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DÉLITS FLAGRANTS
ET DÉLITS NON-FLAGRANTS

par J. Ortolan (Éléments de droit pénal, 4e éd., T.1 p. 333 - Paris 1875)

Délits flagrants ou non flagrants

1° Suivant la science rationnelle

765. Un délit est flagrant (encore en feu, encore en flamme) au moment où il se commet, où le coupable l’exécute : si l’on survient, le coupable est pris sur le fait, en flagrant délit, en présent méfait, comme disait notre ancien langage. Cette idée du feu, de la flamme, se trouve comme racine de plus d’une locution, et nous usons de la même image quand nous disons : « Dans le feu, dans la chaleur de l’action. »

766. Observez, en cas de flagrant délit, les faits qui se produisent, vous y trouverez : droit de défense, droit de secours ; indignation, irritation passionnée contre le coupable ; certitude de sa culpabilité ; scandale plus grand et émotion populaire parmi ceux qui en sont témoins.

Aussi, n’est-il pas rare de voir, surtout dans les législations à leur enfance, lorsque ces législations se modèlent encore sur les instincts matériels et vindicatifs, non seulement pour chacun le droit de s’emparer de la personne du coupable surpris en flagrant délit, mais encore, dans certains cas, celui de le tuer pour peu qu’il fasse résistance, celui de le juger et de l’exécuter sur place sans forme de procès ; ou bien des peines plus fortes contre les délits flagrants que contre les délits non flagrants ; sans compter les modifications de procédure ou de compétences.

767. Que décider en science rationnelle ?

Aux yeux de cette science, le droit de légitime défense de soi-même ou d’autrui, qui se rencontrent fréquemment en cas de flagrant délit pour empêcher ce délit de s’achever ou de s’aggraver, n’est pas différent ici de ce qu’il est partout ailleurs, et il doit être restreint sous tous les rapports dans les limites marquées à cette défense.

Le droit de s’emparer du coupable, de le maintenir ou de le conduire à l’autorité, fera souvent partie de cette légitime défense ou de se légitime secours ; car ce sera souvent le moyen efficace et le moins dur de mettre obstacle au mal que le coupable avait commencé à commettre.

Que si les limites de cette défense sont dépassées, si, par indignation, esprit d’irritation ou de vengeance, on se laisse emporter à quelques excès contre le coupable surpris en flagrant délit, de pareils actes seront illégitimes et pourront même, suivant leur caractère, constituer des délits pénalement punissables, le fait de flagrant délit intervenant seulement comme cause d’atténuation de la culpabilité, suivant les règles que nous avons exposées en traitant de la provocation.

Quant à juger et exécuter sur place sans forme de procès, ce n’est pas de la justice, c’est de la vengeance : la justice doit se mettre en garde contre le premier ressentiment, et laisser à l’âme le temps de se calmer.

Et punir l’homme surpris en flagrant délit plus que celui qui est parvenu quelque temps à se soustraire à la justice, on n’en saurait donner de bonnes raisons : vous avez, direz-vous, pleine certitude de sa culpabilité ? Mais est-il jamais permis de condamner quelqu’un sans la pleine certitude qu’il est coupable ? Au fond, je vois encore l’esprit d’irritation et de vengeance qui se cache dans cette aggravation de peine.

Ce qu’il y a de vrai, c’est que, l’influence du flagrant délit étant une influence de certitude dans les preuves, d’urgence dans le secours à porter, d’urgence à recueillir tous les éléments du procès qu’on a sous la main et à assurer l’action de la justice contre le délinquant, c’est surtout sur les règles de procédure, sur les attributions d’autorité, quelquefois même sur la compétence des juridictions, que cette influence devra s’exercer. Joignez-y ce qui concerne la légitime défense et l’atténuation de la culpabilité pour cause de provocation, vous aurez le cercle de tous les effets qui peuvent rationnellement y être attachés.

768. Si, au lieu de se commettre actuellement, le délit vient de se commettre, on ne peut plus dire avec exactitude qu’il soit flagrant : la flamme, pour suivre jusqu’au bout la même figure, est éteinte ; ce qui reste, ce sont des vestiges chauds encore, ou des cendres encore fumantes. Le méfait n’est point présent, il est passé. Tout ce qui concerne la légitime défense, le secours légitime à porter n’a plus d’application : il est trop tard. Ce qui regarde la certitude est seulement pour l’existence du délit, mais non pour le coupable :

Monsieur, tâtez plutôt ;

Le soufflet sur la joue est encore tout chaud.

 

Oui, mais qui te l’a donné ? Encore restera-t-il souvent le doute de savoir si dans le spectacle matériel qu’on a sous les yeux il faut voir les suites d’un délit ou celles d’un accident.

