DICTIONNAIRE DE DROIT CRIMINEL
- Professeur Jean-Paul DOUCET -
Lettre F
(Dixième partie)
FOR INTERNE
Cf. Convoitise*, Délibération*, Intention criminelle*, Mobile*, Pensées*, Résolution criminelle*, Saisine in rem*.
- Notion. On entend par for interne, ou for intérieur, la conscience morale de chacun d’entre nous. L’intéressé lui-même éprouve des difficultés, tant à sonder les mobiles de ses actes, qu’à prendre la mesure des sentiments qui l’agitent ; les juges répressifs en sont plus encore incapables. C’est pourquoi on admet que le for interne échappe à la compétence des tribunaux humains.
Ancien testament. Jérémie (17-9) : Le cœur de l’homme est rusé et pervers ; qui peut le pénétrer ? Moi, Dieu, je scrute le cœur, je sonde les reins, pour rendre à chacun selon sa conduite, selon le fruit de ses œuvres.
Lavelle (Traité des valeurs) : Un commandement d’origine extérieur ne peut pas atteindre le secret même de la conscience ; il ne peut obtenir qu’un conformisme matériel.
De Ferrière (Dictionnaire de droit) : La Juridiction ecclésiastique, au for interne, est la Juridiction sur les âmes et sur les choses purement spirituelles.
Bautain (Manuel de philosophie morale) : Jamais un homme ne connaîtra ce qui se passe chez les autres, comme il sait ce qui se passe en lui, parce qu'il ne peut entrer dans leur for intérieur ni identifier sa conscience avec la leur.
Trib.corr. Paris 18 avril 1985 (Gaz.Pal. 1985 I 704) : La Cour de cassation déconseille aux Tribunaux de se livrer à d’impossibles recherches dans le for intérieur des personnes.
- Le for interne du plaignant. La loi pénale doit protéger, non seulement l’intégrité physique, mais encore
l’intégrité morale des personnes, donc les sentiments de pudeur, d’honneur ou de paix que procure un domicile privé. Mais comment savoir si une
personne a été effectivement atteinte dans ses sentiments ?
- Pour éviter au juge de s’aventurer sur un terrain si délicat, le législateur doit user ici de la technique des Délits
formels* : il doit donc se borner à incriminer « tout acte de nature à » porter atteinte à la pudeur, à l’honneur, à
l’intimité d’autrui…
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° I-119, p.169 / n° I-229, p.236
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Personne humaine » (4e éd.), n° II-1, p.243 / n° II-6, p.250 / n° II-107, p.264 / n° II-201, p.295 / n° II-306, p. 360 / n° III-102, p.427 / n° III-108, p.437 / n° III-112, p.446 / n° III-201, p.477
Code pénal belge. Art. 387 : Sera puni d'un emprisonnement de six mois à deux ans et d'une amende de mille € à cinq mille €, quiconque vend ou distribue à des mineurs ou expose sur la voie publique ou le long de celle-ci des images, figures ou objets indécents de nature à troubler leur imagination.
Cass.crim. 5 avril 1995 (Gaz.Pal. 1995 II Chr.crim. 356) : Pour déclarer le prévenu coupable de publicité trompeuse, l’arrêt attaqué énonce que la société de vente par correspondance qu’il dirige a adressé à une cliente potentielle un document publicitaire lui laissant croire qu’elle était la gagnante de la loterie organisée par la société, alors que cette affirmation était inexacte. En statuant ainsi, la Cour d’appel a caractérisé en tous ses éléments constitutifs le délit de publicité de nature à induire en erreur.
- Le for interne du prévenu. Un système juridique fondé sur la notion de responsabilité subjective devrait
inviter les tribunaux répressifs à s’interroger sur la culpabilité morale individuelle de chaque prévenu, et à le punir en fonction de la gravité de la
faute qu’il sait pertinemment avoir commise. Mais l’impossibilité pour de simples hommes de scruter la conscience d’autrui oblige le législateur à
s’arrêter aux portes de celle-ci ; c’est pourquoi il a décidé que les juges doivent être saisis de faits matériels et ne peuvent statuer que sur ces
faits, sans prétendre sonder le for interne du prévenu.
