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LA FORCE PROBANTE DES CONSTATATIONS
FAITES PAR LE JUGE LUI-MÊME

Extrait du
« Traité de la preuve en matière criminelle »
de C.J.A. MITTERMAIER
( 1e éd., Paris 1901 )

Du fait de nombreuses séries policières télévisées,
depuis quelques années l’attention du grand public
a été captivée par les remarquables progrès accomplis
par la police scientifique dans la recherche des preuves.

Ce phénomène particulier ne doit pas faire oublier
les règles générales classiques régissant la matière.
L’étude qu’en faisait Mittermaïer,
pendant l’âge d’or de la doctrine allemande
ne doit donc pas être négligée même
si elle paraît dépassée sous certains aspects.

DE LA CONSTATATION JUDICIAIRE EN GÉNÉRAL

La constatation judiciaire consiste en un procédé d’expérimentation personnelle, au moyen duquel un magistrat instructeur vérifie l’existence de certaines circonstances décisives au fond dont, après examen, il consigne la description aux pièces du dossier. Ces circonstances non constatées encore, et souvent contestées, doivent tomber sous les sens du juge lui-même, sans qu’il ait à emprunter l’aide des sciences spéciales ; autrement leur examen demande un coup d’œil plus exercé. C’est alors le cas d’appeler les experts.

La constatation judiciaire, proprement dite, revêt un caractère différent, suivant que la loi autorise le magistrat à procéder seul à cette reconnaissance, ou que, pour garantir davantage son impartialité, elle l’oblige à s’adjoindre des aides, à se faire accompagner par des témoins qui examinent les éléments de fait en même temps que lui. Cet examen est corroboré par celui auquel il se livre en personne ; il est ensuite, par ses soins, consigné dans un procès-verbal collectif. Tel est le système suivi par la loi autrichienne ; là, l’inspection judiciaire ne fournit preuve légale qu’autant que le juge s’est fait assister de deux personnes dignes de foi, lesquelles déposent au procès-verbal le résultat de leurs investigations. Mais dans le droit commun de l’Allemagne (il en est de même en France), cette adjonction de témoins n’est nullement requise, et dès lors que le juge, en sa qualité publique et légale, a pris personnellement connaissance des faits à vérifier, les conclusions par lui affirmées sont juridiquement tenues pour vraies. Toutefois cette qualité officielle est une condition essentielle de la preuve, et si le juge n’a observé les faits que comme homme privé ; si, dans le cours d’une promenade, les événements se sont passés sous ses yeux, les observations qu’il a pu faire ne constituent pas par elles-mêmes la preuve juridique ; il n’est plus qu’un témoin ordinaire.

Entrant plus avant dans l’analyse de l’appréciation de ce qui est vu, et en la considérant par rapport au juge de la cause, il convient d’établir une distinction nouvelle : ou le juge a sous les yeux des objets constituant des indices graves, l’instrument du crime, par exemple, ou les vêtements déchirés, ou le crâne de la victime marqué par les blessures qu’il a reçues ; ou il ne lui est rien produit, et il trouve seulement consigné au dossier le résultat des observations de l’enquêteur. Dans le premier cas, il semble juste d’attribuer pleine confiance à l’inspection judiciaire, aux motifs de convictions puisés par le juge dans son expérience personnelle ; mais, au second cas, il n’a plus cette source d’évidence que ses sens lui auraient immédiatement transmise ; il n’est plus mis en présence de l’objet à vérifier ; et s’il en croit les procès-verbaux de l’information, véritables titres revêtus d’un caractère public, c’est qu’il voit en eux l’expression fidèle des observations relevées par l’enquêteur : il importe donc, dans l’intérêt de la preuve à faire, que celui-ci ait fidèlement et complètement observé, qu’il se soit assuré de tout fait utile, et que, ce qu’il a réellement vu, il l’ait avec une sincérité non moins entière consigné au procès-verbal. On s’aperçoit dès lors que le juge n’a plus ici pour guide l’évidence immédiate des sens ; celle qui lui est fournie, pour demeurer toute matérielle, ne lui arrive plus que par l’intermédiaire du magistrat instructeur, devenu un véritable témoin ; et pour tout dire, enfin, sa conviction, dans le second cas, est un produit purement logique.

