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LA MISE À EXÉCUTION DES PEINES

Extrait du « Traité de droit criminel »
de MM. Merle et Vitu
( 7e éd., Paris 1997, Édition Cujas )

LE TITRE D’EXÉCUTION

666. L’exigence d’un titre judiciaire d’exécution. — Le principe de légalité impose, en matière pénitentiaire, qu’une sanction pénale ne puisse être ramenée à exécution que si elle a été préalablement prononcée par une juridiction légalement habilitée, et à la suite d’un procès mené régulièrement. Cette exigence, qu’exprime l’adage nemodamnatus sine judicio, exclut donc qu’un individu puisse être soumis à une peine par le simple effet d’une décision administrative, prise en dehors de toute procédure judiciaire normale : un titre judiciaire d’exécution s’impose donc, dans une interprétation rigoureuse de la légalité criminelle. L’article 707, alinéa 1er, du Code de procédure pénale se rallie à ce point de vue quand il décide que « le Ministère public et les parties poursuivent l’exécution de la sentence chacun en ce qui le concerne ».

Cependant, lors de la Seconde Guerre mondiale ou dans les années qui l’ont suivie, ainsi qu’à l’époque des troubles nés de la guerre d’Algérie, des procédures purement administratives permettaient, en matière de sûreté de l’État ou dans l’ordre économique, le prononcé de mesures administratives, telles que l’internement, l’assignation à résidence, la fermeture d’établissement, l’amende et la confiscation. On a critiqué déjà (supra, n° 155) cette atteinte à la légalité criminelle : malgré son caractère passager, la pratique des sanctions administratives fait peser une lourde menace sur les libertés individuelles.

667. L’exigence d’un titre irrévocable d’exécution. — L’article 708, alinéa 1er, du Code de procédure pénale, dispose que « l’exécution à la requête du Ministère public a lieu lorsque la décision est devenue définitive » (adde : art. 716-2, C.P.P. ; art. 345 à 347 du Code de la justice militaire). Ce texte interdit donc, en principe, l’exécution par provision des jugements répressifs rendus sur le fond. La notion même de sanction pénale impose la solution : le dommage causé par une exécution précipitée serait souvent irréparable, si l’exercice ultérieur d’une voie de recours aboutissait, par exemple, au prononcé d’une peine moins grave ou à l’acquittement de la personne poursuivie. Il suit de là que les voies de recours, ainsi que les délais donnés pour les exercer, sont suspensifs de toute exécution (art. 173, 203 et 373 du Code d’instruction criminelle ; actuellement, art. 506 et 569, C.P.P. ; adde : art. 345, C.J.M.).

L’exigence d’une décision judiciaire définitive fléchit cependant dans certaines hypothèses, où la loi écarte l’effet suspensif des voies de recours. L’article 708, alinéa 2, du Code de procédure pénale, en fournit le premier exemple en décidant que le délai de deux mois donné au procureur général pour faire appel des décisions correctionnelles ou de police ne fait pas obstacle à l’exécution des peines prononcées. D’autre part, le mandat de dépôt ou d’arrêt délivré à l’audience par le tribunal correctionnel ou la Chambre des appels correctionnels contre un prévenu condamné à un an au moins d’emprisonnement est immédiatement exécutoire nonobstant appel, opposition ou pourvoi en cassation (art. 465 et 512, C.P.P.). Pareillement, un arrêt de contumace peut être ramené à exécution sur les biens du condamné, encore qu’il ne soit pas irrévocable (art. 633, C.P.P.) : on espère ainsi contraindre le contumax à se représenter. De même, les jugements et arrêts par défaut sont immédiatement exécutés, quand leur signification n’a pas été faite à la personne du condamné (art. 492, al. 2, C.P.P.).

