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INSTRUCTION PRÉPARATOIRE :
AUDITION DE TÉMOINS

Extrait du procès criminel de Marie-Anne Charlotte Corday d'Armont

Nous avons actualisé l’orthographe de ces documents
pour en faciliter la lecture et d’éventuelles traductions,
mais nous avons laissé subsister les fautes et inexactitudes
résultant de la hâte dans laquelle la procédure a été conduite.

Extrait du :
Procès criminel de Marie-Anne Charlotte Corday d'Armont

INSTRUCTION DEVANT
LE TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE

Dirigée concurremment par :

1° E. Foucault, Juge ;
2° A . Roussillon, Juge ;
3° J .-B.-M. Montané, Président.

AUDITION DE TÉMOINS DEVANT FOUCAULT

Nous Etienne Foucault, juge au tribunal extraordinaire et révolutionnaire établi par la loi du 10 mars 1791 et en vertu des pouvoirs délégués au tribunal par la loi du 5 avril de la même année, vu la cédule délivrée par le Président qui ordonne assignation à la requête de l’accusateur public en date du …

Aux témoins indiqués par ledit accusateur public à l’effet de faire leur déclaration sur les faits contenus contre la nommée Corday, prévenue, et l’assignation donnée en conséquence le …

À comparaître à ce jour, lieu et heure,

En présence de l’accusateur public et assisté de Anne Ducray, commis greffier dudit tribunal,

Avons reçu les déclarations desdits témoins ainsi qu’il suit :

Est comparue la citoyenne Évrard Simone [qui était la concubine et non la sœur de Marat], âgée de vingt-sept ans, demeurant rue des Cordeliers, numéro trente,

Laquelle déclare que le samedi treize du courant sur les midi, une jeune personne qu’elle a su depuis se nommer Marie-Anne-Charlotte Corday se présenta à l’antichambre de l’appartement du citoyen Marat, que cette jeune personne déclara avoir des choses très intéressantes et très pressées à communiquer au citoyen Marat, et qu’il fallait absolument qu’elle lui parlât, que la Déclarante lui refusa l’entrée de la chambre où était le citoyen Marat, en lui disant qu’il était très malade et que sa position ne lui permettait de voir personne, que cette jeune demoiselle insista encore toujours sur le fondement des secrets importants qu’elle avait à révéler au citoyen Marat, que malgré ses instances la Déclarante refusa toujours l’entrée à cette personne qui s’en alla en lui demandant quand il faudrait qu’elle revînt, si c’était dans trois ou quatre jours, ou dans quinze jours.

A quoi la Déposante lui répondit qu’elle ne pouvait lui dire l’époque ni le jour auquel elle pourrait revenir, que même elle lui ajouta qu’il était inutile qu’elle revînt parce qu’elle ne lui parlerait pas, attendu qu’on ne savait pas quand ledit Marat serait rétabli.

Que cette même personne, malgré la réponse de la déposante, revint une seconde fois le même jour, mais que la déposante ne la vit pas cette seconde fois ; qu’enfin, ladite Charlotte Corday écrivit une lettre au citoyen Marat, qui lui fut remise le même jour ; qu’une demie heure environ après que le citoyen Marat eut lu cette lettre, cette jeune personne se présenta pour la troisième fois environ sur les huit heures, qu’elle s’adressa d’abord à la citoyenne Pain, qui lui réitéra l’impossibilité où elle était d’être introduite chez le citoyen Marat, que ce dernier ordonna alors qu’on la fit entrer ; que la Déclarante qui était alors dans la chambre du citoyen Marat fit entrer ladite Corday et se retira un peu à l’écart dans ladite chambre, de manière à ne pas entendre la conversation avec le citoyen Marat.

Que ladite Corday causa environ un grand quart d’heure avec le citoyen Marat qui dans le moment était dans son bain vêtu simplement d’un peignoir et occupé à écrire ce que lui disait Charlotte Corday, sur une tablette arrangée à cet effet sur la baignoire.