Il est aussi un personnage dont le rôle au cours des diverses procédures a besoin d’être bien défini, c’est le greffier. Chargé de dresser les procès-verbaux, quelle sera sa position vis-à-vis du magistrat instructeur ? Est-il libre et indépendant ? A-t-il le droit de ne consigner par écrit que les faits réels, tels qu’ils se présentent, tels qu’il les a lui-même observés ? Loin d’être un instrument passif entre les mains du magistrat, loin que ce dernier, en dictant ses observations, ait le droit de faire courir arbitrairement la plume du greffier, celui-ci a-t-il le droit de s’arrêter court et de refuser son ministère à une dictée infidèle ou inexacte ? Les procès-verbaux dans ce système ne peuvent que gagner en force probante ; le greffier constitue alors, lui aussi, un témoin, et les faits relevés aux procès-verbaux doublement affirmés par le magistrat instructeur et par lui, sont soumis à l’appréciation du juge de la cause, déjà démontrés, authentifiés par cette double déposition. Mais il n’en est point ainsi toujours ; malheureusement, dans la plupart des tribunaux on ne voit dans le greffier qu’une machine à écrire, reproduisant servilement toute dictée qui lui est faite ; qu’un homme choisi par le magistrat instructeur, et que celui-ci peut congédier à volonté ; dans ce cas, il ne peut pas compter comme témoin ; il n’observe pas, et il n’aurait d’ailleurs pas le courage de résister à son supérieur.

Les constatations du magistrat instructeur qui procède à une inspection oculaire font foi pleine et entière, mais ce résultat est moins dû au pouvoir propre de ses fonctions publiques qu’à l’influence de certaines qualités qui lui sont toutes spéciales. Ces qualités sont éminemment efficaces à garantir sa véracité, dès lors que, pour la constater, on veut bien faire application des principes usités en matière de preuve testimoniale. Un témoin, en effet, paraît mériter d’autant plus créance, que son impartialité est mieux reconnue ; qu’il a observé les faits avec plus de réflexion, sachant qu’il en devra déposer ; qu’il n’a laissé passer inaperçu aucun de ces détails importants, facilement omis d’ordinaire par un témoin survenu par hasard ; et qu’enfin, sachant toute la gravité de sa déposition, il redouble d’attention et d’efforts pour ne pas tomber dans l’erreur et y faire tomber ceux qui devront l’entendre. Or, quand il procède à l’inspection en vertu des pouvoirs que la loi lui confère, le magistrat instructeur n’est-il pas précisément ce témoin consciencieux et impartial, qui observe avec sang-froid, se tient en garde contre toute illusion, a toujours sous les yeux l’importance de la déposition qu’il est appelé à faire ? Enfin, et c’est là ce qui la rend plus crédible et plus puissante encore, il ne vient pas au bout de semaines, de mois, d’années même, comme il arrive souvent pour les témoins ordinaires dans les causes criminelles, rendre compte de ce qu’il a vu ; c’est de suite, c’est aussitôt son examen terminé, examen réfléchi et scrupuleux, qu’il en décrit les résultats ; alors il n’est plus possible de craindre que sa déposition, avec toute la meilleure volonté du monde, ne renferme que des conclusions tronquées, embellies ou transformées par l’imagination depuis l’heure où elles se sont produites, moitié fiction, moitié vérité.

On le voit par les considérations qui précèdent, nous avions raison de dire que le fondement de la foi due à l’inspection oculaire ne repose pas sur l’évidence des sens personnelle au juge de la cause, mais bien sur une évidence logique. Il faut croire avant tout à l’exactitude des observations du magistrat instructeur, à son amour de la vérité, à son désir de la consigner sincèrement dans les pièces du dossier ; il faut compter sur la probité du greffier, et être sûr qu’il n’a rien porté au procès-verbal que ce qui a été relevé dans le cours de l’inspection du juge.

