombre de celles qui rendent excusables le meurtre, les blessures et les coups;—Que c’est une maxime inviolable de notre droit public, que nul ne peut se faire justice à soi-même; que la justice est la dette de la société tout entière, et que toute justice émane du roi, au nom duquel cette dette est payée (art. 48 de la Charte);— Que c’est une maxime non moins sacrée de notre droit public, que toute convention contraire aux bonnes mœurs et à l’ordre public est nulle de plein droit (art 6 C.civ.); que ce qui est nul ne saurait produire d’effet, et ne saurait, à plus forte raison, paralyser le cours de la justice, suspendre l’action de la vindicte publique, et suppléer au silence de la loi pour excuser une action qualifiée crime par elle et condamnée par la morale et le droit naturel ;
Attendu qu’une convention par laquelle deux hommes prétendent transformer de leur autorité privée un crime qualifié en action indifférente ou licite, se remettre d’avance la peine portée par la loi contre ce crime, s’attribuer le droit de disposer mutuellement de leur vie et usurper ainsi doublement les droits de la société, rentre évidemment dans la classe des conventions contraires aux- bonnes mœurs et à l’ordre public ;—Que si, néanmoins, malgré le vice radical d’une telle convention, on pouvait l’assimiler à un fait d’excuse légal, elle ne saurait être appréciée qu’en Cour d’assises, puisque les faits d’excuse, admis comme tels par la loi, ne doivent point être pris en considération par les chambres du conseil et les chambres d’accusation, et ne peuvent être déclarés que par le jury ;
Qu’il suit de là que toutes les fois qu’un meurtre a été commis, que des blessures ont été faites ou des coups portés, il n’y a pas lieu, par les juges appelés à prononcer sur la prévention ou l’accusation, au cas où ce meurtre, ces blessures ou ces coups ont eu lieu dans un combat singulier dont les conditions ont élé convenues entre l’auteur du fait et sa victime, de s’arrêter à cette convention prétendue; —Qu’ils ne peuvent, sans excéder leur compétence et sans usurper les pouvoirs des jurés, surtout sous l’empire de la loi du 28 avril 1832, statuer sur cette circonstance, puisque , lors même qu’elle pourrait constituer une circonstance atténuante, ce serait aux jurés qu’il appartiendrait de la déclarer; —Que si, aux termes de la loi constitutionnelle de l’État (Charte, art. 56), aucun changement ne peut être effectué à l’institution des jurés que par une loi, les tribunaux ne sauraient, sans porter atteinte à cette disposition et à cette institution, restreindre, et moins en semblable matière qu’en toute autre, la compétence et la juridiction des jurés;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que, le 29 janvier dernier, Pesson a, dans un combat singulier, donné la mort à Baron; que néanmoins la Cour royale de Bourges a déclaré n’y avoir lieu à suivre contre ledit Pesson, par le motif que ce fait ne rentre dans l’application d’aucune loi pénale en vigueur, et ne constitue ni crime ni délit ; qu’en jugeant ainsi, ladite Cour a expressément violé les art. 295, 296, 297 et 302 du Code pénal, et faussement appliqué l’art. 328 du même Code;
Par ces motifs ; Casse, et renvoie...
Du 15 décembre 1837 (Chambres réunies) : Président, M. Portalis ; Rapport M. Bérenger, Conseiller ; Conclusions, M. Dupin, Procureur général.
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Dans la ligne de cette jurisprudence, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu peu après deux arrêts qui ont été publiés à la suite de la décision ci-dessus :
Cass.crim. 22 décembre 1837 (S. 1938, p.15, arrêt Badimon et Binet)
Cass.crim. 22 décembre 1837 ( S. 1938, p.16, arrêt Andrezszwki)