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DES CONDITIONS FONDAMENTALES
DE LA RESPONSABILITÉ PÉNALE

J.-A. Roux, Cours de droit criminel
(2e édition, T.I p. 141 )

§ 34. Conditions essentielles de la responsabilité pénale

S’il n’y a que les êtres humains qui puissent être les sujets des infractions, parce qu’ils sont seuls à comprendre l’idée de peine, il est également manifeste que tout être humain ne peut pas être déclaré pénalement responsable d’un acte, qui léserait le droit d’autrui. L’impropriété et l’inaptitude de la peine, qui écartent celle-ci des animaux et des personnes morales, peuvent, pour des motifs semblables, la faire rejeter à l’égard de certaines personnes physiques.

C’est ainsi qu’un être privé d’intelligence ne peut pas être puni, parce qu’il ne comprend pas plus que la bête la peine qu’on lui appliquerait ; et qu’un individu qui .manque de liberté, au moment où il agit, ne peut pas plus qu’une personne morale être frappé, parce que le délit n’est pas le résultat de sa volonté.

L’intelligence et la liberté dans la personne de l’agent sont donc les conditions nécessaires, cumulativement exigées, de la responsabilité pénale (argument a contrario de l’article 64 C.pén.).

Il s’y en ajoute un troisième, l’existence d’une faute, dont il sera question plus loin. La loi, en effet, ne saurait punir l’acte, qui , en d’autres circonstances serait punissable, quand c’est elle-même qui l’ordonne, l’autorise ou l’excuse.

Ces conditions sont essentielles.

Elles sont imposées, non seulement eu matière de crimes ou de délits, mais aussi en cas de contraventions de police. Quoiqu’on ait quelquefois parlé, à propos de ces dernières d’infrac­tions matérielles, parce que la bonne foi ne les excusait pas, il y a lieu d’admettre qu’aucune infraction n’est constituée simplement par un fait : toutes supposent un élément moral.

Malgré le silence de l’article 64 du Code pénal, il convient donc d’en étendre les dispositions aux contraventions de police, parce qu’elles expriment un principe supérieur de droit, d’un caractère général.

D’autre part, étant constitutives de la responsabilité pénale, c’est au ministère public qu’il échet d’en établir l’existence dans la personne qu’il poursuit.

§ 35. De l’intelligence

L’intelligence est la première condition de la responsabilité.

Sous ce nom, il faut entendre la raison, cette faculté de l’entendement qui permet à l’homme de comprendre l’effet de ses actes, d’en prévoir les conséquences, et de distinguer ce qui permis de ce qui est défendu.

Elle est quelquefois appelée discernement (Voir les .art. 66 et 67).

L’intelligence n’est pas la connaissance de la loi pénale, qui suppose l’application de la raison .à l’étude du droit. On peut ignorer la loi pénale, et être néanmoins déclaré responsable lorsqu’on en transgresse les dispositions, soit en vertu de la maxime que « nul n’est censé ignorer la loi pénale », qui établit une présomption juris et de jure de connaissance, ou peut-être mieux à cause de l’ancienne corrélation qu’on mettait autrefois entre la loi morale et la loi pénale, et qui faisait des commandements de celle-ci les prescriptions de celle-là, connues dès lors de tout homme raisonnable.

L’intelligence se distingue aussi de la volonté.

Cette dernière est la force de l’esprit appliquée à la réalisation d’un dessein. Mais, cette application peut être raisonnable ou déraisonnable. Un fou veut ce qu’il fait ; il a seulement perdu la distinction de ce qui est permis et de ce qui est défendu. Il n’est pas privé de volonté, mais d’intelligence.

§ 36. De la liberté

La liberté, qui est la seconde condition de ta responsabilité pénale, consiste dans le pouvoir laissé à l’individu de se décider lui-même, et d’imprimer à ses actes la direction qu’il a choisie.

La liberté que la loi exige, n’est pas simplement la liberté physique, qui réside dans l’absence d’obstacle matériel empêchant l’activité humaine de s’épancher suivant un certain cours. C’est aussi et également la liberté morale, qui suppose l’absence de contrainte exercée sur la volonté de l’individu, pour lui imposer une activité déterminée.

Pour être responsable, l’individu doit donc avoir agi librement, c’est-à-dire avoir voulu spontanément ce qu’il a fait, et avoir pu aussi bien ne pas faire, que faire, ce qu’il a accompli.

