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LES TRAITS FONDAMENTAUX
DE LA PROCÉDURE DE JUGEMENT

Par MM. Merle et Vitu
(Traité de droit criminel, T. II (4e éd.) p. 700 n° 611 et s.)
- Texte donné en extraits et sans les notes -

611. Le but et les caractères de la procédure de jugement. - La procédure de jugement, encore appelée procédure d’audience ou procédure d’instruction définitive, a pour but la production des preuves devant les juridictions de jugement et leur discussion publique et contradictoire; elle permet aux juges de délibérer sur la culpabilité du délinquant et la mesure à prendre à son égard. La décision à laquelle tend cette procédure porte le nom général de jugement...

On dit souvent que la procédure d’instruction définitive est, en droit français, de type accusatoire. L’affirmation n’est exacte qu’en partie. Dans 1a procédure accusatoire pure, le juge reste passif et laisse les parties rassembler et produire les preuves; or, si telle semble bien avoir été l’attitude que les rédacteurs du Code d’instruction criminelle avaient assignée aux magistrats des juridictions répressives de jugement, la pratique a peu à peu modifié le rô1e du président : celui-ci, actuellement, mène activement les débats, recherche les preuves et met tout en œuvre pour la manifestation de la vérité. En revanche, les autres caractères de la procédure accusatoire sont demeurés : cette procédure est en principe orale (1), publique (2) et contradictoire (3).

1. - L’ORALITÉ DE LA PROCÉDURE DE JUGEMENT

612. La justification et la portée du principe d’oralité. - Le caractère d’oralité de la procédure d’audience dérive du principe de l’intime conviction, qui gouverne l’activité du jugement répressif moderne : celui-ci ne doit former son opinion que d’après les preuves qui ont été directement et immédiatement soumises au débat.

De là toute une série de conséquences. Les témoins entendus au cours de l’enquête de police ou de l’instruction préparatoire sont à cités à l’audience, les experts viennent réaffirmer oralement les conclusions de leurs rapports écrits; l’officier de police ou l’agent de la force publique sont entendus comme des témoins ordinaires ; le prévenu ou l’accusé doivent être interrogés et le ministère public parle librement pour ses interventions et ses réquisitions; les avocats plaident et leur présence est même obligatoire à la cour d’assises ou devant les juridictions pour mineurs ou les juridictions militaires.

Pour sauvegarder plus complètement encore le caractère oral de la procédure de jugement devant la cour d’assises, la loi prévoit que le délibéré doit suivre immédiatement la clôture des débats (art. 307 C.P.P.), afin que ne s’estompent pas trop rapidement les impressions faites par les paroles échangées à l’audience. Il est d’autre part interdit au président d’emporter dans la salle des délibérations le dossier de l’affaire, de peur que les pièces écrites n’annihilent les effets de l’oralité des débats (art. 347, al. 2). Enfin, toujours devant la cour d’assises, le greffier se voit interdire, par l’article 379, de mentionner au procès-verbal des débats le contenu des déclarations de l’accusé et des témoins, de façon qu’en cas de cassation de l’arrêt de condamnation, le compte-rendu de ce qui aura été dit devant la première cour d’assises ne pèse pas sur les débats à venir.

Le principe d’oralité comporte pourtant des limites. D’abord les procès-verbaux qui font foi jusqu’à preuve contraire ou jusqu’à inscription de faux s’imposent aux juges avec la force que la loi attaché à leur contenu écrit. D’autre part, on admet que l’oralité ne doit être respectée avec rigueur qu’en cour d’assises, le président ne pouvant lire le procès-verbal d’audition d’un témoin qu’après que celui-ci a été entendu, et en vue seulement de contrôler la déposition orale; devant les autres juridictions, on se contente assez souvent de lire les procès-verbaux ou les dépositions écrites contenues au dossier, sans déranger à nouveau les témoins; plus encore, les juridictions d’appel entendent rarement les témoins ou les experts produits  en première instance, mais se bornent à décider au vu des notes d’audience prises par le greffier de la juridiction intérieure. Ajoutons également que l’oralité n’interdit pas que l’expert ou le témoin puissent se servir exceptionnellement de notes ou de documents pour étayer leurs affirmations verbales (art. 168 C.P.P. pour l’expert; art. 452 et 536 pour les témoins devant les juridictions correctionnelles et de police).

