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PROCÈS-VERBAL DE FLAGRANT DÉLIT

Extrait du procès criminel de Marie-Anne Charlotte Corday d'Armont

Nous avons actualisé l’orthographe de ces documents
pour en faciliter la lecture et d’éventuelles traductions,
mais nous avons laissé subsister les fautes et inexactitudes
résultant de la hâte dans laquelle la procédure a été conduite.

Extrait du :
Procès criminel de Marie-Anne Charlotte Corday d'Armont

 

Constatation du décès de Marat
Premier interrogatoire de Charlotte de Corday
Perquisition sur sa personne
Mise en arrestation

L’an deuxième de la République Française, le samedi treize juillet, sept heures trois quarts de relevée.

Nous Jacques-Philibert Guellard, Commissaire de Police de la Section du Théâtre-Français, dite de Marseille, instruit par la clameur publique qu’il y avait un grand rassemblement dans la rue des Cordeliers, et que ce qui donnait lieu à ce rassemblement était le Bruit de l’assassinat commis en la personne du Citoyen Marat, Député à la Convention nationale ; nous sommes sur-le-champ transporté à la maison du dit Citoyen Marat, susdite rue des Cordeliers, n° 30, où étant monté au premier étage et entré dans une pièce servant d’antichambre éclairée d’une croisée ayant vue sur la cour, nous y avons trouvé différents citoyens armés et une citoyenne dont on tenait les deux mains, et accusée d’avoir porté un coup de couteau au Citoyen Marat dans, l’instant qu’il était au bain, dont on nous a dit que le Citoyen Marat était expiré.

Et à l’instant nous étant transporté dans une petite pièce à gauche ayant vue sur la cour, nous avons aperçu dans une pièce adjacente et où était une baignoire, une grande quantité de sang sur le carreau, et que l’eau de la baignoire était toute teinte de sang, qu’avait perdu ledit Citoyen Marat.

Étant ensuite entré dans une autre pièce servant de chambre à coucher et ayant vue sur la rue par deux croisées à grands verres de Bohème, à gauche de la porte où est un lit, nous y avons trouvé étendu le cadavre du dit Citoyen Marat, assassiné par un coup de couteau, et auprès du dit cadavre avons aussi trouvé et par devant nous est comparu le citoyen Philippe Jean Pelletan, Chirurgien consultant des armées de la République et membre du Conseil de Santé, demeurant rue de Touraine, faubourg Saint-Germain.

Lequel nous a dit et fait remarquer que le coup de couteau porté au dit Marat a pénétré sous la clavicule du côté droit, entre la première et la seconde vraie côte et cela si profondément que l’index a facilement pu pénétrer de toute sa longueur à travers le poumon blessé, et que d’après la position des organes, il est probable que le tronc des carotides a été ouvert, ce qu’indique encore la perte du sang qui a causé la mort, et qui sortait à flots de la plaie au rapport des assistants, et a le dit citoyen Pelletan signé au présent, à l’effet de constater la véracité de son rapport.

Pelletan

Et de suite, nous Commissaire, après avoir donné acte au dit Pelletan de ses comparution, dire, rapport et déclaration, avons examiné le cadavre et avons reconnu autant qu’il était en nous, la vérité du dit rapport, qui nous avait été fait, et ayant jeté les yeux à côté du cadavre, nous avons trouvé un couteau à manche en bois d’Ébène dont la lame toute fraîche émoulue nous a paru être teinte de sang, et avoir été l’instrument avec lequel ledit Marat avait été assassiné dans son bain.

Étant de suite repassé dans la première pièce servant d’antichambre, où nous avions d’abord trouvé la femme prévenue d’avoir commis cet assassinat, l’ayant fait passer dans une pièce servant de salon, et percée de deux croisées ayant jour sur la dite rue des Cordeliers, nous l’avons interrogée de la manière et ainsi qu’il suit, en présence des citoyens Marino et Louvet, Administrateurs au Département de Police à la Mairie , survenus à l 'instant au bruit de cet assassinat.

Avant de procéder à cet interrogatoire, de l’avis des dits Citoyens Administrateurs, avons pensé qu’il était à propos de faire part de cet horrible attentat aux Comités de Salut Public et de Sûreté Générale de la Convention, ainsi qu’au Conseil de la Commune, ce que nous avons fait à l 'instant.

