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HISTOIRE DE LA RÉHABILITATION

R. Garraud « Traité du droit pénal français » T. II
(Sirey, Paris 1914, 3e éd.)

771. La grâce a le caractère d’une renonciation totale ou partielle de la puissance publique au droit d’exécuter la condamnation pénale. Comme la prescription, elle laisse subsister les incapacités ou déchéances indépendantes de cette exécution; c’est pour les faire disparaître et restituer au condamné la plénitude des droits que la condamnation lui avait fait perdre, qu’intervient la réhabilitation. Cette institution s’est développée, dans les législations modernes, par une double évolution. D’un côté, elle s’est détachée de la grâce, dont elle était, à l’origine, l’une des formes : elle s’est systématisée et régularisée, alors que la grâce n’a pu encore rentrer dans le cadre d’une réglementation légale, parce qu’elle a le caractère d’un acte de souveraineté. D’un autre côté, la marche de l’institution s’est manifestée en parcourant trois étapes successives : celle de la réhabilitation administrative, celle de la réhabilitation judiciaire et celle de la réhabilitation légale.

Dans le système du Code d’instruction criminelle, la réhabilitation, qui était accordée par le chef de l’État, ensuite d’une procédure spéciale et après justification de l’accomplissement de certaines conditions, n’avait même d’autre objet que de faire cesser, pour l’avenir, dans la personne du condamné, les incapacités ou déchéances prononcées par les juges ou attachées par la loi à certaines condamnations. Mais la loi du 14 août 1885, sur les moyens de prévenir la récidive, a modifié l’institution, en un double sens : 1° la réhabilitation est devenue un acte du pouvoir judiciaire; 2° elle a pour résultat d’effacer la condamnation même. Ce sont là les deux innovations principales de la loi de 1885. Il importe, pour en comprendre la portée, d’étudier, dans le passé, les évolutions de la réhabilitation.

772. L’origine de cette institution se trouve certainement dans le droit romain. Certains textes du Digeste et du Code, aux titres : De sententiam passis et restitutis, s’occupent, en effet, d’une sorte de restitution du condamné dans l’état que son incapacité lui avait fait perdre. Mais il faut reconnaître que la réhabilitation n’a jamais eu, dans le droit romain, le caractère précis et arrêté que lui donnent les législations modernes. Sous la République, la réhabilitation qualifiée de restitutio in integrum dans les Tables d’Héraclée, avait le caractère d’un acte de souveraineté émanant du peuple assemblé dans ses comices. Elle intervenait en faveur de celui à qui l’exil avait fait perdre la qualité de Romain, pour le ramener dans son ancienne patrie et l’y rétablir dans la jouissance des droits et des dignités dont il avait été privé. Sous l’Empire, elle émanait de la bienveillance du souverain qui mettait, à son obtention et à ses effets, telles conditions et telle étendue que lui dictait son bon plaisir. Tantôt, la restitution était dite simple ou incomplète, elle prenait autant de formes que la condamnation enlevait de droits. Tantôt, elle était plénière, complète (restitutio in integrum, et les textes nous en donnent la formule : Restituo te in integrum; ut autem scias quid sit in integrum restituere, hororibus, et ordinitio et omnibus coeteris te restituo. Dans ce cas, l’acte du prince, non seulement effaçait la condamnation, mais effaçait, jusque dans le passé, le temps d’incapacité qui avait couru.

Dans les États de l’Europe, autres que l’Angleterre, le système du droit impérial romain fut adopté, comme il l’avait été aussi par le droit canonique, par rapport à l’irrégularité qu’engendrait toute condamnation pénale qui mettait obstacle à la réception des ordres ou à l’exercice des fonctions sacerdotales.

L’ancienne France avait recueilli cette institution: « Lettres de réhabilitation, dit Muyart de Vouglans, ce sont celles qui s’obtiennent par celui qui, ayant satisfait aux peines, amendes et condamnations civiles contre lui prononcées, a recours à la clémence du prince, pour être réhabilité dans sa réputation, afin d’ôter la note d’infamie ou la mort civile qui l’empêche d’agir ». Rousseau de la Combe indique que ces lettres « rétablissent le condamné en sa bonne fame et renommée, tout ainsi qu’il était avant le jugement de condamnation, sans que, pour icelle, il puisse lui être imputé aucune incapacité ni aucune note d’infamie, lesquelles demeurent ôtées et effacées, avec pouvoir de contracter et de faire tous les actes civils ». L’ordonnance de 1670 (Titre XVI, art. 5, 6, 7) parlait des lettres de réhabilitation, que Pothier distinguait soigneusement des lettres de grâce.