Il faut rappeler en outre que l’exécution provisoire peut être ordonnée, en matière pénale, dans des hypothèses qui sont allées se multipliant. Ainsi en va-t-il pour les décisions rendues par le juge des enfants ou le tribunal pour enfants (art. 22, al. 1er, Ord. 2 fév. 1945), pour la suspension ou l’annulation du permis de conduire (art. L. 13, al. 2, C. route), pour la cessation de la publicité mensongère imposée au prévenu qui a trompé les consommateurs par les annonces vantant ses produits ou ses services (art. 44-II, al. 3, L. 27 déc. 1973). Il faut ajouter enfin que peuvent être déclarés ou sont exécutoires par provision le sursis avec mise à l’épreuve (ancien art. 738, al. 1er, C.P.P ; maintenant, art. 132-41, al. 2, Code pénal), les mesures d’aménagement de ce sursis ordonnées par le juge de l’application des peines (art. 739, al. 3, C.P.P.), ainsi que la prolongation du délai d’épreuve ou la révocation du sursis en cas de non-respect, par le condamné, des obligations pesant sur lui (art. 742-1, C.P.P.).

LES MODALITÉS DE L’EXÉCUTION

668. Le principe de l’exécution immédiate des sanctions pénales. — L’exécution des condamnations définitives se justifie par la nécessité d’assurer l’exemplarité de la répression ; on en donne aussi ce motif qu’il serait inhumain de retarder un châtiment que le condamné sait inéluctable. Bien que les textes actuels ne le proclament pas nettement, le principe de l’exécution immédiate est certain ; l’ancien article 713 du Code de procédure pénale le supposait implicitement en imposant au parquet d’aviser le ministre de la Justice dès qu’une condamnation à mort était devenue définitive ; et l’article C. 816 de l’Instruction complétant le Code de procédure pénale rappelle au Ministère public que les condamnés non détenus doivent être emprisonnés dans les quinze jours qui suivent le moment où la décision les frappant a acquis un caractère irrévocable.

Il arrive cependant qu’un jugement de condamnation voit son application retardée. Ainsi, la peine de mort ne pouvait être exécutée les jours de fêtes nationales ou religieuse, ni les dimanches, ni contre une femme enceinte tant qu’elle n’avait pas accouché, ni contre un individu tant que son recours en grâce n’avait pas été rejeté, ni enfin, selon l’usage, contre un condamné qui affirmait avoir des révélations à faire. De son côté, le Ministère public doit différer l’exécution d’une peine d’emprisonnement inférieure à trois mois, quand un recours en grâce a été formé ; il a en outre la possibilité d’agir de même lorsque l’emprisonnement est supérieur à trois mois, pour des motifs d’humanité (maladie du condamné ou d’un de ses proches, par exemple) (art. C. 816, circulaire d’application du C.P.P.). Ajoutons que le recouvrement des amendes peut être suspendu à la suite d’un recours en grâce ou d’une requête en vue d’une transaction après jugement, si l’autorité compétente pour instruire le recours requiert en ce sens le comptable du Trésor (art. 10 et 13, D. 22 déc. 1964). Enfin, en cas de demande en révision, la commission chargée de l’examen de la requête peut, à tout moment, ordonner que l’exécution de la condamnation soit suspendue (art. 624, C.P.P.).

669. Le principe de l’exécution continue des sanctions pénales. — La doctrine a toujours considéré que les peines à exécution non instantanée, telles que les peines privatives ou restrictives de liberté ou les peines privatives ou restrictives de droits, devaient nécessairement être menées sans interruption jusqu’à leur terme. L’efficacité de la répression et son exemplarité seraient détruites si le condamné pouvait subir sa peine par fractions.

Sans nier l’exactitude de ce qui précède, il faut considérer que le principe de continuité a une portée beaucoup plus large que celle que la doctrine lui a jusqu’alors reconnue. Dans les perspectives de la science pénitentiaire moderne, le principe de continuité dans l’exécution revêt plusieurs significations.

1° Dans une interprétation minimale, conforme aux vues classiques, on considère qu’une peine ou une mesure de sûreté doivent être menées sans interruption jusqu’à leur terme normal. Il y va non seulement de l’exemplarité de la répression, mais aussi, plus largement, de l’efficacité curative et éducative de la sanction. Que l’on n’objecte pas les techniques actuelles de la semi-liberté ou des permissions accordées à des détenus : elles font partie du traitement pénitentiaire et la peine est censée se poursuivre pendant les suspensions de l’incarcération ; il n’y a, dans ces pratiques, aucune discontinuité d’exécution.

