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INSTRUCTION PRÉPARATOIRE :
INTERROGATOIRE DE L'ACCUSÉE

Extrait du procès criminel de Marie-Anne Charlotte Corday d'Armont

Nous avons actualisé l’orthographe de ces documents
pour en faciliter la lecture et d’éventuelles traductions,
mais nous avons laissé subsister les fautes et inexactitudes
résultant de la hâte dans laquelle la procédure a été conduite.

Extrait du :
Procès criminel de Marie-Anne Charlotte Corday d'Armont

INTERROGATOIRE DE CHARLOTTE DE CORDAY
PAR MONTANÉ

Cejourd’hui, seize juillet de l’an mil sept cent quatre-vingt treize, second de la République, onze heures du matin.

Nous Jacques Bernard-Marie Montané, président du tribunal criminel révolutionnaire, établi par la loi du dix mars mil sept cent quatre-vingt-treize, sans recours au tribunal de Cassation, et encore en vertu des pouvoirs délégués au tribunal par la loi du cinq avril de la même année, assisté de Robert Wolff, commis greffier du tribunal, en l’une des salles de l’auditoire au palais, et en présence de l’accusateur public, avons fait amener de la maison d’arrêt la nommée Cordaye auquel avons demandé ses noms, âge,profession, pays et demeure ?

- A répondu se nommer Marie-Anne-Charlotte Corday, âgée de vingt-cinq ans, fille de Jacques-François Corday, ci-devant noble, demeurant à Caen, chez la veuve Le Coutellier de Bretteville, née aux Ligneries, district d’Argentan, département de l’Orne ; le citoyen son père demeurant à Argentan.

D. À Elle demandé à quelle époque Elle a quitté Caen ?

R. A répondu mardi dernier.

D. Où Elle est allée en sortant de Caen ?

R. À Paris.

D. De quelle manière Elle est arrivée à Paris ?

R. Dans une voiture qui part trois fois par semaine pour Paris.

D. Si Elle était seule ?

R. Qu’elle était seule de sa connaissance, mais qu’il y avait sept à huit personnes dans la voiture.

D. Si Elle connaissait quelques une de ces personnes ?

R. Que non.

D. Quel jour Elle est arrivée à Paris ?

R. Jeudi dernier vers midi.

D. Où Elle est descendue en arrivant à Paris ?

R. Qu’elle a descendu où la voiture s’est arrêtée et que de là Elle a été logé rue des Vieux Augustins, hôtel de la Providence.

D. Qui lui avait indiqué l’hôtel où Elle a logé ?

R. Par un des hommes qui sont au Bureau, qu’elle ne

connaît pas.

D. Quel est le sujet de son voyage à Paris ?

R. Qu’elle n’avait d’autre intention, et qu’elle n’est venue que pour tuer Marat.

D. Quels sont les motifs qui ont pu la déterminer à une action aussi horrible ?

R. Que c’est tous ses Crimes.

D. Quels sont les Crimes qu’elle lui reproche ?

R. La désolation de la France, la guerre civile qu’il a allumée dans tout le royaume.

D. Sur quoi Elle se fonde pour avancer la réponse ci-dessus ?

R. Que ses Crimes passés sont un indice de ses Crimes présents, que c’est lui qui a fait massacrer au mois de Septembre, que c’est lui qui entretient le feu de la guerre civile, pour se faire nommer Dictateur, ou autre chose, et que c’est encore lui qui a attenté à la souveraineté du Peuple en faisant arrêter et enfermer des Députés à la Convention le 31 mai dernier.

D. Quelle preuve Elle a que Marat fut l’auteur des maux dont Elle parle ?

R. Qu’elle ne peut pas en faire la preuve ; mais que c’est l’opinion de la France, que l’avenir l’apprendra, et que Marat avait un masque sur la figure.