Touchant les origines de ce mode de preuve, les sources du droit commun, en Allemagne, nous en apprennent bien peu ; le droit romain au reste n’est pas moins pauvre, sans qu’on doive s’en étonner. À Rome, la procédure criminelle était toute d’accusation ; il n’y avait point de magistrat instructeur ayant qualité officielle pour rechercher la vérité ; la question litigieuse était, pour ainsi dire, toute subjective. Le fait, quant à sa nature et ses caractères matériels, important assez peu, il devenait inutile de faire de son examen un objet spécial d’investigation judiciaire. — Plus tard arriva l’ère du procès inquisitorial, où le juge procède par degrés, et n’entame l’information directe contre l’accusé qu’autant que l’existence d’un crime a déjà été reconnue probable. À cette époque l’inspection judiciaire acquit une importance notable ; alors put se développer la doctrine du corps du délit, qui rendit plus décisifs encore les documents que l’examen du juge est appelé à fournir à justice. C’était en cas de meurtre surtout que ce moyen était regardé comme nécessaire : il importait effectivement avant tout de constater l’existence du cadavre et son état, lequel donne d’ordinaire à conclure l’existence du crime. Aussi était-il déclaré obligatoire par le droit canonique ; et, dans les lois germaniques du moyen âge, on voit déjà trace de l’examen à faire du corps de la victime. En Angleterre, cet examen est régularisé d’une façon toute spéciale, et le coroner (coronator) a tout d’abord pour mission de constater en s’adjoignant des témoins, l’existence du cadavre et la manière dont la mort est survenue. Ces idées, généralement répandues, sont reproduites enfin dans La Caroline, laquelle astreint le magistrat à procéder à la constatation judiciaire en cas de meurtre.

Peu à peu on étendit ces principes à toutes les procédures criminelles, et comme chaque jour on se pénétrait davantage de la nécessité de la constatation du corps du délit, il devint de règle de recourir à l’inspection dans tous les cas où le juge pouvait espérer qu’elle lui fournirait des éléments de conviction relativement à certains faits décisifs en la cause. C’était une opinion alors généralement répandue qu’on devait diviser les délits en delicta facti transeuntis et factipermanentis  ; que pour ces derniers, le seul et unique moyen de preuve était forcément, l’inspection judiciaire, et l’on alla jusqu’à ne plus oser prononcer la peine ordinaire, quand le cadavre, par exemple, n’avait pu être retrouvé. Ce n’est que dans les temps modernes que cette erreur a été dévoilée ; aujourd’hui, revenus à une opinion plus sage, nous ne voyons plus dans cette inspection qu’un moyen de preuve comme un autre, et que, comme tout autre, le juge ne devra jamais négliger quand il peut être mis en œuvre, car il constitue un utile contrôle des déclarations des témoins. D’ailleurs l’esprit n’est entièrement satisfait dans son amour de la vérité que quand il est assuré que toutes les voies possibles ont été explorées. Cette preuve, en un mot, n’est plus comme jadis privilégiée ou obligatoire avant les autres preuves.

Il reste à dire que les lois modernes de l’Allemagne, du moment où elles ont admis le système de la théorie légale de la preuve, ont dû déterminer exactement les conditions requises pour que cette inspection fasse pleine foi. Mais pour ce qui est des législations qui laissent une large part aux convictions intimes, et qui, en ce qui concerne l’instruction préliminaire, se sont montrées nécessairement moins sévères dans l’emploi des voies et moyens pour arriver à la certitude, tout en en prescrivant aussi l’usage, la réglementent d’une façon peu stricte, et ne la font pas entrer exclusivement dans les attributions du juge. Ainsi, le procureur du roi ou tout autre fonctionnaire remplissant les fonctions d’accusateur, a souvent qualité, en dépit de sa partialité forcée, pour y procéder en personne, et les magistrats peuvent décider sur le contenu du rapport fourni par lui.

QUAND IL Y A LIEU À PROCÉDER À
LA CONSTATATION JUDICIAIRE EN GÉNÉRAL

De ce que la constatation judiciaire est de règle dans les informations en matière de meurtre, et de ce qu’elle a alors pour but la reconnaissance de l’existence et de l’état du cadavre, il ne s’ensuit pas que ce soit là le seul cas où elle doive être employée ; c’est seulement l’un de ceux où son application est la plus fréquente. La véritable règle à suivre peut se formuler ainsi : il convient d’y procéder toutes les fois que l’enquêteur espère pouvoir parvenir ainsi à la découverte d’un fait important pour la manifestation de la vérité matérielle, et l’appréciation rigoureusement exacte du fait incriminé.

