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LA MISE EN ŒUVRE DE L’ACTION CIVILE :
LE CHOIX OUVERT À LA VICTIME
( La règle : electa una via, non datur recursus ad alteram )

Extrait du « Cours de procédure pénale  »
de G. LEVASSEUR ( Les Cours de droit, Paris 1959-1960 )

La maxime « electa una via » interdit, en principe,
au plaignant qui a saisi une juridiction civile,
de se désister de cette action afin de se tourner ensuite
vers une juridiction pénale en exerçant l’action civile.

Cette règle retient particulièrement l’attention
car elle fondée, non sur un choix de politique criminelle,
mais sur une considération d’équité envers le défendeur.

De ce fait le législateur ne peut légitimement
  déterminer le domaine et le régime de l’adage,
qu’en partant de son fondement, dicté par le droit naturel,
et en en déduisant les conséquences rationnelles.

La victime de l’infraction a le choix de porter son action civile ou bien devant la juridiction répressive, dans la mesure où cette action civile tend à le réparation du dommage que certains appellent le « dommage pénal », ou bien devant une juridiction civile, auquel cas son action civile peut avoir un objet plus étendu.

Lorsqu’il s’agit de demander la réparation du préjudice qui a été causé de façon directe, personnelle, par les agissements légalement constitutifs de l’infraction, tels qu’ils résultent de la définition légale, la victime peut porter cette action civile en réparation, soit devant la juridiction civile (ce qui est parfaitement normal), soit devant la juridiction répressive (ce qui l’est beaucoup moins). Une option lui est ouverte et elle l’est traditionnellement : le Code de procédure civile n’a fait que reprendre à cet égard la solution du Code d’instruction criminelle.

Art. 3 C.inst.crim. al. 1er : « L’action civile peut être poursuivie en même temps et devant les mêmes juges que l’action publique ».

Alinéa 2 : « Elle peut aussi l’être séparément ; dans ce cas, l’exercice en est suspendu tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique intentée avant ou pendant la poursuite de l’action civile ».

Art. 3 C.pr.pén. : « L’action civile peut être exercée en même temps que l’action publique et devant la même juridiction.

Elle sera recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront des faits objets de la poursuite ».

Art. 4 C.pr.pén. al. 1er : « L’action civile en réparation du dommage causé par l’infraction prévue à l’article 2 peut être aussi exercée séparément de l’action publique ».

Cette possibilité de joindre l’action civile à: l’action publique a parfois été critiquée. Il semble que les raisons de cette solution soient, tout d’abord, d’ordre historique ; c’est là un vestige de 1’époque où la mise en mouvement des poursuites résultait de l’initiative de la victime. Pendant longtemps, la justice répressive avait été une justice privée.

Il y a, d’autre part, des raisons pratiques car, porter l’action civile devant la juridiction répressive va présenter des avantages à la fois pour la victime, qui bénéficiera d’ure procédure plus rapide et plus efficace, et un intérêt pour la société qui trouve dans l’action de la victime un appui pour le rétablissement de l’ordre et la juste sanction des infractions. Il est certain que le ministère public reçoit un appui assez efficace lorsque la partie civile se joint à son action.

Il y a également des raisons juridiques, et notamment le fait que notre droit admet que ce qui a été jugé devant le tribunal répressif au sujet de l’action publique a autorité absolue de chose jugée et s’impose par conséquent à tous, même à ceux qui n’ont pas été partie au procès, sur toutes les contestations civiles qui peuvent ultérieurement se présenter et à l’occasion desquelles l’infraction est évoquée.

A -  Les limites de l’option

Cependant, cette option de la victime de l’infraction comporte certaines limites.

1) Tout d’abord la victime ne peut porter son action civile devant la juridiction répressive compétente pour connaître de l’action publique que si elle comprend un élément professionnel suffisant pour qu’on puisse sans hésitation lui confier le soin de résoudre des problèmes de responsabilité civile.

En général, on peut le faire à cause de l’unité de la justice civile et de la justice répressive ; ainsi les juges professionnels, chargés de la répression, peuvent tout aussi bien connaître des contestations civiles se rattachant à l’infraction. La constitution de partie civile est donc possible devant le tribunal de police, le tribunal correctionnel et la Cour d’assises, étant précisé, en ce qui concerne cette dernière, que la décision sur l’action civile ne pourra être prise que par la Cour seule, c’est-à-dire les magistrats professionnels ; le jury ne sera pas associé à la décision sur l’action civile comme il l’est à la décision sur l’action publique.