- De la sorte les juges doivent s’en tenir à des éléments moraux visibles de l’extérieurs : l’Imprudence*, la
Volonté*, l’Intention*, la Préméditation*; mais ils ne
peuvent (du moins au stade de la qualification des faits) s’arrêter aux Pensées* ou aux
Mobiles*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale », (4e éd.), n° I-121, p.173 / n° I-122, p.175 / n° I-135 1°, p.191 / n° III-327, p.494 / n° III-333, p.500
Voir : Jean-Paul Doucet, « Le jugement pénal », n° I-I-I-222, p.60 / n° I-I-I-341, p.107 / n° I-II-II-5, p.217 / n° I-II-II-200, p.231
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Personne humaine » (4e éd.) , n° 14 p.14 / n° I-232 p.131/ n° I-302, p.157 / n° I-312, p.164 / n° I-331, p.183
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Famille, des enfants et des adolescents », n° 120, p.67 / n° 216, p.99 / n° 217, p.101-102
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société », n° I-II-5, p.146 / n° I-II-9, p.150
Encyclique Gaudium et Spes : Dieu seul juge et scrute les cœurs ; il nous interdit donc de juger de la culpabilité interne de quiconque.
Code pénal du Luxembourg. Note sous l'Art. 71-2 : La contrainte morale ne saurait relever du for intérieur du prévenu, mais doit nécessairement résulter d'une impulsion extérieure émanant d'un tiers dont la volonté tend à se substituer à la volonté propre de l'agent du délit. Haute Cour Militaire (Appel) 8 janvier 1958, P. 17, 222.
- Le for interne du juge. De même, il semble délicat de scruter le for interne du magistrat appelé à statuer dans un procès pénal. Pourtant on a vu une cour d’appel s’aventurer sur ce terrain pour s’assurer de l’impartialité des premiers juges.
Voir : Jean-Paul Doucet, « Le jugement pénal », n° I-I-I-211, p.47
Paris (1re Ch.) 15 juin 1999 (Gaz. Pal. 1999 II somm. 297) : L’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective qui tente d’établir ce que le juge pensait en son for intérieur en la circonstance et aussi selon une démarche objective amenant à s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime.
FORAINE (audience) - Voir : Siège (d’un tribunal)*.
FORBANNIR
Cf. Bannissement*.
Forbannir est une forme du verbe bannir destinée à souligner l’importance, dans cette sanction, de la notion d’éloignement.
- Rejeté au loin par son groupe social, mal intégré dans son lieu de refuge, le « forbanni » ne vit souvent que d’expédients sinon
d’infractions. D’où la mauvaise réputation du « forban ».
Denisart (Collection de jurisprudence, 1768) : Le droit de forban est le droit que l’on a de punir de la peine du bannissement. La forme du forban, autrefois en Bretagne, était de faire conduire l’exilé par un sergent au-delà de la rivière de Couesnon.
FORÇAT
Cf. Bagne*, Chaîne*, Condamné*, Fers*, Galères*, Travaux forcés*.
Jadis le forçat était un malfaiteur condamné, pour le crime qu'il avait commis, aux travaux forcés, par exemple aux galères.
Ortolan (Éléments de droit pénal) : On appelait aussi les galériens, à cause du travail forcé auquel ils étaient soumis, du nom de forçats.
Joly (Le crime, étude sociale) : C’était certes un lieu bien affreux que le bagne de Toulon. Il y avait pourtant des forçats qui n’auraient plus voulu en sortir. « J’en ai vu, dit Lauvergne, qui, arrivant à l’heure de leur libération, ont été repris d’un regret amer et mortel ; l’idée d’être libres, mais sans amis, sans parents, sans ressources et repoussés de tous, les a frappés au cœur et les a tués.
Vidocq (Mémoires) : Le guichetier de la Tour St-Pierre était un ancien forçat du bagne de Brest … Le concierge des prisons de Lille était persuadé qu’un homme qui avait passé quatre ans au bagne, était un aigle en fait de surveillance, puisqu’il devait connaître à peu près tous les moyens d’évasion.
FORCE
Cf. Brutalités*, Contraindre*, Force ouverte*, Justice*, Loi du plus fort*, Ruse*, Violence*, Voies de fait*.