D. Ce qu’elle a fait en arrivant à Paris ?

R. Qu’elle a été à l’instant de son arrivée chez le citoyen Duperret, député de la Convention.

D. Ce qu’elle y allait faire ?

R. Qu’elle était allé lui porter un paquet de la part de Barbaroux.

D. Si Elle a trouvé ce Député ?

R. Que non, qu’il n’était pas chez lui.

D. Si Elle a laissé le paquet ?

R. Qu’elle l’a laissé à ses filles.

D. Par qui Elle a été conduite chez lui ?

R. Elle y est allée seule et a pied.

D. Si Elle y est allée plusieurs fois dans le même jour ?

R. Qu’elle y est retournée quatre heures après, parce que là on lui avait dit d’y retourner à cette heure là, qu’elle a trouvé alors le citoyen Duperret qui dînait.

D. Quel fut le sujet de leur entretien ?

R. Qu’elle y était allée relativement au paquet dont Elle vient de parler, et pour l’engager à l’accompagner chez le Ministre de l’intérieur pour y retirer des papiers qu’elle avait envoyé depuis six mois et qu’elle demandait depuis huit jours.

D. S’il y a eu entre Elle et ledit Duperret quelqu’autre entretien ?

R. Que non.

D. Ce qu’elle a fait a Paris le deuxième jour de son arrivée ?

R. Qu’elle alla chez le Ministre avec Duperret le matin.

D. Pourquoi faire ?

R. Pour lui redemander ses papiers.

D. Quels étaient ces papiers ?

R. Qu’ils appartenaient à mademoiselle de Forbin, Chanoinesse de Troies, qui est en Suisse, et qu’elle était d’Avignon, parce que le district de Caen refusait de lui payer son traitement de Chanoinesse comme émigrée.

D. Ce qu ‘elle a fait dans la même journée ?

R. Une Addresse qu’on a trouvé sur Elle , et qu’ensuite Elle s’est reposée.

D. Ce qu’elle a fait le troisième jour ?

R. Qu’elle s’est promenée au Palais-Royal dans la matinée et seule.

D. Ce qu’elle a fait au Palais-Royal et si Elle y a acheté quelque chose ?

R. Que oui.

D. Ce qu’elle a acheté?

R. Un jugement rendu contre les assassins de Léonard Bourdon et un couteau de table à gaine, à manche noir, de grandeur ordinaire, pour quarante sols.

D. Quel est le motif qui l’a déterminée a acheter ce couteau ?

R. Pour tuer Marat.

D. Ce qu’Elle a fait le restant de la journée ?

R. Qu’elle a été vers les onze heures ou onze heures et demie chez Marat avec un fiacre.

D. Ce qu’Elle a fait en y arrivant ?

R. Qu’elle a demandé à lui parler.

D. Si Elle lui a parlé ?

R. Que l’ayant fait demander dans son antichambre, il s’est présenté deux ou trois femmes qui lui dirent qu’elle n’entrerait pas ; qu’elle insista, qu’une des femmes alla dire à Marat qu’une citoyenne voulait lui parler, qu’il lui fut répondu qu’elle n’entrerait pas, qu’alors elle s’en retourna chez elle, où elle rentra vers midi.

D. Ce qu’Elle a fait le restant de la journée ?

R. Qu’elle écrivit à l’instant à Marat.

D. Ce qu’elle lui disait dans sa lettre ?

R. Elle cherchait à lui faire croire qu’elle avait des choses intéressantes à lui communiquer sur le Calvados.

D. Ce qu’elle a fait le reste de la journée et si Elle n’est pas allée à la Convention Nationale ?

R Qu’elle n’est pas sortie, ni n’est allée à la Convention Nationale, qu’elle ignore même où elle est située ; puis se reprenant, dit qu’elle est sortie à sept heures du soir pour venir chez Marat.