2. - LA PUBLICITÉ DE LA PROCÉDURE DE JUGEMENT

613. La justification et les limites du principe de publicité. - On voit d’ordinaire dans la publicité des débats à l’audience une garantie pour le justiciable et pour son juge: le premier est assuré que la vérité ne sera pas étouffée par une juridiction aveugle ou partiale, le second voit son œuvre gagner en autorité morale. Aussi le Code d’instruction criminelle et le Code de procédure pénale ont-ils fait de la publicité une formalité substantielle des procédures d’audience (art. 306,400, 512, 535 C.P.P.), dont le respect doit être mentionné à peine de nullité dans les jugements. La Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales (art. 6 § 1) et le Pacte international relatif aux droits civils (art. 14 § 1) expriment également l’exigence de la publicité des débats.

La publicité est assurée à la fois par la présence du public aux débats et par la possibilité de publier le compte-rendu des débats; mais elle est parfois limitée, en application de principes supérieurs de moralité et de bienséance, qui permettent d’écarter de l’audience certaines personnes ou même la totalité du public.

Le président de toute juridiction répressive peut tout d’abord interdire l’accès de la salle d’audience aux mineurs ou à certains d’entre eux (art. 306, 400, 512 et 535 C.P.P., reprenant les termes d’une loi du 15 juillet 1944).

2° Il arrive qu’un ou plusieurs individus troublent la bonne tenue de l’audience par leur attitude, leur manque de respect envers la justice, leur tapage ou même les infractions qu’ils commettent (art. 321, 404, 512 et 535 C.P.P.). Le président de la juridiction peut les faire expulser; et s’ils résistent ou causent du tumulte, la juridiction peut les placer sous mandat de dépôt et les frapper de deux mois à deux ans d’emprisonnement. Si, au trouble d’audience, s’ajoute une infraction (par exemple des outrages à magistrat), celle-ci peut être jugée dans les conditions de compétence indiquées précédemment (n° 581).

3° D’autre part l’accès du public à la salle d’audience peut être interdit par le huis clos, total ou partiel, prononcé par décision motivée, quand l’ordre public ou les bonnes mœurs risquent de souffrir d’une publicité complète.

Le huis clos a soulevé en pratique de nombreuses difficultés. Son prononcé appartient à la juridiction elle-même; l’opportunité de la mesure est laissée à l’appréciation souveraine des magistrats, et ne dépend, en principe, ni du consentement ni de l’avis de l’individu poursuivi, qui ne peut ni s’y opposer, ni la critiquer. Toutefois, depuis une loi du 23 décembre 1980 (art. 306 modifié, C.P.P.), dans les affaires de viol (simple ou aggravé) ou d’attentat à la pudeur de nature criminelle, au sens des articles 332 et 333-1 du Code pénal, le huis clos est « de droit » si la victime, constituée partie civile, le réclame; dans les autres cas, c’est-à-dire lorsque la victime n’a pas réclamé elle-même le huis clos, celui-ci ne peut être ordonné que si elle ne s’y oppose pas : ainsi, active ou passive, la victime joue en cette matière, devant la cour d’assises, un rôle important.

Le huis clos peut être décidé par toutes les juridictions de jugement, y compris par celles qui jugent des mineurs (il se surajoute alors à la publicité restreinte que doivent déjà respecter ces juridictions), car il se justifie essentiellement par les dangers qu’une trop grande publicité ferait courir, dans l’affaire jugée, à l’ordre public ou aux mœurs et il importe donc que la décision qui le prononce mentionne expressément ces dangers.