- Notion. De manière neutre, on peut dire que la force consiste en une énergie physique ou psychique qui permet à l'homme d'atteindre le but qu'il s'est fixé en agissant soit sur les personnes soit sur les choses.
Dictionnaire Larousse des synonymes : Force - Se dit généralement de tout de qui est capable d'agir sur une chose quelconque, que ce soit d'une manière positive ou négative.
Vergely (Dictionnaire de la philosophie) : La force désigne notamment une capacité mentale et morale de maîtrise de soi et, en particulier, de maîtrise du corps et de la violence.
Code pénal du Monténégro. Art. 142 (12) : La notion de force inclut l'utilisation de l'hypnose, ou de moyens inhibants, employée afin de de plonger quelqu'un, contre sa volonté, dans un état d'inconscience ou d'incapacité à opposer une résistance.
- Deux orientations possibles. Au départ, la force morale apparaît comme la vertu par l'effet de laquelle une personne se trouve en état de lutter pour affronter les difficultés de la vie, de pratiquer le bien et de s'opposer au mal (les pénalistes savent bien que les complices d'infractions se recrutent le plus souvent parmi les individus qui ne possèdent pas cette énergie positive).
Yourcenar (Mémoires d'Adrien) : Terpandre a défini en trois mots l'idéal spartiate, le mode de vie parfait dont Lacédémone a rêvé sans jamais l'atteindre : la Force, La Justice, les Muses. La Force étant à la base, rigueur sans laquelle il n'est pas de beauté, fermeté sans laquelle il n'est pas de justice. La Justice était l'équilibre des parties, l'ensemble des proportions harmonieuses que ne doit compromettre aucun excès. Force et Justice n'étaient qu'un instrument bien accordé entre les mains des Muses.
St Pierre (Actes des Apôtres) : Dieu a consacré Jésus de Nazareth par l'Esprit Saint, et l' a rempli de sa force. Là où il passait, il faisait le bien.
St Thomas d'Aquin (Somme théologique) : La force ne se borne pas, comme fait la patience, à supporter sans trouble les difficultés, elle va même jusqu'à les affronter s'il en est besoin. C'est pourquoi tout homme fort est patient, mais non réciproquement, car la patience est une partie de la force.
Héribert Jone (Précis de théologie morale) : La force est la vertu qui détermine l'homme à accepter les dangers, les souffrances et même la mort avec courage et fermeté... Les parties intégrantes de la force sont la magnanimité, la générosité, la patience, la constance.
Livre de la sagesse : La sagesse enseigne la tempérance et la prudence, la justice et la force, et c'est ce qu'il y a de plus utile aux hommes dans l'existence.
Mais la force peut être dévoyée et être orientée vers le mal. Ainsi, en droit pénal, en rencontre des expressions telles que : "de force", "par la force" ; ce terme est alors synonyme du mot "violence", au sens le plus large de ce terme. Il vise alors tout acte de contrainte accompli envers autrui, soit pour l'obliger à faire quelque chose, soit pour l'empêcher de faire quelque chose, soit enfin pour l'obliger à subir quelque chose.
Code pénal de Bosnie-Herzégovine. Art. 1 - Définitions - 28 : Le mot force inclut l'usage de la suggestion hypnotique, ou l'emploi de substances psychotrope, accompli dans le but d'amener une personne contre sa volonté dans un état d'inconscience ou d'incapacité à opposer une résistance.
Code criminel du Canada. Art. 72 : La prise de possession par la force a lieu lorsqu'une personne prend possession d'un bien immeuble qui se trouve en la possession effective et paisible d'une autre, d'une manière susceptible de causer une violation de la paix.
Code criminel des Indiens Ute (EU). § 13-2-9 : L'assentiment ne constitue pas le consentement... s'il a été obtenu par la force, la contrainte ou la tromperie.
- Science criminelle. L'usage de la force est tantôt légitime, tantôt illégitime :
Tantôt légitime, à condition d'être employé avec mesure, comme en cas de dissipation d'un attroupement (art. 431-3 C.pén.).
Bautain (Philosophie des lois, 1860) : La force, qui ne fait pas le droit, peut le confirmer ; et même c'est là ce qui la justifie et l'ennoblit. Elle est légitime et nécessaire pour garantir la vérité, la justice, et le bon droit.
