DÉCRET DE MISE EN ACCUSATION
DE LOUIS XVI
OU ACTE ÉNONCIATIF DES CRIMES
DE LOUIS, DERNIER ROI DES FRANÇAIS
du 11 décembre 1792
Louis, le peuple français vous accuse d’avoir commis une multitude de crimes pour établir votre tyrannie en détruisant sa liberté.
Article 1er. Vous avez, le 20 juin 1789, attenté à la souveraineté du peuple, en suspendant les assemblées du peuple, en suspendant les assemblées de ses représentants, et en les repoussant par la violence du lieu de leurs séances. La preuve en est dans le procès-verbal dressé au « Jeu de paume » de Versailles par les membres de l’Assemblée constituante.
Article 2. Le 23 juin, vous avez voulu dicter des lois à la nation; vous avez entouré des troupes ses représentants, vous avez présenté des déclarations royales, éversives de toute liberté et vous leur avez ordonné de se séparer. Vos déclarations et les procès-verbaux de l’Assemblée constatent ces attentats.
Article 3. Vous avez fait marcher une armée contre les citoyens de Paris; vos satellites ont fait couler leur sang, et vous n’avez éloigné cette armée que lorsque la prise de la Bastille et l’insurrection générale vous ont appris que le peuple était victorieux. Les discours que vous avez tenus les 9, 12 et 14 juillet aux diverses députations de l’Assemblée constituante, font connaître quelles étaient vos intentions, et les massacres des Tuileries déposent contre vous.
Article 4. Après ces événements, et malgré les promesses que vous aviez faites le 15 dans l’Assemblée constituante, et le 17 dans l’Hôtel de ville de Paris, vous avez persisté dans vos projets contre la liberté nationale. Vous avez longtemps éludé de faire exécuter les décrets du 11 août, concernant l’abolition de la servitude personnelle, du régime féodal et de la dîme. Vous avez longtemps refusé de reconnaître la Déclaration des droits de l’homme. Vous avez augmenté du double le nombre de vos gardes du corps, et appelé le régiment de Flandre à Versailles. Vous avez permis que, dans les orgies faites sous vos yeux, la cocarde nationale fût foulée aux pieds, la cocarde blanche arborée, et la nation blasphémée; enfin vous avez nécessité une nouvelle insurrection, occasionné la mort de plusieurs citoyens, et ce n’est qu’après la défaite de vos gardes que vous avez changé de langage, et renouvelé des promesses perfides. Les preuves de ces faits sont dans vos observations du 18 septembre sur les décrets du 11 août, dans les procès verbaux de l’Assemblée constituante, dans les événements de Versailles des 5 et 6 octobre, et dans le discours que vous avez tenu le même jour à une députation de l’Assemblée constituante, lorsque vous lui dites que vous vouliez vous éclairer de ses conseils, et ne jamais vous séparer d’elle.
Article 5. Vous avez prêté, à la Fédération du 14 juillet un serment que vous n’avez pas tenu. Bientôt vous avez essayé de corrompre l’esprit public à l’aide de Talon, qui agissait dans Paris, et de Mirabeau, qui devait imprimer un mouvement contre-révolutionnaire aux provinces. Vous avez répandu des millions pour effectuer cette corruption, et vous avez voulu faire de la popularité même un moyen d’asservir le peuple. Ces faits résultent d’un mémoire de Talon, que vous avez apostillé de votre main, et d’une lettre que Lapone vous écrivait le 19 avril, dans laquelle, vous rapportant une conversation qu'il avait eue avec Rivarol, il vous disait que les millions qu’on vous avait engagé à répandre n’avaient rien produit.
Article 6. Dès longtemps vous aviez médité un projet de fuite : il vous fut remis le 23 février un mémoire qui vous en indiquait les moyens, et vous l’apostillâtes. Le 28, une multitude de nobles et de militaires se répandirent dans vos appartements, au château des Tuileries, pour favoriser cette fuite. Vous voulûtes, le 18 avril, quitter Paris, pour vous rendre à Saint-Cloud; mais la résistance des citoyens vous fit sentir que la défiance était grande; vous cherchâtes à la dissiper en communiquant à l’Assemblée constituante une lettre que vous adressiez aux agents de la nation auprès des puissances étrangères, pour leur annoncer que vous avez accepté librement les articles constitutionnels qui vous avaient été présentés et cependant, le 21 juin, vous preniez la fuite avec un faux passeport; vous laissiez une déclaration contre ces mêmes articles constitutionnels; vous ordonniez aux ministres de ne signer aucun des actes émanés de l’Assemblée nationale, et vous défendiez à celui de la justice de remettre les sceaux de l’État. L’argent du peuple étant prodigué pour assurer le succès de cette trahison, et la force publique devait la protéger sous les ordres de Bouillé, qui naguère avait été chargé de diriger le massacre de Nancy, et à qui vous aviez écrit à ce sujet de soigner sa popularité, parce qu`elle pouvait être utile. Ces faits sont prouvés par le mémoire du 23 février, apostillé de votre main; par votre déclaration du 20 juin, tout entière de votre écriture; par votre lettre du 24 septembre 1790, à Bouillé, et par une note de celui-ci, dans laquelle il vous rend compte de l’emploi de neuf cent quatre vingt treize mille livres données par vous, et employées en partie à la corruption des troupes qui devaient vous escorter.