PREMIÈREMENT à elle demandé ses noms, surnoms, âge, qualité, pays et demeure ?

- A répondu se nommer Marie-Anne-Charlotte  Corday, ci-devant D’Armant, native de la paroisse Saint-Saturnin-des-Lignerits, Diocèse de Sées, âgée de vingt-cinq ans moins quinze jours, vivant de ses revenus et demeurant ordinairement à Caen, lieu de sa résidence, et présentement logée à Paris, rue des Vieux-Augustins, Hôtel de la Providence.

- À elle demandé depuis quel temps elle est à Paris, et quel a été l’objet de son voyage dans cette ville ?

- A répondu y être arrivée jeudi dernier avec un passeport quelle avait obtenu à Caen, dont elle est partie le mardi d’avant et être venue dans cette ville sans aucun dessein.

- À elle demandé s’il n’est pas vrai que, heure présente, elle s’est introduite chez le Citoyen Marat, qui était alors au bain, et s’il n’est pas également vrai qu’elle a assassiné Marat avec le couteau que nous lui représentons à l’instant ?

- A répondu que oui, et qu'elle reconnaît le couteau.

- Interpellée de nous déclarer ce qui l’avait déterminée à commettre cet assassinat ?

- A répondu qu’ayant vu la guerre civile sur le point de s’allumer dans toute la France et persuadée que Marat était le principal auteur de ce désastre, elle avait préféré à faire le sacrifice de sa vie pour sauver son pays.

- À elle observé qu’il ne parait pas naturel qu'elle ait conçu ce dessein exécrable de son propre mouvement, et interpellée de nous déclarer les personnes qu'elle fréquente le plus ordinairement dans la ville de Caen ?

- A répondu qu’elle n’a communiqué son projet à âme qui vive, qu’il y a quelque temps qu’elle avait le passeport qui avait servi pour venir à Paris, qu’en partant mardi dernier de Caen et en quittant une vieille parente chez laquelle elle demeure (la citoyenne Coutelier de Bretteville, veuve, âgée de soixante et quelques années), à elle Répondante a seulement dit qu’elle allait voir son père, que très peu de personnes fréquentaient la maison de cette parente, et qu’aucune n’a jamais rien su de son dessein.

- À elle observé que suivant la réponse antécédente il y a tout lieu de croire qu’elle n’a quitté la ville de Caen que pour venir commettre cet assassinat dans la personne du Citoyen Marat ?

- A répondu qu’il est vrai qu’elle avait ce dessein, et qu’elle n’aurait pas quitté Caen si elle n’eût envie de l’effectuer.

- Sommée de nous déclarer où elle s’est procurée le couteau dont elle s’est servie pour commettre ce meurtre, de nous dire qu’elles sont les personnes qu’elle a vues à Paris, et enfin de nous rendre compte de ce qu’elle a fait à Paris, depuis le jeudi qu’elle y est arrivée ?

- A répondu : avoir acheté le couteau dont elle s’est servie pour assassiner Marat, le matin à huit heures au Palais-Royal, et l’avoir payé quarante sols ; qu’elle ne connaît personne à Paris, où elle n’est jamais venue, qu’arrivée jeudi vers le midi, elle s’est couchée, n’est sortie de son appartement que le vendredi matin, pour se promener vers la Place des Victoires et dans le Palais-Royal ; que l’après-midi elle n’est point sortie, qu’elle s’est mise à écrire différents papiers que nous trouverons sur elle ; qu’elle est sortie ce matin, a été au Palais-Royal vers les sept heures et demie huit heures, y a acheté le couteau dont nous avons parlé ci-dessus, a pris une voiture Place des Victoires, pour se faire conduire chez le Citoyen Marat, auquel elle n’a pu parvenir ; qu’alors retournée chez elle, elle a pris le parti de lui écrire par la petite poste, et sous un faux prétexte de lui demander une audience. — Qu’elle Répondante, sur les sept heures et demie du soir avait pris une voiture pour se présenter chez le Citoyen Marat y recevoir la réponse à sa lettre, que dans la crainte d’éprouver un refus, elle s’était précautionnée d’une autre lettre, qui est dans son portefeuille, et qu’elle se proposait de faire tenir au Citoyen Marat, mais qu’elle n’en a point fait usage, ayant été reçue à cette heure, et enfin que son projet n’était point un projet ordinaire.

