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DE LA PEINE EN GÉNÉRAL

par Adolphe FRANCK
Membre de l’Institut, professeur au Collège de France
Extrait de l’ouvrage « Philosophie du droit pénal »
( Deuxième édition, Paris 1880 )

Dans la première partie de son cours
l’auteur s’est efforcé de dégager le fondement du droit de punir.
Il pense l’avoir trouvé « dans le droit d’intimidation,
qui rentre, pour la société qui l’exerce,
dans le droit de conservation ou de légitime défense ».

C’est sur cette base qu’il s’efforce de poser les principes
qui doivent guider le législateur puis le juge
dans la détermination de la sanction.

Après avoir montré quels sont les principes et les limites du droit de punir ; après avoir passé en revue les actions qui tombent sous la puissance de ce droit, c’est-à-dire les différents genres de délits et les caractères qui les distinguent les uns des autres, les circonstances qui les recommandent à la sévérité ou à l’indulgence du législateur, nous arrivons à la partie la plus difficile et la plus obscure du droit pénal : je veux parler de la peine. Quand il s’agit de discuter d’une manière générale le pouvoir de la société sur ceux qu’elle est autorisée à considérer comme ses ennemis, nous pouvons en appeler aux principes immuables de la conscience humaine, aux idées sur lesquelles reposent l’ordre moral et la justice. Il en est de même quand il faut déterminer les caractères et les conditions du délit ; car il suffit alors d’avoir le discernement du bien et du mal et de savoir distinguer entre les actions qui relèvent de la seule conscience ou de la justice absolue et celles qui intéressent la conservation de l’ordre social. Mais comment se décider entre plusieurs souffrances qui peuvent servir également à la société de moyen de répression et de défense ? Pourquoi l’amende, la prison, les tra–vaux forcés plutôt que l’exil, le bannissement, les châtiments corporels ? Pourquoi ces châtiments plutôt que d’autres empruntés à l’ordre civil, ou à l’ordre politique. Ne semble-t-il pas qu’ici tout soit variable et même arbitraire ?

Ne semble-t-il pas que les formes de la pénalité doivent se modifier suivant les temps, suivant les pays, suivant les races, suivant les mœurs, suivant les degrés de la civilisation et même suivant le caractère et l’éducation des individus ? Oui, sans doute, toutes ces circonstances doivent être présentes à l’esprit du législateur et exercer une influence réelle sur la justice pénale. mais le choix de la peine doit aussi être soumis à des règles souveraines, puisées dans la raison, à des principes absolus, empruntés au droit naturel.

Le premier de ces principes, c’est que la peine ne doit pas excéder les limites où est renfermé le droit de punir, ou le but de la justice pénale. Or, le but de la justice pénale, n’est pas l’expiation, mais la répression et la répa–ration. Par conséquent, il y a un maximum de rigueur que la loi ne doit pas dépasser, dès qu’il est démontré par l’expérience ou par la raison, par les lois générales de la nature humaine, qu’il offre un contrepoids suffisant aux plus grands crimes, aux plus redoutables excès de la perversité. Admettons un instant que ce maximum soit la peine de mort (nous examinerons tout à l’heure si l’on peut aller jusque-là) ; dès lors tous les supplices qui ont pour but, non de trancher les jours du coupable, mais de prolonger son agonie et d’augmenter ses souffrances, sont autant d’attentats qu’on peut reprocher à la société, autant d’exemples de férocité et de violence que la loi elle-même donne au crime. Quand on songe à ce qu’était la loi pénale il y a seulement un siècle, chez les peuples les plus civilisés, il est impossible de trouver exagérées ces paroles de Rossi : « Les législateurs ont joué au plus méchant et au plus féroce avec les malfaiteurs. Avouons-le, ils ont été plus d’une fois les vainqueurs dans cette épouvantable lutte. Rien n’a été respecté, ni le caractère sérieux de la justice, ni l’humanité, ni la pudeur ».