D. Si Elle l’y a trouvé ?

R. Que oui.

D. Qui est ce qui la introduite ?

R. Les mêmes femmes qui l’avaient refusé le matin.

D. Quelle a été sa conversation en entrant ?

R. Qu’il lui a demandé quels étaient les troubles de Caen ; qu’elle lui a répondu que dix-huit Députés de la Convention d’accord avec le Département y régnaient, que tout le monde s’enrôlait pour délivrer Paris des anarchistes, que quatre membres du département avaient conduit une partie des armées à Évreux, qu’il écrivit les noms des Députés qui sont à Caen, et quatre administrateurs du Département du Calvados.

D. Quels sont les noms des Députés et des Administrateurs dont elle parla à Marat ?

R. Ces députés sont : Gorsas, Larivière, Buzot, Barbaroux, Louvet, Bergoïng, Petion, Cussi, Salle, Le Sage, Valady, Kervellegant, Guadet, et cinq autres dont elle ne se rappelle pas les noms ; que les Administrateurs du Calvados sont : Lévêque, Président, Bougon, Procureur Général, Ménil et Le Normand, Administrateurs.

D. Que répondit Marat ?

R. Qu’il les ferait bientôt tous guillotiner à Paris.

D. Quelle fut la suite de la conversation ?

R. Que ce fut le dernier mot, qu’à l’instant elle le tua.

D. De quelle manière Elle le tua ?

R. Avec le couteau qu’elle avait acheté au Palais-Royal qu’elle lui plongea dans le sein.

D. Si en lui portant le coup elle croyait le tuer ?

R. Qu’elle en avait bien l’intention.

D. Si Elle savait qu’en dirigeant le coup où elle l’a porté Elle le tuerait ?

R. Que c’était son intention.

D. À Elle observé qu’une action aussi atroce n’a pu être commise par une femme de son âge, sans y avoir été excitée par quelqu’un ?

R. Qu’elle n’avait dit ses projets à personne, qu’elle n’a pas crû tuer un homme, mais une bête féroce qui dévorait tous les Français.

D. D’où Elle induit que Marat était une bête féroce ?

R. Par tous les troubles qu’il a excité et par les massacres dont il est l’auteur ; que dernièrement à Caen, il faisait accaparer le numéraire à tout prix.

D. Comment Elle sait que Marat accaparait le numéraire ?

R. A répondu qu’elle ne peut en donner la preuve, mais qu’un particulier a été arrêté muni d’argent qu’il apportait à Paris, et qu’on fait actuellement son procès.

D. Ce qu’Elle devint lorsqu’elle eut consommé l’assassinat ?

R. Qu’elle fut arrêtée en sortant de la chambre où elle l’avait commis, qu’elle fut interrogée dans le salon à côté de la chambre, qu’elle en sortit vers les minuit pour être conduite à l’Abbaye.

D. À Elle demandé si en allant chez le Ministre de l’intérieur ce n’était pas pour l’assassiner ?

R. Que non, qu’elle ne le regardait pas assez dangereux pour cela.

D. Quel était l’état du mari de la citoyenne chez laquelle elle demeurait à Caen ?

R. Qu’il était Trésorier de France.

D. Si elle a des enfants ?

R. Aucun.

D. Si c’est elle qui a élevée, Elle Déposante ?

R. Non, qu’il n’y a que deux ans qu’elle est chez elle.

D. À elle observé qu’une citoyenne bien née n’a pas l’habitude de voyager seule surtout à l’âge où elle est ; que fille d’un ci-devant, et en ayant tous les principes, elle devait tenir a cette étiquette, que sa parente n’a pas pu la laisser partir pour un voyage de Paris, sans savoir le motif ?

R. Qu’avec un projet comme le sien on ne tient point aux étiquettes, qu’elle avait fait croire à sa parente qu’elle allait passer quelques jours chez son père à Argentan avec une de ses amies, et que c’est de cette manière qu’elle est partie de Caen mardi dernier à deux heures après dîner.