Fergusson (Institutions de philosophie morale) : Toute Constitution ; celle même qui compte le plus sur la vertu des citoyens, est obligée d'employer la force pour réprimer les crimes.
Ahrens (Cours de droit naturel) : Par droit de défense nous entendons, le droit de se servir de moyens de force physique, dans les cas où il n'est pas possible de recourir aux lois, pour protéger sa vie, sa santé, sa chasteté, sa propriété ou son honneur (quand l'honneur est menacé par des injures d'actes physiques).
Liard (Morale et enseignement civique) : Chaque homme est comme une ville fortifiée. Il est entouré d'une ligne de défense que personne ne doit franchir ; celui qui la franchit peut être repoussé par la force.
Tantôt illégitime, comme en cas de violation de domicile (art. 432-8 C.pén.) :
Bautain (Manuel de philosophie morale) : Comprimer par la force l'être moral dans l'exercice de la liberté...est l'outrage le plus odieux, le plus grand attentat contre sa dignité.
Code pénal de Macédoine. Art. 139 : Toute personne qui, par la force ou une menace sérieuse, force autrui à commettre, à ne pas accomplir, ou à supporter quelque chose, sera punie... de l'emprisonnement jusqu'à un an.
Code pénal de Porto-Rico. Art. 99 - Viol - On infligera la peine de la réclusion à toute personne qui a eu un rapport charnel avec une femme... si la femme a été contrainte de subir ce rapport par l'emploi d'une force [fuerza] physique irrésistible.
Code pénal de Tunisie. Art. 255 : Quiconque, par la force, dépossède autrui d'une propriété immobilière est puni d'un emprisonnement de 3 mois et d'une amende...
Cass.crim. 10 novembre 1992 (Gaz.Pal. 1993 I Chr.crim. 224) : Le fait de s'opposer pendant un long moment, sans droit et par la force, au conducteur d'un véhicule désirant quitter son stationnement, caractérise la voie de fait telle que prévue et réprimée par l'art. R.38-1 C. pén.
FORCE MAJEURE
Cf. Cause (causalité)*, Contrainte physique*, Fortune*, Impossibilité*, Nécessité (état de)*, Urgence*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° I-125, p.179
Voir : Jean-Paul Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n° I-I-I-330, p.93 / n° I-II-I-317, p.199
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Personne humaine » (4e éd.), n° I-204, p.98 / n° I-210, p.104 / n° I-221, p.118 / n° I-432, p.222 / n° V-702, p.671
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Famille, des enfants et des adolescents », n° 304, p.128 / n° 316, p.148 / (notamment)
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société », n° I-I-115, p.90 / n° II-I-146, p. 397 / n° II-II-245, p.536
Voir : P.Moriaud, De la justification du délit par l'état de nécessité
- Notion. La force majeure consiste en une circonstance imprévisible, irrésistible et extérieure à un
justiciable, qui interdit de lui imputer à faute l’action ou l’omission qu’elle a provoquée. On parle aussi parfois en ce sens de "cas fortuit" ; et
notre Ancien droit employait le mot "fortune".
Rapprocher, sur la notion d'obstacle insurmontable
: V° Prescription - Suspension de la prescription (Arrêt
de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 7 novembre
2014).
Höffe (Dictionnaire d’éthique) : On parle de force majeure lorsqu’un dommage est causé sans usage volontaire et délibéré de la force, et sans qu’une négligence puisse être imputée à responsabilité. Il y a force majeure lorsque, par exemple, un événement naturel survient de façon imprévisible, qu’aucun moyen de prévention n’eût permis de détourner ou n’eût empêché de se produire.
Chauveau Hélie (Théorie du Code pénal) : La force majeure doit provenir d’un fait extérieur, d’une impulsion étrangère à l’agent.
Dictionnaire civil et canonique (Paris 1687) : Cas fortuit est celui qui ne peut être prévu, ou qu’on ne peut empêcher quoiqu’on le prévoit.
Code de procédure pénale espagnol. Art. 295 : En aucun cas, sauf s’il y a force majeure, les fonctionnaires de police judiciaire ne pourront laisser passer plus de vingt-quatre heures sans donner connaissance à l’autorité judiciaire ou au ministère public des actes qu’ils auront effectués.