Dans les bornes mêmes où nous venons de la circonscrire, la peine doit être strictement proportionnée au délit et choisie de telle sorte que, dans la mesure où le permet la nature des choses, la nature des lois, la cons–titution de la famille, elle ne pèse jamais que sur la personne du coupable. En un mot, la peine doit être proportionnelle et personnelle. Elle sera proportionnelle si l’énergie de la répression ou la crainte qu’elle inspire est suffisante pour neutraliser la puissance de la tentation. Elle sera personnelle si elle n’atteint pas, au moins par la volonté du législateur, l’innocent avec le coupable. Il résulte de là que rien n’est plus odieux que la peine de mort autrefois infligée au vol, et que la peine de la confiscation générale et la mort civile, consacrées l’une et l’autre par le Code pénal [de 1810], mais heureusement abolies, la première par la charte de 1814, la seconde par la révolution de 1848.

Par la confiscation générale, on punit les enfants pour la faute du père, on punit la femme pour la faute du mari, on punit toute une famille, on la réduit à la misère et au désespoir pour la faute d’un seul homme. Par la mort civile, on déchire les liens que la nature a déclaré indissolubles ; on frappe un coupable dans les sentiments honnêtes qui lui restent encore, dans ses affections les plus légitimes et les plus saintes ; on le force à ne plus voir dans sa femme et dans ses enfants que des étrangers, des indifférents ; on punit la femme innocente, les enfants innocents, dans le dévouement, la tendresse, le respect qu’ils conservent encore, après sa déchéance, à celui dont ils ne peuvent séparer ni leur destinée ni leurs cœurs, à celui qui, le plus souvent, s’est perdu pour eux, et qui mérite au moins, quoique par des moyens réprouvés, leur reconnaissance. On offre un appât à l’ingratitude, à la licence et à la cupidité, en permettant à la femme de contracter un autre mariage et en ouvrant pour les enfants la succession de leur père encore vivant. Grâce au ciel, grâce à l’Assemblée nationale de 1848, cette abomination a disparu de notre pays.

Il ne faut cependant pas nous faire trop d’illusion, la peine n’est presque jamais entièrement personnelle. Le coupable que la loi a frappé a un père et une mère, il a une femme et des enfants, il a une famille, il a des proches ; il n’est pas sorti d’un rocher ou d’un arbre. Or, comment empêcher que ceux qui lui appartiennent ne souffrent de sa honte, de sa détresse, de sa captivité, de la misère où peut le plonger une simple amende ou un emprisonnement de quelques mois ? La solidarité est dans la loi, elle est dans la peine, parce qu’elle est dans la société, elle est dans la société, parce qu’elle est dans la famille ; elle est dans la famille, parce qu’elle est dans la nature et dans le cœur de l’homme. Ce serait un malheur si elle n’existait pas, car l’homme sans elle serait un être dépourvu d’âme et d’entrailles, incapable d’affection et de dévouement. C’est par exception qu’elle fait notre tourment. En général, elle est notre honneur, notre joie et notre force. Aussi n’est-ce point cette solidarité naturelle et morale qui est condamnable, mais la solidarité artificielle et inique qui confond dans une même sentence l’innocent avec le coupable.

La peine, pour être juste, doit être proportionnée non seulement à la gravité du délit, mais à la situation particulière du coupable, je veux dire à ses moyens et à ses forces. Ainsi, par exemple, tout le monde admettra, et la loi en cela est d’accord avec l’opinion, qu’une femme, lorsqu’il s’agit de châtiments corporels, ou pour parler comme le Code, de peines afflictives autres que la mort, ne doit pas être soumise au même traitement qu’un homme, parce que la nature l’a rendue plus faible. Pourquoi, dans les cas où la loi prononce l’amende, l’amende serait-elle la même pour le pauvre que pour le riche ? Mille francs d’amende pour un millionnaire, c’est une misérable obole dont la privation n’est pas sentie, c’est une miette tombée de la table de Balthasar. Pour le pauvre, qui gagne son pain à la sueur de son front, qui vit de son travail au jour le jour, c’est une véritable confiscation, c’est une calamité effroyable qui pèsera sur toute sa vie et sur l’avenir de sa famille ; ce sont des années de soucis et de misère, non seulement pour lui, mais pour sa femme et ses enfants. J’en dirai autant de la prison. Qu’est-ce que quelques mois de captivité pour un riche oisif qui, grâce à l’institution de la pistole, sera logé commodément et se nourrira selon ses goûts ? Pour ce malheureux dont je parlais tout à l’heure, c’est la ruine, c’est la perte de ses moyens d’existence, c’est l’abandon de ses enfants, c’est l’abandon et souvent le déshonneur de sa femme et de ses filles.