D. Si Elle a indiqué le nom de son amie à sa parente ?

R. Que non, qu’elle ne lui a même pas donné le temps de la réflexion.

D. Si Elle a été seule prendre la voiture ?

R. Oui.

D. À Elle observé que cela paraît étonnant et a dû paraître tel aux personnes chargées de ces voitures, notamment au Directeur, que tout cela conduit à croire qu’Elle a été introduite à la voiture par quelqu’un, qu’Elle est sommée de s’expliquer sur cela ?

R. Qu’elle n’a été conduite à la voiture par personne et qu’elle s’est peu occupée de ce qu’on penserait d’elle.

D. Si Elle avait retenu sa place avant d’aller la prendre ?

R. Qu’elle l’avait retenue la veille sous son vrai nom.

D. Qui lui a donné l’argent dont elle s’est trouvée nantie lors de son arrestation ?

R. Qu’elle l’avait ; que son père lui fournissait de l’argent quand elle en voulait, qu’elle avait cent écus en espèces sur lesquels elle avait pris les cinquante écus dont elle s’est trouvée nantie.

D. Quel moyen Elle a employé pour se procurer le passeport par Elle annoncé ?

R. Qu’elle l’avait pris dans le mois d’avril dernier, d’abord pour aller voir ses parents à Argentan ; qu’ensuite se trouvant à la municipalité avec une de ses amies qui en prenait un, que la municipalité se trouvant en train d’en donner, elle fit viser le sien pour Paris, étant toujours bien aise d’être en état de s’en servir dans un temps de révolution, observant qu’elle n’avait aucun projet à cette époque.

D. À quelle époque Elle l’a fait viser ?

R. Qu’elle croit que c’est dans le même mois ou dans le commencement de mai.

D. Quel est le nom de l’amie qui se trouvait avec elle à la Municipalité ?

R. Qu’elle s’appelle Beaumont, qu’elle demeure à Caen, qu’elle croit qu’elle y était encore au moment de son départ.

D. À Elle représenté qu’il n ‘est pas présumable qu’une Demoiselle reste seule, qu’elle devait demeurer chez ses parents, et interpellé de nous dire dans quelle maison elle demeurait à Caen ?

R. Qu’elle demeurait à cette époque aux Bains-Nationaux de Caen.

D. A quelle époque Elle a fait connaissance de Barbaroux et des autres collègues Députés qu’elle a désigné plus haut.

R. Que voulant faire finir l’affaire de madame Forbin, elle est allée trouver Barbaroux qu’elle connaissait pour être ami de la famille de ladite dame Forbin et l’inviter à s’intéresser près du district de Caen, et qu’il lui a dit qu ‘il fallait qu’elle fit revenir les papiers qu’elle avait envoyé au Ministre de l’intérieur.

D. Comment et où Elle a connu les autres Députés dont Elle a dit ci-devant le nombre ?

R. Qu’étant tous logés à l’Intendance, Elle a été trois fois voir Barbaroux, et a vu les autres en même temps.

D. Si Elle leur a parlé ou à quelques-uns d’entre eux ?

R. Qu’elle a parlé à beaucoup d’eux la dernière fois qu’elle a été à l’intendance ?

D. Sur quoi roulait la conversation ?

R. Que la conversation a roulé sur l’ardeur des habitants de Caen, à s’enrôler pour venir contre les anarchistes de Paris.

D. Ce qu’Elle entend par le mot anarchistes ?

R. Ceux qui cherchent à détruire toutes les loir pour établir leur autorité.

D. Si ces Députés ne tiennent point de séance publique à l’Intendance et s’ils ne font point de proclamations, et courir des papiers dont Gorsas et Louvet sont les auteurs !

R. Qu’elle ignorait s’ils tenaient des séances publiques et qu’elle n’y a point assisté, que plusieurs d’entre eux font circuler des adresses, des proclamations et même des chansons, dont le but est de rappeler le peuple à l’unité de la République.