Partant de là, on voit qu’elle peut s’appliquer à l’objet direct du crime ; aux instruments qui en ont facilité l’exécution ; à d’autres objets qui font présumer la perpétration d’un crime ; aux lieux eux-mêmes, afin d’y trouver des indications sur le mode de cette perpétration, ou afin de vérifier la sincérité de certaines allégations de l’accusé. L’inspection judiciaire n’est donc pas simplement un moyen de preuve applicable au corps du délit seul, ou à la reconnaissance de certains faits, et dans ces faits, de certains caractères constitutifs de crime ; ou encore à celle de sa nature, ou enfin à celle des causes concomitantes qui auraient influé sur les conséquences de l’acte incriminé. Elle apparaît encore comme un moyen de preuve des plus utiles pour la découverte même de l’auteur des faits. Ainsi, le magistrat instructeur agissant dans l’exercice de ses fonctions, peut assister en personne à la perpétration d’un acte criminel ; ou encore, il peut rencontrer sur les lieux des traces, des indices déterminants à la charge d’une personne déterminée.

L’inspection par le magistrat instructeur peut aussi aider à la découverte de circonstances accessoires, d’où peut se conclure la vraisemblance de l’intention criminelle, et d’où peut résulter la preuve de la sincérité des témoins Elle contribue à établir que l’aveu du prévenu mérite créance, ou encore à vérifier le bien fondé de ses justifications.

D’ailleurs elle est applicable aux personnes aussi bien qu’aux choses, et parmi les personnes, tout autant à celle de la partie lésée qu’à celle de l’inculpé ; l’examen auquel ces personnes sont assujetties mène fréquemment à la manifestation de résultats décisifs.

COMMENT IL EST PROCÉDÉ
À LA CONSTATATION JUDICIAIRE

1 - La constatation judiciaire est donc un acte au moyen duquel le juge s’assure de l’existence de certains faits ; mais pour qu’elle soit régulière et puisse servir de base à un jugement, il faut comme première condition qu’il y soit procédé par le juge criminel compétent. Souvent, quand il s’agit d’objets d’une moindre importance, à ce qu’il semble, le magistrat délègue cette opération à des officiers auxiliaires d’un ordre inférieur ; cette pratique est mauvaise : en effet, si les déclarations de ceux-ci valent encore comme témoignage, et si comme toutes autres déclarations émanées d’un témoin unique, elles peuvent constituer une probabilité de l’existence des faits à vérifier, il n’en est pas moins vrai qu’il n’y a pas là une constatation judiciaire proprement dite ; celle qui fait foi entière parce que, comme nous l’avons exposé plus haut, elle émane d’un magistrat hautement impartial, connaissant toute l’importance de l’acte auquel il procède, sachant au juste sur quoi doit porter son examen, et dont le greffier vient ensuite attester la véracité.

Il serait donc facile d’élever de justes critiques contre les inspections et descentes de lieux faites par les officiers de police ou les fonctionnaires administratifs, qui rarement, il faut le dire, peuvent procéder avec le calme et l’intelligente circonspection du juge criminel. S’il est impossible à ce dernier de recommencer l’inspection en personne, il devra, par prudence, les appeler tous comme témoins, et leur faire déposer, a novo, serment par eux prêté, de tout ce qu’ils ont observé.

2 - En second lieu, ce moyen de preuve fournit des résultats d’autant mieux fondés en vraisemblance, que c’est sur place même et aussitôt après l’examen terminé qu’il en est dressé procès-verbal ; on prévient ainsi les écarts trop faciles d’une mémoire infidèle, et les lacunes que plus tard l’imagination viendrait seule remplir.

3 - Ce procès-verbal doit être rédigé avec une parfaite clarté, et les magistrats qui n’ont point pris part à l’examen des objets à vérifier, mais qui vont avoir à juger sur le vu de ce document, y devront trouver une reproduction des faits à la fois complète et palpable, qui les fasse pour ainsi dire assister à l’opération d’investigation elle-même ; or, pour cela, il convient de ne négliger aucun des éclaircissements qu’elle comporte, tels que croquis, plans, etc.