À plus forte raison est-il injuste de substituer à l’amende que le pauvre ne peut pas payer l’emprisonnement, c’est-à-dire une peine d’un autre ordre, d’une nature beaucoup plus grave et d’un caractère plus déshonorant. N’est-ce pas punir le pauvre de sa pauvreté même ? N’est-ce pas ériger la pauvreté en crime et la châtier à la fois par la honte et par la perte de la liberté ? Au pauvre qui ne peut payer l’amende, demandez quelques journées de travail au profit de la commune, du département ou de l’État : ce sera beaucoup plus encore que l’argent du riche ; mais ne laissez pas subsister dans un pays civilisé, dans un pays chrétien, cette inégalité odieuse et corruptrice. Par un moyen ou par un autre, il faut qu’elle disparaisse comme la marque, la confiscation et la mort civile ; elle n’a déjà que trop duré. Quant à une répartition plus équitable de l’amende et de la prison suivant les moyens d’existence, suivant la fortune des coupables, elle est plus difficile à réaliser, mais elle n’est pas irréalisable.

Voilà déjà, pour la solution de la question que nous traitons en ce moment, et qui nous a paru d’abord, si l’on me permet cette expression, si complètement empirique, voilà un certain nombre de règles qui toutes dérivent de l’idée du droit, de la justice, et dont aucune ne peut sérieusement être contestée.

Il ne faut pas que la peine aille au delà du but même de la justice pénale, ou qu’elle excède les droits de la société.

Il faut qu’elle soit personnelle, et non solidaire entre le coupable et l’innocent.

Il faut qu’elle soit proportionnée à la gravité du délit. Il faut qu’elle s’abaisse ou s’élève, selon les moyens et les forces de celui qui est condamné à la subir.

Voici un principe nouveau qui ne le cède pas en importance et en autorité à tous ceux que nous venons de développer : il faut que la peine soit en rapport non seulement avec la gravité, mais avec la nature du délit, ou que la nature du délit et la nature de la peine aient autant que possible de l’analogie l’une avec l’autre. Ainsi il y a des délits politiques et des délits civils ; il y a les délits de la parole ou de la presse, et ceux de l’action ; il y a les délits qui attaquent les mœurs ou qui détruisent la famille, et ceux qui viennent de la cupidité et de la violence.

Il ne faut pas que les uns soient réprimés de la même manière que les autres ; il faut qu’ils gardent entre eux, dans la loi pénale, la même distance et la même distinction que dans la conscience, autrement on arrive néces–sairement à l’arbitraire et à la confusion ; la justice pénale n’est plus un enseignement, mais une œuvre de hasard, une institution de la force, et ses arrêts n’obtiennent plus la sanction de l’opinion publique, parce qu’ils la blessent ou la corrompent. Il suffit, pour faire ressortir la vérité et la portée de ce principe, de deux exemples : l’adultère et les délits de presse.

Dans l’un et l’autre cas, la loi prononce la peine de l’emprisonnement. Mais d’abord quelle analogie et quelle proportion y a-t-il entre quelques mois de prison et une action aussi criminelle que celle qui détruit, qui dissout, qui empoisonne la sainte institution du mariage et de la famille ? Quelle est la passion qui, pour se satisfaire, n’accepte pas d’avance une courte captivité, très souvent rachetée par une sorte d’auréole ? En effet, la honte, s’il y en a dans l’état actuel de nos mœurs, s’attache au front du mari et non de l’amant. La seule répression efficace et légitime consisterait ici à frapper le coupable dans les droits qu’il a méconnus et insultés. Violateur du sanctuaire de la famille, il devrait être privé de la tutelle de ses enfants, remise aux mains de sa femme outragée, et à plus forte raison de la tutelle des enfants d’autrui. Il faudrait l’exclure des conseils de famille et de toute fonction publique qui exerce une influence sur l’éducation et sur les mœurs. Je voudrais qu’il ne pût faire partie du corps enseignant ni du jury, parce le jury est souvent appelé à prononcer sur le délit même dont il s’est rendu coupable ; ni d’aucune magistrature municipale, parce que le maire et ses adjoints représentent la loi et la société devant les couples qui contractent les obligations du mariage. Je le déclarerais même indigne d’un office d’avoué ou de notaire, parce que ces officiers ministériels sont les déposi–taires du secret, des familles ; enfin, je lui interdirais, au moins pour un temps, la pratique de la médecine, car le médecin, plus encore que le notaire, et presque autant que le confesseur, exerce un sacerdoce intime.