En ce qui concerne sa portée, le huis clos peut viser toutes personnes étrangères au procès, ou admettre la présence de certaines d’entre elles ; il peut en outre être limité à une partie des débats ou les couvrir entièrement . Mais on admet, en pratique, que rien n’empêche qu’avant la fin des débats, on revienne à la publicité complète, même si le huis clos avait été ordonné pour toute la durée de l’audience : ce retour au droit commun ne saurait préjudicier à l’accusé ou au prévenu. Pendant le huis dos, la procédure se poursuit comme à l’ordinaire, ce qui autorise l’accomplissement de tous les actes qui auraient pu être faits à l’audience publique ;

614. La publication des débats ou des éléments de la procédure répressive. - La publication des débats par voie de presse ou autrement subit également d’assez sensibles dérogations. Des interdictions spéciales concernent la reproduction des débats des procès en diffamation ou injure (art. 39, L. 29 juillet 1881), ou pour infractions de trahison, d’espionnage ou d’atteintes à la défense nationale (art. 79-6° C.P.), ou pour faits de propagande anarchiste (art. 5, L. 28 juillet 1894).

Une interdiction générale concerne la procédure de certaines juridictions (0rd. 2 févr. 1945, art. 14, pour les débats devant toutes les juridictions pour mineurs). Une autre a trait à certains actes procéduraux particuliers : ainsi la loi du 29 juillet 1881 interdit, dans son article 38, la publication de tous actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant leur lecture en audience publique et, dans son article 39, le compte-rendu des délibérations intérieures des jurys, cours et tribunaux; de même, on interdit, jusqu’à décision judiciaire, toute information relative à des constitutions initiales de parties civiles devant le juge d’instruction (Loi 2 juillet 1931, art. 2).

Le problème s’est également posé, depuis la Seconde Guerre mondiale, de l’utilisation de certaines techniques audio-visuelles à l’audience des juridictions de jugement.

615. L’emploi des techniques audio-visuelles devant les juridictions de jugement. - …

Contre la télévision au prétoire, on fait observer combien la sérénité des audiences peut être parfois troublée par la simple publicité des débats : certains participants à des procès spectaculaires prennent des attitudes théâtrales, d’autres, timides ou impressionnables, se figent dans le silence ou la dissimulation. La présence de caméras ou de photographes, avec leurs lumières éblouissantes et leurs va-et-vient, ne va-t-elle pas fausser plus encore le comportement des acteurs du procès? D’autre part le compte-rendu d’audience fait par un journaliste, plume à la main, est souvent partiel et même partial; ce défaut ne sera-t-il pas aggravé par des séquences filmées qui chercheront plus à mettre en relief telle attitude, tel incident, qu’à donner une image exacte du débat? Pire encore : un journaliste peut relater, dans un article écrit, la totalité d’un procès et en donner une vue à peu près complète, tandis qu’un film télévisé, pour des raisons techniques évidentes, n’en pourra jamais fournir que des extraits dont le choix, fait arbitrairement, ne peut donner aux téléspectateurs qu’une vue faussée de l’affaire.

Les professionnels de l’information insistent au contraire sur les exigences modernes de l’information, qui veulent que le public soit à tout moment renseigné sur chacun et sur toute chose. Mais cette argumentation, souvent présentée aussi au profit de la presse écrite, est fallacieuse : elle tend à présenter comme une conquête des libertés ce qui n’est souvent que le triomphe de la vulgarité, de la sensation, du scandale et parfois aussi de l’immoralité. Les prétendues exigences de l’information sont un leurre, qui masque difficilement les prétentions des « médias » a disposer d’un pouvoir supérieur à tous autres et qui échapperait à tout contrôle. Pourquoi, alors, étendre à la justice ce qui est déjà si contestable pour les autres domaines de la vie courante?

3. - LA CONTRADICTION DANS LA PROCÉDURE DE JUGEMENT

616. La portée du principe du contradictoire. - Le trait le plus important est la contradiction dans la procédure à l’audience ; les parties sont présentes aux débats, y produisent leurs preuves et y combattent librement celles de leurs adversaires. Comment assure-t-on cette présence des parties et leur libre défense ?