4 - En procédant à l’inspection, le juge ne doit pas seulement s’attacher au fait matériel, il n’oubliera pas que plus tard tout examen deviendrait impossible, ou que des changements pouvant survenir en modifieraient le résultat ; il portera donc aussi son attention sur toutes les circonstances utiles dans l’instruction ou importantes pour la décision future ; il aura à se représenter tous les cas possibles ; il aura égard à toutes les circonstances accessoires, de nature à déterminer les caractères juridiques du crime dont il s’agit en l’espèce, à tous les détails de fait enfin qui paraîtraient plus ou moins constitutifs de ces divers caractères.

5 - La constatation judiciaire commande la plus grande célérité possible : il importe que les choses soient restées dans l’état primitif, que nuls changements ne puissent les faire voir sous un jour erroné. Si l’adjonction d’experts est nécessaire, le juge doit faire garder les lieux et empêcher tout mouvement avant leur arrivée ; d’autres fois, il procède par lui-même à l’égard des objets qui ne requièrent pas le coup d’œil de l’homme de l’art ; et il met de côté pour être remis à ce dernier ceux que lui seul peut examiner utilement. Il est de son devoir enfin, dans le cours de son opération d’entendre les personnes qui sont survenues les premières, et qui ayant immédiatement observé les choses, sont à même de faire connaître en quel état elles ont trouvé les lieux, et quels changements ils ont pu subir.

6 - Quand il est procédé à la constatation judiciaire à ce moment du procès où l’information est déjà dirigée contre un inculpé désigné, il peut devenir nécessaire de faire assister celui-ci aux opérations. Il en doit être ainsi toutes les fois que les explications générales fournies par lui, n’ayant pas atteint le degré de précision nécessaire, il demeure à vérifier certains détails de localité par lui allégués ; ou encore toutes les fois que les objets doivent être reconnus par lui.

En toute hypothèse, sa présence aux opérations sera utile, et le magistrat instructeur pourra chercher par ce moyen des facilités d’observations plus grandes sur sa personne, et provoquer par là les occasions d’un aveu. On ne saurait d’ailleurs faire trop tôt assister l’inculpé aux opérations ; il est bien vite, même absent, mis au fait de toutes les circonstances, et, plus tard, il y aurait à craindre des suggestions involontaires ; ainsi, celui-là même qui n’aurait point commis le crime pourrait alléguer des détails qu’un inculpé innocent n’aurait jamais dû connaître, et un aveu de sa part paraîtrait aussitôt vraisemblable.

7 - L’examen judiciaire s’applique quelquefois à la personne de l’inculpé ; mais il convient de n’y recourir qu’autant qu’il existe des charges assez fortes déjà pour motiver presque son arrestation préventive. Cette inspection corporelle offense la liberté de l’individu et souvent sa pudeur, et d’ailleurs elle dénote publiquement les graves présomptions de l’inculpation ; il est donc de règle que celles-ci seules pourraient l’autoriser.

8 - Étant posé en principe que tout citoyen est tenu de provoquer l’action de la justice criminelle, laquelle s’exerce dans l’intérêt de la sécurité de la société, et que l’instruction oculaire est un moyen efficace de constater la vérité, il s’ensuit qu’à l’inquisiteur aussi il ne saurait être dénié le droit d’y procéder en tous lieux. Seulement, pour le cas où l’opération s’appliquerait à la personne lésée, il devra user doublement de ménagement et de prudence.

DES RÈGLES QU’IL CONVIENT D’OBSERVER EN MATIÈRE DE CONSTATATION JUDICIAIRE,
SUIVANT LA NATURE DIVERSE DES CRIMES EN CAUSE

C’est en cas de meurtre principalement que la constatation judiciaire a une importance toute spéciale, et son caractère particulier consiste en ce que d’ordinaire elle a lieu simultanément avec l’examen auquel procèdent les experts (c’est ainsi que se fait l’inspection du cadavre, par exemple) ; mais cette simultanéité n’est point dans tous les cas nécessaire ; et il est souvent à regretter que l’inquisiteur, trop confiant dans l’exactitude des experts et leur abandonnant la constatation de tous les détails utiles, ne croie pas de son devoir comme juge, de faire porter son examen sur les mêmes points qu’eux, tels que les blessures, la position du cadavre, les taches de sang, etc.