La peine de l’emprisonnement n’est pas moins en désaccord avec les délits de la presse, qu’il est presque permis de considérer comme des délits de la pensée. Sans doute les délits de presse, surtout quand il y a une liberté de la presse soumise à l’autorité de la justice et des lois, et non pas au pou–voir discrétionnaire du gouvernement, les délits de la presse peuvent causer un grand dommage à la société, aux lois, à l’ordre, à la paix publique ; mais jamais la conscience morale n’admettra qu’ils doivent être réprimés de la même manière que les crimes les plus vils, que les tentatives de vol et de meurtre, que les actes d’escroquerie ou de violence. Ici encore il y a une peine indiquée par la nature de la faute, et que tout le monde trouvera juste, parce qu’elle défendra la société sans déshonorer le coupable pour un acte qui n’a lui-même rien de déshonorant. Voici un homme dont les opinions, dont les passions politiques ne peuvent se concilier avec les lois, avec les institutions, avec le gouvernement de son pays ; eh bien, qu’il aille vivre ailleurs, au moins pendant quelque temps ; qu’il aille chercher sous un autre ciel, sous un autre gouvernement, sous d’autres lois, le calme ou la satis–faction d’esprit qui lui manquent. Remplacez la prison par le bannissement ou un exil plus ou moins long, suivant la gravité du délit. C’est ainsi qu’en usaient les anciens pour les abus de l’éloquence ou pour les hardiesses de la poésie, qui remplaçaient chez eux les journaux et les brochures. Il ne leur serait pas venu à l’esprit de traiter un orateur, un tribun, un poète, comme un escroc et un voleur. Ils rougiraient pour nous de la manière dont nous traitons nos écrivains. La peine de l’exil est peut-être plus sévère que celle d’une courte captivité, mais elle est plus digne d’un citoyen, elle convient mieux à un peuple libre.

L’analogie de la peine et du délit doit être tout intérieure, toute morale, et non purement matérielle, comme celle que recherchait autrefois la justice criminelle ou celle que Dante nous montre en action dans les chants de l’Enfer. L’analogie morale est celle dont nous venons de montrer quelques applications, celle qui consiste à priver un coupable du droit qu’il a méprisé, qu’il a violé dans les autres. L’analogie matérielle consiste à copier le délit même qu’elle est destinée à punir ; elle fait entrer dans la punition les mêmes moyens dont on s’est servi pour accomplir le crime, ou quelque chose qui en est comme la figure ou la représentation extérieure. C’est ainsi qu’autrefois on perçait la langue aux blasphémateurs, qu’on coupait le poing aux parricides, qu’on brûlait les sorciers et les hérétiques sous prétexte qu’ils alimentaient le feu de l’enfer. C’est ainsi que Dante nous montre les hypocrites couverts d’une chape de plomb, les amants coupables emportés éternellement dans un même tourbillon. Mais ce n’est point là qu’on trouvera l’essence de la justice ; ce n’en est que le simulacre, tantôt sanglant et tantôt ridicule. La dernière conséquence de ce principe est la loi du talion.

L’analogie morale entre le délit et la peine nous conduit à un principe plus général, dont l’analogie elle-même peut être considérée comme une application et une conséquence. Ce principe, le voici : L’homme, jusqu’au sein de la plus profonde dégradation, reste toujours une créature humaine, un être moral, un être doué de conscience, de raison, de liberté, qui, sans jouir actuellement de ses facultés oblitérées par le crime, peut les recouvrer d’un instant à l’autre sous l’aiguillon de la souffrance, de la honte ou du repentir. Or, il n’est pas permis d’en user avec une créature humaine comme un homme sensé n’userait pas d’une chose ou d’une bête de somme. Il faut que la peine qu’on lui inflige ait sa raison d’être dans sa nature ; il faut qu’elle l’atteigne d’abord dans son honneur, puisque l’honneur, tel qu’on l’entend dans les relations sociales, n’est que l’estime des autres, l’estime de la société entière, dont il est devenu indigne par sa faute et qu’il ne doit plus reconquérir que par une vie tout à fait nouvelle, après avoir payé sa dette à la loi. Il faut qu’elle l’atteigne dans les droits qu’il a voulu enlever aux autres, afin de lui apprendre par là que les droits sont réciproques, et que nul n’est admis à les revendiquer qui les méconnaît dans ses semblables.