Lorsqu’au contraire la juridiction compétente sur l’action publique est une juridiction d’exception où les juges professionnels ne sont pas représentés ou n’ont pas une représentation suffisante, la constitution de partie civile n’est pas autorisée: Elle est cependant possible devant les juridictions de mineurs, devant le juge des enfants qui est un magistrat professionnel, et devant le tribunal pour enfants dans lequel le juge des enfants joue un rôle prépondérant, les deux assesseurs pouvant être associés à la décision, même sur l’action civile. Mais devant le Tribunal des forces armées où le magistrat civil qui présidera sera seul à côté d’un nombre assez considérable de juges militaires (6 en principe), la constitution de partie civile n’est pas possible.

2) Deuxième limite au droit d’option de la victime : si la demande de la victime en réparation se trouve d’après les règles de compétence, devoir être portée devant une juridiction d’un ordre particulier, il n’est pas possible de la joindre à l’action publique qui va venir devant des juridictions de l’ordre judiciaire. C’est le cas, notamment, lorsque la demande en réparation de la partie lésée devrait venir devant les juridictions administratives (tribunal administratif, Conseil d’État).

Dans ce cas l’affaire civile est de la compétence de la juridiction administrative et il n’est pas possible de la porter, par voie de partie civile, devant les juridictions judiciaires. Cette règle comporte toutefois, on l’a déjà indiqué, une exception récente, au cas, fréquent, où le dommage a été causé par un véhicule de l’Administration ; dans ce cas la loi du 31 décembre 1957 permet en effet de saisir les juridictions judiciaires, ce qui autorise la victime à se constituer partie civile lorsque le dommage dont elle a à souffrir provient d’un accident occasionné par un véhicule conduit par un agent ou un fonctionnaire de l’Administration, lequel est poursuivi peur blessures ou homicide par imprudence.

La constitution de partie civile n’est pas non plus autorisée lorsque l’affaire est, du point de vue civil, de la compétence de juridictions particulières, comme les juridictions de la Sécurité sociale. Par exemple la victime d’un accident du travail peut, réclamer à la Sécurité sociale une indemnité et ce recours doit être porté devant une juridiction spéciale, celle du contentieux de la Sécurité sociale réorganisé par l’ordonnance du 22 décembre 1958. Si l’accident et les blessures qui en sont résultées sont dus par exemple à l’imprudence d’ un ouvrier, camarade de travail de le victime, l’ouvrier responsable peut être poursuivi devant le tribunal correctionnel, mais le victime ne peut pas se porter partie civile, parce que la réparation à laquelle elle a droit en cas d’accident du travail est réglée forfaitairement et de façon absolue et exclusive par la législation spéciale des accidents du travail dont l’origine remonte à la loi du 9 avril 1898. Ce caractère d’ordre public de la législation des accidents du travail a été réaffirmé par la loi du 30 octobre 1946, qui a intégré les accidents du travail dans la Sécurité sociale, et le Code de la Sécurité sociale n’a fait que reprendre cette solution.

Cependant lorsque le dommage dont la victime a souffert a été causé de façon volontaire et intentionnelle, soit par l’employeur, soit par l’un de ses préposés, la victime a le droit de réclamer un complément d’indemnité car ce que la législation des accidents du travail lui assure, ce n’est qu’une réparation forfaitaire, qui est inférieure au préjudice réellement subi. Il en est de même si l’accident da travail à été causé par un tiers responsable  ; par exemple lorsqu’un ouvrier est renversé par une voiture automobile alors qu’il se trouvait dans l’exercice de ses fonctions, il y a accident du travail car le dommage est arrivé à l’heure et au lieu du travail, mais l’auteur de l’accident étant un tiers, la victime pourra lui réclamer un supplément d’indemnité représentant la différence entre le préjudice réellement subi et l’indemnité forfaitaire que la Sécurité sociale lui verse, le tiers responsable sera d’ailleurs exposé de la part de la Sécurité sociale à une action en remboursement de ce qu’elle a versé à l’ouvrier.