D. Si Elle a lu quelques-unes de ces adresses, proclamations et chansons ?

R. Que oui, mais qu’elle les a brûlées avant son départ pour Paris dans la crainte qu’on en trouvât sur elle dans son voyage.

D. À Elle observé que puisqu’elle craignait qu’ou en trouvât sur elle, Elle savait donc que ces papiers contenaient des mauvais principes et contraires à l’ordre public ?

R. A répondu qu’elle savait très bien que si Elle était trouvée nantie de ces papiers, ils déplairaient aux anarchistes.

D. Si par ces papiers les auteurs n’encourageaient pas les bons citoyens (selon eux) à assassiner Marat, Robespierre, Danton et autres Dépurés de la Montagne défenseurs des droits du Peuple, et que ces Députés traîtres et rebelles qualifient d’anarchistes ?

R. Que ces papiers n’ont jamais répandu de pareils principes.

D. À Elle observé que si ces papiers ne renferment point de pareils principes, ils ont dû lui être suggérés particulièrement soit par ces Députés, soit par leurs créatures, car une personne de son sexe et de son âge ne peut pas être déterminée à faire un voyage de Paris pour y assassiner un homme qu’elle ne connaissait pas ?

R. Qu’il suffisait bien de quatre ans de crime pour le lui faire connaître, et qu’elle n’avait pas besoin de savoir ce que les autres en pensaient.

D. Quels sont les papiers-nouvelles qu’elle a lus depuis la révolution, et si, notamment, Elle n’a pas lu Gorsas, le Patriote Français et différents autres ouvrages contraires à la révolution ?

R. Qu’elle était abonnée seulement au journal de Perlet ; mais qu’elle a lu quelques fois Gorsas, le Courrier Français, le Courrier Universel et plus de cinq cents autres brochures pour et contre -la révolution, dans tous les genres.

D. Si Elle connaît l’Évêque du département du Calvados ?

R. Qu’elle l’a vu passer de sa croisée, mais qu’il n’était jamais venu chez sa parente, qu’elle ne lui a jamais parlé, et qu’elle n’avait pas assez d’estime pour lui pour cela.

D. Si Elle a eu connaissance du contenu du paquet par Elle remis de la part de Barbaroux à Duperret ?

R. A répondu que le paquet lui a été remis tout cacheté, qu’elle ignorait ce qu’il contenait, sinon qu’il y avait une lettre relative à l’affaire de madame Forbin.

D. Si le jeudi à la seconde fois qu’elle est retournée chez Duperret, combien Elle y est restée de temps ?

R. Qu’elle n’y resta que deux ou trois minutes, le temps de lire la lettre, qu’ils ne s’assirent même pas.

D. Si Elle n’a point été à la Convention le même soir ?

R. Que non ; qu’elle n’en a même jamais eu la pensée.

D. À Elle observé qu’il parait qu’elle ne nous dit point la vérité, car plusieurs indices portent (à croire) qu’elle à été ce même soir dans une tribune de la Convention dans laquelle sont venus la trouver successivement deux particuliers et une femme, et que leur conversation a roulé sur le compte de Marat, contre lequel, Elle accusée, a déclamé beaucoup, que même en sortant des tribunes, il fut question d’aller chez le Ministre de l’intérieur ?

R. Que le fait est faux, qu’on peut s’en informer à son hôtel, et qu’au surplus elle aurait été fort maladroite.

D. Si depuis son arrivée à Paris, Elle n’a point écrit et fait écrire différentes lettres à Caen ?

R. Pas une.

D. À Elle observé qu’il parait cependant que quelqu’un qui est venu la voir plusieurs fois, a écrit trois lettres pour elle, lesquelles même ont été vu sur le lit ?

R. Qu’elle n’a jamais fait écrire de lettres par personne, qu’on n’en a pas vu sur son lit ; qu’il n’y avait que l’Adresse qui a été trouvée sur elle.