Que dans le moment la sœur d’elle déclarante était occupée à écraser des morceaux de terre anglaise pour l’usage du citoyen Marat ; que la déclarante lui a dit qu’elle en écrasait trop, et passa auprès du citoyen Marat pour lui montrer cette terre ; que le citoyen Marat lui dit qu’il n’y en avait pas trop, mais qu’au surplus elle pouvait en ôter un petit morceau, qu’ensuite elle emporta cette terre qu’elle remit à sa soeur, et aperçut en même temps deux plats sur lesquels il y avait des ris de veaux et de la cervelle qu’elle emporta, et pendant que ladite déclarante s’était absentée un instant et était passée dans le salon, emportant les deux plats, la fille Corday profita de cet instant pour enfoncer un couteau dans le sein du citoyen Marat, qu’alors la Déclarante entendit des cris confus et s’écria : Ah ! mon Dieu, il est assassiné ! que de suite elle se transporta dans l’antichambre où elle trouva Charlotte Corday aux prises avec la citoyenne Pain, portière, et le commissionnaire qui porte ordinairement les feuilles chez le Ministre de la Guerre, qu’elle sauta sur elle, la prit par la tête, et tous trois ensemble la jetèrent par terre, qu’après l’avoir atterrée, elle déclarante courut auprès de son frère qu’elle trouva baigné dans son sang, porta la main sur la plaie pour arrêter le sang qui coulait à gros bouillons, que pendant ce temps il arriva des voisins à l’aide desquels on le retira du bain, on le plaça sur un lit où il était déjà expiré ; que la déclarante n’a point quitté son frère, mais qu’elle a toujours recommandé qu’on ne laissât pas échapper l’assassin.

Et est tout ce qu’elle a dit savoir.

Lecture faite à la Déclarante de sa déclaration, a persisté et signé avec nous, et notre commis greffier.

Évrard, Foucault

Et aussi comparu la citoyenne Jeannette Maréchal, âgée de trente-deux ans, cuisinière chez la citoyenne Évrard, chez laquelle le citoyen Marat demeurait.

Laquelle déclare que le samedi matin treize du présent, entre neuf et dix heures du matin, une jeune personne, que la déclarante a su depuis s’appeler Marie-Anne-Charlotte Corday, s’est présenté à la portière chez laquelle elle déclarante était, demanda l’adresse du citoyen Marat, qu’on lui dit que c’était au premier sur le devant, que cette personne a monté l’escalier très lestement, que la déclarante resta chez la portière, ou elle a vu redescendre avec la même promptitude la fille Corday.

Que le même jour entre sept et huit heures du soir, la déclarante étant dans l’antichambre à côté de l’appartement du citoyen Marat, elle a vu revenir la fille Corday qui a demandé à parler au citoyen Marat, avec beaucoup de vivacité, que sur la réponse qu’on lui lit qu’elle ne pouvait lui parler, elle demanda si il avait reçu la lettre qu’elle lui avait écrite, que la portière qui était occupée dans l’antichambre à ployer des feuilles, lui répondit que le citoyen Marat recevait beaucoup de lettres et qu’on ne pouvait lui dire si la sienne lui était parvenue, qu’alors la citoyenne Évrard, qui sortait de l’appartement du citoyen Marat, a paru et a dit de faire entrer la fille Corday. Après l’ordre qu’en avait donné lui-même le citoyen Marat, qu’elle Déclarante s’est occupée à donner une cuillère pour écraser des petits morceaux de terre carrés dans une carafe d’eau d’amande, qu’il s’est trouvé deux plats de cervelle et de ris de veau, que la citoyenne Évrard a emporté dans sa chambre dans la crainte qu’on ne jeta sur ces plats quelque chose qui put empoisonner Marat ; que dans ces entrefaites et pendant que la citoyenne Évrard passait dans le salon pour entrer dans la chambre du citoyen Marat, la Déclarante a entendu la portière et le commissionnaire crier à l’assassin et à la garde, et la citoyenne Évrard s’écria : Ah! mon Dieu, on l’a assassiné ! Laquelle Déclarante conjointement avec la citoyenne Évrard s’est jeté sur la fille Corday, l’ont terrassé et l’ont empêchée de se jeter par la fenêtre, qu’ensuite la citoyenne Évrard s’est porté auprès du citoyen Marat pour lui porter du secours et arrêter le sang qui coulait de sa plaie, que l’infortuné Marat était dans sa baignoire, les yeux fixés sur la citoyenne Évrard, qu’on l’a retiré du bain, qu’on l’a placé sur un lit, où il a fait deux ou trois soupirs et est expiré ; que ladite déclarante a ramassé le couteau dont s’était servi la fille Corday.

