LES POURSUITES CRIMINELLES
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Dans son ouvrage consacré aux Règles de droit et de morale tirées de l’Écriture sainte, Dupin (Aîné), qui fut Procureur général à la Cour de cassation au XIXe siècle, commence le chapitre consacré au « droit criminel » par cette règle : « En matière criminelle, il faut d’abord savoir qui est l’accusateur. Car s’il n’y a pas d’accusation régulière, indiquant la nature du délit et ses circonstances, il ne peut y avoir de condamnation ».
Cette règle fait écho au principe de la séparation des différentes fonctions sociales. Légiférer, Poursuivre, Juger apparaissent comme trois activités distinctes, qui supposent des qualités, des aptitudes et des états d’esprit différents ; elles ne sauraient dès lors être confiées aux mêmes personnes.
Au demeurant, le fait de permettre à une même autorité d’édicter les lois, d’exercer des poursuites et de rendre les jugements dans une même affaire conduirait inévitablement à des abus de pouvoirs. C’est pourquoi, comme l’ont souligné Aristote et Montesquieu, ces trois fonctions rationnelles doivent être réparties entre trois pouvoirs indépendants les uns des autres.
L’autonomie de la fonction chargée de l’exercice des poursuites n’est toutefois apparue qu’assez tardivement dans l’histoire ; encore est-elle actuellement attaquée.
Sous les droits anciens, tout citoyen pouvait se porter accusateur. Par exemple, c’est un obscur Melitus de Lampsaque qui fut chargé d’envoyer Socrate devant les juges et provoqua sa condamnation à boire la ciguë. On parle dans ce cas d’action populaire. Cette technique comporte de nombreux dangers, tant pour la société (arbitraire dans les poursuites) que pour les individus (risque de chantage liée à une accusation portée sur des faits imaginaires).
C’est pourquoi, les tribunaux en vinrent progressivement à exiger de l’accusateur qu’il établisse un intérêt propre à l’exercice des poursuites, et prenne la responsabilité personnelle de son accusation. C’est alors une personne se présentant comme victime qui devint accusatrice. Ce frein aux actions injustifiées présenta en outre l’avantage de canaliser le sentiment de vengeance. En liant l’action civile à l’action sociale, on fit en sorte qu’un même procès permit à la fois, de faire respecter les lois pénales, et d’indemniser les victimes.
Mais cette voie privée était insuffisante. D’une part, il n’était pas assuré que les victimes osassent porter plainte. D’autre part, tous les délits ne causent pas un dommage : tel est le cas des incriminations de type préventif, tel le port d’arme punissable avant toute atteinte. D’où la nécessité qu’un représentant de l’État veille à l’application des lois : avec l’avènement des légistes, ce sera le ministère public (rattaché à la fonction exécutive).
L’investiture du procureur du Roi (devenu procureur de la République), ne s’est faite que progressivement. En voici un des paliers : une ordonnance de Philippe le Bel de 1302 interdit aux procureurs du Roi de représenter aucune autre partie que lui-même, donc nul autre que l’État. Dès la fin de l’Ancien régime, il était établi que le ministère public avait le monopole de l’action publique, exercée dans l’intérêt tant de la Nation que de l’État.
L’organisation et le fonctionnement du ministère public ont été loués tant par des philosophes que par d’éminents juristes. Montesquieu (De l’esprit des lois, VI-VIII) a écrit : « Nous avons aujourd’hui une loi admirable : c’est celle qui veut que le Prince prépose un officier dans chaque tribunal pour poursuivre en son nom tous les crimes : de sorte que la fonction de délateur est inconnue parmi nous… La partie publique veille pour les citoyens ; elle agit, et ils sont tranquilles ». Portalis, principal rédacteur du Code civil, a pu dire que cette institution « nous a préservés de cette foule de délateurs devenus le fléau des familles et de l’État sous l’Empire romain… Elle a su devenir l’auxiliaire de la loi, le régulateur de la jurisprudence, l’appui de la faiblesse, l’accusateur des méchants, la sauvegarde de l’intérêt général, enfin une sorte de représentant du corps entier de la société ».
Il est vrai que, dans la vie quotidienne, le ministère public apparaît tout autant comme le protecteur des victimes que comme le modérateur des poursuites en justice. On peut dès lors regretter les atteintes qui lui sont portées depuis quelques années (voir les articles 2-1 et suivants du Code de procédure pénale), et déplorer que des groupes de pression empiètent sur ses prérogatives en se faisant reconnaître le droit d’agir, au nom de l’État, en faveur d’intérêts corporatifs.
Le Code d’instruction criminelle de 1808 avait commis l’erreur de placer le juge d’instruction (membre du pouvoir judiciaire) sous l’autorité du ministère public (membre du pouvoir exécutif) ; mais le législateur contemporain a heureusement remédié à cette anomalie voulue par Napoléon 1er. Aujourd’hui le magistrat instructeur est devenu légalement indépendant ; de plus, il a su lui aussi se montrer un modérateur des poursuites, ce qui fait regretter les graves menaces qui pèsent sur sa fonction.
Il n’empêche que, par la force des choses, dans la pratique quotidienne les fonctions de poursuite et d’instruction sont étroitement imbriquées. C’est pourquoi nous présentons ci-dessous un aperçu de l’ensemble des formules employées dans la pratique du droit criminel.
Pour donner une idée aussi précise que possible des différents actes que l’on peut rencontrer au fil d’une procédure, nous ne présenterons que les plus courants, mais sous deux formes. D’abord des documents vierges, tels qu’ils sont proposés au ministère public et aux magistrats, afin qu’ils n’aient plus qu’à les remplir sans risque d’omission ou d’erreur technique ( Modèles de formulaires judicaires ). Ensuite des documents réels, extraits d’affaires qui ont effectivement été traitées ( Exemples pratiques d'actes de procédure ).