Ainsi donc la victime d’un accident du travail peut se porter partie civile devant la juridiction répressive devant laquelle l’auteur volontaire de l’accident ou le tiers responsable est poursuivi et dans la mesure où elle a droit à un complément d’indemnité, mais ne saurait se porter partie civile contre l’auteur du dommage dans les autres cas.

3) Troisième limite à l’exercice de l’option : celle-ci doit être exercée avant que la juridiction répressive n’ait statué en premier ressort sur l’action publique ; il serait trop tard pour se porter partie civile devant le second degré de juridiction.

C’est devant le premier degré qu’il faut agir et même le Code de procédure pénale a précisé que, devant le tribunal correctionnel, la constitution de partie civile devait avoir lieu au plus tard avant les réquisitions du ministre public ; à partir du moment où le ministère public a requis, il est trop tard pour se porter partie civile. Il a fallu un texte spécial pour permettre au Fonds de garantie en matière automobile de se porter partie civile en appel, sans avoir agi devant le premier de gré de juridiction.

4) Quatrième limite : il faut, pour pouvoir choisir la voie répressive, le faire avant l’extinction de l’action publique, puisque aux terres de l’article 3 : « L’action civile peut être portée en même temps et devant les mêmes juridictions que l’action publique ». À partir du moment où l’on ne peut plus porter l’action publique devant une juridiction répressive, on ne pourra plus y porter cette action civile. Si donc le tribunal répressif ne peut plus être saisi parce que l’auteur de l’infraction est décédé ou a bénéficié d’une amnistie, l’option n’est plus ouverte à la victime ; ne pouvant plus porter son action devant le juge répressif, elle doit la porter devant le juge civil.

Il est toutefois des cas dans lesquels, exceptionnellement, 1’option de la victime n’existe pas, du fait que la loi exige qu’elle porte son action civile devant les juges répressifs. C’est le cas en matière de diffamation, l’article 46 de la loi du 29 juillet 1881 obligeant la personne qui a été l’objet d’une diffamation à porter sa demande de dommages-intérêts devant le tribunal répressif, ce qui déclenche les poursuites en diffamation, et, devant le tribunal répressif, la personne poursuivie pour diffamation aura la possibilité de se justifier et d’échapper à la condamnation en démontrant la vérité des faits diffamatoires, dans les conditions prévues par la loi.

B -  les conséquences de l’exercice de l’option

En principe, l’option faite par la victime, dans un sens ou dans l’autre, est définitive et irrévocable. La victime ne peut pas revenir sur le choix qu’elle a fait.

Ayant porté son action devant une juridiction civile, elle ne peut pas s’en désister pour saisir la juridiction répressive ; ceci laisserait à supposer qu’elle est brusquement prise d’un sentiment de défiance à l’égard de la juridiction qu’elle-même avait saisie, défiance qui lui viendrait de ce qu’elle paraît craindre que cette juridiction ne lui donne pas une suffisante satisfaction ; or il ne faut pas que son adversaire ait à pâtir des erreurs d’orientation qu’elle a faites. C’est ce que l’on exprime par la maxime traditionnelle, qui remonte à notre ancien droit : « electa una, via non datur recursus ad alteram », d’où le nom donné à cette règle : la règle electa une via. (voir la note in fine).

Autrefois, cette règle était appliquée de façon très rigoureuse. Dans l’ancien droit l’option était vraiment irrévocable : on ne pouvait pas davantage passer de la voie répressive à la voie civile, que de la voie civile à la voie répressive. Mais, déjà, avec le Code d’instruction criminelle, certains tempéraments avaient été admis et ces tempéraments ont encore été élargis par le Code de procédure pénale, si bien que la règle electa una via a perdu la majeure partie de son autorité. (Cf. sur la question avant le Code de procédure pénale : Freyria, Revue de science criminelle 1951 p.213).

Déjà avant le Code de procédure pénale, on admettait, contrairement à ce qu’imposait la maxime electa una via, que 1’on passe de la voie répressive à la voie civile, que la victime qui avait saisi le juge répressif abandonne cette voie, se désiste, et porte son action devant le juge civil. Ce revirement est en effet plutôt favorable à l’adversaire, puisque cela lui évite le risque d’une condamnation pénale et l’application de la procédure répressive, plus coercitive et plus gênante que la procédure civile. Ce désistement peut du reste ne pas mettre fin à l’action publique qui a été automatiquement déclenchée par le fait d’avoir saisi de l’action civile la juridiction répressive. Il ne met fin à l’action publique que dans les cas où l’action publique ne peut être déclenchée que sur plainte de la victime.