Pour la première fois, la réhabilitation entra au nombre des institutions normales et systématisées dans le Code pénal de 1791. Elle cessa d’être ce qu’elle était dans les législations antérieures, l’une des formes de la grâce, dépendant absolument du bon plaisir du souverain. On l’inscrivit comme un droit dans la législation. Désormais, la réintégration du coupable dans l’état (status) que la condamnation avait diminué, devint une institution légale, soumise à une procédure spéciale. Malheureusement, la réglementation de sa mise en action ne fut pas heureuse ; le délai de dix ans, imposé au condamné pour qu’il pût former sa demande, était, dans presque tous les cas, trop long, et les formalités solennelles, auxquelles on avait soumis ce nouveau « baptême civique », en donnant à une condamnation, quelquefois oubliée, une publicité nouvelle, furent cause que cette belle institution, écrite dans la loi, ne passa pas dans les mœurs. Si bien, qu il fut question de supprimer la réhabilitation des Codes nouveaux.

Elle fut sauvée, grâce à Cambacérès et à Berlier, et passa dans le Code d’instruction criminelle, avec le caractère même que lui avait donné la Constituante. En présentant au Corps législatif les dispositions du Code d’instruction criminelle, relatives à la matière, le rapporteur Réal définissait la réhabilitation : « la reconnaissance d’un droit acquis ». Plus tard, l’avis du Conseil d’État du 8 mars 1823 l’appela un acte de justice, par opposition à la grâce, acte de clémence. Néanmoins, la réhabilitation fut, jusqu’en 1885, considérée comme un acte mixte, à la fois judiciaire, administratif et gouvernemental. La cour d’appel, dans le ressort de laquelle le demandeur en réhabilitation était domicilié, donnait un simple avis sur la requête ; et, si ce premier examen était favorable, le dossier était transmis, par le procureur général, au garde des sceaux, qui provoquait la décision souveraine du chef de l’État. Ainsi l’obtention de la réhabilitation était soumise à des conditions et à une procédure légales, mais la décision elle-même émanait du bon plaisir du souverain.

Les lois du 28 avril 1832 et du 3 juillet 1852, qui modifièrent les textes du Code d’instruction criminelle, avaient principalement pour but de rendre la réhabilitation accessible à un plus grand nombre de condamnés, mais elles n’avaient pas modifié l’économie générale de l’institution. C’est ainsi qu’elles maintenaient le pouvoir d’appréciation souverain accordé au chef de l’État par le législateur de 1808. La loi du 14 août 1885 sur les moyens de prévenir la récidive, après s’être efforcée d’amender notre régime pénitentiaire, par l’extension de la libération conditionnelle et du patronage, s’est occupée de là réhabilitation qui est, suivant les expressions d’un éminent criminaliste, « le corollaire nécessaire du régime pénitentiaire ». En châtiant, en effet, la loi corrige, et un système pénal bien coordonné doit être doué d’une certaine puissance réformatrice; il doit organiser des primes au repentir. Si les coupables qui ont réparé leur faute perdaient les droits que la condamnation leur enlève sans espoir de jamais les recouvrer, la loi mettrait elle-même obstacle à leur régénération morale, elle leur enlèverait le moyen de se reclasser.

Une loi du 10 mars 1898 a eu pour objet de rendre la réhabilitation applicable aux condamnés qui ont prescrit contre l’exécution de la peine.

Enfin, les lois des 5 août 1899 et 11 juillet 1900 ont introduit, dans notre législation, la réhabilitation de droit.

773. La réhabilitation judiciaire est une institution qui permet à un individu condamné à une peine d’arriver à obtenir, au moyen de sa bonne conduite, que sa condamnation soit effacée par une décision de justice.

781. La réhabilitation de droit, par la voie automatique du temps écoulé depuis la condamnation, a été introduite dans la législation française, sur l’intervention persévérante de M.Bérenger... La réhabilitation de droit est l’effet automatique du temps qui s’est écoulé depuis que la peine a été subie.

Signe de fin