2° On doit aller plus loin. Affirmer la continuité dans l’exécution, c’est entendre aussi que l’œuvre d’individualisation de la sanction doit se poursuivre pendant toute la durée de cette exécution. Il faut qu’à tout moment de l’emprisonnement, ou de l’épreuve imposée à un condamné avec sursis, les conditions du traitement puissent s’adapter à la situation personnelle du délinquant. Le Code de procédure pénale ne s’y est pas trompé, puisqu’il a consacré à cet égard les exigences les plus modernes de la science pénitentiaire : les articles 722 et 739 du Code de procédure pénale, par exemple, autorisent le juge de l’application des peines à déterminer, pour chaque détenu, les modalités de son traitement pénitentiaire et à modifier les obligations qui pèsent sur le condamné bénéficiaire d’un sursis avec mise à l’épreuve.

3° Enfin, dans une vue large encore, on considérera que le principe de continuité recouvre également le contrôle que le juge répressif doit continuer d’exercer sur l’exécution des mesures qu’il a ordonnées. Jugement et exécution forment un tout qu’on ne doit plus scinder en éléments indépendants. Proclamer la continuité dans l’exécution des sanctions pénales, c’est affirmer en même temps la continuité de l’œuvre répressive tout entière, c’est poser le principe de l’unité du procès pénal et de l’exécution de la sentence.

670. Les dérogations au principe de l’exécution continue. — Le principe de l’exécution continue ne peut être absolu. Il est possible de concevoir une application fragmentée de la sanction pénale, si cette technique paraît la plus conforme à la réadaptation sociale que l’on se propose d’atteindre. Le droit étranger est depuis longtemps entré dans cette voie, avec la pratique des « arrêts de fin de semaine », ou des privations de liberté applicables pendant les périodes de congé légal du condamné. La législation française n’a pénétré dans ce domaine que récemment, avec la Loi du 11 juillet 1975.

1°- L’exécution de l’emprisonnement peut faire l’objet de mesures de suspension ou de fractionnement.

Au moment du prononcé de la peine, lorsque sa durée n’excède pas un an, la juridiction de jugement peut en ordonner le fractionnement pour des motifs graves « d’ordre médical, familial, professionnel ou social » ; en un tel cas, l’ensemble des fractions doit s’étaler sur une période de trois années au plus, aucune des fractions ne pouvant être inférieure à deux jours (art. 132-27, C.P.N).

En cours d’exécution d’un emprisonnement dont la durée n’excède pas un an, peuvent être ordonnés, non seulement le fractionnement, mais aussi la suspension de la peine, pour les mêmes motifs humanitaires que précédemment, et à la condition que la suspension ou le fractionnement n’entraîne pas un étalement de la peine supérieur à trois ans. La décision est prise par le juge de l’application des peines, le Ministère public et l’avocat du condamné entendus, si la durée totale de l’interruption de la peine ne doit pas dépasser trois ans, soit, dans le cas contraire, par le tribunal correctionnel statuant en Chambre du conseil (art. 720-1, C .P. P.).

Par cette technique très souple de la suspension et du fractionnement, la loi permet d’organiser des arrêts de fin de semaine ou une privation de liberté pendant la période des congés, ce qui évite d’enlever le condamné à sa vie professionnelle et de le mettre dans le cas de perdre son emploi.

2°- L’amende, les jours-amendes et la suspension du permis de conduire peuvent partiellement être fractionnés pour les mêmes motifs que l’emprisonnement, soit par la juridiction correctionnelle ou contraventionnelle au moment où elle prononce la peine (art. 132-28 du Code pénal.), soit, après le prononcé de la peine, par le Ministère public ou, sur la proposition de ce magistrat, par le tribunal correctionnel ou le tribunal de police, selon que l’exécution de la peine doit être suspendue pendant moins ou plus de trois mois (art. 708, al. 3, du Code pénal).

LES AUTORITÉS CHARGÉES DE L’EXÉCUTION

A -  Le Ministère public

671. Les prérogatives du Ministère public dans l’exécution des peines. — L’une des fonctions essentielles du Ministère public, en matière pénale, consiste à poursuivre l’exécution des peines prononcées par les juridictions répressives (art. 32, al. 3 et 707, al. 1er, C.P.P. ; autrefois, art. 165 du Code d’instruction criminelle).