Au regard des doctrines positivistes, la croyance en la liberté morale est une illusion. L’homme ne se détermine pas; il est déterminé, poussé vers un but qu’il n’a pas choisi, et que fixe la force, interne ou externe, qui est prépondérante dans son esprit au moment de son acte. Il ne commande pas, il obéit aux multiples impulsions, concordantes ou opposées, qui impressionnent son cerveau, et qui proviennent de son hérédité, de son éducation, du milieu dans lequel il vit, ou des impressions du moment présent. Il est esclave quand il se croit le maître de sa destinée

Sans poser la question du libre arbitre sur le terrain métaphysique, le droit positif se place à un point de vue plus simple. Il aperçoit une distinction, fondée ou non, peu importe, en tout cas réelle, entre les individus qui vivent en société. Il a vu que les uns obéissent à une force irrésistible, et ne peuvent pas agir autrement qu’ils ont fait, au lieu que les autres auraient pu ne pas faire ce qu’ils ont fait, qu’ils l’avouent, et le reconnaissent eux-mêmes, justifiant leur conduite par des raisons, c’est-à-dire par des motifs auxquels ils ont souscrit, mais qu’ils auraient pu aussi repousser. Aux premiers, le droit positif ne demande pas compte de leur conduite ; il retient au contraire les seconds, parce qu’ils avaient la possibilité de résister à leurs suggestions, et qu’ils ne l’ont pas voulu. Il ne cherche pas à savoir si cette force de résistance, dont ils ont fait un mauvais usage, ils la doivent à eux-mêmes, à leur éducation ou à leur milieu, et s’ils ont accru ou diminué l’héritage paternel ; il se borne à examiner s’ils l’ont.

Toute la théorie de la responsabilité pénale est fondée sur cette croyance en la liberté morale que tout homme normal porte en soi, dont chacun se réclame quand il est question de récompenses ou d’honneurs, et qu’il est également juste de conserver, quand il s’agit de démérite et de peines.

§ 37. Pas de responsabilité.pénale sans faute

C’est un principe certain, que d’après le droit positif, il n’y a pas de responsabilité pénale sans l’existence d’une faute. La peine est considérée comme une sanction morale ; elle serait donc une iniquité, si elle était prononcée contre un individu exempt de faute (argument art. 64).

Quelque naturelle que paraisse actuellement cette idée, elle n’a été cependant acquise que difficilement et lentement.

Dans le droit franc, comme d’ailleurs dans les législations primitives, le droit pénal était construit sur une responsabilité purement matérielle ; il suffisait d’être l’auteur d’un fait défendu par la loi pour en être puni : le dommage remplaçait la culpabilité et l’idée de risque la condition de faute.

Ces notions, fortement enracinées dans la tradition, n’avaient pas complètement disparu à la fin de l’ancien régime, qui en conservait encore d’importants vestiges. C’est à elles qu’il convient de rattacher, non seulement l’obligation de prendre des lettres de rémission en cas d’homicide commis par cas fortuit ou en état de légitime défense, mais la. notion d’infamie, qui atteignait les enfants innocents des crimes de leurs parents, les exceptions au principe de la personnalité des peines, et même la responsabilité pénale des personnes morales.

Depuis longtemps cependant, grâce à l’influence du droit canonique, fortifié par l’action du droit romain, la conception de la responsabilité pénale, liée à l’idée de faute, avait pénétré le droit criminel. Dans le délit, l’intention devenait l’élément essentiel parce que ce que l’on cherchait à punir « c’est l’âme qui a péché, et qu’il faut guérir, purifier, relever par l’expiation ».

Sous l’action des criminalistes italiens du XVI°siècle, la doctrine française posa finalement, comme maxime constante, que « là où il n’y a .point de dol, il n’y a point de crime, et par conséquent, il ne peut pas y avoir de peine, mais seulement des dommages et intérêts contre l’auteur du délit ». Elle ne parvenait toutefois ni à dégager de l’idée de faute toutes les conséquences légitimes, ni à en débarrasser l’étude de la terminologie un peu creuse et inutile, que les civilistes avaient empruntée au droit romain.

Au contraire, le droit révolutionnaire a fait de la règle « pas de responsabilité pénale sans faute » un dogme général dont il a tiré de nombreuses conséquences, en particulier : le principe de la personnalité des peines, la suppression de la note d’infamie le caractère légal du droit pénal, et la non-rétroactivité de la loi pénale (Voir la Déclaration des Droits de l’homme de 1789, art. 8 ; loi du 21 janvier 1790, art. 2 ; Code pénal de 1791, 2° partie, titre 2, sect.1, art.1). Le droit moderne a suivi cet exemple.

Il convient donc de voir dans l’article 64 du Code pénal, non pas la règle de droit elle-même, mais seulement l’application d’une règle plus générale ; car si le défaut d’intelligence ou de liberté est exclusif de toute idée de faute, l’absence de faute peut encore se rencontrer, en dehors de celui-ci, chez un auteur qui, au temps de l’action, n’est ni dément ni contraint (argument, art. 327 et 328).

Et il faut observer encore que cette règle de droit embrasse toutes les infractions, quelle que soit leur nature, aussi bien les contraventions de police que les crimes et les délits.

Signe de fin