La présence des parties est nécessaire; libre, le délinquant doit déférer à la citation et se présenter à l’audience; détenu, il est extrait de prison et conduit aux débats. Que se passe-t-il s’il refuse de se voir juger régulièrement? S’il est libre, la procédure par défaut en matière correctionnelle ou de police et de contumace en matière criminelle permettent de le juger malgré tout; mais les décisions rendues sont fragiles et tombent soit sur opposition, soit par la purge de la contumace.

S’il s’agit d’un accusé, placé comme tel en état de détention provisoire, le président de la cour d’assises peut, sur sommation de comparaître faite par huissier et restée sans effet, le faire amener de force devant la cour, ou décider qu’il sera passé outre aux débats, malgré son absence; après chaque audience, lecture lui est donnée du procès-verbal des débats et copie délivrée des réquisitions du ministère public et des décisions rendues, qui sont toutes réputées contradictoires (art. 320 C.P.P.). Il a fallu prévoir le cas de l’accusé qui, présent à l’audience, entrave le cours de la justice par ses clameurs ou le tumulte qu’il cause; le président peut ordonner son expulsion de la salle et la cour le frapper d’un emprisonnement de deux mois à deux ans; l’accusé est alors gardé par la force publique à la disposition de la cour dans un local voisin et, après chaque audience, on lui donne lecture du procès-verbal des débats et on lui signifie copie des réquisitions du ministère public et des décisions rendues (art. 322).

La libre défense des parties implique leur présence à toutes les phases du procès et la communication de toutes les preuves sur lesquelles la juridiction formera sa conviction. Corollaire du principe de contradiction, le droit est donné à chaque partie privée d’être assistée d’un défenseur; cette assistance est même obligatoire devant la cour d’assises (art. 317 C.P.P.), devant les juridictions pour mineurs (O. 2 fév. 1945, art. 10, al. 1er) et devant les juridictions militaires (art. 202 et 222, C.J.M. 1982). Le délinquant et la partie civile indigents peuvent demander, le premier à se faire désigner un avocat d’office par le bâtonnier, la seconde à obtenir la nomination d’un avocat en sollicitant l’aide judiciaire.

La liberté de parole devant la juridiction de jugement est garantie par l’impunité des discours prononcés, qui ne peuvent donner lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, sauf pour les faits étrangers à la cause et sous réserve de l’action civile appartenant aux tiers (art. 41, L. 29 juillet 1881 sur la presse).

La présence de l’accusé ou du prévenu aux débats ne suffit pas : le principe du contradictoire impose en outre que la personne poursuivie soit informée exactement des faits qu’on lui reproche, et de la nature ainsi que de la gravité des charges retenues contre elle. Si, su cours de l’audience, des éléments nouveaux sont découverts ou sont produits par une des parties au procès, les juges ne peuvent établir leur conviction sur eux ou s’en servir à l’appui de leur décision si ces éléments n’ont pas été soumis à la libre discussion de toutes les parties.

Le principe a trouvé sa consécration législative dans certaines dispositions du Code de procédure pénale (cf. notamment l’art. 427, al. 2 ; comparez, plus précis et plus net, l’art. 16 C.pr.civ. de 1975). Il est exprimé avec une force particulière par l’article 6-3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, applicable en France depuis sa publication par le décret du 3 mai 1974 (« Tout accusé a droit notamment à... être informé, dans le plus court délai... et d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui »). De son côté, la Chambre criminelle a souvent eu l’occasion de rappeler que les éléments de preuve retenus par les juges pour former leur conviction doivent avoir été régulièrement versés aux débats et soumis à une libre discussion par les parties au procès. Cette exigence fait obstacle à ce qu’un tribunal répressif puisse fonder sa décision sur un document qui lui aurait été communiqué sans que l’adversaire ait été mis en mesure d’en prendre connaissance, ou sur une procédure antérieure qui n’aurait pas été à nouveau l’objet d’une discussion à l’audience". Mais le prévenu ne peut pas demander à avoir communication personnelle du dossier : s’il veut assurer sa défense d’une manière satisfaisante, il suffit qu’il choisisse un avocat ou s’en fasse désigner un d’office; toute autre solution serait la porte ouverte à des détournements de pièces ou à des falsifications; la même solution se retrouve pour l’instruction préparatoire.

Signe de fin