D. Quelles sont les personnes qui sont venues la voir, depuis qu’Elle est logée à l’hôtel de la Providence ?

R. Personne que le citoyen Duperret qui était venu deux fois chez elle, l’une pour aller chez le Ministre de l’intérieur et une seconde pour la dissuader d’aller chez le Ministre, attendu qu’elle n’avait pas de procuration pour retirer ces papiers, ajoutant que Duperret la pria de remettre une lettre à Barbaroux, lorsqu’elle retournerait à Caen ; qu’elle lui répondit qu’elle ne savait pas si elle y retournerait, et quand elle y retournait ; que d’ailleurs, avant de partir elle irait elle-même lui dire, ou lui ferait dire, que le lendemain elle serait sortie toute la journée, qu’elle ne voulait pas qu’il vînt la voir, qu’au surplus elle l’avait engagé à aller lui-même à Caen parce qu’elle le croyait plus en danger à Paris.

D. À Elle observé qu’il paraît que Duperret est allé chez Elle cinq fois, et une autre personne deux fois.

R. Que Duperret n’est venu que deux fois et que nulle autre•personne n’y était venue.

D. À quelle boutique elle a acheté le couteau avec lequel elle a commis l’assassinat, et si c’est un homme ou une femme qui le lui ont vendu ?

R. Que c’est un homme qui lui a vendu ce couteau, mais qu’elle ignore dans quelle boutique ni de quel côté, ne l’ayant acheté qu’après avoir fait dix fois le tour du Palais-Royal.

D. Qui lui a donné l’Adresse de Marat ?

R. Qu’elle a dit a un fiacre de l’y conduire, que ledit fiacre lui dit qu’il ignorait sa demeure ; qu’elle lui a dit de s’en informer, qu’il s’en informa et l’y conduisit.

D. À Elle observé qu’il semble que dans ses précédentes réponses, elle a dit qu’elle y avait été à pied ?

R. Qu’elle n’avait point été à pied chez Marat, mais bien chez Duperret.

D. À Elle demandé qui a écrit une adresse au crayon, trouvée sur elle lors de son arrestation, qui est l’adresse de Marat ?

R. Que c’est elle qui l’avait écrite après l’avoir appris par le premier cocher de fiacre qui l’avait conduit chez Marat.

D. Comment Elle s’est déterminée à aller la première fois chez Marat à onze heures et demie du matin, lorsque le connaissant Député elle devait le supposer à son poste ?

R. Qu’elle s’est informée à son hôtel si Marat allait toujours à la Convention, et que sur la réponse qui lui fut faite, qu’on ne le croyait pas, elle est allée chez lui, déclarant que son intention était, si elle ne l’avait pas trouvé chez lui, d’aller le tuer à la Convention même.

D. Si ce n’est pas au contraire Duperret qui lui a appris que Marat était malade et ne pouvait aller à la Convention ?

R. Qu’elle ne le croit pas, qu’elle croit que ce sont les gens de l’Hôtel, et qu’elle ne croit pas avoir parlé de Marat avec Duperret.

D. À Elle représenté de nouveau qu’elle ne persuadera à qui que ce soit, qu’une personne de son âge et de son sexe, ait conçu un pareil attentat pour l’exécuter même dans la Convention, si elle n’y avait pas été excitée et sollicitée par quelques personnes qu’elle ne veut pas nous indiquer, et notamment par Barbaroux, Duperret et autres connus publiquement pour les ennemis de Marat.

R. Que c’est bien mal connaître le coeur humain, qu’il est plus facile d’exécuter un tel projet d’après sa propre haine que d’après celle des autres.

D. Si Elle n’a point été chanoinesse ou dans quelques couvents ?

R. Qu’elle n’a jamais été chanoinesse, ni religieuse, mais qu’elle a été plusieurs années pensionnaire à l’Abbaye de Sainte-Trinité de Caen.