Article 7. Après votre arrestation à Varennes, l’exercice du pouvoir exécutif fut un moment suspendu dans vos mains et vous conspirâtes encore. Le 17 juillet, le sang des citoyens fut versé au Champ-de-Mars. Une lettre de votre main, écrite en 1790 à Lafayette, prouve qu’il existait une coalition criminelle entre vous et Lafayette, à laquelle Mirabeau avait accédé. La révision commença sous ces auspices cruels; tous les genres de corruption furent employés. Vous avez payé des libelles, des pamphlets, des journaux destinés à pervertir l’opinion publique, à décréditer les assignats, et à soutenir la cause des émigrés. Les registres de Septeuil indiquent quelles sommes énormes ont été employées à ces manœuvres liberticides.
Vous avez paru accepter la constitution le 14 septembre: vos discours annonçaient la volonté de la maintenir, et vous travailliez à la renverser avant même qu’elle fût achevée.
Article 8 - Une convention a été faite à Pilnitz, le 24 juillet, entre Léopold d’Autriche et Frédéric-Guillaume de Brandebourg, qui s’étaient engagés à relever en France le trône de la monarchie absolue, et vous vous êtes tu sur cette convention, jusqu’au moment où elle a été connue de l’Europe entière.
Article 9. Arles avait levé l’étendard de la révolte: vous l’avez favorisée par l’envoi de trois commissaires civils. qui se sont occupés, non à réprimer les contre-révolutionnaires, mais à justifier leurs attentats.
Article 10. Avignon et le Comtat Venaissin avaient été réunis à la France; vous n’avez fait exécuter le décret qu’après un mois, et, pendant ce temps, la guerre civile a désolé ce pays. Les commissaires que vous y avez successivement envoyés ont achevé de la dévaster.
Article 11. Nîmes, Montauban, Mende, Jalès, avaient éprouvé de grandes agitations dès les premiers jours de la liberté; vous n’avez rien fait pour étouffer ce germe de contre-révolution, jusqu’au moment où la conspiration de Dussaillant a éclaté.
Article 12. Vous avez envoyé vingt-deux batailles contre les Marseillais qui marchaient pour réduire les contre-révolutionnaires arlésiens.
Article 13. Vous avez donné le commandement du Midi à Wittgenstein, qui vous écrivait, le 21 avril 1792, après qu’il eut été rappelé: « Quelques instants de plus, et je rappelais à toujours, autour du trône de Votre-Majesté, des milliers de Français redevenus dignes des vœux qu’elle forme pour leur bonheur ».
Article 14. Vous avez payé vos ci-devant gardes du corps à Coblentz: les registres de Septeuil en font foi, et plusieurs ordres signés de vous constatent que vous avez fait passer des sommes considérables à Bouillé, Rochefort, la Vauguyon, Choiseul-Beaupré, d’Hamilton et à la femme Polignac.
Article 15. Vos frères, ennemis de l’État, ont rallié les émigrés sous leurs drapeaux; ils ont levé des régiments, fait des emprunts et contracté des alliances en votre nom: vous ne les avez désavoués qu’au moment où vous avez été bien certain que vous ne pouviez plus nuire à leurs projets. Votre intelligence avec eux est prouvée par un billet écrit de la main de Louis-Stanislas-Xavier, souscrit par vos deux frères, et ainsi conçu: « Je vous ai écrit, mais c’était par la poste, et je n’ai rien pu dire. Nous sommes ici deux qui n’en faisons qu’un, mêmes sentiments, mêmes principes, même ardeur pour vous servir. Nous gardons le silence; mais c’est qu’en le rompant trop tôt, nous vous compromettrions: mais nous parlerons dès que nous serons sûrs de l’appui général, et ce moment est proche. Si l’on nous parle de la part de ces gens-là, nous n’écouterons rien; si c’est de la vôtre, nous écouterons; mais nous irons droit notre chemin: ainsi, si l’on veut que vous nous fassiez dire quelque chose, ne vous gênez pas. Soyez tranquille sur votre sûreté: nous n’existons que pour vous servir, nous y travaillons avec ardeur, et tout va bien; nos ennemis même ont trop d’intérêt à votre conservation, pour commettre un crime inutile, et qui achèverait de les perdre. Adieu L.S. Xavier et Charles Philippe ».