Il faut qu’elle l’atteigne dans l’usage des mêmes facultés, des mêmes biens, qui sont devenus entre ses mains un danger pour ses concitoyens et pour la société entière. La société lui dira, par l’organe de la loi : « Tu as mal usé de ta liberté, tu t’en es servi contre moi ; tu seras privé de ta liberté jusqu’à ce que tu aies eu le temps d’en comprendre le prix pour toi-même et pour les autres. Tu as mal usé de tes forces, tu t’en es servi comme d’un instrument de violence pour opprimer, pour maltraiter tes semblables, pour jeter le trouble dans mon sein ; elles sont devenues un danger public, je m’en empare pour les comprimer et les affaiblir, jusqu’à ce que le remords et la contrainte aient fait de toi un autre homme, ou bien jusqu’à ce que le remords et la contrainte aient rétabli en toi un autre homme, ou bien jusqu’à ce que le remords et la contrainte aient rétabli en toi l’homme à la place de la bête féroce ». Enfin, dans les temps où la férocité des mœurs oblige la loi à la plus extrême rigueur ; dans les temps où les moyens de répression ordi–naires sont une garantie insuffisante, la société, par l’organe de la loi, peut dire au meurtrier, à celui qui a versé le sang avec préméditation : « Ta vie est devenue un danger pour celle de tes semblables, puisque tu ne leur reconnais pas le droit de vivre ; elle cesse d’être sacrée pour moi, puisque tu n’en fais qu’un criminel usage, elle cesse par là de t’appartenir à toi-même ; je la sacrifie à mon droit, à ma sécurité et à mon repos ».

La peine, ainsi comprise, cesse entièrement d’être arbitraire ; elle cesse d’être capricieuse et violente, elle rentre entièrement dans les lois de la justice, de la raison, de la réparation légitime, et elle devient par cela même un moyen d’instruction autant que d’intimidation, un moyen d’amendement pour le coupable : car le premier moyen d’amendement, c’est le sentiment même de la justice passant de la loi pénale dans la sentence du juge, et de la sentence du juge dans le cœur du coupable.

Mais à ce moyen peuvent s’en joindre d’autres : par exemple, l’instruction que le coupable, isolé de ses pareils, reçoit de la partie saine de la société ; le travail, qui le soustrait, pendant l’emprisonnement correc–tionnel, à la corruption de la captivité et de la solitude ; le travail plus rude, qui, dans la répression criminelle, dompte les passions d’une nature corrompue et les instincts de la brute. Les effets régénérateurs du travail, dans lesquels entre naturellement le sentiment de l’ordre, de la discipline, de la règle, seront augmentés encore s’ils sont consacrés au bien commun de la société, et si la société les réclame comme une dette légitime.

La société est admise à dire au condamné : « Tu m’obliges, à cause de tes crimes, à te garder, à te loger, à te nourrir, à te vêtir, à entretenir une légion de geôliers, de préposés, d’agents de la force publique, il est juste que tu me dédommages, autant qu’il est en toi, des sacrifices que tu m’as imposés ». Après la justice viendra la libéralité ; elle rendra au criminel, à l’expiration de sa peine, une partie de l’argent qu’il a gagné ; elle le confiera à quelque société de patronage, comme il en existe déjà pour les jeunes détenus, jusqu’à ce qu’il soit rentré dans les voies régulières de la vie, jusqu’à ce qu’il ait trouvé, ou dans la mère patrie, ou dans une colonie consacrée à cet usage, des moyens assurés d’existence.

Avec cette règle d’humanité et de justice, adieu les abominations et les horreurs dont se composait autrefois le système pénal : plus de mutilations comme celles qui se pratiquent encore dans l’empire russe ; plus de flagel–lations comme celles qui sont encore en usage, je ne dis pas en Asie, mais en Autriche et en Angleterre ; plus de flétrissures ineffaçables, plus de marques infamantes imprimées à perpétuité sur l’épaule, sur le front ou sur la joue. Le seul effet de ces cruautés, c’est non seulement de perdre à jamais le condamné, de lui fermer à jamais le sein de la société, mais de corrompre et d’avilir la nature humaine.

Signe de fin