D. Si Elle ne connaît pas la citoyenne de Précorbin et si elle ne la pas été voir à Paris ?

R. Qu’elle connaît le nom de la famille de Précorbin, mais qu’elle ignorait qu’il y en eut à Paris.

D. Si Elle a des frères et soeurs et où ils sont ?

R. Qu’elle a deux frères et une soeur, que sa soeur est à Argentan avec son père, qu’elle ignore où sont ses frères, qu’elle ne les pas vu depuis environ un an.

D. Quel était leur état ?

R. L’un était officier au régiment ci-devant Normandie, et l’autre un enfant qui n’a pas encore d’état.

D. Si Elle n ‘a pas été mariée ?

R. Jamais.

D. S’il n’est pas vrai qu’Elle nous a dit qu’on voulait à Caen, l’unité et l’indivisibilité de la République ?

R. Que le Peuple et les Administrateurs ont juré la République une et indivisible, et que c’est écrit sur toutes les bannières, qu’ils n’en veulent qu’aux anarchistes, et veulent délivrer les Parisiens.

D. Si Elle n’a point écrit une lettre aujourd’hui ?

R. Qu’elle en a commencée une qui n’est point encore achevée, qu’elle a dans sa poche, laquelle elle a à l’instant tirée en demandant la permission de l’achever et de l’envoyer ou du moins de l’envoyer nous mêmes après l’avoir lue.

D. À qui s’adresse cette lettre ?

R. Que c’est à Barbaroux.

D. Si Elle avait eu quelques conversations avec Barbaroux ?

R. Qu’elle n’en avait eue aucune autre que relatif à l’affaire de la dame Forbin.

D. Si Barbaroux lui a demandé le détail de son voyage, et s’il en connaissait le motif.

R. Qu’effectivement Barbaroux lui a demandé le détail de son voyage, par une lettre qu’il lui écrivit, mais qu’il n’en connaissait pas le motif, qu’elle est fâchée d’avoir brûlé la lettre de Barbaroux, parce que nous y verrions que tout le monde ignorait son voyage.

D. À Elle représenté que si Barbaroux n’eut pas été informé du motif de son voyage pour Paris, il ne lui aurait pas promis le secret, et que d’ailleurs elle ne serait point étendue d’une manière si complaisante dans la lettre en question, par elle commencée aujourd’hui sur l’assassinat par elle commis en la personne de Marat ?

R. Que comme cette lettre est pour plusieurs personnes, elle est entrée dans plus de détails.

D. Si on ne l’avait pas persuadée qu’aussitôt qu’elle aurait assassiné Marat, elle serait elle même massacrée ?

R. Que personne n’avait cherché à l’en persuader, mais qu’elle le croyait elle-même, que c’est par la raison qu’elle en avait écrit le motif dans l’Adresse qu’on a retrouvée sur elle et qu’elle voulait qu’on connut après sa mort.

D. À Elle demandée si elle a un Conseil ?

R. Déclare qu’elle nomme pour son Conseil ou Défenseur officieux, le citoyen Doulcet, Député de Caen à la Convention, et que dans le cas, où il ne pourrait pas, attendu la déclaration de l’accusée qu’elle n ‘en connaît point d’autre ; nous lui avons nommé d’office le citoyen Guyot, homme de loi.

Avons à l’instant avec ladite Corday, ledit Accusateur Public, et notre commis greffier, coté et paraphé ladite lettre, dont est question commencée par ladite Corday, contenant six pages et trois lignes d’une septième, et a ladite Corday signé avec nous, ledit Accusateur Public et le commis greffier :

Après avoir fait lecture du présent interrogatoire à ladite Corday, et qu’elle a déclarée y persisté et n ‘avoir rien à changer, augmenter ou diminuer.

Signé Corday, Montané, Fouquier-Tinville, Wolf, commis-greffier.

Signe de fin