Article 16. L’armée de ligne, qui devait être portée au pied de guerre, n’était forte que de cent mille homes à la fin de décembre; vous aviez ainsi négligé de pourvoir à la sûreté extérieure de l’État. Narbonne, votre agent, avait demandé une levée de cinquante mille hommes; mais il arrêta le recrutement à vingt-six mille, en assurant que tout était prêt. Rien ne l’était pourtant. Après lui, Servan proposa de former auprès de Paris un camp de vingt mille hommes; l’Assemblée législative le décréta: vous refusâtes votre sanction. Un élan de patriotisme fit partir de tous côtés des citoyens pour Paris; vous fîtes une proclamation qui tendait à les arrêter dans leur marche. Cependant nos armées étaient dépourvues de soldats: Dumouriez, successeur de Servan, avait déclaré que la nation n’avait ni armes, ni munitions, ni subsistances, et que les places étaient hors de défense.
Article 17. Vous avez donné mission aux commandants des troupes de désorganiser l’armée, de pousser des régiments entiers à 1a désertion, et de leur faire passer le Rhin, pour les mettre à la disposition de vos frères et de Léopold d’Autriche; ce fait est prouvé par une lettre de Toulongeon. commandant de la Franche-Comté.
Article 18. Vous avez chargé vos agents diplomatiques de favoriser la coalition des puissances étrangères et de vos frères contre la France; particulièrement de cimenter la paix entre la Turquie et l’Autriche, pour dispenser celle-ci de garnir ses frontières du côté de la Turquie, et lui procurer par là un plus grand nombre de troupes contre la France. Une lettre de Choiseul-Gonffier, ci-devant ambassadeur à Constantinople, établit ce fait.
Article 19. Vous avez attendu d’être pressé par une réquisition faite au ministre Lajard, à qui l’Assemblée législative demandait d’indiquer quels étaient ses moyens de pourvoir à la sûreté extérieure de l’État, pour proposer par un message la levée de quarante deux bataillons.
Article 20. Les Prussiens s’avançaient de nos frontières. On interpella, le 8 juillet, votre ministre de rendre compte de l’état de nos relations politiques avec la Prusse: vous répondîtes, le 10, que cinquante mille Prussiens marchaient contre nous, et que vous donniez avis au Corps-Législatif des actes formels de ces hostilités imminentes, aux termes de la constitution.
Article 21. Vous avez confié le département de la guerre à Dabancourt, neveu de Calonne: et tel a été le succès de votre conspiration, que les places de Longwy et de Verdun ont été livrées aussitôt que les ennemis ont paru.
Article 22. Vous avez détruit notre marine. Une foule d’officiers de ce corps étaient émigrés; à peine en restait-il pour faire le service des ports: cependant Bertrand accordait toujours des passeports; lorsque le Corps-Législatif vous exposa, le 8 mars, sa conduite coupable, vous répondîtes que vous étiez satisfait de ses services.
Article 23. Vous avez favorisé dans les colonies le maintien du gouvernement absolu; vos agents y ont partout fomenté le trouble et la contre-révolution, qui s’y est opérée à la même époque où elle devait s’effectuer en France: ce qui indique assez que votre main conduisait cette trame.
Article 24. L’intérieur de l’État était agité par les fanatiques, vous vous en êtes déclaré le protecteur, en manifestant l’intention évidente de recouvrer par eux votre ancienne puissance.
Article 25. Le Corps Législatif avant rendu, le 29 septembre. un décret contre les prêtres factieux, vous en avez suspendu l’exécution.
Article 26. Les troubles s’étaient accrus; le ministre déclara qu’il ne connaissait dans les lois existantes aucun moyen d’atteindre les coupables. Le Corps-Législatif rendit un nouveau décret; vous en suspendîtes encore l’exécution.
Article 27. L’incivisme de la garde que la constitution vous avait donnée en avait nécessité le licenciement. Le lendemain vous lui avez écrit une lettre de satisfaction; vous avez continué de la solder. Ce fait est prouvé par les comptes du trésorier de la liste civile.
Article 28. Vous avez retenu auprès de vous les gardes-suisses, la constitution vous le défendait, et l’Assemblée législative en avait expressément ordonné le départ.
Article 29. Vous avez eu dans Paris des compagnies particulières chargées d’y opérer des mouvements utiles à vos projets de contre-révolution. D’Angremont et Gilles étaient deux de vos agents; ils étaient salariés par liste civile. Les quittances de Gilles, chargé de l’organisation d’une compagnie de soixante hommes, vous seront présentées.
Article 30. Vous avez voulu, par des sommes considérables, suborner plusieurs membres des Assemblées constituante et législative: des lettres de Dufresne Saint Léon et plusieurs autres, qui vous seront présentées, établissent ce fait.
Article 31. Vous avez laissé avilir la nation française en Allemagne, en Italie, en Espagne, puisque vous n’avez rien fait pour exiger la réparation des mauvais traitements que les Français ont éprouvés dans ces pays.
Article 32. Vous avez fait, le 10 août, la revue des Suisses à cinq heures du matin, et les Suisses ont tiré les premiers sur les citoyens.
Article 33. Vous avez fait couler le sang des Français.