Il doit lui être plutôt de règle de relever de son côté toutes les circonstances importantes, sans se préoccuper du travail auquel ceux-ci se livreront plus tard ; ou s’ils y procèdent en même temps, de consigner au procès-verbal celles-là mêmes auxquelles, eux aussi, ils s’attachent ; ainsi observées par le juge, et constatées par lui, elles viennent confirmer les résultats de l’expertise. Dans toutes les informations sur meurtre, le juge en procédant à l’inspection officielle, s’attachera à reconnaître l’existence du cadavre, les vêlements qui le recouvrent, le nombre et l’état des blessures : il décrira avec l’exactitude la plus minutieuse, le lieu où gisait le cadavre, les objets qui l’entourent, les instruments du crime, les objets qui appartenaient à la victime ou aux personnes qui l’entouraient, l’étendue et la direction des taches de sang, sur le cadavre et autour de lui ; il n’omettra enfin aucun détail, pour si minime qu’il paraisse, les déchirures ou incisions existantes sur les vêtements, les empreintes de pas autour du cadavre, y conduisant ou s’en éloignant, et enfin leur forme et leur nature.

Plus spécialement, l’objet de l’inspection judiciaire en cas de meurtre, c’est le corps du délit lui-même, et tout ce qui peut aider à décider en toute certitude de son existence. Cette opération est hautement et particulièrement efficace lorsqu’il s’agit de vérifier quelle est la cause de la mort : s’il faut l’attribuer à un suicide, à un accident naturel, à l’imprudence du défunt, ou à une main criminelle étrangère.

C’est alors qu’il importe de décrire exactement la position du cadavre, la distance qui sépare l’instrument du lieu où il gît ; les signes apparents qui indiquent une cause de mort facile à constater dans l’espèce ; c’est alors qu’il convient de rechercher quels individus ont pu venir sur le lieu où gît le cadavre, ou bien si tout accès était impossible. Est-il démontré que la mort est l’œuvre d’une main étrangère ? Toutes les circonstances n’en doivent pas moins être relevées, car elles peuvent établir, ou qu’un agent étranger seul l’a causée, ou qu’elle est aussi et en même temps le résultat de causes intermédiaires ; car elles peuvent donner à conclure de quelle manière a été consommé le crime, quels en ont été les motifs ; ainsi, que certains objets portés d’ordinaire par le défunt, ou qui se trouvaient placés près de lui, aient été soustraits ; il devient par là souvent possible de savoir sur qui faire peser l’inculpation.

Suivant que le meurtre diffère par sa nature, l’inspection judiciaire passe par des phases et des directions différentes.

En cas d’infanticide [au sens propre], l’examen des hommes de l’art est chose indispensable ; toutefois l’inspection simple par le juge n’est nullement inutile ; l’état des lieux où survint l’accouchement, les traces d’une délivrance récente et la place qu’elles occupent, les circonstances qui ont pu accélérer la mort de l’enfant ; rien de tout cela ne doit demeurer inaperçu à ses yeux. Souvent cette inspection devient nécessaire dans le cours même de l’instruction ; lorsque l’accusé, par exemple, allègue certains incidents survenus durant l’accouchement, quand il argue de circonstances qui paraissent avoir exercé une fâcheuse influence, il y a lieu d’examiner si ces allégations sont ou non fondées.

Est-ce un empoisonnement qu’on soupçonne ? À côté de la description exacte du cadavre et de son état, affaire principale des experts, il est important de rechercher toutes les substances rejetées par le défunt durant sa dernière maladie, tous les restes d’aliments, de boissons, de médecines qui lui ont été administrés. Tous ces objets doivent être soigneusement conservés, comme aussi tous vases, boîtes ou tiroirs ayant renfermé des poudres médicinales ou autres : les experts auront plus tard nécessairement à les examiner.