Cass.crim. 12 décembre 1962 (Bull.crim. n°371 p.761) : La force majeure ne peut résulter que d’un événement indépendant de la volonté humaine et que cette volonté n’a pu ni prévoir ni conjurer.
Besançon 15 février 1995 : Le vent et la tempête ne constituent la force majeure que s’ils revêtent un caractère de violence exceptionnelle; excédant la normale des troubles atmosphériques auxquels il faut s’attendre dans la région.
- Effet quant au fond. Lorsqu’elle est la cause génératrice du dommage subi par une victime, et qu'elle présente un caractère irrésistible, la force majeure fait obstacle à la qualification pénale des faits reprochés.
Bruguès (Dictionnaire de morale catholique) : On parle de force majeure lorsqu'un événement imprévisible (par exemple, un accident physique ou une catastrophe naturelle) ou la force d'une volonté adverse contraint la volonté de la personne, qui ne peut y échapper. Cette circonstance réduit ou supprime, selon les cas, la responsabilité de l'agent, donc sa culpabilité éventuelle.
Montaigne (Essais) : Nous ne pouvons être tenus au-delà de nos forces et de nos moyens.
Coutume de Bretagne. Art. 639 : Amende ne doit être prononcée des cas qui sont d’aventure ou de fortune ; si auparavant il n’y avait eu dol, malice, ou coulpe notable.
Donnedieu
de Vabres (Traité de droit criminel) : La jurisprudence
soumet l'effet justificatif de la force majeure aux trois
conditions suivantes, qui, toutes, donnent lieu à discussion.
1°/ Elle exige que, par l'effet de la force majeure,
l'inculpé se soit trouvé dans l'impossibilité matérielle et
absolue de se conformer à la loi.
2°/ Elle exige que la contrainte résulte d'une
circonstance extérieure à la personne de l'agent.
3°/ Elle exige que cette circonstance soit indépendante
de toute faute qui pourrait être reprochée à ce dernier.
Carrara (Cours de droit criminel) : N'avoir pas pu prévoir la conséquence dommageable, est ce qui distingue le cas fortuit de la faute. C'est pourquoi le cas fortuit n'est pas imputable.
Code pénal du Burkina Faso. Art. 432 : La circulation des mineurs de moins de treize ans, de 22 heures à 6 heures du matin, est tolérée lorsqu'elle est motivée par un cas d'urgence ou de force majeure.
Cass.crim. 28 février 1861 (S. 1861 I 671) : Il est de principe que la force majeure met à l’abri de toute responsabilité devant la loi pénale. [on ne saurait légitimement reprocher à une personne de ne pas parvenir à tenir une bougie allumée, à l'extérieur, un jour où souffle un ouragan]
Cass.crim.
8 février 1936 (D. 1936 I 44),
arrêt Rozoff : R…, poursuivi pour infraction
à un arrêté d’expulsion pris contre lui, le 15 octobre 1931, par
le ministre de l’Intérieur et régulièrement notifié, a, devant
la Cour d’appel, prétendu qu’il avait été dans l’impossibilité
de se conformer audit arrêté et a demandé, par conclusions, à
prouver « qu’il avait été successivement refoulé sur le
territoire français par les gouvernements de tous les pays
limitrophes ».
Mais l’offre de preuve ainsi formulée ne tendait pas à établir
que le prévenu avait été dans l’impossibilité absolue de quitter
le territoire français ; notamment, il n’en résultait pas que R…
n’eût pu se rendre dans un pays non limitrophe de la France ;
dès lors, en rejetant comme dépourvue de pertinence l’offre en
preuve de R… et en le condamnant, la Cour d’appel, loin de
violer les textes visés par le moyen, en a fait, au contraire,
une exacte application.
Cass.crim. 4 janvier 1984 (Bull.crim. n° 6 p.16) sommaire : N’est pas en faute l’employeur qui licence les ouvriers agricoles employés dans sa bananeraie, dès lors que la plantation a été détruite par un cyclone, événement aux conséquences imprévisibles et insurmontables en l’état des ressources financières de l’exploitant.