Le procureur de la République fait exécuter les condamnations prononcées par le tribunal correctionnel et par les tribunaux de police de son ressort. Au parquet général près la cour d’appel incombe l’exécution des peines prononcées, en appel, par la Chambre des appels correctionnels. Quant aux condamnations des cours d’assises, l’exécution en est poursuivie sur l’ordre du parquet général ou du procureur de la République, selon le lieu où siègent les assises. Sur le plan territorial, compétence est donnée au Ministère public près la juridiction qui a décidé la condamnation.

Pour assurer l’exécution des peines, le Ministère public a le droit de requérir directement l’assistance de la force publique (art. 709, C.P.P.).

B -  Le juge de l’application des peines

672. Les problèmes posés par l’institution du juge de l’application des peines. - L’institution d’un « juge de l’application des peines » a été rendue officielle par le Code de procédure pénale (art. 721 et 722, art. D. 115 et s.), à la suite des expériences tentées, avant 1959, dans les maisons centrales et les prisons réformées, par les magistrats que l’on appelait à l’époque « juges de l’exécution des peines ». Par cette création, les conceptions nouvelles [de l’exécution des peines], prenaient solidement pied dans le droit positif français…

C -  Le juge des enfants

681. Les prérogatives du juge des enfants. – Les pouvoirs reconnus par la loi au juge des enfants en matière d’exécution ne concernent que les mineurs, soit de 18 ans, soit de 21 ans, selon les hypothèses. Ils se situent sur deux plans différents, selon qu’il s’agit de l’exécution de mesures de rééducations ou de peines proprement dites …

D - L'administration pénitentiaire

683. L'administration pénitentiaire, branche du ministère de la justice. - Alors que, sous l’ancien régime, les prisons dépendaient de l’autorité judiciaire, elles furent rattachées au ministère de l’Intérieur pendant tout le XIXe siècle, conformément à la conception qui voyait dans l’exécution de la peine un problème de pure administration, ne soulevant que des questions de sécurité et d’ordre public.

Pourtant, un puissant mouvement d’idées provoqua, au début du XXe siècle, le rattachement de l’administration pénitentiaire au ministère de la Justice (D. 13 mars 1911 ; Loi de finances du 13 juillet 1911, art. 89). Les exemples donnés par de nombreux pays étrangers, certains textes du Code d’instruction criminelle qui conféraient au procureur de la République, au juge d’instruction et au président des assises le pouvoir de visiter et de surveiller les prisons (art. 165 et 197, C.I.C.) et surtout le souci de voir les magistrats répressifs mieux connaître et s’intéresser de plus près aux problèmes pénitentiaires, expliquaient cette réforme administrative.

Les conséquences du rattachement n’apparurent qu’avec lenteur. Longtemps, les fonctionnaires pénitentiaires continuèrent à relever du ministère de l’Intérieur pour leur statut, leur discipline et leur avancement, alors que la politique pénitentiaire qu’ils élaboraient ou appliquaient dépendait de la Justice. La fusion des personnels appartenant aux diverses directions du ministère de la Justice date seulement d’un décret-loi du 30 octobre 1935 ; comme les autres membres de l’administration centrale, le personnel supérieur de l’administration pénitentiaire est formé de magistrats depuis un décret du 24 mars 1937 ; depuis lors, c’est presque toujours un magistrat qui dirige cette administration.

Longtemps, un esprit particulier, peu perméable à une collaboration avec les tribunaux en matière d’exécution des peines, a régné au sein de l’administration pénitentiaire. Les patients efforts réalisés depuis 1945 et, surtout, la promulgation du Code de procédure pénale ont réussi à modifier ce climat : les juges participent à l’application des peines privatives de liberté ; l’administration, de son côté, se préoccupe du traitement extra-carcéral des condamnés. Son action a, de ce fait, pris une dimension nouvelle que le décret du 25 juillet 1964 réorganisant le ministère de la Justice a bien soulignée : « La direction de l’administration pénitentiaire assure l’exécution des décisions judiciaires prononçant une peine privative de liberté ou ordonnant une incarcération préventive ainsi que l’exécution des décisions accordant le sursis avec mise à l’épreuve, et pourvoit aux mesures d’assistance et de surveillance des libérés » (art. 5) …

N.B. Les notes de bas de page n’ont pas été reproduites afin d’alléger le texte. Les personnes désireuses d’approfondir la matière s’y reporteront utilement.

Signe de fin