Dès avant le Code de procédure pénale on admettait aussi qu’on puisse passer de la voie civile à la voie répressive lorsque le juge civil saisi s’était déclaré incompétent. On estimait que la victime avait alors recouvré sa pleine liberté de choix et pouvait donc exercer ce choix en faveur de la voie répressive. Cette solution reste vraie car l’article 5 C.pr.pén. dispose : « La partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive », ce qui implique que, si l’action civile a été portée devant une juridiction incompétente, la victime peut saisir le tribunal répressif.

Mais une nouvelle exception a été admise dans le même article 5 par le Code de procédure pénale et elle est très importante. Ce texte se poursuit en effet ainsi : « Il n’en est autrement que si celle-ci (la juridiction répressive) a été saisie par le ministère public avant qu’un jugement sur le fond ait été rendu par la juridiction civile ». Par conséquent, si la victime avait choisi le voie civile, elle ne peut pas abandonner cette voie pour prendre, la voie répressive si elle entend procéder par voie d’action, c’est-à-dire déclencher les poursuites en se constituant partie civile mais, si ce n’est pas la partie lésée qui a pris l’initiative de déclencher l’action publique et si, pendant que la partie lésée allait devant le juge civil, le ministère public de son côté a déclenché l’action publique et poursuivi le coupable devant le juge répressif, le coupable étant ainsi, de toute façon, exposé à la poursuite pénale, on permet à la victime, en raison des avantages que cela présente pour elle, d’abandonner son action civile et de la porter, par voie d’intervention, devant le juge répressif déjà saisi par le ministère public de l’action publique ; du moins faut-il que le tribunal civil qui avait été saisi par la victime n’ait pas encore rendu une décision sur le fond ; s’il a déjà rendu une décision sur le fond, et même si celle -ci n’est pas encore définitive, il faudra que l’affaire civile continue non cours.

La portée de la maxime se trouve donc sensiblement restreinte. Ce qui, en réalité, est interdit à la victime à l’heure actuelle c’est, lorsqu’elle a opté pour la voie civile, de l’abandonner pour saisir par voie d’action la juridiction répressive.

L’irrecevabilité, devant le juge répressif, d’une partie civile qui prétendrait agir par voie d’action alors qu’elle a déjà saisi le juge civil, doit être invoquée in limine litis et par la personne poursuivie ; le tribunal ne peut pas soulever cette irrecevabilité d’office ; elle n’ est pas d’ordre public.


NOTE

Faustin Hélie « Traité de l’instruction criminelle » (2ème éd., T.II p. 65 n°616). [ N.B. : Ce texte, qui concernait le Code d’instruction criminelle, date de 1866. ]

Cette règle doit-elle encore être appliquée ? Il faut, d’abord, remarquer, avec M. Merlin, qu’elle n’est écrite en termes généraux et positifs dans aucune loi ; car on ne saurait la faire dériver, comme le propose un auteur, de cette disposition de l’article 3 du Code d’instruction criminelle qui suspend le jugement de l’action civile par les tribunaux civils jusqu’au jugement de l’action publique. Il faut donc la considérer comme une maxime commune qui puise toute sa force dans la raison qui l’a fondée. M. le président Barris l’a expliquée en ces termes : « Il est un principe commun à tous les tribunaux : c’est que la partie civile, qui pouvait à son choix prendre la voie civile ou la voie criminelle, n’est pas recevable à revenir sur son choix, et qu’en prenant une de ces voies elle s’est fermé l’autre sans retour. Ce principe était né sous la législation ancienne, et la jurisprudence l’a consacré dans la nouvelle. Il est fondé sur l’humanité et même sur la justice, qui ne permettent pas qu’on traîne ainsi un accusé d’une juridiction dans une autre, et qu’on décline à son préjudice celle qu’on a volontairement saisie, parce qu’on ne la croira peut-être pas favorable aux demandes qu’on a formées devant elle ».

Il est certain, comme le remarque M. Barris, que ce principe a été maintenu par la nouvelle jurisprudence ; il est certain encore qu’il a pour base, dans une face de son application, une raison d’équité qui fait toute sa force…

Signe de fin