Et est tout ce qu’elle a dit savoir.

Lecture faite de sa déclaration a persisté et avons signé avec notre commis greffier,

La déposante nous ayant déclaré ne savoir signer.

Foucault. Ducray

Est aussi comparu la citoyenne Marie-Barbe Aublain, femme du citoyen Pierre-Dominique Pain, âgé de trente-deux ans, portière et ouvrière chez le citoyen Marat, rue des Cordeliers, n° 30.

Laquelle déclare que le treize du courant une jeune femme, que la déposante a su se nommer Charlotte Corday, se présenta à deux fois différentes dans la matinée chez le citoyen Marat.

Que la première fois on lui a refusé la porte, que la seconde fois elle est montée et est descendue tout de suite, qu’elle s’est présenté une troisième fois le même jour entre sept et huit heures du soir, qu’alors la Déclarante était dans l’antichambre du citoyen Marat, avec le commissionnaire qui attendait les paquets, que la fille Corday demanda à parler au citoyen Marat, que la Déclarante lui répondit que cela était impossible, attendu que depuis sa maladie, il ne parlait à personne, que d’ailleurs il était dans son bain pour le moment ; qu’alors la citoyenne Évrard s’est présenté et a ordonné de faire entrer la fille Corday, qui a été introduite dans la chambre du citoyen Marat, qui était alors dans son bain ; que la citoyenne Évrard, avec sa soeur et sa cuisinière étaient sur le devant, que la citoyenne Évrard appela la déclarante pour lui faire voir un journal qu’on lisait en face, que la déclarante étant revenu dans la chambre, elle a entendu un cri perçant : A moi, à moi, ma chère amie ! qu’alors la déclarante est accourue et a aperçu la fille Corday ouvrir la porte du cabinet et a vu le citoyen Marat baignant dans son sang, qu’elle s’est écrié : Malheureuse ! qu’as-tu fait ! Qu’elle a couru sur elle avec une chaise pour l’empêcher de sortir, et a crié : A l’assassin ! à la garde ! qu’alors les deux soeurs et la cuisinière sont accourues, se sont emparé de la fille Corday, qu’ensuite la déclarante a couru chercher un chirurgien. Et est tout ce qu’elle a dit savoir.

Lecture faite de sa déclaration a persisté et a signée avec nous commis greffier.

Femme Pain. Foucault. Ducray.

AUDITION DE TÉMOINS PAR MONTANÉ

L’an mil sept cent quatre-vingt-treize, l’an deuxième de la République française, le seize juillet.

Nous Jacques-Bernard-Marie-Montané, président du tribunal extraordinaire et révolutionnaire établi par la loi du dix mars mil sept cent quatre-vingt-treize, et en vertu des pouvoirs délégués au tribunal par la Loi du cinq avril de la même année, vu la cédule délivrée par le Président qui ordonne assignation à la requête de l’accusateur public, en date du jourd’huy :

Aux témoins indiqués par ledit accusateur public, à l’effet de faire leur déclaration sur les faits contenus en les procès-verbaux contre Marie-Anne-Charlotte Corday, prévenue, et l’assignation donnée en conséquence ce jourd’huy par Auvray, huissier,

A comparaître à ce jour, lieu et heure,

En présence de l’accusateur public et assisté de Etienne Masson, commis greffier dudit tribunal.

Avons reçu les déclarations desdits témoins ainsi qu’il suit.