Mais l’urgence qu’il y a à recueillir, avant qu’ils aient disparu, tous les indices de preuve, tous les éléments du procès qu’on a sous la main ; l’espoir de découvrir et d’arrêter encore coupable à ce premier moment qui suit le délit, la nécessité d’assurer l’action de la justice de la montrer à l’œuvre au milieu de l’émotion populaire qu’a pu susciter le spectacle du délit récemment accompli, existent ici comme dans le cas précédent, et réclament encore des modifications de procédure ou d’attribution. Ainsi, sans être un délit flagrant et sans en produire tous les effets, le délit qui vient de se commettre peut y être assimilé sous certains rapports et dans certaines conséquences.

769. Nous en dirons autant, à plus forte raison, du cas où le délinquant est saisi sur le lieu même du délit au moment où il vient de l’accomplir, porteur encore des armes ou des objets, offrant sur lui des traces, ou surpris dans une attitude qui rendent évidente sa culpabilité ; ou bien du cas où, parvenu à s’enfuir il est poursuivi par la clameur publique, c’est-à-dire par la clameur jetée publiquement après lui ; Arrêtez ! Arrêtez ! Au voleur ! A l’assassin ! Arrêtez le ! C’est l’ancienne quiritatio des romains ; c’est le cri de haro de nos pères. Il ne faut pas croire qu’il soit nécessaire que le public crie : c’est au public que le cri est jeté, que l’appel est fait ; n’y eût-il que le blessé, que le volé, où le premier survenu, qui poussât le cri en poursuivant le malfaiteur.

Ces deux hypothèses, outre qu’elles contiennent la précédente, puisque le délit vient de se commettre, offrent en plus, sinon la certitude, du moins la connaissance probable du coupable : ce ne sont point cependant un cas de flagrant délit et elles ne peuvent en avoir tous les effets. Ainsi, le délit étant accompli et le mal produit, il n’est plus question de légitime défense ; mais elles doivent y être assimilées sous de certains rapports et quant à de certaines conséquences : ainsi l’excuse pour cause de provocation se placera particulièrement ici, et les modifications de procédure ou d’attribution y seront également nécessaires. Malgré cette assimilation partielle ; la distinction est marquée par le langage même, et presque toujours, dans leur manière de s’exprimer les juristes ou les textes poseront en alternative les deux cas différents des criminels : pris en flagrant délit, ou pris à la clameur publique.

770. Si ce n’est que hors des lieux où le délit a été commis et quelque temps après ce délit qu’un homme est arrêté porteur d’armes, instruments ou objets de nature à faire soupçonner qu’il soit le coupable, la certitude, complète en cas de véritable flagrant délit, presque complète en cas de saisie au moment et dans le lieu où le délit vient de se commettre, ou bien de clameur publique, n’est plus ici qu’une présomption dont la force probante aura plus ou moins d’intensité, suivant qu’on sera plus ou moins près, par le temps et par le lieu, de l’acte qui s’est accompli. La plupart des effets du flagrant délit, que nous avons analysés ci-dessus, ne se rencontrent plus ici. Tout ce qui a trait à la légitime défense, à l’excuse pour cause de provocation, est étranger à la situation. Tout au plus restera-t-il une certaine urgence à faire les actes de procédure nécessaires pour ne pas laisser disparaître les indices qui s’offrent à la justice, et pour suivre la trace indiquée par ces indices, lorsque le temps est assez voisin du délit pour faire présumer avec quelque autorité qu’on a mis la main sur le coupable.

771. Ainsi il faut distinguer du cas de véritable flagrant délit ceux qui y sont assimilés comme s’en rapprochant plus ou moins. Cette assimilation n’est jamais complète ; elle a lieu à certains égards, et ne saurait avoir lieu à d’autres. Les conséquences dans le droit pénal n’en sont pas identiques. Les unes ont trait à la pénalité ; d’autres à la procédure, aux règles d’attribution ou de compétence. C’est par l’étude raisonnée des divers cas assimilés de plus ou de moins près au flagrant délit qu’on jugera qu’elles sont, de ces conséquences, celles qu’ils doivent ou celles qu’ils ne doivent pas produire.

772. Il faut remarquer aussi que le flagrant délit et la plupart des cas assimilés au flagrant délit se réfèrent usuellement au délinquant, lorsqu’il a été saisi dans une situation qui donne la certitude ou des présomptions plus ou moins fortes de sa culpabilité. Mais il y en a aussi qui se réfèrent uniquement au délit qui vient de se commettre, sans que délinquant ait pu être saisi ou reconnu. Les effets n’en sont pas non plus les mêmes à tous égards.

Signe de fin