Lorsque l’information a pour objet des blessures, il est quelquefois moins nécessaire que le juge les examine en personne ; les experts décriront au mieux l’état du blessé et l’examineront sans lui causer de mal ; mais le juge n’en aura pas moins à considérer le théâtre de la scène ; c’est par là seulement qu’il est encore possible de reconnaître quelle a pu être l’influence de certaines circonstances étrangères (exemple : la présence de pierres ou de branches pointues sur lesquelles serait tombé le blessé). Il peut y avoir lieu aussi à examiner la personne de l’inculpé, lorsqu’il soutient avoir été attaqué ; car si l’on tardait, il deviendrait parfois impossible de retrouver sur lui l’empreinte des violences dont il argue.

En cas de viol, il faut aussitôt procéder à l’examen du corps et surtout des parties sexuelles du plaignant ; cette opération doit également porter sur la personne de l’inculpé.

En cas d’incendie volontaire, la constatation judiciaire est de toute nécessité. Par elle, le juge reconnaît s’il y a eu effectivement incendie, quelle est l’étendue du dommage, où le feu a pris, quelle direction il a suivi, de quelle matière inflammable a pu se servir l’auteur du crime, quelle distance sépare le lieu de l’incendie des bâtiments voisins, etc.

En cas de vol, l’inspection judiciaire a pour objet le lieu où il a été commis : il importe de constater la place qu’occupaient les effets soustraits, de quelle façon le vol paraît avoir été consommé, s’il y a eu effraction, escalade, etc. Comment le voleur a pu s’introduire et s’esquiver, et enfin s’il existe des traces de violence.

En cas de fabrication de fausse monnaie, l’inspection a pour but la recherche des instruments du crime, des matières employées par le faux monnayeur, et le constat des lieux de fabrication.

FORCE PROBANTE
DE LA CONSTATATION JUDICIAIRE
ET EFFETS DE CETTE CONSTATATION

Le fait est tenu pour juridiquement établi dès qu’il est constaté par l’inspection judiciaire régulièrement faite ; et la foi due à celle-ci prend son autorité dans le caractère spécial du magistrat, caractère qui le fait regarder forcément comme un témoin digne de créance ; elle dérive aussi des qualités du procès-verbal officiel. Or, aux yeux des juges définitifs qui ont à apprécier les résultats de l’inspection, ce magistrat constituant un témoin véritable, toutes les causes qui par ailleurs viennent amoindrir la confiance due aux dépositions d’un témoin peuvent également ici atténuer la force probante de l’inspection, au cas où le magistrat serait passible de reproches analogues ; ainsi, l’on prouverait très bien, dans l’intérêt de la défense, que l’identité des objets à vérifier n’a pas été convenablement constatée ; qu’au moment où l’inspection a eu lieu, il n’était plus possible qu’elle reposât sur des bases essentielles ; ou bien encore on arguerait de ce que le juge, au lieu d’avoir vu par lui-même, aurait recueilli les observations d’une tierce personne et les aurait consignées comme siennes au procès-verbal.

Nous avons parlé plus haut, de l’assistance du greffier : on pourrait encore combattre les termes du procès-verbal en démontrant que, au lieu de confirmer par ses propres observations les observations du juge, il n’a fait qu’écrire servilement sous sa dictée.

La force probante de l’inspection reposant encore sur ce fait que les résultats de l’examen du juge ont été incontinent consignés dans une pièce officielle et authentique, on atténuera cette même force toutes les fois qu’on établira telle circonstance tendant à démontrer que le procès-verbal n’a pas été immédiatement dressé, ou que quelques unes des formalités voulues par la loi fait défaut en son contexte.

C’est le corps du délit, ou du moins, une partie du corps du délit, que l’inspection judiciaire tend ordinairement à démontrer ; elle n’a guère trait à la recherche de l’auteur du crime : par elle, cependant, le juge peut arriver à sa découverte immédiate ou médiate ; immédiate, quand, prévenu à temps, il arrive sur les lieux et prend l’agent en flagrant délit ; médiate, quand il constate tels détails matériels qui font rejaillir les soupçons sur telle personne.

Enfin, elle peut mener à la découverte de faits qui éclairent d’un grand jour la question d’intention, ou tendraient à prouver que l’accusé se trouvait dans le cas de légitime défense.

Signe de fin