Cass.crim. 30 juin 1981 (Gaz.Pal. 1982 II somm. 291) : L’auteur d’un délit ne peut arguer de l’existence d’un cas de force majeure pour tenter de s’exonérer de sa responsabilité pénale dès lors que, antérieurement, il a commis une faute qui a été, dans la réalité, génératrice de ladite force majeure.
- Effet quant à la procédure. L’omission d’une règle de procédure ne peut être reproché à celui qui s’est heurté à un cas de force majeure (tel une grève des gardiens de prison).
Code de procédure pénale du canton de Vaud (Suisse). Art. 398 (3) : Le tribunal ordonne le renvoi de l'audience s'il a des raisons de croire que l'absence de l'accusé est due à la force majeure.
Cass.crim. 3 juin 1980 (Gaz.Pal. 1981 I somm. 72) : Une formalité substantielle ne peut être suppléée par aucun autre acte, sauf si la partie a été empêchée de l’accomplir par un fait de force majeure.
Paris 24 juin 1975 (Gaz.Pal. 1975 II 625) : La fermeture du greffe un jour ouvrable est un cas de force majeure.
Cass.crim. 14 février 2007 (Bull.crim. n° 48 p.281) : Est recevable le pourvoi, formé après l'expiration du délai de cinq jours francs prévu à l'art. 568 C.pr.pén. par le demandeur, qui s'est trouvé dans l'impossibilité absolue d'exercer son recours en temps utile en raison de la fermeture des locaux du greffe.
FORCE OUVERTE
Cf. Attroupement*, Manifestation publique*, Violences*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° II-205, p.328
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Personne humaine » (4e éd.), n° IV-210, p.574 / n° V-202, p.637 / n° V-701, p.670
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société », n° 28, p.28 / n° I-I-118, p.93 / n° II-II-249, p.541
- Notion. La notion de « force ouverte » a évolué au cours des siècles. Dans l'Ancien droit on parlait généralement de la force ouverte en l’opposant à l’acte de traîtrise : elle consistait en un acte de violence contre les personnes commis, soit avec armes, pierres ou branche d’arbre, soit à coups de pieds ou de mains. Elle apparaissait particulièrement grave lorsqu’elle manifestait une volonté de rébellion contre l’autorité.
Chauveau Hélie (Théorie du Code pénal) : Le droit de vengeance à force ouverte, né de l’indépendance des individus, s’affaiblit à mesure que les liens de la société commencent à se former.
More (L’utopie) : En général l’argent est le nerf de la guerre, soit pour acheter des trahisons, soit pour combattre à force ouverte.
Ordonnance criminelle de 1670. T. XXII – Art. 1: Le procès ne pourra être fait au cadavre ou à la mémoire d’un défunt, si ce n’est pour crime de lèse-majesté … dans le cas de rébellion à justice avec force ouverte.
Code pénal de 1810, d’origine. Art. 440. Tout pillage, tout dégât de denrées ou marchandises, effets, propriétés mobilières, commis en réunion ou bande et à force ouverte, sera puni des travaux forcés à temps.
Eugène Sue (Les mystères de Paris) : Le soporifique, l’audacieuse hypocrisie, avec laquelle il avait nié son crime, étaient beaucoup plus dans sa manière que la force ouverte.
- Science criminelle. C'est devenu un lieu commun de constater que l'emploi de la force ouverte était plus fréquent dans les peuples primitifs qu'il ne l'est dans les peuples civilisés. Il n'en trouble que plus l'ordre public et appelle donc une sanction renforcée, d'autant que la recrudescence de la force ouverte est un indice de décadence des institutions.
Bouillier (Questions de morale) : Je ne sais si nos aïeux faisaient plus de bien, mais ils étaient plus simples dans la manière de faire le mal... La force ouverte, la violence, sans nul souci de l'apparence de la légalité ou du bon droit, la passion aveugle, l'emportaient chez ces barbares ou ces hommes moins civilisés, sur les ruses, les biais, les chicanes avec soi-même et avec les autres.
Bossuet (Discours sur l'histoire universelle) : Les Gracques mirent tout en confusion, et leurs séditieuses propositions furent le commencement de toutes les guerres civiles. Alors on commença à porter des armes, et à agir par la force ouverte dans les assemblées du peuple romain, où chacun auparavant voulait l’emporter par les seules voies légitimes, et avec la liberté des opinions.