- À elle demandé comment elle est parvenue cette seconde fois auprès du Citoyen Marat, et dans quel temps elle a commis le crime envers sa personne ?

- A répondu que des femmes lui avoient ouvert la porte, qu’on avait refusé de la faire pénétrer auprès de Marat, mais que ce dernier ayant entendu la Répondante insister, il avait lui-même demandé qu’on l’introduisit auprès de son bain, qu’il avait fait plusieurs questions à la Répondante sur les Députés de présent à Caen, sur leurs noms et ceux des Officiers Municipaux ; que la Répondante les lui avait nommés, et que Marat ayant dit qu’ils ne tarderaient pas à être guillotinés, c’est alors qu’elle Répondante a tiré le couteau qu’elle portait dans son sein, dont elle a aussitôt frappé le dit Marat dans son bain.

- À elle observé, après avoir consommé le crime, si elle n’a pas cherché à s’évader par la fenêtre ?

- A répondu, que non, qu’elle n’a eu aucun dessein de s’évader par la fenêtre, mais qu’elle se fût en allée par la porte si on ne s’y fut opposé.

Nous avons fait fouiller la Répondante, et dans ses poches se sont trouvés les objets ci-après, savoir :

1° En vingt-cinq écus de six livres, cinquante écus ;

2° Un dé d’argent ;

3° Cent quarante livres en un assignat de cent livres, et quatre autres assignats de dix livres chacun ;

4° Une lettre à l’adresse de Marat, ainsi qu’elle nous l’avait déclarée plus haut ;

5° Un passeport au signalement de la Répondante, délivré par la municipalité de Caen, le 8 avril et visé le 23 dudit mois ;

6° Une montre d’or faite par Dubosq, de Caen ;

7° Une clef de malle et un peloton de fil blanc, tous objets non suspects, mais dans la gorge de la Répondante s’est trouvée une gaine en façon de chagrin et servant au couteau avec lequel la Répondante a assassiné Marat, et en sa présence nous avons présenté le couteau qui nous a paru y aller, de plus dans la gorge s’est aussi trouvés deux papiers attachés ensemble, avec une épingle, dont ayant fait lecture, nous avons reconnu que l’un était son Extrait Baptistaire, et l’autre une diatribe, en forme d’Adresse aux Français, dont il a été fait lecture en présence des Citoyens Maure, Legendre, Chabot et Drouet, membres du Comité de Sûreté générale de la Convention, alors intervenus par un arrêté dudit Comité.

- Demandé à la Répondante qu’il y a lieu de croire qu’elle nous en impose en disant que personne n’était instruit de son dessein, vu la quantité de numéraire dont elle est munie, et qu’il est difficile de se procurer, surtout pour une fille de son âge ?

- A répondu que ce numéraire est une partie de celui qu’elle possédait, et qu’elle a pris ces cinquante écus afin de suppléer au peu d’assignats qu’elle avait, ne voulant rien demander à ses parents.

- Interrogée si la répondante est fille?

- A répondu que oui.

- Interrogée si, ce matin, elle ne s’est point présentée à Sainte-Pélagie ou autre prison de cette ville ?

- A répondu que non, qu’elle ignore même où sont les prisons.

Lecture faite à la répondante dudit interrogatoire, et de ses réponses a dit ses réponses contenir vérité, y persister, et a signé.

Corday

Maure aîné, Legendre, François Chabot, Drouet,
Marino, Louvet
.

Ce fait, nous Commissaire sur la demande à nous faite par les Citoyens Administrateurs de Police dénommés ci-dessus, de la personne de la dite Marie-Anne-Charlotte Corday, avons ordonné qu’elle serait remise à leur garde pour être par eux ordonné ce qu’il appartiendra.

À l’égard des objets ci-dessus énoncés, nous nous en sommes chargés pour les faire remettre à qui il sera ordonné.

Guellard

Signe de fin