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EXAMEN PSYCHOLOGIQUE D’UN ASSASSIN

( Source : De Greef «  Introduction à la criminologie », Bruxelles 1946 )

 

Dès son plus jeune âge Robert F. s’est montré profondément différent des autres enfants. Il a fini par assassiner une femme âgée de 62 ans, habitant seule, et qui lui témoignait de la sympathie.

Son père est un homme faible et apathique. Toutefois, de ce côté l’hérédité est assez normale. La mère est âgée de 15 ans de moins que son mari. Son père à elle fut un grand alcoolique et qui, de plus, fit cinq années de prison pour viol de sa fille légitime. La femme de celui-ci, grand'mère du détenu, mourut dans un asile d’aliénés à 48 ans. Le père de cette femme était d'ailleurs un grand alcoolique. Le détenu a une sœur, enfant naturelle légitimée. Il eut encore un frère et une sœur, morts dans les premiers mois de la vie.

Le détenu est un garçon pâle, à la figure maigre, paraissant plus jeune que son âge. Les tares morphologiques sont moyennes.

Il fut très gâté par sa mère. Dès son jeune âge il se révéla un caractère difficile, capricieux, récalcitrant et cruel. Enclin à la colère, querelleur, renvoyé de l'école pour son indiscipline, ses vols et sa cruauté. On le confie pour un moment à un instituteur, qui a ses idées sur l'éducation et se comporte avec lui comme un véritable dompteur : sans résultats, évidemment.

Il possède une intelligence moyenne, a même un peu de goût pour l’étude. Par moments il a vraiment bon cœur et donne alors tout ce qu'il possède.

Dès 14 ans il travaille dans une verrerie. Puis dans un charbonnage. C'est un travailleur instable, parfois donnant satisfaction, puis, sans raison apparente, ne se rendant plus à sa besogne. Il est souvent renvoyé, et rentre alors dans un autre charbonnage.

Chez lui, il se comporte comme un voleur insatiable. Bien que devenu un grand jeune homme, c’est pour acheter des bonbons et des friandises qu'il vole le plus. On a dû mettre des serrures spéciales à chaque tiroir pour se soustraire à ses vols. Sa sœur, mariée, habite encore chez ses parents, avec lui. Il en profite, en l’absence de son mari, pour lui extorquer de l'argent, parfois même sous la menace du couteau : un jour qu'elle est au lit, malade, il s'approche d'elle menaçant, couteau en main : « Donne-moi ton argent, sinon je te fais un mauvais quart d’heure ».

Sous ses apparences, il est resté un garçon timide et peureux. Ses mouvements sont gauches, brusques, désordonnés. Il devient anxieux pour rien. Dès qu’il entend l’orage il se cache la tête sous ses couvertures si c'est la nuit ; et le jour il va se cacher dans le noir. Il allait au cinéma trois ou quatre fois par semaine et il y pleurait facilement, presque chaque fois, sur le sort des personnages. Mais dans la vie il se montre totalement indifférent à la joie et à la souffrance des autres.

Il n’osait jamais regarder quelqu'un en face, dans les yeux. Il avait l’impression que cela faisait mal.

Il n'a aucun ami et n'en a jamais eu. Il maltraite les animaux par plaisir. Mais il voudrait entrer en relation avec une jeune fille. Tous ses camarades ont leur petite amie, mais lui reste seul. Il ne sait comment parler ni comment faire. Les filles ne s’occupent pas de lui. Il se sent très inférieur à ses camarades et en souffre. Il réagit en s’habillant très bien, recherchant les costumes les plus chics et les cravates les plus élégantes. Mineur, il se procure un nécessaire de manucure par les bons primes des cigarettes. Il soigne ses mains, d'une façon toute particulière. Le fond de sa pensée qu'il nous a. livré simplement était que s'il parvenait à avoir des relations sexuelles avec une femme, il serait guéri de sa timidité et serait comme les autres garçons. Il avait l’œil sur la sœur d'un jeune homme qu'il rencontrait parfois. Elle était jolie et élégante ; c'est avec elle qu'il eut voulu commencer. Mais la grande difficulté était d'entrer en communication avec elle. Il se dit que s'il avait beaucoup d’argent il pourrait réussir. De là, chez lui, un désir brusque et impérieux de se procurer une somme qui lui permettrait de vivre sa vie pendant un bon moment. Au point de vue sexuel, il se livrait à un onanisme intense.

Dès qu’il eût décidé qu’il lui fallait de l’argent, la victime fut instantanément choisie. C’était une femme de 62 ans, chez qui il se rendait parfois, qui était très gentille avec lui et qui avait beaucoup d’argent. Il se rendit le jour même chez elle pour voir comment il s’y prendrait pour exécuter son coup si les circonstances s’y prêtaient. Il y retourna le lendemain, lui demanda son argent et, comme elle refusait, l’assomma à coups de poings. Il lui poussa un torchon dans la bouche, pour la faire taire, et, pour l’aveugler, lui enfonça les deux pouces dans les yeux. Comme elle bougeait encore il la ligota. Il fouilla alors fiévreusement la maison, ne trouva que 240 francs et partit, pris de peur. Il pensa bien à violer la victime avant de partir, mais craignit qu’on ne vint. Il rentra chez lui, brûla ses gants et, sûr de l’impunité, partit s’amuser et acheter quelques menus objets et une chemise.

Il raconte son acte avec indifférence, n’oubliant pas de se vanter à chaque occasion.

Nous avons affaire ici à un anormal, gravement taré au point de vue affectif et à propos de qui on doit craindre l'évolution vers la maladie mentale caractérisée. Il lui arrive, maintenant, après quelques années, d’exprimer un regret : il se rend bien compte, dit-il, que ce n’était pas bien... Le personnel le considère comme un fou.

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De près ou de loin, le plus grand nombre des cas de ce genre que nous avons examinés, et c’est à peu près dans tout le pays, ressemble à ce cas typique. Appartenant à des familles aisées, jouissant d'une certaine considération et pouvant se faire aider par des avocats de renom la moitié au moins eussent pu bénéficier de l’internement, sans qu'on dût forcer l’interprétation des symptômes ; ce Robert est à assimiler à un grand déséquilibré. C’est à propos d'individus de ce genre qu'on voit à quel point l’hérédité mentale morbide peut influencer le comportement d’individus qui ne présentent, par ailleurs, pas de grandes déficiences dans le domaine intellectuel. C’est ici aussi qu’on peut juger à quel point une méthode nous manque pour déceler et mesurer ces tares morales, dont nous constatons les effets, mais que nous ne percevons pas au cours d’un examen clinique de courte durée.

Signe de fin