- Droit positif français. De nos jours le législateur semble voir en elle une manifestation de violence publique et collective, ostensible et voulue comme telle. Ainsi notre Code pénal punit, dans son art 412-4, le fait de participer à un mouvement insurrectionnel … en occupant à force ouverte ou par ruse ou en détruisant tout édifice ou installation. Sur un autre plan, on peut observer que les communes sont civilement responsables des dommages causés à autrui lors de troubles commis à force ouverte.
Vitu (Droit pénal spécial) : L’expression « force ouverte » désigne des violences publiques manifestes, mais pas nécessairement l’emploi ni le port d’armes.
Code pénal du Burkina Faso. Art. 524 : Est puni d'un emprisonnement de cinq à dix ans, tout pillage, tout dégât de denrées ou marchandises, effets, propriétés mobilières commis en réunion ou en bande et à force ouverte.
Cass.crim. 11 janvier 1984 (Bull.crim. 1984 n°15 p.41) : D’après l’art. L 133-1 C. commun., la responsabilité de la commune est engagée à la triple condition que les crimes ou les délits aient été commis sur son territoire par un rassemblement ou un attroupement, armé ou non armé, que les actes constituant les crimes ou les délits aient eu lieu à force ouverte ou par violence, et qu’enfin ces actes délictueux aient occasionné des dommages ou des dégâts.
FORCE PUBLIQUE
Cf. Armée*, Gendarmerie*, Police administrative*, Police judiciaire*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° 101, p.56 (note 4) / n° I-119, p.170 (note 4)
Voir : Jean-Paul Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n° I-I-I-208, p.44
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Personne humaine » (4e éd.), n° V-610 , p.660
Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société »
- n° I-I-214,
p.115 (sur la prise de contrôle illégale de forces armées)
- n° 21,
p.22 (sur le fait de lever illégalement des forces armées)
- Notion. L’expression « force publique » figure à l’art. 12 de La Déclaration des droits de l’homme de 1789. Elle désigne les organes investis du pouvoir de contrainte permettant la réalisation du droit, à savoir le respect des lois, l’observation des règlements administratif et l’application des jugements.
Charles X au Président Séguier : La Force que je vous donne par ma Puissance, vous me la rendez par la Justice.
Buisson (Encyclopédie Dalloz) : La force publique c’est d’abord un ensemble d’agents... Elle a pour objet d’assurer l’ordre public et de contraindre les citoyens à exécuter les lois… Elle assure l’exécution des actes des autorités administrative et judiciaire et la contrainte des individus qui ont d’ores et déjà violé la loi.
Cass.crim. 19 janvier 1987 (Gaz.Pal. 1988 I somm. 82) fait usage de cette expression générale : Le mandat d’amener étant l’ordre donné par le juge d’instruction à la force publique de conduire devant lui telle personne.
- Mission. Dans une démocratie libérale, où l'État détient le monopole de la contrainte, la force publique a pour but premier d’assurer l’harmonie sociale ; dans une dictature elle a pour principale mission d’affermir le pouvoir des dirigeants.
Bui Trong (La police) : La mission de rétablir la loi ou l’ordre n’est jamais en totale opposition avec la « mission pastorale » du policier ; généralement elle n’en est que « l’autre versant ». Assurer l’ordre public, c’est aussi assurer la sécurité de tous. Si le policier contraint et interpelle, c’est parce qu’il se place du côté des victimes, ou essaie d’empêcher un méfait.
Miquel (Les gendarmes) : Le gendarme est le modérateur des rapports sociaux.
Dzerjinski, qui a fondé la Tchéka, ancêtre du KGB, sur l’ordre de Lénine, a pu dire : « Nous symbolisons la Terreur organisée… une terreur collective sans merci ».
- Protection pénale. Les agents de la force publique sont spécialement protégés par la loi pénale, notamment contre Violences* ou Voies de fait*, Outrage*ou Rébellion*.
Cass.crim. 29 mai 1985 (Bull.crim. n° 203 p. 518) : La dénonciation d’un délit imaginaire qui implique la conscience chez son auteur qu’il porte atteinte à l’autorité des agents de la force publique en les exposant à d’inutiles recherches, caractérise les éléments légaux du délit d’outrage prévu par l’art. 224 C.pén. (ancien).