Est comparue Catherine Evrard, âgée de vingt et un ans, sans profession, demeurant à Paris, rue des Cordeliers, numéro trente, maison du Citoyen Marat, laquelle nous a dit que samedi treize de ce mois, entre huit et neuf heures du matin, une jeune femme vêtue de brun, portant un chapeau noir, est venue demander le Citoyen Marat, que la Comparante lui a répondu qu’il n’était pas possible de lui parler, qu’elle s’est en allée ; elle est revenue le soir, sur les sept heures, et a demandé si le Citoyen Marat avait reçu la lettre qu’elle lui avait écrit, que la sœur de la Comparante a averti le Citoyen Marat que cette jeune femme qui lui avait écrit demandait à lui parler, qu’il a alors permis qu’on la fit entrer ; qu’elle est entrée, que la Comparante étant entrée aussi pour donner à boire au Citoyen Marat, a vu ladite jeune femme pleurer, et être consolée par ledit Citoyen Marat ; que la Comparante étant passée dans une autre chambre a entendu crier les personnes de la maison, est entrée et a vu qu’on relevait la dite femme qu’on avait couchée par terre, et Marat expirant dans la baignoire ; qui est ce qu’elle a dit savoir :

Lecture faite, a signé avec nous l’accusateur public et le greffier :

Signé Évrard, Montané, Lescot-Fleuriot, E. Masson

Pierre-François Feuillard, âgé de trente-cinq ans, garçon de l’hôtel de la Providence, rue des Vieux-Augustins.

Lequel nous a dit que le onze de ce mois, sur les midi, une jeune femme sortant de la diligence de Caen, est venue demander un logement, que son paquet était porté par un commissionnaire, qu’elle voulait d’abord se coucher, mais est sortie pendant environ trois quart d’heure après avoir demandé audit Comparant la rue Saint-Thomas-du-Louvre ; que dans l’après-midi elle a dormi ; que le lendemain elle est sortie à pied est rentrée en fiacre, et a été visitée environ trois ou quatre fois par un citoyen qu’il reconnaîtrait ; qu’elle a envoyée le Comparant chercher du papier et des plumes, que le Comparant lui ayant demandé des nouvelles, elle lui a dit que beaucoup de troupes allaient de Paris à Caen, mais que trois ou quatre cent seulement venaient de Caen à Paris, qu’elle a demandé au Comparant ce qu’on disait de Marat, qu’il a dit qu’on le regardait comme un bon citoyen, que cela a fait sourire cette jeune femme ; qui est tout ce qu’il a dit savoir.

Lecture faite, a signé avec nous et ledit accusateur public et le greffier.

Signé Feuillard, Montané, Lescot-Fleuriot. E. Masson

Laurent Bas, âgé de vingt-neuf ans, commissionnaire, demeurant rue de la Sonnerie à Paris, maison du citoyen Baille, lequel a dit qu’il est porteur des journaux de Marat, qu’il était occupé à plier les papiers avec la portière de la maison, que sur les sept heures et demie du soir du treize de ce mois, une jeune femme est venue demander si la lettre qu’elle avait envoyée à Marat lui était parvenue, qu’elle désirait fort le voir, que la citoyenne Évrard a été avertir Marat, que Marat a permis qu’on fit entrer la jeune femme, que sept à huit minutes après qu’elle a été entrée, la citoyenne Évrard, étant dans une autre chambre et sa sœur sortant de donner à boire à Marat, le Comparant a entendu Marat dire d’une voix étouffée : A moi, moi amie ! je me meurs ! qu’il a vu la jeune femme ouvrir la porte, et le sang rejaillir dans l’antichambre, que se trouvant seul avec elle, il la terrassée avec une chaise, qu’elle s’est relevée, qu’il la terrassée de nouveau, en la prenant par les mamelles, que la portière est entrée, ensuite le principal locataire, et quelques autres citoyens, que ladite femme a été arrêtée et que bientôt après la garde s’en est emparée ; qui est tout ce qu’il a dit savoir.

Lecture faite, a signé avec nous l’accusateur public et le greffier.

Signé : Laurent Bas, Montané, Lescot-Fleuriot. E. Masson

Signe de fin